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Le petit vieux des Batignolles

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Cependant, bien loin de nous faire place, elle se cramponnait plus fortement au chambranle, jurant que son mari était innocent; déclarant que si on le conduisait en prison, elle le suivrait, tantôt nous menaçant et nous accablant d’invectives, tantôt nous suppliant de sa voix la plus douce…

Puis, quand elle comprit que rien ne nous empêcherait de remplir notre devoir, elle lâcha la porte, et, se jetant au cou de son mari: «O cher bien-aimé, gémissait-elle, est-ce possible qu’on t’accuse d’un crime, toi… toi!.. Dis-leur donc, à ces hommes, que tu es innocent!..»

Vrai, nous étions tous émus, mais lui, plus insensible que nous, il eut la barbarie de repousser sa pauvre femme si brutalement qu’elle alla tomber comme une masse dans un coin de l’arrière-boutique…

C’était la fin heureusement.

La femme étant évanouie, nous en profitâmes pour emballer le mari dans le fiacre qui nous avait amenés.

Emballer est bien le mot, car il était devenu comme une chose inerte, il ne tenait plus debout, il fallut le porter… Et pour ne rien oublier, je dois dire que son chien, une espèce de roquet noir, voulait absolument sauter avec nous dans la voiture, et que nous avons eu mille peines à nous en débarrasser.

En route, comme de juste, Goulard essaya de distraire notre prisonnier et de le faire jaser… Mais impossible de lui tirer une parole du gosier. Ce n’est qu’en arrivant à la préfecture qu’il parut reprendre connaissance. Quand il fut bien et dûment installé dans une cellule des «secrets,» il se jeta sur son lit à corps perdu en répétant:

« – Que vous ai-je fait, ô mon Dieu, que vous ai-je fait!..»

A ce moment Goulard s’approcha de lui, et pour la seconde fois: – «Ainsi, interrogea-t-il, vous vous avouez coupable!» – De la tête, Monistrol fit: «Oui, oui!..» puis d’une voix rauque: «Je vous en prie, laissez-moi seul!» dit-il.

C’est ce que nous avons fait, après avoir eu soin, toutefois, de placer un surveillant en observation au guichet de la cellule, pour le cas où le gaillard essayerait d’attenter à ses jours…

Goulard et Poltin sont restés là-bas, et moi, me voilà!..

– C’est précis, grommela le commissaire, c’est on ne peut plus précis…

C’était aussi l’opinion du juge, car il murmura:

– Comment, après cela, douter de la culpabilité de Monistrol?

Moi, j’étais confondu, et cependant mes convictions étaient inébranlables. Et même, j’ouvrais la bouche pour hasarder une objection, quand M. Méchinet me prévint.

– Tout cela est bel et bon!.. s’écria-t-il. Seulement, si nous admettons que Monistrol est l’assassin, nous sommes aussi forcés d’admettre que c’est lui qui a écrit son nom, là, par terre… et dame! ça, c’est roide…

– Bast! interrompit le commissaire, du moment où l’inculpé avoue, à quoi bon se préoccuper d’une circonstance que l’instruction expliquera…

Mais l’observation de mon voisin avait réveillé toutes les perplexités du juge. Aussi, sans se prononcer:

– Je vais me rendre à la préfecture, déclara-t-il, je veux interroger Monistrol ce soir même.

Et après avoir recommandé au commissaire de police de bien remplir toutes les formalités et d’attendre les médecins mandés pour l’autopsie du cadavre, il s’éloigna, suivi de son greffier, et de l’agent qui était venu nous annoncer le succès de l’arrestation.

– Pourvu que ces diables de médecins ne se fassent pas trop attendre! gronda le commissaire, qui songeait à son dîner.

Ni M. Méchinet ni moi ne lui répondîmes. Nous demeurions debout, en face l’un de l’autre, obsédés évidemment par la même idée.

– Après tout, murmura mon voisin, peut-être est-ce le vieux qui a écrit…

– Avec la main gauche, alors?.. Est-ce possible!.. Sans compter que la mort de ce pauvre bonhomme a dû être instantanée…

– En êtes-vous sûr?..

– D’après sa blessure, j’en ferais le serment… D’ailleurs, des médecins vont venir, qui vous diront si j’ai raison ou tort…

M. Méchinet tracassait son nez avec une véritable frénésie.

– Peut-être, en effet, y a-t-il là-dessous quelque mystère, dit-il… ce serait à voir…

C’est une enquête à refaire… Soit, refaisons-la… Et pour commencer, interrogeons la portière…

Et courant à l’escalier, il se pencha sur la rampe, criant:

– La concierge!.. Hé! la concierge! montez un peu, s’il vous plaît…

V

En attendant que montât la concierge, M. Méchinet procédait à un rapide et sagace examen du théâtre du crime.

Mais c’est surtout la serrure de la porte d’entrée de l’appartement qui attirait son attention. Elle était intacte et la clef y jouait sans difficulté. Cette circonstance écartait absolument l’idée d’un malfaiteur étranger s’introduisant de nuit à l’aide de fausses clefs.

De mon côté, machinalement, ou plutôt inspiré par l’étonnant instinct qui s’était révélé en moi, je venais de ramasser ce bouchon à demi-recouvert de cire verte que j’avais remarqué à terre.

Il avait servi, et du côté de la cire, gardait les traces du tire-bouchon; mais, de l’autre bout, se voyait une sorte d’entaille assez profonde, produite évidemment par un instrument tranchant et aigu.

Soupçonnant l’importance de ma découverte, je la communiquai à M. Méchinet, et il ne put retenir une exclamation de plaisir.

– Enfin! s’écria-t-il, nous tenons donc enfin un indice!.. Ce bouchon, c’est l’assassin qui l’a laissé tomber ici… Il y avait fiché la pointe fragile de l’arme dont il s’est servi. Conclusion: l’instrument du meurtre est un poignard à manche fixe, et non un de ces couteaux qui se ferment… Avec ce bouchon, je suis sûr d’arriver au coupable quel qu’il soit!..

Le commissaire de police achevait sa besogne dans la chambre, nous étions, M. Méchinet et moi, restés dans le salon, lorsque nous fûmes interrompus par le bruit d’une respiration haletante.

Presque aussitôt, se montra la puissante commère que j’avais aperçue dans le vestibule pérorant au milieu des locataires.

C’était la portière, plus rouge, s’il est possible, qu’à notre arrivée.

– Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur? demanda-t-elle à M. Méchinet.

– Asseyez-vous, madame, répondit-il.

– Mais, monsieur, c’est que j’ai du monde en bas…

– On vous attendra… je vous dis de vous asseoir.

Interloquée par le ton de M. Méchinet, elle obéit. Alors lui, la fixant de ses terribles petits yeux gris:

– J’ai besoin de certains renseignements, commença-t-il, et je vais vous interroger. Dans votre intérêt, je vous conseille de répondre sans détours. Et d’abord, quel est le nom de ce pauvre bonhomme qui a été assassiné?

– Il s’appelait Pigoreau, mon bon monsieur, mais il était surtout connu sous le nom d’Anténor, qu’il avait pris autrefois, comme étant plus en rapport avec son commerce.

– Habitait-il la maison depuis longtemps?

– Depuis huit ans.

– Où demeurait-il avant?

– Rue Richelieu, où il avait son magasin… car il avait été établi, il avait été coiffeur, et c’est dans cet état qu’il avait gagné sa fortune.

– Il passait donc pour riche?

– J’ai entendu dire à sa nièce qu’il ne se laisserait pas couper le cou pour un million.

A cet égard, la prévention devait être fixée, puisqu’on avait inventorié les papiers du pauvre vieux.

– Maintenant, poursuivit M. Méchinet, quel espèce d’homme était ce sieur Pigoreau, dit Anténor?

– Oh! la crème des hommes, cher bon monsieur, répondit la concierge… Il était bien tracassier, maniaque, grigou comme il n’est pas possible, mais il n’était pas fier… Et si drôle, avec cela!.. On aurait passé ses nuits à l’écouter, quand il était en train… C’est qu’il en savait de ces histoires! Pensez donc, un ancien coiffeur, qui avait, comme il disait, frisé les plus belles femmes de Paris…

– Comment vivait-il?

– Comme tout le monde… Comme les gens qui ont des rentes, s’entend, et qui cependant tiennent à leur monnaie.

– Pouvez-vous me donner quelques détails?

– Oh! pour cela, je le pense, vu que c’est moi qui avais soin de son ménage… Et cela ne me donnait guère de peine, car il faisait presque tout, balayant, époussetant et frottant lui-même… C’était sa manie, quoi! Donc, tous les jours que le bon Dieu faisait, à midi battant, je lui montais une tasse de chocolat. Il la buvait, il avalait par-dessus un grand verre d’eau, et c’était son déjeuner. Après il s’habillait, et ça le menait jusqu’à deux heures, car il était coquet et soigneux de sa personne plus qu’une mariée. Sitôt paré, il sortait pour se promener dans Paris. A six heures, il s’en allait dîner dans une pension bourgeoise, chez les demoiselles Gomet, rue de la Paix. Après son dîner il courait prendre sa demi-tasse et faire sa fine partie au café Guerbois… et à onze heures il rentrait se coucher. Enfin, il n’avait qu’un défaut, le pauvre bonhomme… Il était porté sur le sexe. Même souvent, je lui disais: – «A votre âge, n’avez-vous pas de honte!..» Mais on n’est pas parfait, et on comprend ça d’un ancien parfumeur, qui avait eu dans sa vie des tas de bonnes fortunes…

Un sourire obséquieux errait sur les lèvres de la puissante concierge, mais rien n’était capable de dérider M. Méchinet.

– M. Pigoreau recevait-il beaucoup de monde? continua-t-il.

– Très-peu… Je ne voyais guère venir chez lui que son neveu, M. Monistrol, à qui, tous les dimanches, il payait à dîner chez le père Lathuile.

– Et comment étaient-ils ensemble, l’oncle et le neveu?

– Comme les deux doigts de la main.

– Ils n’avaient jamais de discussions?

– Jamais!.. sauf qu’ils étaient toujours à se chamailler à cause de madame Clara.

– Qui est cette madame Clara?

– La femme de M. Monistrol, donc, une créature superbe… Défunt le père Anténor ne pouvait la souffrir. Il disait que son neveu l’aimait trop, cette femme, qu’elle le menait par le bout du nez, et qu’elle lui en faisait voir de toutes les couleurs… Il prétendait qu’elle n’aimait pas son mari, qu’elle avait un genre trop relevé pour sa position, et qu’elle finirait par faire des sottises… Même, madame Clara et son oncle ont été brouillés, à la fin de l’année dernière. Elle voulait que le bonhomme prêtât cent mille francs à M. Monistrol pour prendre un fonds de bijoutier au Palais-Royal. Mais il refusa, déclarant qu’on ferait de sa fortune ce qu’on voudrait, après sa mort, mais que jusque-là, l’ayant gagnée, il prétendait la garder et en jouir…

 

Je croyais que M. Méchinet allait insister sur cette circonstance, qui me paraissait très-grave… point. En vain, je multipliais les signes, il poursuivit:

– Reste à savoir par qui le crime a été découvert?

– Par moi, mon bon monsieur, par moi! gémit la portière. Ah! c’est épouvantable! Figurez-vous que ce matin, sur le coup de midi, comme à l’ordinaire, je monte au père Anténor son chocolat… Faisant le ménage, j’ai une clef de l’appartement… J’ouvre, j’entre, et qu’est-ce que je vois… Ah! mon Dieu!..

Et elle se mit à pousser des cris perçants…

– Cette douleur prouve votre bon cœur, madame, fit gravement M. Méchinet… Seulement, comme je suis fort pressé, tâchez de la maîtriser… Qu’avez-vous pensé, en voyant votre locataire assassiné?..

– J’ai dit à qui a voulu l’entendre: c’est son neveu, le brigand, qui a fait le coup pour hériter.

– D’où vous venait cette certitude?.. car, enfin, accuser un homme d’un si grand crime, c’est le pousser à l’échafaud…

– Eh! monsieur, qui donc serait-ce?.. M. Monistrol est venu voir son oncle hier soir, et quand il est sorti il était près de minuit… même, lui qui me parle toujours, il ne m’a rien dit ni en arrivant ni en s’en allant… Et depuis ce moment, jusqu’à celui où j’ai tout découvert, personne, j’en suis sûre, n’est monté chez M. Anténor…

Je l’avoue, cette déposition me confondait.

Naïf encore, je n’aurais pas eu l’idée de poursuivre cet interrogatoire. Par bonheur, l’expérience M. Méchinet était grande, et il possédait à fond cet art si difficile de tirer des témoins toute la vérité.

– Ainsi, madame, insista-il, vous êtes certaine que Monistrol est venu hier soir?

– Certaine.

– Vous l’avez bien vu, bien reconnu?..

– Ah! permettez… je ne l’ai pas dévisagé. Il a passé très-vite, en tâchant de se cacher, comme un brigand qu’il est, et le corridor est mal éclairé…

Je bondis, à cette réponse d’une incalculable portée, et m’avançant vers la concierge:

– S’il en est ainsi, m’écriai-je, comment osez-vous affirmer que vous avez reconnu M. Monistrol?

Elle me toisa, et avec un sourire ironique:

– Si je n’ai pas vu la figure du maître, répondit-elle, j’ai vu le museau du chien… Comme je le caresse toujours, il est entré dans ma loge, et j’allais lui donner un os de gigot quand son maître l’a sifflé.

Je regardais M. Méchinet, anxieux de savoir ce qu’il pensait de ces réponses, mais son visage gardait fidèlement le secret de ses impressions.

Il ajouta seulement:

– De quelle race est le chien de M. Monistrol?

– C’est un loulou, comme les conducteurs en avaient autrefois, tout noir, avec une tache blanche au-dessus de l’oreille; on l’appelle Pluton.

M. Méchinet se leva.

– Vous pouvez vous retirer, dit-il à la portière, je suis fixé.

Et, quand elle fut sortie:

– Il me paraît impossible, fit-il, que le neveu ne soit pas le coupable.

Cependant, les médecins étaient arrivés pendant ce long interrogatoire et, quand ils eurent achevé l’autopsie, leur conclusion fut:

«La mort du sieur Pigoreau a certainement été instantanée. Donc, ce n’est pas lui qui a tracé ces cinq lettres: Monis que nous avons vues sur le parquet, près du cadavre…»

Ainsi, je ne m’étais pas trompé.

– Mais si ce n’est pas lui, s’écria M. Méchinet, qui donc est-ce?.. Monistrol… Voilà ce qu’on ne me fera jamais entrer dans la cervelle.

Et comme le commissaire, ravi de pouvoir enfin aller dîner, le raillait de ses perplexités; perplexités ridicules, puisque Monistrol avait avoué:

– Peut-être en effet ne suis-je qu’un imbécile, dit-il, c’est ce que l’avenir décidera… Et en attendant, venez, mon cher monsieur Godeuil, venez avec moi à la préfecture…

VI

De même que pour venir aux Batignolles, nous prîmes un fiacre pour nous rendre à la préfecture de police.

La préoccupation de M. Méchinet était grande: ses doigts ne cessaient de voyager de sa tabatière vide à son nez, et je l’entendais grommeler entre ses dents:

– J’en aurai le cœur net! Il faut que j’en aie le cœur net.

Puis il sortait de sa poche le bouchon que je lui avais remis, il le tournait et le retournait avec des mines de singe épluchant une noix et murmurait:

– C’est une pièce à conviction, cependant… il doit y avoir un parti à tirer de cette cire verte…

Moi, enfoncé dans mon coin, je ne soufflais mot.

Assurément ma situation était des plus bizarres, mais je n’y songeais pas. Tout ce que j’avais d’intelligence était absorbé par cette affaire; j’en ruminais dans mon esprit les éléments divers et contradictoires, et je m’épuisais à pénétrer le secret du drame que je pressentais.

Lorsque notre voiture s’arrêta, il faisait nuit noire.

Le quai des Orfévres était désert et silencieux: pas un bruit, pas un passant. Les rares boutiques des environs étaient fermées. Toute la vie du quartier s’était réfugiée dans le petit restaurant qui fait presque le coin de la rue de Jérusalem, et sur les rideaux rouges de la devanture se dessinait l’ombre des consommateurs.

– Vous laissera-t-on arriver jusqu’au prévenu? demandai-je à M. Méchinet.

– Assurément, me répondit-il. Ne suis-je pas chargé de suivre l’affaire… Ne faut-il pas que selon les nécessités imprévues de l’enquête, je puisse, à toute heure de jour et de nuit, interroger le détenu!..

Et d’un pas rapide, il s’engagea sous la voûte, en me disant:

– Arrivez, arrivez, nous n’avons pas de temps à perdre.

Il n’était pas besoin qu’il m’encourageât. J’allais à sa suite, agité d’indéfinissables émotions et tout frémissant d’une vague curiosité.

C’était la première fois que je franchissais le seuil de la préfecture de police, et Dieu sait quels étaient alors mes préjugés.

– Là, me disais-je, non sans un certain effroi, là est le secret de Paris…

J’étais si bien abîmé dans mes réflexions, qu’oubliant de regarder à mes pieds, je faillis tomber.

Le choc me ramena au sentiment de la situation.

Nous longions alors un immense couloir aux murs humides et au pavé raboteux. Bientôt mon compagnon entra dans une petite pièce où deux hommes jouaient aux cartes pendant que trois ou quatre autres fumaient leur pipe, étendus sur un lit de camp. Il échangea avec eux quelques paroles qui n’arrivèrent pas jusqu’à moi qui restais dehors, puis il ressortit et nous nous remîmes en marche.

Ayant traversé une cour et nous étant engagés dans un second couloir, nous ne tardâmes pas à arriver devant une grille de fer à pesants verrous et à serrure formidable.

Sur un mot de M. Méchinet, un surveillant nous l’ouvrit, cette grille; nous laissâmes à droite une vaste salle où il me sembla voir des sergents de ville et des gardes de Paris, et enfin, nous gravîmes un escalier assez roide.

Au haut de cet escalier, à l’entrée d’un étroit corridor percé de quantité de petites portes, était assis un gros homme à face joviale, qui certes n’avait rien du classique geôlier.

Dès qu’il aperçut mon compagnon:

– Eh! c’est M. Méchinet! s’écria-t-il…

Ma foi! je vous attendais… Gageons que vous venez pour l’assassin du petit vieux des Batignolles.

– Précisément. Il y a-t-il du nouveau?

– Non.

– Cependant le juge d’instruction doit être venu.

– Il sort d’ici.

– Eh bien?..

– Il n’est pas resté trois minutes avec l’accusé, et en le quittant il avait l’air très-satisfait. Au bas de l’escalier, il a rencontré M. le directeur, et il lui a dit: «C’est une affaire dans le sac; l’assassin n’a même pas essayé de nier…»

M. Méchinet eut un bond de trois pieds, mais le gardien ne le remarqua pas, car il reprit:

– Du reste, ça ne m’a pas surpris… Rien qu’en voyant le particulier, quand on me l’a amené, j’ai dit: «En voilà un qui ne saura pas se tenir.»

– Et que fait-il maintenant?

– Il geint… On m’a recommandé de le surveiller, de peur qu’il ne se suicide, et comme de juste, je le surveille… mais c’est bien inutile… C’est encore un de ces gaillards qui tiennent plus à leur peau qu’à celle des autres…

– Allons le voir, interrompit M. Méchinet, et surtout pas de bruit…

Tous trois, aussitôt, sur la pointe des pieds, nous nous avançâmes jusqu’à une porte de chêne plein, percée à hauteur d’homme d’un guichet grillé.

Par ce guichet, on voyait tout ce qui se passait dans la cellule, éclairée par un chétif bec de gaz.

Le gardien donna d’abord un coup d’œil, M. Méchinet regarda ensuite, puis vint mon tour…

Sur une étroite couchette de fer recouverte d’une couverture de laine grise à bandes jaunes, j’aperçus un homme couché à plat ventre, la tête cachée entre ses bras à demi repliés.

Il pleurait: le bruit sourd de ses sanglots arrivait jusqu’à moi, et par instants un tressaillement convulsif le secouait de la tête aux pieds.

– Ouvrez-nous, maintenant, commanda M. Méchinet au gardien.

Il obéit et nous entrâmes.

Au grincement de la clef, le prisonnier s’était soulevé et assis sur son grabat, les jambes et les bras pendants, la tête inclinée sur la poitrine, il nous regardait d’un air hébêté.

C’était un homme de trente-cinq à trente-huit ans, d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, mais robuste, avec un cou apoplectique enfoncé entre de larges épaules. Il était laid; la petite vérole l’avait défiguré, et son long nez droit et son front fuyant lui donnaient quelque chose de la physionomie stupide du mouton. Cependant, ses yeux bleus étaient très-beaux, et il avait les dents d’une remarquable blancheur…

– Eh bien! monsieur Monistrol, commença M. Méchinet, nous nous désolons donc!

Et l’infortuné ne répondant pas:

– Je conviens, poursuivit-il, que la situation n’est pas gaie… Cependant, si j’étais à votre place, je voudrais prouver que je suis un homme. Je me ferais une raison, et je tâcherais de démontrer mon innocence.

– Je ne suis pas innocent.

Cette fois, il n’y avait ni à équivoquer ni à suspecter l’intelligence d’un agent, c’était de la bouche même du prévenu que nous recueillions le terrible aveu.

– Quoi! exclama M. Méchinet, c’est vous qui…

L’homme s’était redressé sur ses jambes titubantes, l’œil injecté, la bouche écumante, en proie à un véritable accès de rage.

– Oui, c’est moi, interrompit-il, moi seul. Combien de fois faudra-t-il donc que je le répète?.. Déjà, tout à l’heure, un juge est venu, j’ai tout avoué et signé mes aveux… Que demandez-vous de plus? Allez, je sais ce qui m’attend, et je n’ai pas peur… J’ai tué, je dois être tué!.. Coupez-moi donc le cou, le plus tôt sera le mieux…

Un peu étourdi d’abord, M. Méchinet s’était vite remis.

– Un instant, que diable! dit-il; on ne coupe pas le cou aux gens comme cela… D’abord, il faut qu’ils prouvent qu’ils sont coupables… Puis, la justice comprend certains égarements, certaines fatalités, si vous voulez, et c’est même pour cela qu’elle a inventé les circonstances atténuantes.

Un gémissement inarticulé fut la seule réponse de Monistrol, et M. Méchinet continua:

– Vous lui en vouliez donc terriblement à votre oncle?

– Oh! non!

– Alors, pourquoi?..

– Pour hériter. Mes affaires étaient mauvaises, allez aux informations… J’avais besoin d’argent, mon oncle, qui était très-riche, m’en refusait…

– Je comprends, vous espériez échapper à la justice…

– Je l’espérais.

Jusqu’alors, je m’étais étonné de la façon dont M. Méchinet conduisait ce rapide interrogatoire, mais maintenant je me l’expliquais… Je devinais la suite, je voyais quel piége il allait tendre au prévenu.

– Autre chose, reprit-il brusquement; où avez-vous acheté le revolver qui vous a servi à commettre le meurtre?

Nulle surprise ne parut sur le visage de Monistrol.

– Je l’avais en ma possession depuis longtemps, répondit-il.

– Qu’en avez-vous fait après le crime?

– Je l’ai jeté sur le boulevard extérieur.

– C’est bien, prononça gravement M. Méchinet, on fera des recherches et on le retrouvera certainement.

Et après un moment de silence:

– Ce que je ne m’explique pas, ajouta-t-il, c’est que vous vous soyez fait suivre de votre chien…

 

– Quoi! comment!.. mon chien…

– Oui, Pluton… la concierge l’a reconnu…

Les poings de Monistrol se crispèrent, il ouvrit la bouche pour répondre, mais une réflexion soudaine traversant son esprit, il se rejeta sur son lit en disant d’un accent d’inébranlable résolution:

– C’est assez me torturer, vous ne m’arracherez plus un mot…

Il était clair qu’à insister on perdrait sa peine.

Nous nous retirâmes donc, et une fois dehors, sur le quai, saisissant le bras de M. Méchinet:

– Vous l’avez entendu, lui dis-je, ce malheureux ne sait seulement pas de quelle façon a péri son oncle… Est-il possible encore de douter de son innocence!..

Mais c’était un terrible sceptique, que ce vieux policier.

– Qui sait!.. répondit-il… j’ai vu de fameux comédiens en ma vie… Mais en voici assez pour aujourd’hui… ce soir, je vous emmène manger ma soupe… Demain, il fera jour et nous verrons…

VII

Il n’était pas loin de dix heures lorsque M. Méchinet, que j’escortais toujours, sonna à la porte de son appartement.

– Je n’emporte jamais de passe-partout, me dit-il. Dans notre sacré métier, on ne sait jamais ce qui peut arriver… Il y a bien des gredins qui m’en veulent, et si je ne suis pas toujours prudent pour moi, je dois l’être pour ma femme.

L’explication de mon digne voisin était superflue: j’avais compris. J’avais même observé qu’il sonnait d’une façon particulière, qui devait être un signal convenu entre sa femme et lui.

Ce fut la gentille madame Méchinet qui vint nous ouvrir.

D’un mouvement preste et gracieux autant que celui d’une chatte, elle sauta au cou de son mari, en s’écriant:

– Te voilà donc!.. je ne sais pourquoi, j’étais presque inquiète…

Mais elle s’arrêta brusquement: elle venait de m’apercevoir. Sa gaie physionomie s’assombrit, et elle se recula; et s’adressant autant à moi qu’à son mari:

– Quoi! reprit-elle, vous sortez du café, à cette heure!.. cela n’a pas le sens commun!

M. Méchinet avait aux lèvres l’indulgent sourire de l’homme sûr d’être aimé, qui sait pouvoir apaiser d’un seul mot la querelle qu’on lui cherche.

– Ne nous gronde pas, Caroline, répondit-il, m’associant à sa cause par ce pluriel, nous ne sortons pas du café et nous n’avons pas perdu notre temps… On est venu me chercher pour une affaire, pour un assassinat commis aux Batignolles.

D’un regard soupçonneux, la jeune femme nous examina alternativement, son mari et moi, et quand elle fut persuadée qu’on ne la trompait pas, elle fit seulement:

– Ah!..

Mais il faudrait une page pour détailler tout ce que contenait cette brève exclamation.

Elle s’adressait à M. Méchinet et signifiait clairement:

– Quoi! tu t’es confié à ce jeune homme, tu lui as révélé ta situation, tu l’as initié à nos secrets!

C’est ainsi que je l’interprétais, ce «ah!» si éloquent, et mon digne voisin l’interpréta comme moi, car il répondit:

– Eh bien! oui. Où est le mal? Si j’ai à redouter la vengeance des misérables que j’ai livrés à la justice, qu’ai-je à craindre des honnêtes gens?.. T’imaginerais-tu, par hasard, que je me cache, que j’ai honte de mon métier…

– Tu m’as mal compris, mon ami, objecta la jeune femme…

M. Méchinet ne l’entendit même pas.

Il venait d’enfourcher – je connus ce détail plus tard – un dada favori qui l’emportait toujours.

– Parbleu! poursuivit-il, tu as de singulières idées, madame ma femme. Quoi! je suis une des sentinelles perdues de la civilisation, au prix de mon repos et au risque de ma vie, j’assure la sécurité de la société et j’en rougirais!.. Ce serait par trop plaisant. Tu me diras qu’il existe, contre nous autres de la police, quantité de préjugés ineptes légués par le passé… Que m’importe! Oui, je sais qu’il y a des messieurs susceptibles qui nous regardent de très-haut… Mais sacrebleu! je voudrais bien voir leur mine si demain mes collègues et moi nous nous mettions en grève, laissant le pavé libre à l’armée de gredins que nous tenons en respect!

Accoutumée sans doute à des sorties de ce genre, madame Méchinet ne souffla mot, et bien elle fit, car mon brave voisin ne rencontrant pas de contradiction, se calma comme par enchantement.

– Mais en voici assez, dit-il à sa femme. Il s’agit pour l’instant d’une chose bien autrement importante… Nous n’avons pas dîné, nous mourons de faim, as-tu de quoi nous donner à souper?..

Ce qui arrivait ce soir devait être arrivé trop souvent pour que madame Méchinet se laissât prendre sans vert.

– Dans cinq minutes, ces messieurs seront servis, répondit-elle avec le plus aimable sourire.

En effet, le moment d’après, nous nous mettions à table devant une belle pièce de bœuf froid, servis par madame Méchinet qui ne cessait de remplir nos verres d’un excellent petit vin de Mâcon.

Et moi, pendant que mon digne voisin jouait de la fourchette en conscience, considérant cet intérieur paisible qui était le sien, cette jolie petite femme prévenante qui était la sienne, je me demandais si c’était bien là un de ces «farouches» agents de la sûreté qui ont été les héros de tant de récits absurdes.

Cependant la grosse faim ne tarda pas à être apaisée, et M. Méchinet entreprit de raconter à sa femme notre expédition.

Et il ne racontait pas à la légère, il descendait dans les plus menus détails. Elle s’était assise à côté de lui, et à la façon dont elle écoutait, d’un petit air capable, demandant des explications quand elle n’avait pas bien compris, on devinait l’Égérie bourgeoise habituée à être consultée et qui a voix délibérative.

Lorsque M. Méchinet eut achevé:

– Tu as fait une grande faute, lui dit-elle, une faute irréparable.

– Laquelle?..

– Ce n’est pas à la préfecture qu’il fallait aller, en quittant les Batignolles…

– Cependant, Monistrol…

– Oui, tu voulais l’interroger… Quel bénéfice en as-tu retiré?

– Cela m’a servi, ma chère amie…

– A rien. C’est rue Vivienne, que tu devais courir, chez la femme… Tu la surprenais sous le coup de l’émotion qu’elle a nécessairement ressentie de l’arrestation de son mari, et si elle est complice, comme on doit le supposer, avec un peu d’adresse tu la confessais…

J’avais bondi sur ma chaise à ces mots.

– Quoi, madame, m’écriai-je, vous croyez Monistrol coupable!..

Après un moment d’hésitation, elle répondit:

– Oui.

Puis très-vivement:

– Mais je suis sûre, entendez-vous, absolument sûre, que l’idée du meurtre vient de la femme. Sur vingt crimes commis par les hommes, quinze ont été conçus, ruminés et inspirés par des femmes… demandez à Méchinet. La déposition de la concierge eût dû vous éclairer. Qu’est-ce que cette madame Monistrol? Une personne remarquablement belle, vous a-t-on dit, coquette, ambitieuse, rongée de convoitises et qui mène son mari par le bout du nez. Or quelle était sa position? Mesquine, étroite, précaire. Elle en souffrait, et la preuve c’est qu’elle a demandé à son oncle de lui prêter cent mille francs. Il les lui a refusés, faisant ainsi avorter ses espérances. Croyez-vous qu’elle ne lui en a pas voulu mortellement!.. Allez, elle a dû se répéter bien souvent: «S’il mourait, cependant, ce vieil avare, nous serions riches, mon mari et moi!..» Et quand elle le voyait bien portant et solide comme un chêne, fatalement elle se disait: «Il vivra cent ans… quand il nous laissera son héritage, nous n’aurons plus de dents pour le croquer… et qui sait même s’il ne nous enterrera pas!..» De là à concevoir l’idée d’un crime, y a-t-il donc si loin?.. Et la résolution une fois arrêtée dans son esprit, elle aura préparé son mari de longue main, elle l’aura familiarisé avec la pensée d’un assassinat, elle lui aura mis, comme on dit, le couteau à la main… Et lui, un jour, menacé de la faillite, affolé par les lamentations de sa femme, il a fait le coup…

– Tout cela est logique, approuvait M. Méchinet.

Très-logique, sans doute, mais que devenaient les circonstances relevées par nous?

– Alors, madame, dis-je, vous supposez Monistrol assez bête pour s’être dénoncé en écrivant son nom…

Elle haussa légèrement les épaules, et répondit:

– Est-ce une bêtise? Moi, je soutiens que non, puisque c’est votre argument le plus fort en faveur de son innocence.

Le raisonnement était si spécieux que j’en demeurai un moment interdit. Puis, me remettant:

– Mais il s’avoue coupable, madame, insistai-je.

– Excellent moyen pour engager la justice à démontrer son innocence…

– Oh!

– Vous en êtes la preuve, cher monsieur Godeuil.