Za darmo

Les amours d'une empoisonneuse

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Pour Olivier, rien ne sembla perdu. Il se plongea courageusement dans les comptes, compulsa les livres, les papiers, les dossiers, fit mille démarches, vit les juges, aidé dans tous ses travaux par son maître, M. de Mondeluit.

Et enfin se démena tant et si bien qu'au bout de moins de quinze jours, il put annoncer à madame Hanyvel qu'il sauverait au moins un quart de l'immense fortune. Ce devait être encore une grande opulence.

Tout entier à son amour, et aux affaires qui étaient encore une part de son amour, Olivier vivait à mille lieues des choses de ce monde; l'univers, pour lui, c'était cet hôtel qu'habitait encore Henriette et qu'il espérait bien lui faire restituer.

Aucun orage ne troublait donc son horizon, lorsque un soir, comme il était en conférence avec des hommes d'affaires à l'hôtel Hanyvel, Cosimo vint le prévenir qu'une vieille femme demandait à lui parler.

– Je ne puis m'éloigner d'ici, répondit Olivier; si elle vient pour solliciter quelque service, tâche, mon bon Cosimo, de me remplacer.

– Monsieur, votre présence est indispensable.

– Je ne puis.

– Pourtant, monsieur…

– Je te dis que m'éloigner est impossible.

– Au moins, monsieur, reprit le vieux serviteur avec une obstination incompréhensible chez lui, permettez que je vous parle un instant en particulier.

Tout en maugréant de cette étrange instance, Olivier suivit son domestique dans une pièce voisine.

– Monsieur, lui dit-il, encore, hâtez-vous; cette femme n'aurait qu'à s'impatienter d'attendre et à s'éloigner.

– Quoi! encore? dit durement Olivier en frappant du pied.

– Monsieur, mon cher maître, murmura Cosimo, c'est de la part du marquis.

Olivier pâlit à ces mots, comme à l'annonce de quelque douloureux événement. Un pressentiment vague, incompréhensible, mais terrible pourtant, lui serra le cœur.

Cependant il n'hésita pas une minute.

– Cours à la maison, dit-il à Cosimo, fais attendre cette femme, je te rejoins à l'instant.

Il se hâta alors de rentrer dans l'appartement où se tenait la conférence, fit agréer ses excuses, prit avec les hommes d'affaires rendez-vous pour un autre jour, et se hâta de regagner son logis.

Comme il entrait chez lui, une femme mise comme les ouvrières aisées, et qui se tenait dans la première pièce, se leva.

– Ma bonne femme, lui dit Cosimo, voici mon jeune maître, messire Olivier, vous pouvez maintenant remplir votre commission.

La femme tira alors de la poche de son tablier un mince rouleau et le donnant à Olivier:

– On m'a chargé de vous remettre ceci en mains propres, monsieur, en me recommandant de vous prévenir comme j'ai prévenu votre domestique, que c'était de la part du marquis.

Olivier remercia la commissionnaire, lui donna, en la congédiant, quelques pièces de monnaie, et, après avoir soigneusement fermé la porte, il défit le rouleau avec une fébrile agitation.

Dans le rouleau il trouva une petite fiole pleine d'une liqueur rouge.

A cette vue, Cosimo poussa une douloureuse exclamation.

– Qu'as-tu donc, mon ami? demanda Olivier inquiet; tu as pâli…

– Rien, monsieur, rien, balbutia Cosimo en essayant en vain de se remettre d'une grande émotion; ne vous inquiétez pas de moi; mais, lisez, je vous prie, plutôt cette longue lettre jointe à cette fiole.

Olivier n'insista pas davantage. Lui aussi, il avait hâte de connaître le contenu de la lettre de son père adoptif; il lut donc à haute voix:

«Mon fils,

»Pénètre-toi bien de cette lettre. De ta ponctualité à exécuter mes ordres dépend mon existence.

»Demain mardi, une heure avant le coucher du soleil, rends-toi au cimetière de la paroisse de la Bastille.

»Vers l'endroit où l'on entasse pêle-mêle la dépouille mortelle des indigents, tu trouveras une fosse fraîchement ouverte et attendant son cadavre.

»Cache-toi non loin de cette fosse et attends.

»A la tombée de la nuit, deux hommes, deux guichetiers de la Bastille, arriveront portant une bière. Ils la jetteront à la hâte dans la fosse, – Dieu veuille qu'ils ne la recouvrent que de peu de terre! – puis ils s'éloigneront.

»Épie leur sortie du cimetière.

»Alors, sans perdre une seconde, cours à la fosse, enlève la terre, tire le cercueil et décloue-le. Ne va pas trembler ni te troubler.

»Il faut, la bière ouverte, desserrer les dents du cadavre qu'elle renferme et faire glisser entre les dents trois gouttes de la liqueur rouge de la fiole que je t'envoie.

»Après quelques minutes d'attente, renouvelle la même expérience.

»Si, après un quart d'heure, le corps était toujours inerte, n'hésite pas à verser dans sa bouche le reste du contenu de la fiole.

»Ainsi, peut-être, tu me rendras la vie.

»Car c'est moi, Olivier, qui, las de ma prison, tente ce suprême et terrible moyen de recouvrer ma liberté.

»Un mot encore. En même temps que toi peut-être, prenant des précautions pour ne pas être vu, tu apercevras, au cimetière, un gentilhomme, grand et de noble figure.

»Si, les guichetiers funèbres partis, il court à la fosse, laisse-le faire, ne parais pas. S'il s'éloigne avec les guichetiers, agis alors, mais prends garde à lui, ce serait, dans ce dernier cas, mon plus mortel ennemi. Sois armé, et au besoin…

»Tu peux te fier à Cosimo, l'emmener même. Courage et espoir.»

Lorsque Olivier eut achevé la lecture de cette lettre étrange, il était plus pâle que le cadavre qu'il devait aller, le lendemain, arracher à la tombe.

Les dents de Cosimo claquèrent de terreur.

– Oh! monsieur, dit-il enfin, mes cheveux se dressent sur ma tête lorsque je songe aux terribles souffrances qu'a dû endurer mon pauvre maître avant d'arriver à cette idée effroyable.

– Mais quel moyen emploiera-t-il pour faire croire à sa mort!..

– Ah! monsieur, répondit Cosimo, frissonnant comme à un terrible souvenir, il est bien puissant, monseigneur le marquis, bien puissant.

La voix tremblante du vieux domestique, son effroi, remuèrent dans le cœur d'Olivier les plus étranges soupçons; ses pressentiments commençaient à prendre de la réalité. Il eut honte d'interroger cependant, et ce fut Cosimo qui, le premier, rompit le silence:

– Savez-vous, monsieur, dit-il, que nous risquerons demain trois ou quatre fois la potence, sans parler de l'épée de l'homme qui sera là! Violation de sépulture, sacrilège, prisonnier d'État… Enfin! nous exécuterons les ordres du marquis, n'est-ce pas?

– En doutes-tu? s'écria Olivier avec feu; hésiter seulement serait un crime horrible. Me demanderait-il la vie, je la donnerais sans réflexion, sans murmure. Et cependant, reprit-il après une pause, la vie m'est bien chère en ce moment!..

XI
LE CIMETIÈRE DE LA BASTILLE

Les derniers feux du soleil couchant empourpraient l'horizon, lorsque Cosimo et Olivier, tous deux armés jusqu'aux dents, dépassèrent les remparts ténébreux de la Bastille, se dirigeant vers l'humble cimetière où on enterrait alors les prisonniers morts dans la forteresse royale.

Le champ de repos où le terrible arbitraire du roi de France cachait ses victimes, parfois après les avoir hideusement défigurées, pour que la tombe, comme la prison, gardât un éternel secret, était situé dans un recoin complètement désert, bien que fort voisin de la porte Saint-Antoine, à droite de la grande route qui conduisait au château de Vincennes.

Dès le matin de ce jour, après une nuit enfiévrée des rêves les plus atroces, suffisamment expliqués par la lettre si étrange du marquis, Olivier avait voulu se mettre en route.

Pour justifier son impatience et amener à son avis Cosimo qui voulait attendre, le jeune homme s'obstinait à voir dans ses songes de la nuit de sombres avertissements.

– J'entendais, disait-il à chaque instant, comme une voix étouffée partant de dessous terre. Olivier, me disait cette voix, Olivier, le poids de cette terre écrase ma poitrine, hâte-toi, l'air me manque; un instant encore, et tu ne trouveras plus qu'un cadavre que tes soins ne ranimeront pas.

– Vaines imaginations de la fièvre, monsieur, répondait Cosimo, qui, pour rassurer son maître, trouvait encore la force de commander à ses propres inquiétudes, vous eussiez mieux fait d'agir comme moi, qui n'ai pas clos l'œil, et de ne point essayer de dormir.

– Mais, réfléchis donc, mon vieil ami, reprenait Olivier, réfléchis donc à la terrible responsabilité qui pèse sur nous; la vie de l'homme que nous aimons le mieux au monde dépend de notre empressement. Si l'heure avait été avancée?

Si, au moment où nous discutons ici froidement, on le descendait dans la fosse? Tiens, à cette idée, mes cheveux se hérissent d'horreur. Car, enfin, on peut avancer l'heure…

– Impossible, monsieur, ce n'est pas en plein jour qu'on enterre les prisonniers de la Bastille.

– Tu le crois, mon ami, tu le dis; mais si tu te trompais! Si aujourd'hui, par exemple, un hasard, un événement que tu ne peux prévoir, faisait violer toutes les règles habituelles! Ah! je ne m'en consolerais jamais, et toi, Cosimo, tu aurais, jusqu'à ton heure dernière, le plus terrible des remords.

– Non, monsieur, car j'aurais fait mon devoir.

– Ton devoir?

– Oui, mon maître, mon devoir. M. le marquis nous ordonne de suivre ses instructions à la lettre; suivons ses instructions à la lettre.

L'exactitude ne consiste pas à devancer l'heure, mais bien à arriver juste à l'heure. Je connais le marquis; il n'a rien donné au hasard, soyez-en convaincu.

Il nous a dit: «à la nuit tombante,» attendons. Savez-vous, d'ailleurs, si notre présence n'éveillerait pas certains soupçons?

J'ai entendu conter des histoires épouvantables de prisonniers auxquels on tranchait la tête, bien qu'ils fussent morts; le tronçon seul était porté au cimetière, et la tête était jetée dans quelque oubliette de la Bastille.

 

– Oh! mon ami, tu te fais donc un jeu de mes angoisses, que tu me racontes là des légendes populaires, qui, j'en suis sûr, n'ont pas le moindre fondement.

– Ce n'est que trop vrai, hélas!

– Oh! quelle terreur nouvelle et plus grande encore que toutes les autres! Cosimo, si nous n'allions trouver dans la bière qu'un cadavre mutilé!..

Le vieux serviteur garda un instant le silence.

L'émotion était trop violente pour ses forces; à combattre des angoisses qui étaient aussi les siennes, son courage s'épuisait. Enfin, d'une voix mal assurée, il répondit:

– Ce serait un horrible malheur, monsieur; mais alors la conscience d'avoir exécuté à la lettre les ordres donnés serait notre consolation.

Et elle nous manquerait, cette consolation, si l'idée pouvait nous poursuivre, que, par notre présence au cimetière au milieu du jour, par nos allées, nos venues, notre air morne et inquiet, nous avions éveillé les soupçons et ainsi amené une si affreuse catastrophe.

A toutes ces raisons, Olivier dut se rendre, Cosimo avait d'ailleurs déclaré qu'il ne l'accompagnerait que lorsque le moment serait venu.

Le jeune homme attendit donc, mais avec cette patience haletante que connaissent seuls ceux qui, le cœur serré, ont compté les secondes dans l'attente de quelque événement terrible, décisif sur leur vie, et dont ils ne pouvaient ni retarder ni précipiter le dénouement.

Il attendit avec cette anxiété folle du joueur qui vient sur une seule carte d'exposer toute sa fortune et qui, muet, immobile, le cou tendu, l'œil dilaté, un brasier ardent dans la poitrine, croit avoir vécu un siècle, durant la seconde nécessaire au banquier pour donner la carte qui doit décider de son sort.

Vingt fois, pour tromper l'attente, il relut dans cette journée la lettre du marquis.

Il s'arrêtait sur tous les mots, les méditait, les commentait, cherchait à en tirer quelque induction pour ou contre la réussite.

Tout à coup il s'interrompait; il lui semblait avoir entendu des pas dans l'escalier; il croyait entendre heurter à la porte.

D'étranges idées traversaient son cerveau comme une flèche de feu. Si le marquis avait été descendu dans la tombe?

S'il s'était éveillé dans la nuit du cercueil? Aurait-il réussi à briser la bière, à soulever la terre jetée dessus?

Alors une terreur voisine de la folie se lisait sur sa physionomie, l'égarement dans ses yeux.

– Écoute, disait-il à Cosimo, je ne me trompe pas, c'est bien la voix que j'entends…

En présence de l'exaltation du jeune homme, le pauvre Cosimo se faisait les reproches les plus amers.

– Comment faire, se disait-il, pour distraire un instant sa pensée? Si cela dure, il sera fou avant la fin du jour. Ah! cette lettre, j'aurais dû l'ouvrir moi-même et ne la communiquer qu'au dernier moment. Tu as manqué de prudence, vieux Cosimo, et tu en es cruellement puni.

Alors, pour ramener l'attention d'Olivier vers des faits plus réels, il recommençait avec lui le plan par eux discuté cent fois pour sauver le marquis.

Ils calculaient toutes les chances, rejetant toutes les bonnes, n'acceptant que les pires; et, tous les événements les plus malheureux admis, ils cherchaient des expédients, des ressources.

Puis, une fois encore, ils s'assuraient que toutes leurs précautions matérielles étaient bien prises; il ne fallait pas échouer au moment de toucher le but faute d'une précaution.

Ils avaient bien tous les objets qui pouvaient leur être nécessaires ou utiles: une pelle avec un manche fort court, pour creuser la terre, une petite pioche, un ciseau pour faire sauter les clous de la bière, un marteau.

Et encore mille réconfortants pour celui qu'ils allaient essayer d'arracher au trépas, des habits, un manteau.

Pour eux, des armes, car ils étaient déterminés à attaquer ou à se défendre jusqu'à la mort.

Pendant toutes ces occupations, toutes ces discussions perdues, le temps marchait. Quatre heures sonnèrent à l'église voisine.

– Enfin! s'écria Olivier en sautant sur son épée, l'heure est venue, partons.

– De grâce, monsieur, pas encore!..

– Si, reprit impérieusement le jeune homme, il est temps, je ne saurais attendre davantage.

Ne comprends-tu pas que demeurer ici, renfermé dans cette chambre, m'est impossible!

Nous marcherons lentement, si tu le désires, nous prendrons des détours, nous allongerons notre chemin d'une lieue, de deux, de quatre, peu m'importe! mais nous marcherons au moins!

Nous dépenserons un peu de cette activité qui me tue, nous ne serons plus immobiles et passifs. Nous cesserons de nous démener dans les incertitudes de l'espérance et de la crainte, de nous agiter dans le vide. Partons, je le veux.

Cosimo ne résista plus.

Ensemble, à la hâte, ils terminèrent leurs préparatifs; ils cachèrent sous leurs habits leurs armes et leurs outils, et enfin ils sortirent comme l'horloge venait de frapper le quart.

En arrivant dans la rue:

– Monsieur, dit Cosimo, nous n'avons point songé à nous assurer d'une voiture; il est bien possible que M. le marquis ne puisse marcher; d'ailleurs, il voudra peut-être quitter Paris immédiatement; d'une fuite rapide son salut peut dépendre.

Depuis le matin le vieux domestique pensait à prendre cette précaution si nécessaire; s'il n'en avait pas parlé plus tôt, c'est qu'il la gardait comme une ressource dernière contre l'impatience d'Olivier.

– Nous allions pourtant oublier cela, le plus utile peut-être. Où donc avions-nous la tête?

– Je crois que nous l'avions un peu perdue.

– Parle pour toi, Cosimo, je n'ai jamais été, quant à moi, si bien de sang-froid.

Ça, il nous faut de suite une bonne voiture et de vigoureux chevaux, qui puissent d'une traite mettre quinze lieues au moins entre Paris et nous.

Faisons vite, nous avons assez d'or pour faire hâter les plus lents.

– Mais où enverrons-nous la voiture nous attendre?

– Sur la petite place qui est en dehors de la porte Saint-Antoine. Je sais là un endroit fait exprès, le cocher pensera qu'il s'agit d'un duel, il sera parfaitement tranquille et dormira pour abréger le temps.

Au besoin, le dernier moment venu, si le marquis ne peut absolument pas marcher, nous ferons avancer la voiture jusque sous le mur du cimetière, car nous serons, j'imagine, obligés de passer par-dessus le mur.

On n'aura pas l'obligeance de nous laisser la porte ouverte; mais hâtons-nous, le temps presse.

Malgré toute leur activité, ils ne trouvèrent pas tout d'abord ce qu'ils cherchaient.

Alors, comme maintenant, quinze mille voitures ne broyaient pas, du matin au soir, le pavé de la capitale.

Enfin, ils rencontrèrent des chevaux à souhait. Mais il leur avait fallu plus de trois quarts d'heure de recherches et de démarches. C'était toujours autant de gagné.

Cette fois, il était vraiment temps de se mettre en route.

Cosimo regarda la voiture s'éloigner au petit trot, le cocher avait toutes ses instructions.

– Maintenant, dit-il à Olivier, je crois que nous pouvons partir.

Le soleil se couchait lorsqu'ils franchirent les portes du cimetière.

Ils commencèrent aussitôt à examiner les lieux avec le plus grand soin.

Au moment suprême, une connaissance exacte du terrain leur pourrait être de la plus grande utilité.

On pouvait en cet endroit se croire à vingt-cinq lieues de Paris, dans quelque coin de la forêt de Compiègne.

Des arbres séculaires y étalaient leurs branches puissantes.

Nul jardinier n'y était chargé d'arrêter une végétation luxuriante, et de tous côtés se dressaient des massifs d'aubépine ou de sureau.

Seuls les bruissements des feuilles ou le vol effarouché de quelque oiseau dans les branches troublaient le silence de ce désert.

Rien en cette solitude n'arrivait des bruissements de Paris, de ce tapage lourd et continu qui annonce au loin le voisinage de la capitale, semblable aux sourds mugissements des vagues lorsqu'on approche de la mer.

Les tombes y étaient peu nombreuses. A peine y apercevait-on, çà et là, quelque pierre moussue, à moitié cachée par le lierre et les ronces.

L'herbe drue, épaisse et forte, témoignait que depuis des années la terre n'y avait pas été retournée.

Le sol, enfin, n'avait pas ces ondulations qu'on remarque dans les cimetières, semblables aux sillons des champs de blé après la récolte, et qui annonce que la terre a eu sa moisson de cadavres.

Olivier et Cosimo allaient dans cette solitude, assourdissant le bruit de leurs pas.

Ils craignaient de troubler la morne tristesse de ce silence, et d'éveiller l'attention. Ils parlaient tout bas.

– Voyez donc le mur en cet endroit, monsieur, dit Cosimo.

– Oui, il est à peu près écroulé… l'accès de cette brèche est aussi facile que celui d'une porte.

– Certainement, c'est par là que nous passerons.

– Mais, reprit Olivier préoccupé, je ne vois pas ici de fosse béante; sans les deux ou trois pierres que je vois là-bas, je ne sais, vraiment, si je me croirais dans un cimetière.

– Chut, monsieur, murmura Cosimo, quelqu'un…

Olivier s'arrêta.

– Où? demanda-t-il.

– Là, un homme! Il creuse une fosse, nous n'avons plus besoin de chercher.

En cette partie de l'enclos, on avait abattu les arbres, l'herbe avait été arrachée, le terrain à peu près nivelé.

Les fossoyeurs avaient fait office de pionniers. Ils avaient défriché pour donner aux prisonniers les six pieds de terre qui reviennent à chacun de nous après la mort.

Le sol avait été fraîchement remué tout autour, l'herbe était rare. Des fosses à peine fermées apparaissaient à côté de la fosse qui s'ouvrait.

– Ne vous semble-t-il pas, monsieur, demanda Cosimo, que nous sommes un peu éloignés de l'endroit où nous allons avoir affaire tout à l'heure? Nous ne distinguons rien d'ici.

– Il faut nous rapprocher, dit Olivier, mais tâchons de ne pas appeler sur nous l'attention de cet homme.

– Autant que possible, il faut l'éviter; mais si par malheur un de nous, par un mouvement mal calculé, le fait regarder de notre côté, n'ayons plus l'air de nous cacher, nos allures mystérieuses l'inquiéteraient.

Nous feindrons d'aller prier sur la première venue de ces tombes.

– Ou plutôt, mon vieil ami, nous prierons réellement Dieu pour la réussite de notre tâche; hélas! ce que nous pouvons est bien peu de chose sans sa protection.

Ils se glissèrent alors entre les arbres, profitant des moindres replis du terrain, allant d'arbre en arbre, de buisson en buisson.

Ainsi ils réussirent à tourner la clairière et se trouvèrent à vingt pas, tout au plus, du fossoyeur.

Une touffe énorme de sureaux en fleur les abritait admirablement.

Ils s'assirent et déposèrent sous les feuilles leurs outils et les habits destinés au marquis. Puis, à tout hasard, ils préparèrent leurs armes.

– Maintenant, dit Olivier avec un soupir de soulagement, nous sommes prêts, attendons.

Le fossoyeur cependant continuait sa besogne, lentement, tranquillement, à son loisir, comme un homme qui a du temps devant lui. Il sifflait gaiement un refrain populaire.

De leur cachette, Olivier et Cosimo pouvaient suivre ses moindres mouvements.

Pour plus de facilité, il était descendu dans la fosse, qui pouvait avoir alors deux pieds de profondeur.

Entre chaque pelletée de terre, il marquait un instant de repos, par moment il se baissait: quelque caillou bizarre attirait-il son attention, il se baissait, le ramassait, l'examinait avec soin, puis le jetait au loin dans n'importe quelle direction.

Un de ces cailloux, assez gros, vint frapper une branche à une faible distance de la tête de Cosimo.

– Le butor a failli me blesser, grommela le vieux domestique.

– Il ne faut pas lui en vouloir de perdre son temps, murmura Olivier; à chaque pierre qu'il ramasse et qu'il lance, c'est deux pelletées de moins qu'il soulève; c'est autant de gagné pour nous.

L'homme, à ce moment, s'était relevé; appuyé sur sa bêche, il regardait quelque chose que les deux guetteurs ne pouvaient apercevoir.

– Les guichetiers arriveraient-ils déjà avec leur sinistre fardeau? demanda tout bas Cosimo.

– Non, dit Olivier, je vois, c'est le gentilhomme dont le marquis parle dans sa lettre, il se dirige du côté du fossoyeur.

– Je le vois aussi, dit Cosimo, mais je ne le connais pas, et cependant je n'ai oublié le visage d'aucun ami de mon maître.

– Et des ennemis?

– Non plus, c'est la première fois que je vois ce visage.

Un gentilhomme vêtu à la dernière mode, si merveilleusement habillé qu'il semblait se rendre à quelque fête, traversait la clairière et se dirigeait vers le fossoyeur; de crainte de tacher ses talons du plus beau carmin et de souiller de poussière ses bas et les boucles de ses souliers, il marchait avec précaution, enjambant avec soin les fosses fraîchement fermées.

 

A la vue d'un seigneur si magnifique, il semblait tout naturel que le fossoyeur se découvrît respectueusement et attendît ses ordres.

Loin de là, lorsque l'étranger ne fut qu'à quelques pas, il reprit son sifflet interrompu et se remit à remuer la terre avec une sorte de fureur.

Le gentilhomme s'arrêta, un peu surpris de cet accueil. Il prit le premier la parole.

– Mon ami, dit-il, vous faites là une triste besogne.

Le fossoyeur haussa les épaules, et regarda en face celui qui lui parlait:

– Pourquoi triste? demanda-t-il.

– Je la croyais telle, reprit le gentilhomme en souriant, et pour tout le monde elle a cette réputation.

– Je le sais, monsieur, dit le fossoyeur en se reposant sur sa bêche, on trouve notre métier lugubre; mais quel est donc le vôtre? Vous êtes homme d'épée, à ce que je crois, mon gentilhomme; lorsque vous êtes à la guerre, pensez-vous donc faire une besogne bien plus gaie que la mienne?

Est-il donc si réjouissant de trouer des poitrines, de fendre des têtes, de casser des bras et des jambes?

Cela me répugnerait à moi, qui ne suis qu'un manant, et je n'ai jamais pu comprendre qu'on s'en fît honneur.

J'en suis encore à me demander comment il y a des hommes qui osent avouer tout haut que leur métier est de tuer les autres hommes.

Vous faites des cadavres, monsieur; moi, je leur creuse une dernière demeure; à tout prendre, j'aime mieux ma besogne que la vôtre.

Ces paroles semblèrent plonger le gentilhomme dans la stupéfaction, puis il se mit à rire.

– Un fossoyeur philosophe, fit-il entre ses dents, c'est, ma parole, merveilleux! Le drôle mériterait cent coups de bâtons… Enfin, j'ai besoin de lui en ce moment.

Le travailleur avait repris sa bêche, le gentilhomme fit quelques pas comme pour rebrousser chemin, puis il s'arrêta: évidemment il hésitait à prendre une résolution.

De leur cachette Olivier et Cosimo avaient beau prêter l'oreille, ils n'entendaient rien.

L'étranger cependant se ravisa. Il revint près du fossoyeur.

– Mon ami, lui dit-il, je viens de réfléchir à vos paroles, je les trouve si pleines de sens, que je suis presque de votre avis; tant de raison dans un homme de votre condition me surprend, et, par ma foi! j'en suis si aise, que je veux que vous acceptiez le louis que voici pour boire à ma santé.

Le fossoyeur regarda fixement cet inconnu qui venait ainsi faire des générosités dans un cimetière; il semblait indécis s'il accepterait ou non; on lisait une question sur ses lèvres.

Mais le louis d'or brillait terriblement; le fossoyeur tendit sa main terreuse.

– Et allons donc! s'écria le gentilhomme, aviez-vous peur qu'il ne fût pas de bon aloi? C'est égal, continua-t-il en souriant, vous faites une triste besogne.

– Pas si triste que vous croyez, mon gentilhomme.

– Eh bien! là, franchement, dites-moi pourquoi elle ne vous paraît pas ainsi.

– C'est que je creuse la fosse d'un prisonnier, et que prison pour prison…

– Eh bien?

– Je préfère une tombe à la Bastille.

Le gentilhomme tressaillit comme pris d'un frisson subit; le fossoyeur s'en aperçut.

– Sur ce point encore vous avez l'air d'être de mon avis, monsieur, et ce nom de Bastille ne semble pas vous être particulièrement agréable.

– Je le confesse.

– En connaîtriez-vous donc l'intérieur?

– Assez pour préférer la prison que vous préparez là.

– Hein, que disais-je? reprit le fossoyeur; c'est moi qui délivre les malheureux.

Ainsi, je suis sûr que celui qui va venir tout à l'heure me bénira du fond de son cercueil.

Ce fut presqu'un tressaillement qui agita cette fois le gentilhomme; un nuage sombre passa sur son front, ses lèvres se contractèrent.

– On va donc ce soir même enterrer un prisonnier? demanda-t-il d'une voix altérée.

– J'attends les guichetiers qui doivent apporter son cercueil; ils ne tarderont pas à venir.

– Eh bien, je reste. Je ne serai pas fâché d'assister à cette funèbre cérémonie.

Je veux voir ce qui serait advenu de mon corps si j'étais mort dans mon cachot.

– Et dire une prière sur la tombe du défunt, n'est-ce pas, monsieur?

– Oui, je prierai volontiers.

– Alors, monsieur, si telle est votre intention, vous ferez bien de vous éloigner.

– Pourquoi cela?

– Parce que votre présence pourrait inquiéter les guichetiers. On a vu quelquefois des familles prévenues, on ne sait comment, de la mort d'un de leurs parents, prisonnier à la Bastille.

Alors, ces familles voulaient au moins ravoir le cadavre de celui qu'elles avaient aimé vivant, pour le porter dans quelque sépulture de famille, ou même pour l'ensevelir pieusement de leurs mains, afin de pouvoir marquer la place et y venir prier quelquefois.

– Et, alors, qu'arrivait-il?

– Alors un frère, un ami, un fils venait, qui guettait le moment de l'inhumation et marquait la place; puis, les guichetiers retirés, ce fils, cet ami, ce frère, aidé d'un valet, comme je suppose que vous en avez un, se hâtait de soulever la terre, retirait le cercueil et s'enfuyait comme un voleur, emportant le corps que la justice du roi n'avait pas voulu lui rendre.

– Ah! cela se pratique ainsi?

– Oui, monsieur, je m'en suis aperçu plusieurs fois, je n'en ai jamais rien dit.

C'est d'ailleurs si facile! Moi parti, nul ne veille sur le cimetière jusqu'à demain; les gens du quartier font un détour plutôt que de passer dans le voisinage, et là, tenez, de ce côté, il y a au mur une brèche qui vaut une porte.

A chacune de ces paroles, qui semblait comme un avertissement ou une conseil, le gentilhomme tressaillait involontairement sous le poids d'une émotion trop forte; il était clair que le fossoyeur croyait avoir affaire à un de ces parents dont il parlait.

– Donc, monsieur, continua-t-il, suivez mon conseil, cachez-vous; les guichetiers vont venir, et s'ils vous voyaient, peut-être prendraient-ils peur et mettraient-ils un soldat en faction, pour ensuite, demain, faire transporter la bière dans un autre endroit.

– Merci, mon maître, fit l'étranger, et sortant un autre louis de sa poche, voici pour vous, dit-il; moi, je me cache.

– Comme vous pouvez voir, reprit en riant le fossoyeur, le trou n'est pas bien profond, et je suis trop fatigué pour le creuser beaucoup encore avant l'arrivée des guichetiers.

Le gentilhomme fit un geste de remerciement et en toute hâte gagna la partie boisée du cimetière, où il disparut bientôt; le fossoyeur reprit ou fit semblant de reprendre son travail.

Cette fois, la conversation avait eu lieu à voix haute. Olivier et Cosimo n'en avaient pas perdu une syllabe.

– Nous savons maintenant, dit Olivier, que rien n'entravera notre entreprise.

– Oui; mais si je suis rassure sur ce point, un autre m'inquiète.

– Et lequel, mon vieil ami?

– La présence de ce gentilhomme.

– Le marquis nous avait prévenu dans sa lettre.

– Peu importe, ses allures ne me plaisent pas.

– Moi, je dois avouer que je suis enchanté de le savoir ici près, il nous prêtera main-forte au besoin.

Cosimo ouvrait la bouche pour répondre, mais jetant par hasard les yeux sur l'espace vide, il fut comme pétrifié; la voix s'arrêta dans sa gorge, et, n'ayant pas la force de parler, il saisit Olivier par le bras… le jeune homme comprit.

Deux hommes, qu'à leur costume on reconnaissait aisément pour des guichetiers de la Bastille, s'avançaient.

Ils portaient une civière recouverte d'un lambeau de tapisserie noire; sous la tapisserie se dessinait un cercueil.

– Arrivez donc, lambins! leur cria le fossoyeur.

– Voilà, voilà! répondit l'un d'eux, mais c'est que nous sommes fatigués.

– Il est diablement lourd, fit l'autre.

Ils étaient arrivés sur le bord de la fosse, la tapisserie fut enlevée; alors, balançant la civière d'un mouvement égal, les guichetiers envoyèrent la bière rouler à deux pas.

– Ouf! firent-ils.

Le cercueil, en tombant, rendit un bruit sourd, qui retentit douloureusement dans le cœur d'Olivier.

– Les misérables! murmura-t-il avec rage.

– Monsieur, de grâce, conjura Cosimo.

Les guichetiers avaient déposé leur civière.

– Voyons, fit l'un, il faut se dépêcher, pourtant.

– La fosse n'est guère profonde, dit l'autre; puis s'adressant au fossoyeur: Ah! paresseux! on voit bien que c'est pour le compte de notre gouverneur que tu travailles; le moindre bourgeois voudrait au moins trois pieds de plus…