Za darmo

Le petit vieux des Batignolles

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– Bravo, bravo! continuez…

– Et c’est une parenté que je ne veux pas renier, dont je ne rougis pas. Elle est ma sœur, parce que, pauvre et isolée, le travail de ses jours et de ses nuits lui suffit à peine; parce que sa beauté n’est qu’un malheur de plus, puisqu’elle l’expose à toutes les séductions… elle est ma sœur, parce que, dans notre société, elle n’a personne pour la défendre, personne!.. sa seule sauvegarde, c’est la conscience du devoir, c’est la vertu, – et savez-vous ce que peut la voix de la conscience, quand on a faim, qu’on n’a qu’un mot à dire, pour accepter une honte dorée?

Personne ne riait plus, sauf le chevalier de Castelmoron, qui, profitant d’une pause, s’écria:

– Ah ça! c’est décidément l’apôtre d’une religion nouvelle…

Clodomir irrité, sortit brusquement sans saluer.

– Ah ça! Max, comment s’appelle cet original?

– C’est un de mes amis d’enfance, il se nomme Horace Maisans.

Puis, comme Max n’avait pu aller la veille à Chantilly, on lui raconta les détails de la journée, et les exploits de Miss Betsy, de Tambour-Major et de Pudding, le magnifique cheval anglais, qui tous les ans trouve assez de force pour faire six kilomètres au galop et que son dernier possesseur a payé 45,000 francs.

V
 
Je rougis, et je rougis d’avoir rougi.
 
Silvio Pellico.

Lorsque Clodomir fut dans la rue, il fut très-mécontent tout d’abord de lui-même.

– Quel plaidoyer en faveur d’une femme que je connais à peine!.. Suis-je donc un niais?.. Tous ces beaux jeunes gens se sont horriblement moqué de moi… avaient-ils raison? peut-être bien, et cependant non, j’ai bien agi. Puis, cette jeune fille, je la connais: pendant deux ans, ne l’ai-je pas vue sage, laborieuse… Au fait, elle m’inspire un singulier intérêt… serais-je amoureux? Quelle folie! il ne me faudrait plus que cela: cela ne peut, cela ne doit pas être. Je ne puis seulement subvenir à mes besoins à moi; mes moyens ne me permettent donc pas… Et pourtant, si je suis au désespoir d’avoir été mis à la porte de mon ancien domicile, c’est à cause d’elle, uniquement… Je me dois de la prévenir des intentions de mon ami Max; la mettre en garde… Oui, pour qu’elle se moque de moi, elle aussi!.. Allons, décidément Max a raison, et ses amis aussi.

Si bien que, le soir arrivé, Clodomir se prouva à lui-même qu’il serait bon de se promener dans la rue de Lille, et qu’il passa la soirée à rôder dans les environs de son ancien domicile.

VI
TENTATIVES

Le lendemain Max ne pouvait détacher sa pensée de la jeune fille, qu’un instant il avait aperçue à la petite fenêtre. Ses informations lui avaient appris ceci:

Elle se nommait Louise Blain, n’avait point de parents, vivait complétement seule, ne recevait personne et ne sortait que pour aller chercher ou reporter de l’ouvrage: elle était repriseuse de dentelles.

Notre vicomte était loin d’être timide, et cependant un sentiment tout nouveau pour lui l’empêchait de se présenter chez la jeune fille.

Il passait, tout comme un tendre berger, ses journées entières au fond du jardin, assis sur le banc de gazon, épiant la fenêtre de Louise; il écoutait avec ravissement sa voix gauche et sans méthode, mais harmonieuse et pure. Cette voix lui semblait plus belle que celle de toutes les cantatrices en vogue, et cependant, elle ne chantait que des refrains populaires, écorchés chaque jour par des orgues de Barbarie.

– Décidément, se dit Max, cet état de choses ne peut durer, il faut prendre un parti.

Le lendemain, un domestique se présentait chez Louise avec la lettre suivante, dont le laconisme était destiné à faire entrevoir bien des choses:

«Mademoiselle,

«Vous voir, c’est vous aimer; je vous ai vue. D’un mot, vous pouvez me rendre le plus heureux des hommes: ce mot, dites-le: Votre appartement est prêt, votre voiture attend à votre porte une réponse.»

Louise replia la lettre après l’avoir lue:

– Cette lettre ne peut être pour moi, dit-elle, au domestique, reprenez-la, vous vous trompez.

– Cependant, mademoiselle!..

La jeune fille ouvrit la porte d’un air significatif, le domestique s’inclina et sortit.

– Bien, se dit le vicomte, elle ne m’aura pas compris, ou elle aura cru que je me moquais d’elle; le point le plus important est de la convaincre de la réalité de mes offres.

C’est pourquoi, dès le lendemain, Max entassa dans une magnifique corbeille tout ce qu’il put trouver de plus éblouissant: étoffes, dentelles, châles, bijoux.

Il y en avait pour une dizaine de mille francs, c’était tout ce que le vicomte avait pu se procurer d’argent comptant.

Le lendemain, en l’absence de Louise, le concierge de la maison, que quelques louis avaient rendus d’une rare souplesse, introduisit dans la chambre de la jeune fille la magique corbeille.

Max guettait du jardin l’effet que produirait tout cet attirail de tentation.

– Elle se mettra certainement à la fenêtre, pensait-il, alors je paraîtrai.

Mais en vain il fuma un nombre infini de cigares sous les grands tilleuls, Louise ne parut pas.

Seulement son domestique vint le prévenir qu’on venait de lui apporter un volumineux paquet, c’était la corbeille.

Le vicomte fut stupéfié.

– Une femme jeune, admirablement belle, pauvre et vertueuse! C’est un miracle, Clodomir avait raison, mais que faire? car décidément je suis amoureux, comme un fou, de cette jeune fille.

Que faire?.. et le vicomte se creusait la tête pour inventer quelque chose de neuf; en pareille matières ses ressources étaient à bout, ses moyens de séduction épuisés.

En peu de jours sa passion (c’était devenu une passion) prit d’énormes proportions.

Tout lui était devenu indifférent, il avait délaissé son club chéri, ne passait plus ses soirées à jouer quelque whist nerveux ou quelque bouillotte corsée.

Lui, l’homme à la mode, le viveur, le superbe insolent, il en était, tout comme au sortir de sa philosophie, à se proposer les problèmes les plus saugrenus.

Il eût presque effeuillé des marguerites.

Peut-être eût-il rougi, si, mis en présence de Louise, il lui eût fallu lui parler.

Par une sorte d’intuition, il avait deviné le caractère de Louise; il comprenait que la moindre démarche audacieuse le perdrait à tout jamais.

Désormais il passait sa vie au jardin ou dans les alentours de la demeure de Louise, espérant voir de loin sa taille svelte et gracieuse, puisqu’il ne pouvait plus la voir à la fenêtre.

Un soir pourtant, il la vit mettre à la hâte son chapeau et son châle; il sortit en courant.

Il arriva trop tard, elle était partie.

– Au moins, je la verrai rentrer, dit-il.

Et pendant toute la soirée il resta en vedette; la pluie tomba en abondance, il ne quitta point son poste. Elle rentra enfin, mais si vite, qu’il la devina plutôt qu’il ne la vit; il était trempé jusqu’aux os; il retourna chez lui tout joyeux.

VII

Pendant ce temps, le Pactole coulait chez Clodomir, c’étaient tous les bonheurs à la fois; son père lui avait envoyé cinq cents francs, il avait réussi à faire représenter un drame au boulevard, qui avait failli lui rapporter quarante écus, enfin il était employé sérieusement dans un journal, pas méchant, mais assez réel pour lui compter cent cinquante francs par mois.

Clodomir avait une vraie chambre, un vrai lit; il était mis avec grâce et distinction, disait-il, et faisait trois repas par jour pour rattraper le temps perdu.

Mais, ô surprise! Clodomir avait paru se ranger, il n’avait point convoqué le ban et l’arrière-ban de ses connaissances, ainsi qu’il le faisait en cas de bonne aubaine, à venir partager un pantagruélique repas.

Il avait même eu l’idée de songer à payer ses dettes.

– C’est l’effet de l’âge, se disait-il, je deviens bourgeois.

VIII
 
Tout d’abord c’est un brouillard,
puis une ombre confuse.
 
Lope de Vega.

Louise, nous devons le dire, s’était très-bien aperçue de l’amour de son voisin le vicomte. Tout d’abord, en refusant ses offres brillantes, elle avait agi sans arrière-pensées: il m’oubliera demain, pensait-elle; maintenant, la persistance étrange et la timidité du vicomte la surprenaient au possible.

Max, sans s’en douter le moins du monde, agissait avec la plus grande habileté; il était loin d’être un grand grec en amour; notre génération entend assez peu le sentiment que l’on a, depuis quelques années, réduit à la simplicité d’une affaire d’argent: Max, en offrant de l’or à pleines mains et des cachemires, avait cru prendre la grande route du cœur, il se trompait.

Son indécision le sauva. En restant dans l’inaction, se contentant d’une admiration passive mais obstinée, il était rentré dans le vrai.

Louise, surprise d’abord, s’était bientôt indignée des démarches du vicomte. Peu à peu elle éprouva un charme secret, une douce habitude, que son inexpérience ne lui permettait pas de définir exactement, mais maintes fois, son cœur avait battu.

Qui eût résisté?

Elle voyait ce jeune homme riche, noble, puissant à ses yeux, d’une hardiesse qui avait été jusqu’à l’insolence, passer maintenant des journées entières à épier le moment où il pourrait seulement l’entrevoir. Souvent elle quittait son métier pour venir le contempler en se dissimulant derrière le petit rideau de sa fenêtre. Elle lui trouvait un air de distinction et de douceur. Peu à peu elle cessa de se cacher et son sourire répondait à la muette extase de Max.

Un jour le vicomte se frappa le front, il venait de lui surgir une pensée.

 

Se défiant des domestiques, lui-même fut son ouvrier.

Il lia ensemble quatre ou cinq longues gaules, destinées à faire des tuteurs aux arbustes du jardin, et muni de cet instrument, par une belle nuit d’été, après des peines inouies et maint essai infructueux, il parvint à déposer un gros bouquet de roses sur la fenêtre de Louise.

O bonheur! le lendemain, le bouquet de roses gracieusement disposé, s’épanouissait dans un grand vase de faïence bleue attaché à l’étroit rebord de la fenêtre.

Max était au comble de la joie.

Louise le remercia d’un gracieux sourire.

Désormais, chaque matin, sur sa fenêtre, elle trouvait un bouquet semblable. Puis un matin, en changeant les fleurs, elle laissa tomber celles du vase, Max les ramassa avec empressement et s’enfuit, plus joyeux qu’un fiancé de village avec un gros baiser.

Désormais Louise aimait le vicomte, toutes ses craintes avaient disparu, elle se laissait aller sur cette douce pente, trouvant la vie plus facile, sans se demander jamais où la conduirait cet amour.

Un jour enfin, Max osa lui écrire.

Avec cette lettre, bien respectueuse cependant, toutes les craintes de la jeune fille reparurent. Une idée, terrible pour elle, surgissait sans cesse dans son esprit: serait-elle jamais la maîtresse de Max?

Alors, elle se faisait une hideuse peinture de ce que la débauche offre de plus répugnant. Les pauvres filles qui n’ont ni père ni mère, ni parents ni amis pour les protéger et les défendre, sont obligées de connaître le danger pour pouvoir le combattre; pour elles, l’on n’a pas écarté tout ce qui pourrait ternir la virginité de leurs pensées, le vice grouille autour d’elles; effronté, cynique, ne respectant rien, ni jeunesse ni beauté, elles le coudoient tous les jours et savent au juste quel est le sort qui les attend un jour si elles succombent; les exemples sont là, sous leurs yeux.

Voilà pourquoi Louise était si fort épouvantée et pourquoi la lettre de Max lui ouvrit son propre cœur qu’elle n’avait osé jusque-là interroger.

Elle voulait fuir, quitter l’hôtel de Tressang…

Elle resta pourtant, mais se jurant bien de combattre cet amour, d’éviter Max, de fuir jusqu’à son regard, et certes, en se faisant cette promesse, elle était de bonne foi.

IX

Les jours se passaient, Louise tenait inexorablement son serment.

Max était au désespoir.

Les plus belles fleurs du parterre se fanaient, abandonnées sur la fenêtre, ou tombaient repoussées au pied de la muraille…

La voir était impossible. Un grand rideau masquait maintenant la fenêtre.

Nous devons dire pour être franc, que Louise souffrait autant que Max.

Un matin, Louise reçut une lettre dont elle crut reconnaître l’écriture.

– Je ne devrais pas la lire, pensait-elle.

Mais elle voulait bien savoir ce que pouvait contenir cette lettre: ensuite, qui le saura? se dit-elle.

La lettre n’était pas de Max, elle était de l’ancien voisin de Louise, Clodomir.

«Mademoiselle,

«Hier encore j’étais trop pauvre pour faire la démarche que je fais aujourd’hui; je vous aime, voulez-vous accepter ma main?..

«Ma demande n’ayant rien que d’honorable, permettez-moi de venir demain chercher la réponse.»

Cette lettre jeta Louise dans une profonde surprise. Que faire? accepter; d’un mot, désormais, elle déjouait les tentatives de séduction de Max, si telles étaient ses intentions, et de plus sa solitude cessait, elle n’aurait plus cette crainte horrible de la vieillesse, de la maladie, de la misère…

Louise était la fille d’un entrepreneur nommé Blain.

Cet homme actif, laborieux, intelligent, avait acquis une certaine aisance, qui lui avait permis de donner quelque éducation à sa fille.

Un jour la faillite frauduleuse d’un fripon lui enleva tout.

Le chagrin le prit, il mourut, laissant à sa veuve le soin de Louise, alors âgée de quinze ans, et les débris de son aisance passée.

Sa veuve ne lui survécut que trois ans.

A dix-huit ans, Louise resta donc seule; les frais de la maladie de sa mère une fois payés, elle ne possédait plus rien qu’un petit mobilier dont elle vendit une partie… Pour vivre elle avait son travail, quarante sous par jour en prenant sur ses nuits.

Et, pour avenir, elle avait la misère, ou l’hospice.

Toute la journée Louise ne put travailler, la nuit se passa en incertitudes.

Oh! si Max lui avait écrit cette lettre… mais non, l’amour de Max ce serait le luxe, une existence dorée, mais la honte! la honte! puis il ne l’aimerait pas toujours, pas longtemps peut-être, et alors la solitude reviendrait, plus affreuse encore avec le remords.

X

Enfin le lendemain arriva, l’indécision de Louise durait toujours.

On frappa à sa porte.

– Mademoiselle, dit Clodomir, je viens connaître ma destinée.

Le bohême était pâle et ému.

Louise fit un effort pour parler.

– Croyez, monsieur, à la grandeur de ma reconnaissance pour l’offre inespérée que vous avez daigné me faire. Mais, je ne dois, je ne puis… et des larmes arrivèrent à ses yeux.

– C’est-à-dire, mademoiselle, que vous refusez.

– Monsieur, de grâce, croyez…

– Ah! s’écria Clodomir, orgueil stupide, fausse honte petite et misérable! pourquoi ai-je tardé? Je le sens, aujourd’hui vous en aimez un autre. Et comme Louise se taisait: Oui, j’en étais sûr, et moi, pourtant, depuis longtemps je vous aime. Mon offre est celle d’un honnête homme qui vous offre de partager ses heureux et ses mauvais jours, et l’autre!..

– Oh! monsieur, épargnez-moi!..

– Peut-être, mademoiselle, ai-je été trop brusque, trop pressant, peut-être voudriez-vous réfléchir?

– Non, monsieur, non, c’est désormais impossible, lui dit Louise, plus froide et plus pâle qu’un marbre, c’est impossible, reprit-elle plus bas, adieu…

– J’obéis, mademoiselle, mais avant, et pardonnez ce que je vais vous dire… peut-être un cœur, un bras dévoué vous seront nécessaires… alors souvenez-vous de moi.

Et laissant une carte sur le bord du métier de Louise, il s’enfuit; les larmes le suffoquaient.

– Oh! s’écriait-il, cette femme que j’aimais, dont je voulais faire ma femme… elle est la maîtresse de Max, il en a fait son jouet dans un jour de caprice. Ah! je me vengerai.

Max, durant ce temps, assis sur un des bancs du jardin, avait aperçu Clodomir. Lui aussi, il crut deviner.

– Niais, cent fois niais, se dit-il, elle se joue de moi et je l’aime, je l’aime!.. alors ses poings se crispaient de colère, elle aime Clodomir, le vertueux défenseur de la vertu outragée.

Ils doivent bien rire de moi.

A cette idée, le vicomte furieux, courut chez Clodomir. Il entra dans l’appartement comme un fou. Le bohême venait de rentrer. Tous deux se continrent. Car à tous les deux la même idée leur vint de se précipiter sur l’autre.

– Clodomir, dit le vicomte, Louise est ta maîtresse, elle t’aime, tu l’as nié jadis, aujourd’hui je sais tout, et son geste était menaçant.

– Tiens, dit le bohême en jetant sur la table sa lettre que Louise lui avait rendue, lis, et vois lequel de nous deux…

– Je te le jure, sur la mémoire de ma mère, dit Max, elle n’est pas maîtresse.

– Alors, écoute bien ceci: de cette jeune fille j’ai voulu faire ma femme, une fausse honte m’empêcha de l’avouer; depuis longtemps je l’aime, désormais elle ne peut être à toi qu’à la condition de l’épouser; elle ne sera jamais ta maîtresse, moi vivant.

Maintenant, adieu, en te trouvant sur ma route, tu as brisé le rêve le plus cher de ma vie.

Fais Louise heureuse et honorée, alors je puis être encore ton ami.

Max regagna l’hôtel tout pensif.

XI
LES PROJETS
 
Tout n’est qu’heur et malheur.
 

Ainsi, pour la première fois, dans l’esprit de Max, l’idée de Louise se trouva rapprochée de l’idée de mariage.

Le cœur du vicomte avait fait tant de chemin en moins de six mois que cette idée, qui autrefois lui eût semblé la plus bouffonne du monde, lui paraissait maintenant presque naturelle.

Il en était à peser les difficultés, à chercher un moyen de les vaincre.

Son plus grand embarras était de faire accepter son mariage par ses amis, par ses connaissances, à se sauver du ridicule, la seule chose vraiment redoutable.

– L’originalité me tirera de là, pensait-il, je m’afficherai autant que possible, ce sera un esclandre; mais, au bout de huit jours, personne n’en parlera plus. Maintenant on ne se marie plus que pour de l’argent; j’aurai pour moi les gens exaltés et les jeunes femmes sentimentales.

Quant à son père, le sévère comte de Tressang, Max ne doutait pas d’avoir son consentement, en lui présentant la chose d’une certaine façon.

Restaient encore quelques scrupules, quelques vieux préjugés, l’absence de Louise les dissipa tous.

Le vicomte se résolut donc à une grande démarche. Un beau jour il se présenta chez Louise:

– Mademoiselle, dit-il sans préambule, je viens vous demander si vous voulez être ma femme.

XII
LA PLUS RICHE HÉRITIÈRE DU FAUBOURG SAINT-GERMAIN

Le rêve de tous les lions ruinés était à cette époque mademoiselle Henriette de Chevonceux.

C’était une grande jeune fille aux cheveux d’un blond fade, aussi acariâtre que riche, et qui, pour surcroît d’agréments, possédait une bosse que toute l’habileté de ses couturières pouvait à peine dissimuler.

Mademoiselle Henriette avait vingt-trois ans et régnait en despote à l’hôtel de sa mère, vieille femme qui cherchait encore à réparer des ans l’irréparable outrage, ruine respectable sur laquelle se lisaient les injures du temps sous une formidable couche de carmin et de blanc.

Cette respectable marquise professait pour sa fille une idolâtrie qui tenait du prodige pour tous ceux qui connaissaient, et par conséquent avaient eu à en souffrir, l’horrible caractère de mademoiselle de Chevonceux.

– L’aveuglement maternel, disait-on.

Il est vrai que cette affectueuse indulgence, cette admiration passionnée, cette inaltérable tendresse, avaient une source moins noble.

Feu le marquis de Chevonceux, joueur affréné, viveur émérite, avait laissé à sa femme une fortune plus que compromise; il ne resta presque rien à la noble veuve, quelque quinze mille livres de rentes, à peu près, la misère, pour elle.

Heureusement, un vieux parent de madame de Chevonceux, gentilhomme campagnard, avare et colossalement riche, avait disposé en faveur d’Henriette de toute sa fortune, évaluée par les plus modérés à cinq ou six millions.

Henriette, majeure et fille de tête, tenait les clefs du coffre-fort; c’était elle qui défrayait le train princier de la maison, tenant compte des recettes et des dépenses avec autant d’exactitude qu’un procureur, rognant sur les mémoires, mais jetant l’or au moindre de ses caprices, fournissant à ceux de la marquise.

Elle ne réclamait en échange de ses largesses qu’indulgence pour toutes ses fantaisies, amitié et surtout obéissance aveugle.

Faute de quoi, elle l’avait nettement expliqué à la vieille marquise, elle se mariait, se séparait d’elle, sans lui faire la plus légère pension, ne lui laissant pour vivre que les maigres restes du patrimoine des Chevonceux.

C’était là l’épouvantail de la marquise, la source où elle puisait son affection.

Un matin, Henriette se présenta chez sa mère, il était neuf heures à peine; la marquise, qui avait passé une partie de la nuit à jouer au wisth avec Mgr l’archevêque d’Araria, dormait encore d’un profond sommeil.

Sa fille l’éveilla brusquement.

– Ma mère, je voudrais vous parler de suite, s’il est possible. La marquise, terriblement contrariée, se souleva légèrement sur ses coussins.

– Est-il bien nécessaire que ce soit de suite?

– De suite, ma mère.

– Alors, je vous écoute; cependant je ne vous dissimulerai pas, Henriette, que je suis bien fatiguée ce matin.

– J’aurai fini en un instant, ma mère; je suis venue vous dire que j’ai enfin trouvé un mari de mon goût, et que je veux me marier.

La marquise se laissa retomber sur son oreiller en joignant les mains d’un air épouvanté.

– Mais, ma fille… essaya-t-elle.

– Oh! soyez sans crainte, ma mère, continua l’impassible Henriette, vous demeurerez avec nous, et comme je serai toujours la maîtresse, vous serez toujours chez vous. Ne croyez-vous donc pas à mon affection?

La marquise respira un peu: – J’ignorais, Henriette, qu’un nouveau parti se fût présenté; quel est ce jeune homme?

– Il ne s’est pas présenté du tout, il n’y a peut-être même jamais songé, ajouta Henriette pensive.

 

– Comment! mais alors, et les convenances?

– J’ai compté sur vous, ma bonne mère.

– Sur moi? et pour quoi faire?

– Mais pour aplanir les difficultés, l’homme que je veux pour mari est M. de Tressang.

– Oh! Henriette! un homme ruiné.

– Raison de plus, il me devra tout; puis, j’en ai assez pour deux, et, d’ailleurs, son père est riche.

– Un débauché!

– Gage de sagesse pour l’avenir.

– Un joueur, un joueur!

– C’est faux, ma mère, c’est faux.

– On le dit, ma fille.

– Oui, les envieux, les méchants, car enfin, ma mère, le vicomte est certainement l’homme le plus distingué que nous ayons reçu cet hiver.

– Il a bien des envieux alors.

– Eh bien! quand tout cela serait, je le corrigerai, et puis il me plaît.

La marquise ne répondit plus. Comme d’ordinaire, elle subissait l’influence; cependant une idée la prit, qui lui fit faire un soubresaut sur ses oreillers.

– Mais ce jeune homme, Henriette, tu le connais à peine.

– Assez pour l’aimer.

– Mais, ma fille, ce n’est pas une raison, cela.

– C’est une raison, ma mère.

– Cependant je ne puis pas aller le demander en mariage, moi, cela n’est pas reçu. Te connaît-il? t’a-t-il remarquée? t’a-t-il fait pressentir?..

– Absolument, rien.

– Eh bien, alors?

– Mais, ma bonne mère, dit Henriette avec un geste d’impatience, comprenez donc que c’est pour cela, précisément, que j’ai compté sur vous, sans cela… Pensez donc, je vieillis, il faut me marier; le vicomte sera, j’en suis sûre, un excellent mari, si j’allais plus tard épouser un homme tyrannique qui voulût nous séparer… Oh! je serais bien malheureuse, et vous, ma mère?

Toutes les terreurs de la marquise revinrent; elle se voyait, seule, avec ses douze mille livres de rente, sans train de maison, sans fêtes, sans voiture…

– Non, mon Henriette, tu ne seras pas malheureuse, ta mère ne te fera pas défaut, ta volonté sera faite, je vais réfléchir.

– Ah! merci, ma mère, je suis rassurée maintenant; je compte sur vous, et Henriette sortit.

– Comment faire? mon Dieu, pensait la marquise, comment faire? Le monde, les convenances! Ah! cette enfant ne respecte rien. Si j’étais la maîtresse!

XIII

Max avait disparu.

C’est en vain que ses amis s’étaient présentés chez lui; la réponse avait été invariable:

– Monsieur le vicomte est sorti, répondait le domestique. On se livrait aux plus singulières conjectures.

Était-il à Paris?

Son père l’avait exilé dans une terre.

Il était aux eaux avec une de ses tantes.

Mais non, la saison était passée.

Il était en Italie alors.

Il avait été enlevé par une danseuse.

Tous ces bruits contradictoires avaient été longuement discutés, mais l’opinion publique n’avait pas décidé encore.

Qui donc eût pu se douter que Max, épris follement d’une ouvrière, passait ses journées, ses soirées, tout son temps, préoccupé sans cesse de cet amour.

Heureux seulement quand il voyait Louise, quand il pouvait rester quelques heures avec elle.

Car, maintenant, il allait souvent chez Louise; leur mariage était bien convenu, Max n’attendait qu’une occasion pour obtenir le consentement de son père.

Et Max était plus heureux qu’il ne l’avait jamais été, même dans ces jours de folie où, puisant sans compter, il jetait à pleines mains l’or et sa belle jeunesse.

Louise était heureuse aussi, l’avenir maintenant c’était l’amour de Max, le bonheur au lieu de la misère et du désespoir.

XIV

La marquise, cependant, tournait et retournait en sa tête tous les moyens possibles pour amener le mariage tant désiré par sa fille, de la façon la plus convenable et qui ne pût prêter le flanc au ridicule.

– Si encore je connaissais le comte de Tressang, pensait-elle, tout s’arrangerait, mais à peine si je lui ai parlé quatre fois en ma vie.

Grandes étaient donc les perplexités de la vieille marquise, lorsqu’un hasard des plus heureux vint la servir.

Comme elle cherchait à se rappeler toutes les circonstances qui l’avaient mise parfois en relations avec le comte de Tressang, elle se souvint qu’une de ses terres de Bourgogne était voisine d’une des propriétés du comte. De voisinage à procès le chemin était court, le procès amènerait nécessairement une transaction qui exigerait absolument des entrevues, une réconciliation. Alors, avec un peu d’adresse, il serait facile d’amener le comte à présenter son fils.

Mademoiselle Henriette, consultée, daigna donner son approbation.

Trois jours après, l’intendant de mademoiselle de Chevonceux faisait abattre, sans rien dire, quelques peupliers appartenant au comte de Tressang, indûment plantés, disait-il, sur le talus d’un fossé par ledit comte de Tressang.

Lequel, à la nouvelle de cet acte, d’arbitraire et de cette exorbitante violation, entra dans une épouvantable colère.

Ce que la marquise avait prévu arriva.

Un procès s’entama.

La marquise blâma fort son intendant.

On parla de conciliation.

Le comte, touché des regrets de la marquise, se prêta de bonne grâce à un arrangement.

Le comte, homme d’esprit, n’eut besoin que de voir trois fois la marquise pour être sur la voie.

Une conversation habile qu’il eut avec Henriette révéla au rusé vieillard ce qui devait s’être passé.

D’un coup d’œil il vit pour Max une superbe position.

Il rentra chez lui tout joyeux de cette découverte et se résolut de demander promptement la main de mademoiselle de Chevonceux pour le vicomte Gustave-Adolphe-Maxime de Tressang, son fils.

XV

Louise brodait à son métier.

Max était assis près de la fenêtre et jetait à la jeune fille de doux regards; il disait:

– Nous aurons sur les bords de la Loire… entre Montcoreau et Candes, le plus délicieux pays de la terre, une ravissante maison de campagne.

Notre maison est bâtie aux flancs d’un coteau que couronne un bois de châtaigniers au feuillage sombre, les jardins sont étagés en terrasses et traversés par un ruisseau que l’on a dirigé habilement au milieu des massifs; tous les murs sont tapissés de roses ou d’arbres fruitiers, ou bien encore de jasmins et de chèvrefeuilles.

Plus bas est un petit bois avec des sentiers fleuris tout bordés de fraisiers et de violettes; les pervenches s’enroulent au tronc des jeunes arbres et leur petite fleur bleue se détache, comme une étoile dans l’azur, sur le vert sombre du feuillage.

Puis est une prairie en pente douce avec de grands peupliers et des saules qui baignent dans la Loire leurs feuilles glauques et éplorées…

– Il faudra, disait Louise, que nous ayons une laiterie et une volière, surtout mon chardonneret, que j’aime encore plus, ne restera pas tristement tout seul dans sa petite cage.

– Nous aurons des oiseaux de toute sorte.

– Et une basse-cour.

– Certainement, et des pigeons…

– Quelles bonnes promenades le matin!

– A cheval.

– Et le soir?

– Oh! le soir, nous aurons un canot bien léger, bien rapide, la Loire est si belle, l’été, quand la lumière de la lune découpe les fantastiques silhouettes des peupliers et des grands bois, des coteaux et des maisons....

Le mariage de Max avec mademoiselle de Chevonceux était une affaire décidée entre le comte et la marquise, nous ne parlons pas d’Henriette.

Les conditions préalables avaient été réglées.

Mademoiselle de Chevonceux apportait deux cent mille livres de rentes en biens fonds, le surplus était laissé à la marquise; le comte donnait cinq cent mille francs à son fils, et les jeunes futurs se mariaient sous le régime de la communauté.

Chose singulière! le comte avait presque dicté les conventions, pas un mot n’avait été émis par la marquise; Henriette avait ordonné positivement d’acquiescer à tout.

Tout était donc convenu, consenti.

Il ne restait plus qu’à présenter le vicomte qui serait immédiatement admis à faire sa cour.

Le mariage aurait lieu au printemps.

– Demain, se dit le comte, j’apprendrai à Max sa bonne fortune.

En bon père, il ne doutait pas que Max ne fût transporté. Deux cent mille livres de rente!

– Notre position respective ne peut durer davantage, ma chère Louise.

Demain je demande le consentement de mon père; peut-être hésitera-t-il d’abord, mais je le convaincrai et, au pis aller, nous nous passerons de ce consentement.

– Non, Max, je n’entrerai pas ainsi dans votre famille, mais vous direz à votre père combien nous serons heureux ensemble, combien il sera heureux lui-même; tenez, Max, je l’aime déjà votre père, il remplacera le mien. Oh! non, il n’hésitera pas.

– Non, non, disait Max.

Le non, non, du vicomte était franc, il s’attendait bien à quelque résistance, mais il se croyait sûr de l’emporter:

– Oui, demain, je parle à mon père.

Le père et le fils avaient chacun leur plan bien arrêté.

Par un hasard singulier, tous deux avaient choisi, pour parler, le même jour, la même heure (l’heure du dîner).

Tous deux attendaient avec impatience.