Za darmo

Les amours d'une empoisonneuse

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– N'as-tu pas peur qu'il ne s'en sauve?

– Non, mais il est capable de se plaindre de ce que son cachot est trop étroit.

Des éclats de rire accueillirent cette plaisanterie.

Dans leur cachette, Olivier et Cosimo se sentaient défaillir.

– Il paraît, dit le fossoyeur, lorsque l'hilarité fut un peu calmée et tout en aidant ses camarades à faire glisser le cercueil dans la fosse, que ce n'était pas un prisonnier huppé.

– Je ne pense pas, répondit un guichetier, je ne le connaissais pas.

– Allons, voilà qui est fait, aidez-moi à pousser la terre…

Tous nous connaissons ce bruit sinistre de la terre tombant à pelletées sur une bière; tous, le cœur gonflé et les yeux pleins de larmes, debout sur le bord de la fosse d'un ami, d'un parent, nous l'avons entendu ce bruit funèbre qui retentit dans l'âme comme le glas de l'éternité…

Que l'on juge donc de la douleur d'Olivier. Il savait, lui, que cette tombe se refermait, non sur un mort, mais sur un vivant.

Il ne put supporter ce spectacle, et sa douleur trouvant enfin un issue, il pleurait.

Le vieux Cosimo, lui, était plus pâle qu'un cadavre, et, comme Olivier, il avait détourné les yeux.

Enfin, le silence leur apprit que tout était fini. Lorsqu'ils relevèrent les yeux, un petit monticule s'élevait, là où un instant avant il y avait une fosse.

Les trois hommes étaient debout et causaient de leurs affaires. Mais l'honnête fossoyeur, qui, plus d'une fois, avait tourné les yeux vers l'endroit où s'était réfugié le gentilhomme, attira vite sur autre chose l'attention des guichetiers.

– Camarades, dit-il, je paie une bouteille.

– Tope, répondirent-ils, chacun la nôtre.

Et ils s'éloignèrent.

Ils avaient à peine disparu, qu'Olivier voulut s'élancer, Cosimo le retint.

– Et le gentilhomme, monsieur, que vous avez oublié!

– Peu importe.

– Les ordres du marquis sont formels.

– Sa vie avant tout. Ne me retiens plus, Cosimo, malheureux, tu tues ton maître en ce moment.

– Non, je lui obéis… Eh! tenez, le voilà, le gentilhomme, voyons ce qu'il va faire.

L'étranger était debout tout près du monticule de terre fraîchement remuée; qui seule indiquait la demeure dernière du prisonnier.

Il avait ôté son chapeau garni de plumes d'une richesse extrême, moins par respect pour le tombeau que pour livrer à la brise fraîche du soir son front. Plus près, Olivier et Cosimo auraient pu lire sur le front de l'inconnu un monde de sinistres pensées.

Plus isolé par son trouble, par les remords que par la solitude, son désordre se trahissait par des gestes presque furieux.

Imprudent! il livrait son secret aux quatre vents du ciel, sans s'être demandé si près de là une oreille indiscrète n'allait pas le recueillir pour s'en servir plus tard comme d'une arme terrible.

– Ami, disait-il, tu es là, ô mon maître! pour tous, mort; pour moi, vivant…

Toi si fier jadis de ta science, qu'est devenue ta science? Là, sous cette terre, ton cœur bat encore, mais qui entendra ses battements, sinon moi?..

Imprudent! comment n'as-tu pas deviné que ton élève, l'élève d'Exili l'empoisonneur, trahirait son maître comme autrefois Judas!

Tu m'as donné la clef de la science, qu'ai-je besoin de toi, maintenant? Tu ne m'as pas dit ton dernier mot, sois tranquille, je le trouverai.

Ah! ah! continua-t-il avec un éclat de rire sinistre, le vieux maître n'humiliera plus son élève; le maître mort, l'élève commande à son tour, et désormais je suis seul maître du secret terrible de la mort.

Un instant encore il demeura immobile; puis replaçant son chapeau sur sa tête et repoussant avec mépris la terre du monticule:

– Maître, dit-il en ricanant, si tu pouvais me voir à cette heure, tu m'admirerais.

A ma place, tu ferais ce que je fais; je ne veux ni un maître, ni un complice; je suis digne de toi. Adieu, Exili, adieu, ton élève Sainte-Croix te salue.

Et il s'éloigna sans détourner la tête, marchant à grands pas vers cette brèche que lui avait montrée le fossoyeur.

Il était temps.

A contenir la fureur d'Olivier, les forces de Cosimo s'épuisaient.

Ni l'un ni l'autre n'avait pu entendre le monologue du gentilhomme; à peine la brise apportait-elle à leurs oreilles quelques sourdes exclamations; mais à ses gestes ils devinaient un ennemi.

Pour Olivier, pour Cosimo, il était évident que cet homme connaissait le secret terrible et qu'il repoussait du pied le marquis dans l'éternité.

Vingt fois Olivier avait voulu courir sur lui, l'attaquer et le tuer; Cosimo l'avait retenu de force.

– Et le temps de la lutte, murmurait-il, ne serait-il pas, en admettant que vous sortiez vainqueur, ne serait-il pas encore du temps perdu?

– Le misérable! disait Olivier. Je le retrouverai.

Enfin, l'étranger disparut sous les arbres.

D'un bond Cosimo et Olivier furent près de la fosse.

ÉPILOGUE
XII
RESSUSCITÉ

– Où, suis-je?

Telle fut la première pensée qui surgit, au réveil, dans le cerveau troublé d'Exili.

Habitué à vivre dans l'obscurité, ses yeux étaient blessés par la vive lumière du jour, qui entrait à flots par deux hautes fenêtres.

Il se souleva péniblement et jeta un regard étonné sur les objets qui l'environnaient.

La pièce assez spacieuse dans laquelle il se trouvait, d'une décoration simple, avait un aspect presque monacal.

La couchette basse sur laquelle il reposait, une dormeuse, des sièges recouverts en cuir, une table à pupitre, un lavabo, un coffre en bois de cèdre, des livres rangés sur une tablette fixée à la muraille nue, en composaient l'ameublement.

Cet examen sommaire terminé, il se dirigea d'un pas mal assuré à travers la chambre, ouvrit une des croisées et respira à longs traits l'air matinal qui rafraîchissait sa poitrine et donnait un jeu plus libres à ses poumons brûlés.

Le soleil était déjà haut sur l'horizon et les oiseaux tapageaient dans les arbres d'un jardin dont il apercevait les cimes.

En face, s'élevaient les toits bleus en trapèze des deux pavillons d'un hôtel qui, à en juger par son architecture, devait avoir été construit sous le feu roi Louis XIII.

– Où suis-je?.. se demanda encore Exili en passant la main sur son front.

Il me semble qu'un voile est étendu sur ma mémoire et obscurcit la lucidité de mes souvenirs…

Cependant je ne suis pas le jouet d'un songe, mon cerveau n'est pas sous l'influence morbide d'une illusion vaine, d'un mirage trompeur, d'une hallucination décevante…

Oui, j'étais prisonnier d'État, plongé dans l'ombre et noyé dans la lourde atmosphère d'un cachot de la Bastille.

Je me souviens!.. Je me souviens!..

Je ne rêve pas!..

Olivier est venu!..

Cette chambre de bénédictin doit être la sienne… Je suis libre!..

Ah! il y avait longtemps que je n'avais vu le soleil, respiré cet air subtil et pur, embaumé du parfum des fleurs, entendu chanter les oiseaux dans les arbres.

Autrefois aussi, plus loin, j'étais jeune, beau, riche, noble, aimé, sous le ciel clément et doux de l'Italie.

Mes palais baignaient leurs pieds blancs dans les flots bleus du Tibre, de la mer de Naples et de l'Adriatique.

Mes villas miraient leurs colonnades et leurs fantômes de marbre dans le miroir des grands lacs de Come et de Garde.

J'étais le roi de ces paradis terrestres.

O ma jeunesse, ma beauté, ma fortune, mon nom et mon honneur, ma force, mon amour et ma liberté, oui, j'ai donné tout cela pour les faveurs amères d'une divinité morose, implacable et jalouse.

O science, maîtresse inexorable, que tes amants n'apaisent que par des hécatombes, qu'as-tu fait pour moi, qui t'offrais en holocauste des victimes humaines?

Que m'as-tu donné en échange?

Quelques secrets qu'un enfant apprendra un jour sur le banc des écoles.

Et toi, Mort, pâle sœur de la Vie, toi qui n'as jamais trahi, toi dont je porte les sinistres couleurs, toi qui m'a vu passer de l'ombre de mon laboratoire à l'obscurité d'une prison et à la nuit de la tombe, pourquoi ne m'as-tu pas gardé dans tes bras où je m'étais endormi?

Me voilà donc vieilli, humilié, vaincu comme un ange rebelle au pied du maître.

O Dieu, il ne te faut autre chose que le joyeux cantique de ces oiseaux chanteurs, mélodies aériennes de tes artistes ailés, pour confondre l'orgueil de celui qu'on appelle le Maître des poisons, pour faire couler des larmes de son œil qui n'a jamais pleuré?

Toi qui vois ce que j'étais et ce que je suis devenu, toi qui connais ma vie perdue et désenchantée, donne-moi le calme de l'esprit, le repos du cœur et la paix de l'âme.

Permets-moi d'oublier le passé, laisse-moi ressaisir l'espérance avec la liberté, puisque tu me l'as rendue, et l'amour de mon enfant d'élection, puisque tu l'as envoyé pour me sauver.

– Oui, vous êtes libre, et voici votre fils! dit une voix joyeuse, sonore et vibrante.

– Olivier!..

– Mon père!..

Exili voulut s'élancer; mais ses membres, encore engourdis par sa terrible expérience, trahirent sa volonté.

Olivier le reçut chancelant dans ses bras, et le tint embrassé dans une longue étreinte; puis, le soulevant comme un enfant, il le déposa doucement étendu sur les coussins d'une dormeuse.

A ce moment, le regard d'Exili rencontra celui de Cosimo, debout sur le seuil de la porte, dans une attitude respectueuse.

– Et toi, mon vieil ami, ne viendras-tu pas m'embrasser aussi?

– Monsieur le marquis est toujours généreux, répondit Cosimo en s'agenouillant pour recevoir l'accolade de son ancien maître.

– Lequel est aujourd'hui l'obligé de l'autre? dit Exili avec un sourire lumineux, qui éclaira une seconde sa physionomie sévère, avant de s'éteindre comme un éclair fugitif.

 

– Je vous dois tout, maître, et vous ne me devez rien.

– Ne l'écoutez pas, mon père, interrompit Olivier avec sa vivacité juvénile. Sans lui, j'aurais tout compromis par ma folle précipitation.

– C'est la vertu de ton âge, mon fils.

– Mon imprudence irréfléchie a failli tout perdre; mais j'espère que cette leçon suffira et je me sens maître de moi comme de ma pensée.

– C'est le premier secret pour être celui des autres, ajouta Exili de sa voix musicale; mais ne m'imite pas, Olivier; je vois trop bien aujourd'hui que l'homme qui veut faire l'ange fait la bête.

– Si ces paroles sortaient d'une autre bouche que la vôtre, je percerais la langue qui les aurait prononcées d'une aiguille rouge, comme celle d'un blasphémateur.

– Dis-moi, Cosimo, reprit Exili sur un ton plus voilé, n'as-tu pas encore, dans quelque coin, un flacon oublié de cet élixir qui donne la force au bras, l'éclair aux yeux et la joie au cœur?..

Tu hésites?

Le vieux serviteur fit un geste indécis, qui pouvait être interprété comme une réponse.

– Je te comprends…

Je sais que la réaction est égale à l'action, et que les heures de vitalité artificielle comptent double; mais cet élixir m'aidera à dissiper les dernières vapeurs de ma longue léthargie…

Je boirai à la santé d'Olivier.

– Que votre volonté soit faite… Il faut vous obéir à tous deux comme aux enfants gâtés, dit Cosimo en ouvrant un coffre.

Il en tira un flacon plat, recouvert d'une armature métallique, et dévissa le bouchon de cristal qui en fermait hermétiquement l'orifice; puis il remplit un verre de la liqueur, semblable à de l'or en fusion, qui jetait un feu de topaze, et le présenta silencieusement à son maître.

Exili le vida d'un seul trait.

Au bout d'une minute, ses membres raidis recouvrèrent leur souplesse et leur élasticité, son visage prit une teinte chaude et vermeille, un sourire voltigea sur ses lèvres, et son œil étincela de l'insupportable éclat d'un diamant noir.

– Je sens la vie qui me redonne son étreinte.

Qu'en dis-tu, Cosimo? ajouta-t-il en se dressant devant lui, comme sous la pression d'un ressort caché, et en posant la main sur son épaule.

– Je dis que vous voilà jeune jusqu'à ce soir.

– Il s'agit maintenant de m'habiller.

– Ce n'est pas difficile, et nous avons songé à cela.

En un tour de main, Cosimo revêtit son maître d'une chemise de batiste à manchettes de dentelle, d'un justaucorps et d'un haut-de-chausses en velours noir, agrémentés de rubans et d'aiguillettes en satin bleu de ciel. Des bas de soie noire et des souliers à hauts talons rouges complétèrent ce costume élégant et sévère.

La toilette de son maître achevée, il se mit en devoir de raser ses cheveux, qui tombaient sur ses épaules, puis sa longue barbe noire, qui descendait jusqu'à la ceinture, à l'exception de la moustache, fine et soyeuse comme celle d'un adulte.

Cette double opération terminée, il posa sur sa tête nue une perruque bouclée, sur la perruque un chapeau à plumes, lui présenta une canne d'ébène à pomme d'ivoire, et recula d'un pas, comme un artiste en face de son œuvre.

Exili se prêta de bonne grâce à son examen, et, se regardant à son tour au miroir, il parut satisfait de sa métamorphose.

– Voilà qui est bien, dit-il.

Je suppose que tu as fait disparaître les habits du prisonnier de la Bastille?

– Il n'en reste plus rien, pas même les cendres, monsieur le marquis.

– Le marquis de Florenzi est mort depuis trois jours, Cosimo.

Tu es au service du comte de Kronborg.

– Ce nom a quelque chose de sombre et de terrible, dit Olivier.

– Terrible et sombre, en effet.

C'est celui d'une forteresse du Danemark, celui d'une prison d'État, noire comme une duègne, toujours ouverte comme la gueule de ses canons qui gardent le passage du Sund.

Ce nom me sied; il est en harmonie avec ma destinée, et il tiendra ses promesses.

– Je suis fort tranquille à cet endroit, ajouta Cosimo avec un bon sourire.

– Maintenant, Olivier, raconte-moi ce qui s'est passé depuis l'heure de mes funérailles jusqu'à celle de ma résurrection.

– Je n'ai pas besoin de vous dire, mon père, que toutes les recommandations de votre lettre ont été scrupuleusement étudiées et religieusement exécutées.

Nous étions dans le cimetière de la Bastille une heure avant le coucher du soleil.

– As-tu vu le gentilhomme?

– Oui.

– Eh bien?

– Il a d'abord causé avec le fossoyeur; puis il s'est caché.

– Ensuite?

– Quand le fossoyeur s'est éloigné du cimetière avec les guichetiers, après avoir fini leur besogne, le gentilhomme est sorti de sa cachette.

J'ai cru qu'il allait vous délivrer.

Je me trompais.

– Naturellement.

– Il a posé son pied sur la tombe, comme s'il voulait vous enfoncer plus profondément en terre.

Il prononçait, à haute voix, des paroles que la distance ne m'a pas permis d'entendre; mais à ses gestes, à l'expression sardonique de son visage, elles ne peuvent se traduire que par une insulte ou une malédiction.

– Je l'avais bien prévu. C'est pourquoi je n'ai pas hésité à te demander de venir au rendez-vous avec le fidèle Cosimo.

Je sais que je vous exposais à la peine capitale, pour violation de sépulture d'un prisonnier d'État; mais je risquerais ma vie de si grand cœur…

– Mon père, interrompit Olivier avec fermeté, vous avez l'âme trop haute pour attacher cette importance à un acte que le vulgaire considère comme héroïque chez l'homme, sans remarquer qu'il est naturel à tous les animaux.

– Bien parlé, fils.

L'homme, en effet, n'est digne de ce nom, qu'en affirmant sa supériorité sur les êtres inférieurs par le mépris de la mort et la nécessité du devoir.

Mais sa raison, dont il est si fier, n'est que la sœur aînée de l'instinct.

La science lui montre Dieu, la prière seule peut l'atteindre.

– Voilà bien des paroles perdues, murmura Cosimo.

– Comment! païen, s'écria Olivier, cette doctrine te paraît indigne de tes savantes oreilles?

– Il me semble, monsieur, que celles de mon maître gagneront plus à entendre ce qu'elles ignorent, que les vôtres à écouter des billevesées de prédicateur.

– Cosimo parle d'or, dit Exili avec bonne humeur.

Continue, Olivier.

Tu disais que le gentilhomme insultait mon cadavre et le foulait aux pieds.

– Oui, et c'est alors que j'ai perdu la tête.

J'allais courir à lui et le poignarder sur la place, si Cosimo ne m'avait retenu à bras-le-corps, avec une force que j'étais loin de supposer à notre vieil ami.

– Eh! eh! Cosimo, dit Exili d'un air de triomphe, voilà, si je ne me trompe, un effet de l'élixir que tu me marchandais tout à l'heure.

– Ah! maître, j'aurais avalé l'enfer, si vous l'aviez mis en pilules, car je prévoyais qu'Olivier me donnerait de la tablature.

– Que ne lui administrais-tu quelque bonne drogue, qui lui aurait ajouté les années que tu venais de jeter aux orties?

– Il est loisible au comte de Kronborg de se moquer du vieux serviteur du marquis de Florenzi; mais Olivier dira si j'aurais eu tort.

– Oui, et tu dois admirer avec moi cette belle folie de la jeunesse, que nous avons connue en des temps plus heureux… A quoi songes-tu?

– Je réfléchis à notre dîner.

– Eh bien, laisse-nous.

Cosimo ne se fit pas répéter cet ordre, et il passa dans une pièce voisine pour vaquer aux préparatifs du repas de midi.

– Il me reste peu de chose à vous apprendre, reprit Olivier.

Dès que celui qu'il ne me convient pas d'appeler gentilhomme fut sorti du cimetière, nous nous mîmes à l'œuvre avec les instructions dont nous étions munis.

Il ne fallut pas longtemps pour déblayer la terre et soulever la planche de la bière.

J'eus alors un moment de faiblesse et de défaillance; mais un regard de Cosimo me rendit toute mon énergie.

Je chargeai le corps froid et rigide sur mon épaule, je franchis la brèche pratiquée dans le mur du cimetière, et j'arrivai sans encombre à la voiture, où je déposai mon fardeau.

Une fois là, je desserrai les dents avec la lame de mon poignard, et je fis couler dans la bouche trois gouttes de la liqueur rouge contenue dans la fiole apportée avec la lettre; puis, trois autres gouttes, à court intervalle.

Dans le même temps, Cosimo reclouait la bière, la repoussait dans la fosse et la couvrait de terre.

– De cette façon, dit Exili, le fossoyeur a retrouvé les choses dans l'état où il les avait laissées, et si mon ancien compagnon a la bonne inspiration de venir me faire une nouvelle visite, il restera convaincu que je suis mort et enterré dans toutes les règles.

Il fera bien de se presser, car je me propose de lui faire tenir, avant peu, les matériaux de sa propre oraison funèbre.

Moi supposé mort, le disciple va se croire le maître unique et sans rival.

J'aurais dû lui briser son masque de verre sur la figure quand il se penchait sur les creusets pour suivre mes expériences infernales; mais, comme dit Cosimo, celui qui doit finir pendu ne sera pas noyé.

A l'heure marquée, quand nul ne pourra suivre ma trace dans la vie, ni la retrouver après ma mort, une main invisible démasquera le traître, et il périra du poison qu'il aura distillé.

Morte la bête, mort le venin…

Achève, Olivier.

– Lorsque Cosimo me rejoignit, il me trouva la main posée sur le cœur du cadavre vivant, qui recommençait à battre faiblement.

La bouche, entr'ouverte, semblait respirer. Cosimo s'opposa formellement à ma proposition d'y infiltrer les dernières gouttes de la liqueur qui restaient dans la fiole, pour se conformer à la prescription de la lettre, qui ne conseillait ce moyen qu'au cas où, au bout d'un quart d'heure, les six premières gouttes n'auraient produit aucun effet visible.

– Bien.

– La voiture marchait lentement, et la nuit était tombée quand elle s'arrêta devant notre maison, voisine de la place des Victoires.

– D'après mon calcul, je dois avoir dormi quarante heures d'un sommeil de plomb, après trente heures de léthargie.

– Ce calcul est exact… Vous sentez-vous de l'appétit?

– Oui, je mangerai volontiers, si Cosimo veut bien me le permettre.

Le repas terminé, Cosimo se mit en devoir de préparer le café avec un soin méthodique.

– Voilà, dit Olivier, le fameux poison lent.

– Et le contre-poison de l'opium, ajouta machinalement Exili.

Quand la liqueur brûlante fuma dans les tasses, Cosimo apporta deux longues pipes en terre rouge de Smyrne dont les fourneaux, aux hiéroglyphes dorés, étaient chargés de tabac oriental d'une couleur pâle.

– Maintenant, dit Exili, qui fumait avec l'impassibilité d'un Indien devant le feu du conseil, raconte-moi, Olivier, comment tu as passé tes années d'apprentissage de la vie.

– A vrai dire, mon existence ne compte qu'un événement unique.

– L'amore, murmura Exili avec un soupir.

– Oui, mon père.

– Eh bien, j'écouterai cette idylle, cher enfant; elle me rajeunira par le souvenir de mes jours heureux:

 
«O Printemps! jeunesse de l'année.
«O Jeunesse! printemps de la vie.»
 

– Mon histoire commence par une fraîche idylle, mais elle finit par une tragédie.

– Tu veux dire une élégie.

– Je n'exagère rien. Vous allez en juger.

– Raconte. Je ne t'interromprai plus.