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Le petit vieux des Batignolles

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– Alors, vous pouvez me dire où il demeure ce M. Victor…

– Certainement. Il demeure rue du Roi-Doré, numéro 23.

Elle paraissait toute heureuse, la pauvre fille, d’être si bien informée, et moi, je souffrais, de l’entendre ainsi dénoncer, sans s’en douter, sa patronne…

Plus endurci, M. Méchinet n’avait pas de ces délicatesses.

Et même, nos renseignements obtenus, c’est par une triste raillerie qu’il termina la scène…

Au moment où j’ouvrais la porte pour nous retirer:

– Merci, dit-il à la jeune fille, merci! Vous venez de rendre un fier service à madame Monistrol, et elle sera bien contente…

XII

Aussitôt sur le trottoir, je n’eus plus qu’une idée.

Ajuster nos flûtes et courir rue du Roi-Doré, arrêter ce Victor, le vrai coupable, bien évidemment.

Un mot de M. Méchinet tomba comme une douche sur mon enthousiasme.

– Et la justice! me dit-il. Sans un mandat du juge d’instruction, je ne puis rien… C’est au Palais-de-Justice qu’il faut courir…

– Mais nous y rencontrerons madame Monistrol, et si elle nous voit, elle fera prévenir son complice…

– Soit, répondit M. Méchinet, avec une amertume mal déguisée, soit!.. le coupable s’évadera et la forme sera sauvée… Cependant, je pourrai prévenir ce danger. Marchons, marchons plus vite.

Et de fait, l’espoir du succès lui donnait des jambes de cerf. Arrivé au Palais, il gravit quatre à quatre le raide escalier qui conduit à la galerie des juges d’instruction, et, s’adressant au chef des huissiers, il lui demanda si le magistrat chargé de l’affaire du petit vieux des Batignolles était dans son cabinet.

– Il y est, répondit l’huissier, avec un témoin, une jeune dame en noir.

– C’est bien elle! me dit mon compagnon.

– Puis à l’huissier:

– Vous me connaissez, poursuivit-il… Vite donnez-moi de quoi écrire au juge un petit mot que vous lui porterez.

L’huissier partit avec le billet, traînant ses chausses sur le carreau poussiéreux, et ne tarda pas à revenir nous annoncer que le juge nous attendait au nº 9.

Pour recevoir M. Méchinet, le magistrat avait laissé madame Monistrol dans son cabinet, sous la garde de son greffier, et avait emprunté la pièce d’un de ses confrères.

– Qu’y a-t-il? demanda-t-il d’un ton qui me permit de mesurer l’abîme qui sépare un juge d’un pauvre agent de la sûreté.

Brièvement et clairement, M. Méchinet exposa nos démarches, leurs résultats et nos espérances.

Faut-il le dire, le magistrat ne sembla guère partager nos convictions.

– Mais puisque Monistrol avoue!.. répétait-il avec une obstination qui m’exaspérait.

Cependant, après bien des explications:

– Je vais toujours signer un mandat, dit-il.

En possession de cette pièce indispensable, M. Méchinet s’envola si lestement que je faillis tomber en me précipitant à sa suite dans les escaliers… Un cheval de fiacre ne nous eût pas suivis… Je ne sais pas si nous mîmes un quart d’heure à nous rendre rue du Roi-Doré.

Mais une fois-là:

– Attention! me dit M. Méchinet.

Et c’est de l’air le plus posé qu’il s’engagea dans l’allée étroite de la maison qui porte le numéro 23.

– M. Victor? demanda-t-il au concierge.

– Au quatrième, la porte à droite dans le corridor.

– Est-il chez lui?

– Oui.

M. Méchinet fit un pas vers l’escalier, puis semblant se raviser:

– Il faut que je le régale d’une bonne bouteille, ce brave Victor, dit-il au portier… Chez quel marchand de vin va-t-il, par ici?..

– Chez celui d’en face.

Nous y fûmes d’un saut, et d’un ton d’habitué M. Méchinet commanda:

– Une bouteille, s’il vous plaît, et du bon… du cachet vert.

Ah! par ma foi! cette idée ne me fût pas venue, en ce temps-là! Elle était bien simple, pourtant.

La bouteille nous ayant été apportée, mon compagnon exhiba le bouchon trouvé chez le sieur Pigoreau, dit Anténor, et il nous fut aisé de constater l’identité de la cire.

A notre certitude morale, se joignait désormais une certitude matérielle, et c’est d’un doigt assuré que M. Méchinet frappa à la porte de Victor.

– Entrez! nous cria une voix bien timbrée.

La clef était sur la porte, nous entrâmes, et dans une chambre fort propre, j’aperçus un homme d’une trentaine d’années, fluet, pâle et blond, qui travaillait devant un établi.

Notre présence ne parut pas le troubler.

– Que voulez-vous? demanda-t-il poliment.

M. Méchinet s’avança jusqu’à lui, et le saisissant par le bras:

– Au nom de la loi, dit-il, je t’arrête!

L’homme devint livide, mais ne baissa pas les yeux.

– Vous moquez-vous de moi?.. dit-il d’un air insolent. Qu’est-ce que j’ai fait?..

M. Méchinet haussa les épaules.

– Ne fais donc pas l’enfant! répondit-il, ton compte est réglé… On t’a vu sortir de chez le père Anténor, et j’ai dans ma poche le bouchon dont tu t’es servi pour empêcher ton poignard de s’épointer…

Ce fut comme un coup de poing sur la nuque du misérable… Il s’écrasa sur sa chaise en bégayant:

– Je suis innocent…

– Tu diras cela au juge, fit bonnement M. Méchinet, mais je crains bien qu’il ne te croie pas… Ta complice, la femme Monistrol, a tout avoué…

Comme s’il eût été mû par un ressort, Victor se redressa.

C’est impossible!.. s’écria-t-il. Elle n’a rien su…

– Alors tu as fait le coup tout seul?.. Très-bien!.. C’est toujours autant de confessé.

Puis s’adressant à moi en homme sûr de son fait:

– Cherchez donc dans les tiroirs, cher monsieur Godeuil, poursuivit M. Méchinet, vous y trouverez probablement le poignard de ce joli garçon, et très-certainement les lettres d’amour et le portrait de sa dulcinée.

Un éclair de fureur brilla dans l’œil de l’assassin et ses dents grincèrent, mais la puissante carrure et la poigne de fer de M. Méchinet éteignirent en lui toute velléité de résistance.

Je trouvai d’ailleurs dans un tiroir de la commode tout ce que mon compagnon m’avait annoncé.

Et vingt minutes plus tard, Victor, «proprement emballé,» – c’est l’expression – dans un fiacre, entre M. Méchinet et moi, roulait vers la préfecture de police.

– Quoi, me disais-je, stupéfié de la simplicité de la scène, l’arrestation d’un assassin, d’un homme promis à l’échafaud, ce n’est que cela!..

Je devais plus tard apprendre à mes dépens qu’il est des criminels plus terribles…

Celui-ci, dès qu’il se vit dans la cellule du dépôt, se sentant perdu, s’abandonna et nous dit son crime par le menu.

Il connaissait, nous déclara-t-il, de longue date le père Pigoreau et en était connu. Son but, en l’assassinant, était surtout de faire retomber sur Monistrol le châtiment du crime. Voilà pourquoi il s’était habillé comme Monistrol et s’était fait suivre de Pluton. Et une fois le vieillard assassiné, il avait eu l’horrible courage de tremper dans le sang le doigt du cadavre pour tracer ces cinq lettres: Monis, qui avaient failli perdre un innocent.

– Et c’était joliment combiné, allez, nous disait-il avec une cynique forfanterie… Si j’avais réussi, je faisais d’une pierre deux coups: je me débarrassais de mon ami Monistrol que je hais et dont je suis jaloux, et j’enrichissais la femme que j’aime…

C’était simple et terrible, en effet.

– Malheureusement, mon garçon, objecta M. Méchinet, tu as perdu la tête au dernier moment… Que veux-tu! on n’est jamais complet!.. Et c’est la main gauche du cadavre que tu as trempée dans le sang…

D’un bond, Victor se dressa.

– Quoi! s’écria-t-il, c’est là ce qui m’a perdu!..

– Juste!

Du geste du génie méconnu, le misérable leva le bras vers le ciel.

– Soyez donc artiste! s’écria-t-il.

Et nous toisant d’un air de pitié, il ajouta:

– Le père Pigoreau était gaucher!

Ainsi, c’est à une faute de l’enquête qu’était due la découverte si prompte du coupable.

Cette leçon ne devait pas être perdue pour moi. Je me la rappelai, par bonheur, dans des circonstances bien autrement dramatiques, que je dirai plus tard.

Le lendemain, Monistrol fut mis en liberté.

Et comme le juge d’instruction lui reprochait ses aveux mensongers qui avaient exposé la justice à une erreur terrible, il n’en put tirer que ceci:

– J’aime ma femme, je voulais me sacrifier pour elle, je la croyais coupable…

L’était-elle, coupable? Je le jurerais.

On l’arrêta, mais elle fut acquittée par le jugement qui condamna Victor aux travaux forcés à perpétuité.

M. et madame Monistrol tiennent aujourd’hui un débit de vins mal famé sur le cours de Vincennes… L’héritage de leur oncle est loin; ils sont dans une affreuse misère.

J. – B. – CASIMIR GODEUIL.

BONHEUR PASSE RICHESSE

I
UN VICOMTE
 
L’ennui, monsieur, l’ennui, voilà,
soyez-en sûr, la véritable plaie du
siècle.
 
ANONYME.

Il était six heures du matin, tout était silencieux encore dans le vaste hôtel de Tressang, l’une des princières demeures du faubourg Saint-Germain: et cependant, chose inouïe, le vicomte Max était déjà levé. Accoudé à sa fenêtre, il fumait et réfléchissait, chose bien plus fabuleuse que son lever matineux.

Le vicomte avait vingt-cinq ans à peine; il passait pour un des beaux hommes des salons de l’aristocratie, il passait pour avoir beaucoup d’esprit; seulement, sur ses traits fatigués, sur ses lèvres flétries, dans ses yeux rougis par les veilles, l’orgie avait laissé sa brûlante empreinte.

Maxime de Tressang, ou Max, comme l’appelaient ses amis, avait été, en effet, l’un des plus frénétiques viveurs de Paris; en moins de trois ans, il avait gaspillé, jeté au vent ses illusions, sa belle jeunesse et cinq cent mille francs à peu près qu’il tenait du chef de sa mère, morte alors qu’il n’était qu’un enfant.

 

Mais après trois ans d’ivresse, le réveil était venu, des créanciers habilement temporisés avaient fini par crier si haut que leurs clameurs étaient arrivées jusqu’aux oreilles du comte de Tressang, lequel avait signifié à son fils, déjà en perspective de Clichy, qu’il fallait payer et tout payer, dut-on pour cela vendre jusqu’au manoir de Tressang, ruine imposante et lézardée, qui croule à demi dans une plaine de Champagne.

Max s’était résigné.

Tout son patrimoine y avait à peine suffi.

Adieu prés, vignes, vallons, blanches métairies, bois verdoyants, tout, tout. Il est vrai de dire que le comte de Tressang, dont la fortune personnelle était fort considérable, avait tout racheté sans que Max s’en doutât.

Enfin la ruine était complète.

Le brillant vicomte Max, le roi du turf, le démon du tapis vert, l’idole des emprunteurs, le prince chéri des lorettes de haut parage, réduit à la portion congrue avait dû se résigner et courber sa tête altière sous les fourches caudines de la volonté paternelle.

De ce jour Max renonça à ses habitudes et parut fort résigné à sa position.

Abandonnant brusquement le tourbillon doré dont il était le parangon, il avait pris le masque trompeur de l’homme grave et désabusé; ne pouvant plus à son aise boire à la coupe, il avait déclaré sa soif assouvie; blasé maintenant, il haussait les épaules au récit des exploits de ses anciens compagnons, riant quand un infortuné néophite faisait quelque plongeon sinistre, ou qu’un nouveau venu brûlait ses ailes à la flamme de cet enfer immense qu’on appelle Paris.

Pauvre Max, il ne songeait que trop encore à ses ailes, à lui, qui sentaient si fort le roussi!

Et pourtant ce qu’il appelait sa portion congrue, c’eût été la fortune, une grande fortune pour bien d’autres.

– Mon fils, avait dit, en effet, le vieux comte de Tressang, vous voici sur la paille; cela devait être, je m’y attendais. J’eusse pu l’empêcher, je ne l’ai pas voulu; les hommes de notre maison ont l’habitude de payer leur dette à la jeunesse; n’y pensons plus. Votre mère était pauvre; ce qu’elle vous avait laissé a été fondu en moins de rien; heureusement pour vous, moi, je suis riche. Mais, comme malgré le repentir de vos erreurs passées, vous pourriez fort bien faire prendre à ma fortune le chemin qu’a pris celle de votre mère, j’y mets bon ordre; vous aurez ma maison, ma table, mes domestiques, mon écurie et, de plus, je vous compterai mille francs par mois; êtes-vous content?

– Oui, dit le vicomte au désespoir, oui, je suis très-content… Ce que j’ai de mieux à faire, avait-il pensé d’abord, est de me faire sauter la cervelle.

Mais la nuit aidant de ses conseils, il avait résolu d’accepter pour le moment, se réservant d’attendre, sans la désirer, la mort du comte.

On avait bien essayé de railler Max, mais il était, on le savait fort bien, homme à se fâcher; puis, il avait si bien fait, lui-même, les honneurs de sa noyade, comme on disait, que réellement rire eût été de mauvais ton.

Il restait encore un modèle du genre. Respect, donc, aux vaincus, c’est la devise de la chevalerie française.

Le premier moment passé, notre vicomte était devenu respectable aux yeux de tous, même de ses anciennes maîtresses qui, toutes, plus ou moins avaient mis à la caisse d’épargne, sur les fantaisies qui avaient ruiné le plus généreux des lions.

Elles avaient mis à la caisse d’épargne… qui n’y met pas en effet? Se ruiner aujourd’hui est devenu mauvais genre; chacun sent le prix de l’argent, on le garde pour soi et bien on fait. La pauvreté est à l’index, maintenant; notre siècle ne sait qu’une chose, mais il la sait fort bien, il compte comme Barême… on n’enseigne plus que cela… les poëtes, eux-mêmes, jouent à la hausse. Il n’y a plus que les niais qui ne gagnent pas d’argent.

Heureux siècle!

Or, le vicomte de Tressang, tout en fumant un délicieux panatellas plus jaune que l’ambre, et respirant la fraîcheur embaumée des grands arbres du jardin de l’hôtel, s’ennuyait et réfléchissait fort.

Il réfléchissait sur un livre que, par hasard, il avait ouvert la veille et qu’il n’avait pas compris du tout.

Ce livre c’était l’Amour, de Stendhal.

Max avait été frappé par quelques-unes des pensées qui lui étaient tombées sous les yeux, et tout en les commentant avec lui-même, il en était arrivé au titre du livre, l’Amour, et se demandait avec toute la bonne foi qu’on se doit à soi-même, à quoi s’en tenir sur l’existence de ce sentiment dont tout le monde parle, que chacun commente et que bien peu cependant ont réellement connu.

– C’est un fait douloureux à constater, se disait notre vicomte, mais en vérité je suis tenté de croire que le nom seul existe. Aujourd’hui, tout homme de vingt-cinq ans est plus ou moins blasé, suivant son milieu; à vingt-cinq ans, on a eu d’innombrables maîtresses, brunes ou blondes, bêtes ou spirituelles, jolies ou laides, vêtues de cotonnade ou de soie, le tout suivant ses moyens.

Si bien, que lorsque vient à sonner la trentaine, que l’existence de garçon est devenue intolérable ou impossible, que l’on est aux trois quarts ruiné, l’on éprouve le besoin d’unir sa destinée à quelque jeune vierge, le plus riche possible; on fait alors un mariage de raison, de convenance ou d’argent, les trois mots sont synonymes, et, ma foi! l’on émet bravement sa petite opinion sur la femme et sur l’amour.

Or, je me demande en quoi l’on voit la femme dans tout ceci? Est-ce la courtisane effrontée qui se donne et vous trompe pour de l’argent, ou la pauvre fille que vous prenez et que vous trompez pour le même motif? Je ne vois qu’un marché, là dedans, et aussi infâme des deux côtés.

Il est vrai que la société a énormément gagné à cette façon de voir.

Notre siècle offre la plus riche collection de jeunes vieillards aux lèvres pendantes, aux yeux hébétés, lions éreintés et sans crinières qui traînent, au soleil du boulevard, leur existence flétrie (sans compter ceux qui préfèrent un coup de pistolet), et qui, rendus fous par la satiété, l’impuissance et le désir, feront faire un pas de plus à la civilisation du vice.

Et des filles, donc!.. quelle variété étrange, infinie, depuis la malheureuse en haillons, jusqu’à l’impure de haut parage, depuis celle qui a faim, quelquefois, jusqu’à celle qui dévore des millions!

Max en était là de ses réflexions, lorsqu’il en fut tiré par un léger cri poussé par une voix jeune et fraîche. Le cri paraissait venir de l’extrémité du jardin.

Le vicomte s’ennuyait horriblement ce matin-là.

– Allons voir, se dit-il, et il descendit.

II
LA FENÊTRE DU CINQUIÈME
 
Sa beauté tient du prodige.
 
Fanny Fern.

Les jardins de l’hôtel de Tressang étaient entourés, vers le fond, par des maisons dont le comte avait à prix d’or fait boucher les ouvertures de ce côté; à l’une des maisons cependant, presque sous les toits, une fenêtre était restée dominant les grands arbres; c’est de là que partait la voix.

Lorsque Max arriva, il aperçut, imprudemment penchée, une jeune fille d’une admirable beauté; les soyeuses boucles de sa chevelure blonde s’échappaient à profusion d’un petit bonnet de percale bleue entouré d’une petite dentelle: elle cherchait à apercevoir un objet que les arbres lui cachaient sans doute; ses grands yeux étaient pleins de larmes.

La beauté de cette jeune fille éblouit le vicomte un moment.

– Auriez-vous, mademoiselle, dit-il, laissé échapper quelque chose?

– Oh! monsieur, oui, répondit-on; soyez bien bon, regardez par-là, sous les arbres, j’ai laissé tomber la cage de mon chardonneret et il est dedans, encore!

Max rentra sous les arbres et regarda vainement de tous côtés. Il revint à l’endroit d’où il pouvait apercevoir la jeune fille.

– Je n’ai rien vu, mademoiselle.

– Oh! mon Dieu, mon Dieu! la cage sera restée accrochée dans les branches, mon pauvre oiseau sera mort, bien sûr!..

– Croyez-vous que la cage soit réellement dans les branches?

– Mais j’en suis sûre.

– Alors, je vais y regarder.

– Je suis bien fâchée de la peine que vous prenez, monsieur, mais puisque vous avez cette complaisance, tenez, il doit être dans le grand tilleul.

Max montra un arbre.

– Là? dit-il.

– Non, non, l’autre, à côté, oui, celui-là!

– Alors, mademoiselle, je vais tâcher de me procurer une échelle et je…

– Une échelle!..

Et, malgré la distance, le vicomte vit très-bien un sourire à travers les larmes de la belle enfant.

– Au fait, pensa-t-il, en riant, je puis bien grimper à cet arbre, cette jeune fille est charmante, mon action n’en sera que plus méritoire.

Et Max, au détriment de ses mains blanches, escalada l’arbre, découvrit la cage, et toucha bientôt terre avec le précieux fardeau. La jeune fille avait pu suivre ses mouvements.

– Je le tiens! cria joyeusement le vicomte.

– Et mon chardonneret est-il vivant?

– Voyez: et Max reculait en élevant la cage; tenez, le voici qui mange.

– Oh! mille fois merci, monsieur.

– Je vais aller vous le porter, mademoiselle; dites-moi où je dois me présenter.

– Ne vous donnez pas cette peine, monsieur; j’ai de la corde, je vais détendre mon linge.

– Mais, mademoiselle, il me semble…

– Ce sera l’affaire d’une minute.

Et la jeune fille disparut.

– C’est qu’elle est admirablement belle, pensait Max. Quels cheveux! et ses yeux!..

Il était tout à l’admiration; mais l’instinct reprit le dessus:

– Chardonneret, mon ami, je voudrais être à ta place… et involontairement il mesurait la hauteur de la fenêtre.

La jeune fille reparut.

– Monsieur, monsieur, voici la corde.

– Bien, laissez-la descendre.

– Attachez la cage solidement, faites plusieurs nœuds.

– Oui, oui, soyez tranquille.

Max attacha la cage, la jeune fille hissa avec des précautions infinies l’oiseau chéri et sa prison; enfin il toucha le bord de la fenêtre, quel bonheur, alors!

– Merci, monsieur, cria-t-elle, merci de votre bonté, merci! merci!

Et la vision disparut.

Max se frotta les yeux.

– Est-ce bien moi, se dit-il, qui viens de grimper à cet arbre pour dénicher un chardonneret? (Son pantalon éraillé, une de ses mains écorchée, étaient là comme preuves). Et la petite qui ne m’a pas dit son nom… Je me suis conduit comme un lycéen; enfin je le saurai. Car il est impossible d’être plus jolie.

Il s’assit et resta longtemps sur un banc de gazon. La fenêtre restait toujours déserte.

– Allons, ce sera pour demain, dit-il, et il remonta à sa chambre; on commençait à s’éveiller dans l’hôtel.

Le vicomte alluma encore un cigare, s’étendit sur son divan, et finit par s’endormir. Il rêva qu’il avait un million de rente, et se promenait dans une calèche d’or massif, traînée par six chevaux d’un prix fabuleux, avec la jeune fille au chardonneret.

III
UN BOHÈME
 
Pour l’honneur de la littérature et
des arts, il me faut cinq francs.
 
L. Leozou.

– Monsieur, dit un domestique en entrant, il y a en bas, un monsieur assez mal mis, qui, malgré l’heure, insiste pour être introduit près monsieur le vicomte; il se nomme M. Clodomir.

– Faites monter bien vite; et Max s’avança rapidement vers la porte.

Hâtons-nous d’excuser le vicomte, l’homme impassible, aux émotions éteintes. Clodomir, ou plutôt Horace Maisans, était son meilleur ami; enfants, ils avaient joué ensemble; au collége, ils s’étaient assis sur les mêmes bancs, partageant toutes leurs pensées; puis, malgré la différence de fortune, ils s’étaient vus souvent à Paris. Clodomir, en dépit de toute sa famille, se destinait à la littérature et, abandonné de son père, subissait à Paris toutes les rigueurs de la plus horrible des misères, celle de l’artiste. Tandis que le père Maisans, riche et entêté bourgeois de Mâcon, se plaignait à tout venant des «débordements» de son fils, qui avaient hâté la chute de ses cheveux, et devaient tôt ou tard, disait-il, le conduire à l’hôpital.

Un jeune homme aux traits fatigués, aux formes grêles, aux mains amaigries, mais à la physionomie noble et intelligente, parut sur le seuil et serra cordialement les mains de Max.

– Pardieu! s’écria celui-ci, c’est fort heureux enfin, que tu daignés me venir voir! mais cela va changer: d’abord, où demeures-tu?

 

– Ma foi! nulle part pour le moment; c’est même, je dois l’avouer, ce qui m’amène; je viens t’emprunter quarante francs.

– Tu ne demeures nulle part, tu viens m’emprunter quarante francs… que diable vas-tu faire avec cela? partage ce qui me reste, au moins.

– Merci, cher ami, j’ai dit quarante francs, c’est juste ce qu’il me faut, et Dieu seul sait quand je pourrai te les rendre!

– Me les rendre!.. mais crois-tu donc…

– Pardon, pardon! Tiens-tu à mon amitié?

– Quelle question!

– Alors, prête-moi ce que je te demande, rien de plus, et laisse-moi te dire que je te le rendrai.

– Mon cher, en vérité, je ne vois pas le rapport…

– Mais, ne fût-ce que pour épargner mon amour-propre;… puis, pour conserver un ami, on doit lui avoir le moins d’obligations possible.

– Quelle déplorable théorie, comme si les devoirs de l’amitié…

– Oh! le joli mot.

– Ah ça, tu ne crois donc à rien?

– A peu de choses du moins; mais sérieusement, puisque tu parles de théorie, veux-tu la mienne?

– Expose…

– Eh bien, admets que l’amitié soit un lien très-fort, j’y consens; mais, pour briser ce lien, il suffit de bien peu de chose, d’un rien; je vais plus loin: sans égalité, pas d’amitié possible. Dans le sens vrai du mot, moi ton obligé, je ne suis plus ton égal; je n’ai plus mon franc-dire; mon opinion, ma pensée, tombent sous ta dépendance…

– Quel ridicule orgueil!

– C’est comme cela pourtant… Puis un jour, que sais-tu? je puis aller trop loin, à ton avis; un ami, c’est un tyran parfois… il est des circonstances où votre meilleur ami devient inexorable comme un remords, et il le doit, c’est dans son rôle. Si j’en venais là, un jour, moi, ton obligé; moi, pauvre hère, vis-à-vis de toi, grand seigneur, que dirais-tu? T’en doutes-tu, seulement? Tu dirais: ce rimailleur insipide, que jadis je tirai de la crotte…

– Mais, Clodomir, tu es insultant, ce matin.

– Non, mon cher, ami; seulement ton point de vue n’est pas le mien, tu es plus jeune, encore; attends quelques années… Mais, veux-tu? parlons d’autre chose.

– Volontiers; mais avant, voici ma bourse, – Max ouvrit son secrétaire, – puise. Maintenant, dis-moi comment il se fait que tu ne loges nulle part?

– Ah! tu rouvres ma plaie; si je ne loge nulle part, c’est que nous sommes au 15 juillet.

– Eh bien?

– Le 8 juillet, c’est le jour du terme…

– Alors?..

– Ce jour-là, les propriétaires ont la plate coutume d’exiger le payement du terme.

– De sorte?..

– De sorte que, comme je devais déjà la moitié d’un terme, un huissier, moyennant cinq francs, est venu me prier poliment de chercher asile ailleurs.

– Comment! mais tes meubles, tes effets?

Clodomir se mit à rire de bon cœur.

– Mes meubles! je les laisse volontiers en gage: un lit de sangle et une paillasse, c’était mon mobilier… Quant à mes effets, examine ces vêtements dont la coupe élégante fait ressortir encore l’étoffe.

– Oui, la coupe me semble originale.

– Eh bien, tu as vu mes effets. Mais sois sans peur, j’ai sauvé les papiers, un drame romantique dont chaque scène exige un nouveau décor; le premier acte commence sur le Mont-Blanc et le neuvième et dernier finit dans une mine de Sibérie!.. Le tout en vers, orné de calembours et autres jeux d’esprit, avec danses au troisième acte et une charade offerte au public au quatrième. Est-ce neuf, cela?.. Le spectateur qui aura deviné, recevra quelque chose en prime, un rien, un volume de mes vers, en ajoutant seulement quatre francs de retour. Que dis-tu de mon idée?

Clodomir, tout en débitant cette tirade avec une volubilité de saltimbanque, avait gardé un si profond sérieux, que Max était au comble de la stupéfaction. Il en était à se demander si ce pauvre Clodomir n’avait pas quelque peu l’esprit dérangé; le bohême, heureusement, éclata de rire.

– C’est fort joli, dit Max, mais enfin où logeais-tu quand tu avais un logement?

– Quand j’avais un logement, ô mon ami le cher vicomte, je n’avais pas d’habits.

– Pas d’habits!.. scanda Max qui tombait de surprise en surprise.

– Pas assez, du moins, pour te venir voir. Je ne t’ai pas prié de passer chez moi, parce que je n’avais pas de chaise où te faire asseoir; voilà le vrai. Si tu tiens maintenant à savoir où je demeurais, c’est ici tout contre: je pouvais même apercevoir tes jardins de la fenêtre d’un voisin.

– Comment, cette petite fenêtre ici au bout?

– Précisément.

– Mais c’est une jeune fille qui y demeure, une ravissante créature, même.

– Ah! dit le bohême quittant son air railleur, tu la connais?

– Oui et non. C’est une pastorale dont je puis te régaler après déjeuner, car tu déjeunes avec moi, n’est-ce pas?

– Je n’y vois pas d’inconvénient.

Le vicomte sonna pour déjeuner, quoiqu’il ne fût que dix heures et demie, puis Clodomir se mit à raconter ses aventures depuis un an qu’il n’avait vu Maxime de Tressang.

IV
 
Ils ne craignent qu’une chose: le ridicule.
 
Stendhal.

On venait de servir le café. Max, tout en offrant d’excellents cigares à son ami, lui disait:

– Maintenant je vais tenir ma promesse, puisque tu insistes tant, et te faire, en prose, par exemple, le récit de mon églogue.

– C’est très-poétique, en effet, raconté par toi surtout; mais y aurait-il indiscrétion à te demander tes intentions au sujet de cette jeune fille?

– Pardieu non, c’est bien simple…

– Que vas-tu faire?

– Tout bonnement lui donner un appartement assez gentil pour lui servir de cadre, puis une voiture; et dans trois mois, si elle est aussi spirituelle que jolie, elle me quittera un beau matin, moi, pauvre vicomte en tutelle, pour quelque autre plus fortuné que ton serviteur, un prince russe, par exemple… Mais au moins, je l’aurai lancée, je lui aurai rendu service…

– Il est joli le service!.. Mais c’est tout simplement une infamie que tu médites, Max!

Le vicomte se prit à rire, mais à rire!..

– Oui, une infamie. Qui te dit, d’abord, que cette jeune fille ne rejettera pas tes offres avec indignation?

– Elle ne les refusera pas.

– Qui te dit qu’elle n’est pas laborieuse et sage, tenant autant à son honneur que la plus altière duchesse de ton noble faubourg?

– Quoi! vraiment, mon pauvre Clodomir? reprit le vicomte d’un air de compassion; toi le sceptique de tout à l’heure, tu as encore la faiblesse de croire à ces choses-là!

– Oui, j’y crois, et fermement encore; puis d’ailleurs, que t’importe?.. vertueuse ou non, de quel droit viendrais-tu troubler son existence… Si elle est sage, pourquoi jouer le rôle du tentateur? pourquoi la faire déchoir, pourquoi désirer une malheureuse de plus?.. Si elle ne l’est pas, tu n’auras même pas le plaisir de la nouveauté.

Max souriait d’un air fin.

– Je comprends, dit-il.

– Que comprends-tu?

– Dis-moi combien de temps tu es resté le voisin de cette voisine?

– Un an et demi environ.

– Et alors tu redoutes que je n’aille sur tes brisées…

– Moi, je te jure…

– Ne jure pas.

– Je te donne ma parole d’honneur que je ne lui ai pas parlé dix fois, et qu’une seule fois, par hasard et en son absence, je suis entré chez elle.

– Mais alors ce fougueux intérêt?..

– J’ai pour elle l’intérêt que mérite une pauvre fille sage, laborieuse, sans amis, sans soutiens.

– Mais, Clodomir, pourquoi ne pas dire tout simplement?..

– Eh! mon Dieu, mon cher, je n’ai rien à dire.

– Prends garde, tu me laisses le champ libre; allons, avoue-le-moi, tu l’aimes?..

– Mais pas du tout!.. Voilà comme sont bien des hommes, toujours un intérêt caché fait agir, n’est-ce pas?.. Eh bien, non, je t’ai dit à propos de Louise…

– Ah! elle se nomme Louise.

– Ou Jeanne ou Julie, je ne sais trop, dit Clodomir d’un air très-impatienté qui amusait beaucoup Max… Je t’ai dit, à propos de cette jeune fille, ce que je t’aurais dit de tout autre en pareil cas: une action semblable est une infamie… Ris tant que tu voudras, c’est une tache à ton blason.

– Allons, Clodomir, c’est ta maîtresse…

– Non, sur l’honneur!

– Alors, c’est bien, rappelle-toi que je t’ai averti.

Quelques amis du vicomte vinrent à entrer. Max, sans leur dire son expédition du matin, leur raconta comme quoi il était amoureux, et les fit rire prodigieusement en leur faisant part des vertueux scrupules de Clodomir.

Les nouveaux venus regardaient avec surprise le bohême, dont la mise négligée ressortait davantage encore, au milieu des toilettes soignées qui l’entouraient.

Chacun voulut prendre part à la discussion morale qui s’éleva au sujet de la jeune fille. C’était à qui placerait un mot spirituel ou profond, suivant son caractère.

Clodomir, seul de son opinion, tenait tête à tous.

La discussion s’anima, on en vint aux personnalités.

– C’est votre maîtresse, décidément.

– Comptez-vous l’épouser, que vous revendiquez le droit de défendre sa vertu?

– C’est votre sœur peut-être, que vous n’osez avouer? s’écria tout à coup le chevalier de Castelmoron, une espèce de fat, dont le père, nommé Trippard, était marchand de chevaux.

– Comme vous l’entendez, non, s’écria Clodomir, la joue empourprée et la voix tremblante… comme vous l’entendez, non, monsieur, ce n’est pas ma parente, mais elle est ma sœur au nom de l’humanité que vous oubliez…