Za darmo

Les amours d'une empoisonneuse

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L'enfant ne répondit d'abord qu'en jetant ses petits bras autour du cou de son ami.

– Pourvu que je ne te quitte pas, père, dit-il en l'embrassant, je ne regretterai rien.

– Pauvre enfant! reprit le marquis en le pressant sur sa poitrine, Dieu sait que tu seras le seul être que j'aurai aimé sur cette terre.

Ta douce voix et tes innocentes caresses m'attendrissent comme le bonheur et me troublent comme le remords.

Oh! que n'ai-je pu répandre plus tôt sur toi les trésors d'affection que je sens en mon cœur, de ce cœur qui n'avait jamais aimé auparavant!

Et comme Olivier, surpris et effrayé de l'exaltation de son ami et de la violence de paroles qu'il ne comprenait pas, s'attristait jusqu'aux larmes, le marquis continua d'un ton plus calme:

– Ne crains rien, enfant; à tout prix je saurai te faire une vie à l'abri des terribles vicissitudes de ma vie. Le souffle empesté du mal qui a flétri et desséché mon cœur ne t'atteindra pas. Je serai toujours là pour te protéger. De près ou de loin je serai ton égide. Ma vie entière sera pour toi. Je te dois cela et plus encore…

Alors les domestiques étaient venus.

A la hâte on avait habillé Olivier.

Pêle-mêle, dans les coffres, on avait jeté les objets les plus précieux.

Les laquais allaient et venaient effarés, sans ordre, presque sans savoir ce qu'ils faisaient.

Ce n'était pas un départ, c'était une fuite.

Tous les préparatifs terminés, le moment venu de quitter le palais, le marquis fit venir un vieux serviteur de confiance que, dès le premier jour, il avait spécialement chargé du service d'Olivier.

Il lui ordonna de fermer toutes les portes.

– Cosimo, lui dit-il, lorsqu'il fut certain de n'être entendu par aucune oreille indiscrète, Cosimo, je suis entouré de dangers et d'embûches. Madame Olympia ne peut plus rien pour moi, demain la populace viendra se ruer dans ce palais.

Je me décide à fuir devant l'orage; mais je puis être pris, tué, emprisonné, que sais-je? On a peut-être déjà armé du poignard la main qui doit me frapper…

– O mon maître! balbutia le valet ému, ne parlez pas ainsi.

– Cosimo, tu m'es dévoué, n'est-il pas vrai? Tu me l'as prouvé cent fois…

– Oh! s'il ne fallait que mon sang…

– Je le sais, continua le marquis de cette voix brève que l'imminence du danger donne aux hommes résolus. Aussi ai-je compté sur toi.

Je te confie cet enfant qui m'est plus cher mille fois que la vie; toi-même, tu l'aimes, tu me l'as dit cent fois.

Si je viens à disparaître, d'une façon quelconque, qu'il soit ton fils et ton seigneur.

Défends-le contre tous, même contre ma mémoire, si jamais on arrivait à savoir… et que pas un cheveu ne tombe de sa tête tant qu'un souffle te restera.

Le vieux serviteur étendit la main vers un crucifix d'ivoire qui se détachait sur le velours noir d'un cadre magnifique, le long des lambris de l'appartement.

– Je jure de ne plus vivre que pour l'enfant, prononça-t-il.

– Merci, mon vieil ami, dit le marquis, et maintenant prends ce portefeuille, tu l'ouvriras le jour où je viendrai à manquer à notre fils.

Le marquis, alors, jeta sur ses épaules un grand manteau sombre, prit la main d'Olivier, et, quittant le palais par une porte de service, gagna, par des rues détournées, les portes de Rome, suivi de quelques domestiques éplorés.

A l'extrémité du faubourg, une voiture de modeste apparence attendait les fugitifs; ils y prirent place lorsqu'on y eut entassé les richesses échappées au naufrage.

Puis on partit.

Mais les tristes prévisions du marquis ne se réalisèrent pas et les fugitifs purent gagner Naples sans être inquiétés.

Ils y restèrent cachés pendant cinq jours, au bout desquels Cosimo vint annoncer à son maître qu'il s'était entendu avec le capitaine d'un navire anglais, qui s'engageait à les transporter dans le port de France qu'on lui indiquerait.

Mais en même temps il apportait une fâcheuse nouvelle: il avait vu trois ou quatre hommes de mauvaise mine rôder autour de la maison qui servait d'asile aux proscrits, ce ne pouvait être que des espions; s'embarquer devenait urgent.

Mais comment gagner le navire hospitalier?

Ici une généreuse discussion s'éleva entre le marquis et son serviteur. Ils ne pouvaient songer à quitter leur retraite ensemble: si on avait des soupçons, ils se changeraient en certitude lorsqu'on verrait deux hommes et un enfant.

Cosimo voulait que son maître partît le premier, puisque lui seul était en péril.

Le marquis déclarait qu'il ne se hasarderait dehors qu'après avoir la certitude qu'Olivier et Cosimo seraient en sûreté.

Enfin, après un assez long débat, il fut convenu que, sitôt la nuit venue, le marquis s'aventurerait le premier et tâcherait de gagner un endroit où une embarcation du navire anglais devait venir le prendre.

Olivier et Cosimo sortiraient une demi-heure après lui et iraient épier le résultat de la tentative. Si le plan réussissait, le marquis devait faire allumer un fanal sur l'embarcation qui l'aurait reçu et aussitôt son fils adoptif et le vieux serviteur s'embarqueraient pour venir le rejoindre.

Il fut fait ainsi qu'on en était convenu.

Le marquis quitta son asile; Olivier et Cosimo sortirent quelques instants après lui et prirent une autre route.

Longtemps, errant sur les bords de la mer, l'enfant et le vieillard épiaient avec anxiété le signal qui devait leur annoncer le salut de l'homme qui leur était si cher.

En vain, pendant plus de deux heures, ils attendirent, interrogeant l'horizon muet.

– Il lui sera arrivé malheur, murmurait Cosimo; peut-être est-il mort à cette heure: qui sait, l'embarcation ne se sera pas trouvée au lieu indiqué!

Déjà il parlait de retourner sur ses pas, de se mettre à la recherche du marquis, lorsqu'il fut interrompu par un cri de joie de son jeune compagnon.

– Vois, disait l'enfant; vois le signal, il est sauvé!

Une lumière venait en effet d'apparaître à la poupe d'une petite embarcation qui glissait silencieuse sur les vagues au milieu des ténèbres.

Sans perdre une minute, Cosimo et Olivier sautèrent dans un batelet amarré près du bord et rejoignirent l'embarcation.

Tout danger pressant avait disparu.

Deux mois plus tard, les fugitifs s'installaient à Paris, dans un petit hôtel isolé, non loin du Jardin du roi.

Ils y habitèrent quelques mois, tranquilles en apparence. Le marquis avait repris ses habitudes et ses travaux, et Olivier, aussi heureux que dans le somptueux palais de Rome, avait recouvré son insouciance et sa gaieté.

Un matin, M. de Florenzi fit appeler son fils adoptif.

– Olivier, lui dit-il, je vais être forcé de te quitter pour longtemps, sans doute. Des motifs que tu connaîtras plus tard me commandent impérieusement cette séparation.

Je te laisse Cosimo, il me remplacera près de toi.

J'ai assuré ton existence et ton avenir; sans être riche, tu seras de beaucoup au-dessus du besoin.

Travaille, obéis à ta conscience, tâche d'être un homme.

– Non, jamais, jamais! s'écria Olivier en fondant en larmes, je ne veux plus, père, être séparé de toi.

– Il le faut, mon enfant, continua le marquis d'une voix grave et triste.

Je suis heureux de croire que tu te souviendras toujours de ton vieil ami. Autant que je le pourrai, je te donnerai de mes nouvelles; Cosimo prendra les mesures nécessaires pour me donner des tiennes.

Et maintenant, séparons-nous: cette maison, pour toi, ne serait pas sans danger. Cosimo a dû chercher pour vous un logement dans un autre quartier de la ville; occupez-le ce soir même.

Après bien des recommandations encore, qui prouvaient toute la tendresse, toute la sollicitude de M. de Florenzi pour son fils, l'heure des suprêmes adieux arriva.

Jamais Olivier n'oublia les dernières paroles du marquis; elles renfermaient l'énigme de sa vie.

– Mon enfant, lui avait-il dit, je ne suis pas ton père, bien que j'en aie la tendresse. Mais les gens qui t'ont confié à moi n'étaient pas tes parents, et ta famille leur était même inconnue.

Un jour, un étranger t'avait confié à eux et, depuis, n'avait pas reparu. Les braves gens t'élevaient par charité.

Le jour où notre réunion n'offrira plus de dangers, si mon affection ne te suffit pas, eh bien! nous chercherons ta famille et, à nous deux, nous trouverons.

Depuis ce jour, Olivier n'avait pas revu le marquis de Florenzi.

A de rares intervalles seulement, Cosimo remettait à son jeune maître quelque billet mystérieusement parvenu et l'engageait à y répondre.

Olivier obéissait et remettait ses lettres au vieux serviteur. Parvenaient-elles au marquis? c'est ce qu'il ne pouvait savoir.

Maintes fois il avait à cet égard accablé Cosimo de questions.

Il le conjurait de lui dire ce qu'était devenu le marquis, le lieu de sa retraite, comment on recevait de ses nouvelles, comment on pouvait lui faire passer les réponses.

A ces sollicitations diverses, presque désespérées, Cosimo restait muet ou ne répondait que ces seuls mots:

– Je ne puis dire.

Ou encore:

– J'ai juré sur le Christ de me taire.

Force a été à Olivier de se résigner et bientôt même, voyant le chagrin qu'il causait à son fidèle serviteur, il renonça complètement à l'interroger sur ces secrets, dont la seule pensée lui causait un horrible serrement de cœur.

Les années s'écoulèrent paisibles depuis cette époque. Mûri par l'expérience et le malheur, Olivier fut homme avant l'âge.

Seul, sans autre ami que Cosimo, il ne vivait que par la pensée, dans le passé ou dans l'avenir, le présent lui semblait lourd à porter.

Déshérité de toutes les affections légitimes qui sont ici-bas le vrai bonheur, il s'était replié sur lui-même; mais sous les glaces de son abord, sous l'austérité de sa parole, se cachaient une âme ardente, un cœur fait pour aimer jusqu'au dévouement le plus absolu.

 

Une timidité presque invincible, un légitime orgueil de soi-même, une certaine honte de son isolement empêchaient Olivier de chercher des amis de son âge.

Il craignait de donner son amitié ou trop haut ou trop bas.

Trop bas pour son orgueil, pour sa dignité; trop haut pour son état et pour sa fortune.

Décidé à vivre seul, l'ambition devint la seule passion de cette âme ardente. Non cette ambition sombre et funeste qui fait les criminels atroces, mais cette ambition généreuse et ouverte qui fait regarder haut et ferme devant soi.

Le travail, ce divin consolateur, combla l'abîme des désirs qu'il sentait en lui.

Il travaillait pour arriver. Il voulait se faire un nom, lui qui n'avait pas de nom; un état, lui qui n'avait ni état ni protecteurs, ni aucun moyen de parvenir; une famille, lui qui n'avait pas même un ami dans le sein duquel il put verser ses douleurs ou ses espérances.

Lorsqu'il atteignit dix-sept ans, il voulut partir pour l'armée.

– Avec mon courage, disait-il, avec mon savoir, je serai tué ou j'aurai un beau grade avant la troisième campagne. Au jour du combat, il pleut sur le champ de bataille des cordons, des épaulettes et des brevets de noblesse. Je me ferai noble par le sang.

Mais Cosimo combattit cette résolution. Il représenta à son jeune maître que le marquis désapprouverait cette entreprise. Il pouvait revenir d'un jour à l'autre. Quelle consolation resterait-il à ses vieux jours si son enfant bien-aimé venait à être tué!

Olivier se rendit à toutes ces raisons et essaya, en désespoir de cause, de se frayer un chemin dans la magistrature. Mais, là, il fallait au moins un premier protecteur.

Cosimo leva toutes les difficultés. Grâce à de mystérieuses relations, à des lettres de recommandation obtenues en cachette par le vieux serviteur, Olivier fut admis en qualité de secrétaire près de messire de Mondeluit, conseiller au Châtelet, membre du parlement, un des hommes les plus justement considérés de la magistrature d'alors.

Convaincu de la nécessité de s'instruire et de s'instruire vite, Olivier se consacra tout entier à sa nouvelle profession.

Rien ne lui coûta, ni les rebutantes recherches, ni les veilles prolongées; à la science aride des lois, il avait donné tout ce qu'il avait en lui de passion.

Souvent Cosimo, épouvanté des écrasants labeurs de son jeune maître, se prenait à regretter le jour où il lui avait facilité les moyens d'arriver près de messire de Mondeluit; il le conjurait de prendre quelques vacances.

– Vous vous tuez, monsieur, lui disait-il; est-il raisonnable, vraiment, de travailler ainsi que vous le faites, jusqu'à compromettre votre santé? Ne devriez-vous pas suivre un peu les plaisirs des jeunes seigneurs de votre âge? Car, enfin, rien ne vous serait si aisé.

– Tu crois, mon vieil ami?

– Certes, monsieur; car enfin vous êtes riche et nous ne dépensons seulement pas le quart des revenus que vous a assurés M. le marquis, mon digne maître; nous vivons, c'est-à-dire vous vivez presque comme un gueux; excusez-moi, je veux dire comme un pauvre cadet ou comme un malheureux clerc.

N'était la facilité avec laquelle vous prodiguez l'argent pour soulager les infortunes que vous rencontrez sur votre route, je croirais presque que vous êtes avare, ce qui est une bien lamentable infirmité pour un seigneur jeune et beau comme vous l'êtes.

Olivier souriait aux remontrances de son fidèle serviteur.

– Tu m'appelles seigneur, répondait-il, et tu ne saurais seulement me dire mon nom.

Est-ce avec ce nom d'Olivier que je puis me présenter et faire figure dans le monde? Veux-tu que je vole un titre auquel je n'ai aucun droit?

Car enfin le marquis n'est pas mon père, tu le sais comme moi. Il m'a trouvé chez des paysans qui eux-mêmes m'avaient ramassé on ne sait où?

Cette fortune que je dois au marquis n'est entre mes mains qu'un dépôt. Je puis user de ses bienfaits pour mon existence, non pour mes plaisirs.

Ce nom que je n'ai pas, laisse-moi donc le gagner avec une fortune.

Il est noble, il est grand d'être le premier d'une famille; je serai, moi, le premier de ma famille.

Alors Cosimo secouait tristement la tête et, pour quelques jours, faisait trêve de remontrances.

Il n'était pas convaincu; mais, habitué à obéir aveuglément aux moindres désirs du jeune homme, il eût cru manquer à son devoir en l'importunant.

Et certes ses lamentations eussent été vaines et se fussent brisées contre la volonté ferme du jeune homme.

Olivier allait bientôt recevoir la récompense de ses travaux.

Aimé et estimé du conseiller, il n'avait pas tardé à devenir son ami et son confident, bien plus que son secrétaire.

Tels avaient été les progrès du jeune homme que, dans les premiers temps, ils avaient stupéfié le sévère magistrat. Chaque jour, il s'ébahissait de trouver tant de science, de profondeur, de lucidité, alliées à tant de jeunesse.

Et, au bout de moins de trois ans, messire de Mondeluit considérait Olivier comme un autre lui-même.

Bien plus, il n'entreprenait jamais rien sans lui demander son avis, et il n'hésitait pas à lui confier l'entière direction des affaires les plus difficiles et les plus embrouillées.

Partout, cet honnête homme allait prônant les merveilleux talents de son jeune secrétaire, son assiduité, sa patience, toutes ses qualités, en un mot.

– Le temps n'est pas éloigné, disait-il souvent à ses collègues, où ce jeune homme sera une des gloires, une des lumières de la magistrature française.

Telle était exactement la situation d'Olivier, lorsque, pour la première fois, il aperçut la fille du riche Hanyvel.

Cet amour, tout d'abord, lui parut sans danger:

– Je l'aimerai de loin, se disait-il, comme un frère; je l'adorerai comme une divinité placée bien au-dessus des vœux des pauvres humains.

Elle sera le rayon de ma nuit profonde, l'étoile de ma vie. C'est elle que j'invoquerai à mes heures de découragement.

Jamais elle ne saura que j'existe, mais je serai là pour veiller sur elle, et je ne l'importunerai de ma présence que si jamais elle a besoin d'un obscur dévouement.

Ainsi parlait Olivier tout en suivant des yeux la jeune fille, qui courait rieuse le long des pelouses, ou se promenait pensive sous les longues allées de tilleuls du jardin.

Il ignorait, l'imprudent, que chaque jour la passion grandit et s'exalte, que les obstacles l'irritent, que la solitude l'affole jusqu'au jour où, maîtresse souveraine, elle s'empare de l'esprit et du cœur, de toutes les facultés, de tout l'être.

Mais après moins de quinze jours il en était réduit à reconnaître et à s'avouer l'immensité de son amour; à se dire que désormais sa vie ne serait plus qu'un insoutenable supplice.

Toutes les flammes de son cœur, toutes les ardeurs de la passion si longtemps étouffées en lui, éclataient furieuses.

Il se sentait incapable de se maîtriser et d'arracher de son cœur l'image de celle qu'il aimait.

Déjà il cherchait dans sa tête les moyens de se rapprocher d'elle, de respirer l'air qu'elle respirait, d'effleurer sa robe, d'entendre le son de sa voix.

– Mais à quoi cela me servirait-il, malheureux que je suis? s'écriait-il alors avec rage; ne serais-je pas couvert de huées le jour où l'on apprendrait que j'ai osé lever les yeux jusqu'à elle!

Il n'est que deux baguettes magiques pour forcer la porte d'un financier et obtenir la main de sa fille: l'or ou la noblesse.

Et je suis pauvre, et je suis un enfant trouvé! Si encore le marquis de Florenzi était près de moi!.. Eh! que pourrait le marquis?

Sais-je seulement quel est cet homme mystérieux qui sème l'or à pleines mains, qui habite des palais comme n'en ont pas nos princes, qui semble tout-puissant et qui est obligé de fuir, de s'exiler, qui se cache comme un malfaiteur…

Oh! malheur! voici que maintenant, dans ma folie, j'insulte mon bienfaiteur!..

Oh! pardon! pardon! vous, mon seul ami, mon second père; pardon, je suis un misérable, un insensé, j'ai perdu la possession de moi-même…

Et, anéanti, écrasé de douleur, foudroyé par la conscience de son impuissance, il se laissait tomber sur son fauteuil et versait des torrents de larmes.

Alors il songeait au suicide. Mourir… cette idée était pleine de charmes; c'était comme l'image d'un repos délicieux, un verre d'eau glacée au malheureux qui, dans les sables du désert, meurt de soif et de chaleur.

– Mais, alors, je ne la verrais plus, se disait-il.

Et, dans ce dernier abîme du malheur, il sentait tout son courage l'abandonner.

C'était chaque jour quelque crise semblable, et, au bout d'un mois de cette insoutenable existence, il était devenu méconnaissable.

Tous ses projets d'avenir étaient rompus. Que lui importait une profession qui ne pouvait le rapprocher de celle qu'il aimait? Il avait renoncé à ses travaux; il ne paraissait plus chez M. de Mondeluit. Il ne vivait véritablement que pendant une heure de la journée, celle où la fille de Hanyvel se promenait dans le jardin.

Le reste du temps, il errait comme un corps abandonné de son âme.

Espérant tuer le souvenir à force de fatigues, il louait des chevaux et courait du matin au soir, par tous les temps, dans les environs de Paris; le soir, fort avant dans la nuit, quelquefois il rentrait, brisé de lassitude, se tenant à peine debout; mais ce n'était qu'une souffrance de plus ajoutée à ses autres souffrances; les nuits qui suivaient ces journées étaient nuits sans sommeil.

Inquiet de la subite disparition de son secrétaire, le conseiller vint lui-même s'informer de la cause qui le retenait ainsi loin de lui.

Olivier répondit qu'il était malade, et, comme son maître l'interrogeait, il répondit d'une façon si vague, si singulière, on voyait si bien que son esprit était ailleurs, que M. de Mondeluit, effrayé, sortit en faisant à Cosimo toutes sortes de recommandations.

A vrai dire, elles étaient parfaitement inutiles, le vieux serviteur était dans un état d'angoisse inexprimable.

Dès les premiers jours, ainsi qu'il l'expliqua au conseiller, il s'était aperçu de quelque chose, mais, pensant qu'il s'agissait simplement d'une amourette, loin de s'en affliger, il s'en était réjoui.

Lorsqu'il avait reconnu son erreur, il avait voulu parler à son jeune maître, essayer quelques timides observations; mais Olivier, dur pour la première fois de sa vie, lui avait brutalement enjoint de ne pas se préoccuper de ses affaires.

– De sorte, monsieur le conseiller, conclut Cosimo, que je ne sais vraiment que faire et que je ne vois que vous qui puissiez me sortir de mes anxiétés.

– Je ne vois rien à tenter, répondit le magistrat; tâchez seulement d'éloigner votre maître de Paris, ne fût-ce que pour quelques jours.

Cosimo essaya de suivre ce conseil; mal lui en prit.

Un matin, après une nuit d'insomnie et de désespoir, nuit pendant laquelle il avait été vingt fois sur le point de se débarrasser d'une vie qui lui devenait à charge:

– Que je suis donc fou, se dit-il, de me laisser réduire à cet état par mon imagination, pour une jeune fille à laquelle je n'ai jamais adressé la parole, qui ne sait même pas que j'existe, qui en aime peut-être un autre!

Et dire que je ne sais même pas son nom…

Une idée subite traversa son cerveau.

– Mais ce nom, continua-t-il en parlant tout haut, emporté par son délire, ce nom, je puis le savoir; je n'ai qu'à descendre dans la rue, à interroger…

Et sans même prendre le temps de jeter un manteau sur ses épaules, il descendit tout courant.

– Monsieur, lui cria Cosimo, monsieur…

Il ne répondit pas; le fidèle serviteur s'élança sur les traces de son jeune maître; mais l'âge avait alourdi ses pas; arrivé à la porte de la rue, il ne vit plus personne. Après avoir marché vainement dans les rues environnantes, il remonta tristement.

– Je suis un mauvais gardien, se disait-il; comment oserai-je jamais reparaître devant M. le marquis? il m'avait confié un dépôt sacré, et je n'ai pas su veiller dessus.

Olivier, pendant ce temps, rôdait autour des portes de l'hôtel Hanyvel; il attendait la sortie de quelque laquais pour entrer en conversation avec lui.

Enfin, un valet parut sur la porte. Mais, au moment de s'adresser à cet homme, la résolution manqua au timide amoureux; il fit quelques pas vers lui, puis rebroussa chemin.

Cependant l'heure s'avançait; les portes et les fenêtres s'ouvraient; Paris s'éveillait; les rares marchands de ces rues aristocratiques ouvraient les volets de leurs boutiques, les laquais allaient et venaient.

 

Même on commençait à regarder curieusement ce jeune homme à la mine pâle et défaite, sans habit et sans chapeau, qui se tenait immobile, appuyé sur une borne de la porte d'un hôtel.

– Allons, assez de lâcheté comme cela! se dit Olivier, il faut agir.

Et résolument il s'avança vers un domestique chamarré d'or sur toutes les coutures, qui sortait de chez Hanyvel.

Il se trouva que la précipitation d'Olivier à descendre de chez lui le servait bien.

Le laquais, jugeant le jeune homme sur le costume, le prit pour un serviteur d'une maison voisine.

C'est donc sans façon qu'il accepta un verre de vin que lui offrit Olivier, et qu'ils allèrent boire chez un suisse du voisinage; car à cette époque presque tous les concierges, – pour rien au monde je n'écrirais le mot portier, à cause du mien, – des maisons riches avaient un petit réduit où ils vendaient vin.

Après une conversation insignifiante, dont Olivier se tira assez bien pour n'inspirer aucun soupçon, il se hasarda à demander au domestique, de la voix la plus indifférente qu'il put prendre, le nom de la fille de la maison. Le laquais répondit qu'elle s'appelait Henriette.

C'était tout ce que voulait savoir Olivier. Cette réponse obtenue, il fut sur le point de s'enfuir, la prudence le retint.

Il causa encore pendant quelques minutes de choses et d'autres, et enfin, jugeant avoir assez fait, il paya et regagna précipitamment son logis, le cœur bondissant de joie, plus heureux qu'il ne l'avait été depuis longtemps.

A sa vue, Cosimo ne put retenir une joyeuse exclamation.

Olivier courut à lui, et, le serrant entre ses bras:

– Mon ami, mon vieil ami, mon fidèle, elle se nomme Henriette; je suis le plus heureux des hommes.

– Alors, monsieur, reprit Cosimo, vous vous déciderez peut-être à déjeuner, à prendre au moins quelque chose pour vous donner la force de supporter votre bonheur.

– Tout ce que tu voudras, mon fidèle… Et se parlant à lui-même: Henriette, murmurait-il, fut-il jamais nom plus doux à prononcer… Henriette!

– Bien évidemment, se dit Cosimo attristé de cette exclamation, mon pauvre jeune maître est un peu fou.

Ah! j'en ai bien vu dans ma jeunesse, des jeunes seigneurs amoureux; mais jamais de cette façon singulière; ils n'en perdaient pas le manger, eux, encore moins le boire…

Prononcer le doux nom de celle qu'il aimait, se le répéter à lui-même, suffît pendant deux ou trois jours au bonheur d'Olivier.

Bientôt il désira plus.

– Il faut que je la voie de près, pensa-t-il, que je puisse m'incliner devant cette beauté céleste.

Et de nouveau, un matin, il alla s'embusquer à la porte de l'hôtel Hanyvel, bien décidé à ne quitter la place que lorsqu'il aurait vu sortir Henriette.

La jeune fille était-elle malade, était-elle absente? C'est ce que ne pouvait savoir le jeune homme; toujours est-il que durant trois jours il attendit en vain.

Le quatrième, qui était un dimanche, comme il commençait à se désespérer, la lourde porte de l'hôtel roula sur ses gonds, et la jeune fille parut, plus belle, plus radieuse encore que ne la rêvait Olivier.

Derrière elle s'avançait un domestique portant un livre d'heures et un carreau de velours. Après quelques hésitations, le jeune homme se décida à la suivre. Elle se rendait à l'église voisine.

– Comment n'avais-je pas songé à cela! se disait Olivier, fut-il jamais moyen plus simple de la contempler et de l'adorer à mon aise!

Et ses yeux ne pouvaient se détacher de la jeune fille qui priait avec recueillement. Olivier ne tarda pas à s'assurer qu'Henriette venait ainsi à la messe presque tous les matins.

Il pensa que son bonheur était assuré. Il se répétait cent fois le jour qu'il pourrait, à son gré, voir, admirer celle qui désormais occupait toute sa vie.

Il ne se demandait même pas si Henriette l'avait remarqué.

Et pourtant il en était ainsi. La jeune fille avait ressenti une émotion étrange à la vue de ce jeune homme que, chaque matin, elle rencontrait accoudé à l'un des piliers de l'église. Involontairement son cœur s'était élancé vers lui.

Olivier, il faut le dire, était bien digne de cette sympathie; il avait un de ces visages dont la douceur n'exclut ni la fierté ni l'énergie; une fine moustache noire estompait sa lèvre supérieure, sa joue avait encore le velouté de l'adolescence; enfin, sa pâleur et sa mélancolie donnaient à sa physionomie une ravissante expression, ses yeux grands et expressifs, tour à tour tristes ou rayonnants d'audace, semblaient comme le miroir de cette âme si généreuse et si noble.

Il n'y avait pas à se tromper à ces regards que faisait trembler l'émotion.

Sans doute, Henriette, involontairement, avait fait toutes ces remarques, car la première fois que ses yeux rencontrèrent ceux d'Olivier, elle mit dans son regard les plus exquises caresses d'un chaste amour.

Sous ce regard, le jeune homme chancela. Jamais, dans ses rêves les plus insensés, il n'avait rêvé un pareil bonheur. Il rentra chez lui en disant que désormais il avait assez vécu, qu'il n'avait plus rien à souhaiter sur cette terre.

Ce qui n'empêcha que le lendemain, à l'heure accoutumée, il était accoudé le long d'un des piliers de l'église.

Cette fois, il sortit un peu avant la jeune fille, et, pour la voir passer, il s'arrêta sous le porche.

Henriette l'avait aperçu. Soit émotion, hasard, ou intention presque irréfléchie, elle laissa tomber son livre d'heures. Olivier se précipita, et, ramassant le livre, le rendit à Henriette. Elle pâlit d'une inexprimable émotion; puis, se remettant:

– Merci, monsieur, dit-elle au jeune homme, d'une voix d'or, qui le plongea dans une nouvelle extase.

A dater de cet important épisode de ses amours, chaque matin, à la fin de la messe, Olivier devançait Henriette, et, s'arrêtant près de la porte, il lui offrait respectueusement l'eau bénite. Ils ne s'étaient pas parlé encore, mais ils savaient à n'en pas douter qu'ils s'aimaient.

Ils en avaient une certitude que ne leur eussent pas donnée tous les serments de la terre.

– Il faut oser enfin, se dit Olivier.

Et il écrivit une petite lettre qu'il plia soigneusement, de manière à la réduire au moindre volume possible. Pendant la messe, à un moment où Henriette levait les yeux sur lui, il lui montra le papier qu'il avait gardé à la main.

Elle rougit, baissa les yeux, comme indignée, peut-être l'était-elle réellement, mais à sa sortie, une seconde fois, elle laissa tomber son livre. Olivier le ramassa encore, mais lorsqu'il le lui remit il avait eu le temps d'y glisser le billet.

Elle le remercia froidement et presque sans le regarder.

Olivier se sentit froid au cœur de ce maintien de glace.

– Malheureux! s'écria-t-il, qu'ai-je fait! J'étais heureux et voici que j'ai compromis mon bonheur; ah! s'il en est ainsi, je saurai me punir de ma folie.

Ce billet n'était rien moins qu'un rendez-vous.

A l'une des extrémités du jardin, dont souvent il avait fait le tour, à l'endroit le plus ombragé, Olivier avait remarqué une brèche.

On avait négligé depuis longtemps de la réparer; mais pour fermer l'accès aux maraudeurs de nuit on y avait établi une solide cloison de planches.

Ces planches étaient assez éloignées les unes des autres pour que, dans l'intervalle, on pût y passer la main. Au dedans, il n'y avait rien à craindre; au dehors, on ne risquait rien, cette partie du jardin donnant sur un désert.

C'est là qu'Olivier conjurait Henriette de se rendre, le soir même, à la tombée de la nuit. Il connaissait assez les habitudes de la maison de Hanyvel pour savoir qu'à cette heure-là la jeune fille devait être libre.

Revenu chez lui, il s'enferma dans sa chambre et attendit l'heure avec une mortelle anxiété. Ses craintes étaient telles qu'il n'avait même plus le courage de réfléchir.

Dans l'après-midi, Henriette parut dans le jardin. D'ordinaire, son premier regard était pour la mansarde, ce jour-là elle affecta de ne pas lever les yeux.

Penché imprudemment à sa petite fenêtre, au risque de se rompre le cou, Olivier la suivait à travers les méandres du jardin. Bientôt elle disparut sous les arbres.

Cet incident rendit quelque courage au pauvre amoureux; il pensa qu'elle allait visiter et reconnaître l'endroit du jardin dont il lui avait parlé dans sa lettre.