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Le crime d'Orcival

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– Voyons donc le reste, dit-il.

Et tout en suivant au jardin le vieux juge de paix, il adressait au portrait de la bonbonnière la confidence de son déplaisir et de son désappointement.

«Peste soit, lui disait-il, peste soit du vieux cachottier. Nous ne tirerons rien par surprise de cet entêté. Il nous donnera le mot de son rébus quand nous l’aurons deviné, pas avant. Il est aussi fort que nous, ma mignonne, il ne lui manque absolument qu’un peu de pratique. Cependant, vois-tu, pour qu’il ait trouvé ce qui nous échappe, il faut qu’il ait eu des indices antérieurs que nous ne connaissons pas.»

Au jardin, rien n’avait été dérangé.

– Tenez, M. Lecoq, disait le vieux juge de paix, en suivant une des allées en demi-cercle conduisant à la Seine, tenez, c’est ici, à cet endroit du gazon qu’on a trouvé une des pantoufles de ce pauvre comte; là-bas, un peu à droite de cette corbeille de géraniums, était son foulard.

Ils arrivèrent au bord de la rivière et relevèrent avec beaucoup de circonspection les planches qu’avait fait placer le maire pour laisser les empreintes intactes.

– Nous supposons, dit le père Plantat, que la comtesse ayant réussi à s’échapper, a pu fuir jusqu’ici, et que c’est ici qu’elle a été rejointe et frappée d’un dernier coup.

Était-ce là l’avis du vieux juge, ne faisait-il que traduire l’impression du matin? C’est ce que M. Lecoq ne put deviner.

– D’après nos calculs, monsieur, reprit-il, la comtesse n’a pas dû fuir. Elle a dû être apportée ici morte, ou la logique n’est pas la logique. Au surplus, examinons.

Il s’agenouilla alors, comme là-haut, dans la chambre du second étage, et plus scrupuleusement encore, il étudia successivement le sable de l’allée, l’eau stagnante et les touffes de plantes aquatiques.

Puis, remontant un peu, il prit une pierre qu’il lança, s’approchant aussitôt pour voir l’effet produit par la vase.

Il regagna ensuite le perron de l’habitation et revint sous les saules en traversant le gazon où étaient encore, très nettes et très visibles, les traces d’un fardeau traîné relevées le matin.

Sans le moindre égard pour son pantalon, il traversa la pelouse à quatre pattes interrogeant les moindres brins d’herbe, écartant les touffes épaisses pour mieux voir le sol, observant minutieusement la direction des petites tiges brisées.

Cette inspection terminée:

– Nos déductions s’affirment, dit-il, on a apporté la comtesse ici.

– En êtes-vous bien certain? demanda le père Plantat.

Il n’y avait pas à s’y tromper cette fois. Évidemment, sur ce point le vieux juge était indécis, et il demandait une autre opinion que la sienne, fixant ses hésitations.

– Il n’y a pas d’erreur possible, répondit l’agent de la Sûreté.

Et, souriant finement, il ajouta:

– Seulement, comme deux avis valent mieux qu’un, je vous demanderai, monsieur le juge, de m’écouter, vous me direz ce que vous pensez après.

Dans ses perquisitions, M. Lecoq avait trouvé à terre une petite baguette flexible, et tout en parlant, il s’en servait pour indiquer les objets à la façon des saltimbanques qui montrent sur les tableaux de leurs baraques la représentation des merveilles qu’on voit à l’intérieur.

– Non, disait-il, non, monsieur le juge de paix, madame de Trémorel n’a pas fui. Frappée ici, elle serait tombée avec une certaine violence; son poids, par conséquent, eût fait jaillir de l’eau assez loin, et non seulement de l’eau, mais encore de la vase, et nous retrouverions certainement quelques éclaboussures.

– Mais, ne pensez-vous pas que depuis ce matin, le soleil…

– Le soleil, monsieur, aurait absorbé l’eau, mais la tache de boue sèche serait restée, or, j’ai beau regarder, un à un pour ainsi dire, tous les cailloux de l’allée, je n’ai rien trouvé. On pourrait m’objecter que c’est de droite et de gauche que l’eau et la vase ont jailli. Moi, je réponds: examinez ces touffes de glaïeuls, ces feuilles de nénuphar, ces tiges de jonc; sur toutes ces plantes vous trouvez une couche de poussière, très légère, je le sais, mais enfin de la poussière. Apercevez-vous la trace d’une seule goutte d’eau? Non. C’est qu’il n’y a point eu jaillissement, par conséquent pas de chute violente, c’est donc que la comtesse n’a pas été tuée ici, c’est donc qu’on a apporté son cadavre et qu’on l’a déposé doucement où vous l’avez retrouvé.

Le père Plantat ne paraissait pas encore absolument convaincu.

– Mais ces traces de lutte, sur le sable, là, dit-il.

M. Lecoq eut un joli geste de protestation.

– Monsieur le juge de paix daigne sans doute plaisanter, répondit-il, ces marques-là ne tromperaient pas un lycéen.

– Il me semble cependant…

– Il n’y a pas à s’y tromper, monsieur. Que le sable ait été remué, fouillé, c’est positif. Mais toutes ces traînées qui mettent à nu le sol que recouvrait le sable, ont été faites par le même pied, cela vous ne le croyez peut-être pas – et de plus, faites uniquement avec le bout du pied – et cela vous pouvez le remarquer.

– Oui, cela, en effet, je le reconnais.

– Eh bien! monsieur, quand il y a eu lutte sur un terrain favorable aux investigations, comme celui-ci, on relève deux sortes de vestiges fort distincts: ceux de l’assaillant et ceux de la victime. L’assaillant, qui se précipite en avant, s’appuie nécessairement sur la partie antérieure du pied et l’imprime sur la terre. La victime, au contraire, qui se débat, qui cherche à se débarrasser d’une étreinte fatale, fait son effort en arrière, s’arc-boute sur les talons, et moule par conséquent les talons dans le sol. Si les adversaires sont de force égale, on trouve en nombre à peu près égal les empreintes de bouts de pieds et de talons, selon les hasards de la lutte. Ici, que trouvons-nous?..

Le père Plantat interrompit l’agent de la Sûreté.

– Assez, monsieur, lui dit-il, assez, l’homme le plus incrédule serait maintenant convaincu.

Et après un instant de méditations, répondant à sa pensée intime, il ajouta:

– Non, il n’y a plus, il ne peut plus y avoir d’objection.

M. Lecoq, de son côté, pensa que sa démonstration valait bien une récompense, et triomphalement il avala un carré de réglisse.

– Je n’ai cependant pas encore fini, reprit-il. Nous disons donc que la comtesse n’a pu être achevée ici. J’ajouterai: elle n’y a pas été portée, mais traînée. La constatation est aisée. Il n’est que deux façons de traîner un cadavre. Par les épaules, et alors les deux pieds traînant à terre laissent deux sillons parallèles. Par les jambes, et alors la tête portant sur le sol laisse une empreinte unique et assez large.

Le père Plantat approuva d’un mouvement de tête.

– En examinant le gazon, poursuivit l’agent de la Sûreté, j’ai relevé les sillons parallèles des pieds, mais l’herbe était foulée sur un espace assez large. Pourquoi? C’est que ce n’est pas le cadavre d’un homme qui a été traîné à travers la pelouse, mais bien celui d’une femme tout habillée et dont les jupons étaient assez lourds, celui de la comtesse enfin, et non celui du comte.

M. Lecoq s’interrompit, attendant un éloge, une question, un mot.

Mais le vieux juge de paix n’avait plus l’air de l’écouter et paraissait plongé dans les calculs les plus abstraits.

La nuit tombait, un brouillard léger comme la fumée d’un feu de paille se balançait au-dessus de la Seine.

– Il faut rentrer, dit tout à coup le père Plantat, aller voir où le docteur en est de l’autopsie.

Et lentement, l’agent de police et lui regagnèrent la maison.

Sur le perron, se tenait le juge d’instruction qui s’apprêtait à aller à leur rencontre. Il tenait sous son bras sa grande serviette de chagrin violet, timbrée à ses initiales, et avait repris son léger pardessus d’Orléans noir.

Il avait l’air satisfait.

– Je vais vous laisser le maître, monsieur le juge de paix, dit-il au père Plantat, il est indispensable, si je veux voir ce soir monsieur le procureur impérial, que je parte à l’instant. Déjà, ce matin, lorsque vous m’avez envoyé chercher, il était absent.

Le père Plantat s’inclina.

– Je vous serai fort obligé, continua M. Domini, de surveiller la fin de l’opération. Le docteur Gendron n’en a plus, vient-il de me dire, que pour quelques minutes, et j’aurai ses notes demain matin. Je compte sur votre bonne obligeance, pour mettre les scellés partout où besoin est, et aussi pour constituer des gardiens. Je me propose d’envoyer un architecte relever le plan exact de la maison et du jardin.

– Puis, remarqua le vieux juge de paix, il faudra, sans doute un supplément d’instruction?

– Je ne le pense pas, fit le juge d’instruction, d’un ton de certitude.

Puis s’adressant à M. Lecoq.

– Eh bien, monsieur l’agent, demanda-t-il, avez-vous fait quelque découverte nouvelle?

– J’ai relevé plusieurs faits importants, répondit M. Lecoq, mais je ne puis me prononcer avant d’avoir encore vu là-haut au jour. Je demanderai donc à monsieur le juge d’instruction la permission de ne lui présenter mon rapport que demain, dans l’après-midi. Je crois pouvoir répondre, d’ailleurs, que si embrouillée que soit cette affaire…

M. Domini ne le laissa pas achever.

– Mais, interrompit-il, je ne vois rien d’embrouillé dans cette affaire; tout me paraît, au contraire, fort clair.

– Cependant, objecta M. Lecoq, je pensais…

– Je regrette vraiment, poursuivit le juge d’instruction, qu’on vous ait appelé avec trop de précipitation et sans grande nécessité. J’ai maintenant, contre les deux hommes que j’ai fait arrêter, les charges les plus concluantes.

Le père Plantat et M. Lecoq échangèrent un long regard, trahissant leur surprise profonde.

– Quoi! ne put s’empêcher de dire le vieux juge de paix, vous auriez, monsieur, recueilli des indices nouveaux!

– Mieux que des indices, je crois, répondit M. Domini avec un plissement de lèvres de fâcheux augure; La Ripaille, que j’ai interrogé une seconde fois, commence à se troubler. Il a perdu tout à fait son arrogance. J’ai réussi à le faire se couper à plusieurs reprises et il a fini par m’avouer qu’il a vu les assassins.

 

– Les assassins! exclama le père Plantat, il a dit les assassins?

– Il a vu au moins l’un d’entre eux. Il persiste me jurer qu’il ne l’a pas reconnu. Voilà où nous en sommes. Mais les ténèbres de la prison ont des terreurs salutaires. Demain, après une nuit d’insomnie, mon homme, j’en suis persuadé, sera bien autrement explicite.

– Mais Guespin, interrogea anxieusement le vieux juge, avez-vous de nouveau questionné Guespin.

– Oh! fit M. Domini, pour ce qui est de celui-là, tout est dit.

– Il a avoué? demanda M. Lecoq stupéfié.

Le juge d’instruction se tourna à demi vers l’homme de la police, comme s’il eût trouvé mauvais qu’il osât le questionner.

– Guespin n’a rien avoué, répondit-il néanmoins, mais sa cause n’en est pas meilleure. Nos bateliers sont revenus. Ils n’ont pas encore retrouvé le cadavre de M. de Trémorel qu’ils supposent avoir été entraîné par le courant. Mais, ils ont repêché d’abord au bout du parc, dans les roseaux, l’autre pantoufle du comte; puis, au milieu de la Seine, sous le pont, remarquez bien ce détail, sous le pont, une veste de drap grossier qui porte encore des traces de sang.

– Et cette veste est à Guespin? demandèrent ensemble le vieux juge de paix et l’agent de la Sûreté.

– Précisément. Elle a été reconnue par tous les gens du château et Guespin a avoué sans difficulté qu’elle lui appartient. Mais ce n’est pas tout…

M. Domini s’arrêta comme pour reprendre haleine, en réalité pour faire languir un peu le père Plantat. Par suite de leurs divergences d’opinions, il avait cru reconnaître en lui une certaine hostilité sourde, et – la faiblesse humaine ne perdant jamais ses droits – il n’était pas fâché de triompher un peu.

– Ce n’est pas tout, poursuivit-il; cette veste avait à la poche droite une large déchirure et un morceau de l’étoffe avait été arraché. Ce lambeau de la veste de Guespin, savez-vous ce qu’il était devenu?..

– Ah! murmura le père Plantat, c’est lui que nous avons retrouvé dans la main de la comtesse.

– Vous l’avez dit, monsieur le juge de paix. Que pensez-vous, je vous prie, de cette preuve de culpabilité du prévenu?

Le père Plantat semblait consterné; les bras lui tombaient.

Quant à M. Lecoq qui, devant le juge d’instruction, avait repris sévèrement son attitude de mercier retiré, il fut à ce point surpris qu’il faillit s’étrangler avec un morceau de pâte.

– Mille diables! disait-il, tout en toussant, réparation d’honneur, voilà qui est fort.

Il eut un sourire niais, et ajouta, plus bas et pour le seul père Plantat:

– Très fort! quoique du même tonneau et prévu par nos calculs. La comtesse tenait entre ses doigts crispés un lambeau de drap, donc il a dû être placé là intentionnellement par les meurtriers.

M. Domini n’avait pas relevé l’exclamation, il n’entendit pas la réflexion de M. Lecoq. Il tendit la main au père Plantat et lui donna rendez-vous pour le lendemain, au palais.

Puis il sortit, emmenant son greffier.

Guespin et le vieux La Ripaille, les menottes aux mains, avaient été quelques minutes plus tôt dirigés sur la prison de Corbeil, sous la conduite des gendarmes d’Orcival.

VIII

Dans la salle de billard du château de Valfeuillu, le docteur Gendron venait d’achever sa funèbre besogne.

Il avait retiré son vaste habit noir à larges manches, à basques immenses, à boutonnière ornée du ruban rouge de la Légion d’honneur, véritable habit de savant, et il avait retroussé, bien au-dessus du coude, les manches de sa chemise de forte toile.

Près de lui, sur une petite table destinée à recevoir les rafraîchissements, étaient épars les instruments dont il s’était servi, des bistouris et plusieurs sondes d’argent.

Il avait dû, pour les investigations, dépouiller le cadavre, et il l’avait ensuite recouvert d’un grand drap blanc qui dessinait vaguement les formes du corps et dépassait, d’un côté, les bandes du billard.

La nuit était venue et une grosse lampe, à globe de cristal dépoli, éclairait cette scène sinistre.

Penché au-dessus d’un immense seau d’eau, le docteur finissait de se laver les mains, lorsque entrèrent le vieux juge de paix et l’agent de la Sûreté. Au bruit de la porte, M. Gendron se redressa vivement:

– Ah! c’est vous, Plantat, dit-il – d’une voix dont l’altération était parfaitement sensible – , où est M. Domini?

– Parti.

Le docteur ne prit pas la peine de réprimer un mouvement de vive impatience.

– Il faut pourtant que je lui parle, dit-il, c’est indispensable et le plus tôt sera le mieux. Car enfin, je me trompe peut-être, je puis me tromper…

M. Lecoq et le père Plantat s’étaient approchés, refermant la porte qu’assiégeaient les domestiques du château. Entrés dans le cercle de la lumière de la lampe, ils purent voir combien étaient bouleversés les traits si régulièrement calmes de M. Gendron.

Il était pâle, plus pâle que la morte qui gisait là sous ce grand drap.

L’altération des traits et de la voix du docteur ne pouvait être causée par la tâche qu’il venait de remplir. Certes, elle était pénible, mais M. Gendron est un de ces vieux praticiens qui ont tâté le pouls à toutes les misères humaines, dont le dégoût s’est blasé aux plus hideux spectacles, qui en ont vu bien d’autres enfin.

Il fallait qu’il eût découvert quelque chose d’extraordinaire.

– Je vais, mon cher docteur, lui dit le père Plantat, vous adresser la question que vous m’adressiez, il y a quelques heures: Vous trouveriez-vous indisposé, êtes-vous souffrant?

M. Gendron secoua tristement la tête, et répondit avec une intention calculée et parfaitement notée:

– Je vous répondrai, mon ami, précisément ce que vous m’avez répondu: Je vous remercie, ce n’est rien, je vais déjà mieux.

Alors, ces deux observateurs, également profonds, détournèrent la tête, comme si, redoutant d’échanger leurs pensées, ils se fussent défiés de l’éloquence de leurs regards.

M. Lecoq s’avança.

– Je crois savoir, dit-il, les raisons de l’émotion de M. le docteur. Il vient de découvrir que Mme de Trémorel a été tuée d’un seul coup, et que plus tard les assassins se sont acharnés sur un cadavre déjà presque froid.

Les yeux du docteur eurent, en s’arrêtant sur l’agent de la Sûreté, une expression d’immense stupeur.

– Comment avez-vous pu deviner cela? demanda-t-il.

– Oh! je n’ai pas deviné seul, répondit modestement M. Lecoq. Je dois partager avec monsieur le juge de paix l’honneur du système qui nous a amenés à prévoir ce fait.

M. Gendron se frappa le front.

– En effet, s’écria-t-il, je me rappelle maintenant votre recommandation; dans mon trouble, qui a été grand, il faut bien que je le confesse, je l’avais totalement oubliée.

M. Lecoq crut devoir s’incliner.

– Eh bien reprit le médecin, vos prévisions se trouvent réalisées. Entre le premier coup de poignard qui a donné la mort et les autres, il ne s’est peut-être pas écoulé tout le temps que vous supposez, mais je suis persuadé que Mme de Trémorel avait cessé de vivre depuis près de trois heures, lorsqu’on l’a frappée de nouveau.

M. Gendron s’était approché du billard et lentement il avait relevé le drap mortuaire, découvrant ainsi la tête et une partie du buste du cadavre.

– Éclairez-nous donc, Plantat, demanda-t-il.

Le vieux juge de paix obéit. Il prit la lampe et passa de l’autre côté du billard. Sa main tremblait si fort que le globe et le verre s’entrechoquaient. La lumière vacillante promenait sur les murs des ombres sinistres.

Cependant le visage de la comtesse avait été lavé soigneusement, les plaques de sang et de vase avaient été enlevées. La marque des coups était ainsi plus visible, mais on retrouvait sur cette figure livide les traces de sa beauté.

M. Lecoq se tenait en haut du billard, se penchant pour examiner de plus près.

– Mme de Trémorel, disait le docteur Gendron, a reçu dix-huit coups de poignard. De toutes ces blessures, une seule est mortelle, c’est celle dont la direction est presque verticale; tenez, là, un peu au-dessous de l’épaule.

En même temps, il montrait la plaie béante, et sur son bras gauche il soutenait le cadavre dont les admirables cheveux blonds s’éparpillaient sur lui.

Les yeux de la comtesse avaient conservé une expression effrayante. Il semblait que de sa bouche entrouverte ce cri allait s’échapper: «À moi! au secours!»

Le père Plantat, l’homme au cœur de pierre, détournait la tête, et le docteur, devenu maître de son émotion première, continuait de cette voix un peu emphatique des professeurs à l’amphithéâtre.

– La lame du couteau devait être large de trois centimètres et longue de vingt-cinq au moins. Toutes les autres blessures, au bras, à la poitrine, aux épaules, sont légères relativement. On doit les supposer postérieures de deux heures au moins à celle qui a déterminé la mort.

– Bien! fit M. Lecoq.

– Remarquez, reprit vivement le docteur, que je n’émets pas une certitude; j’indique simplement une probabilité. Les phénomènes sur lesquels se base ma conviction personnelle, sont trop fugitifs, trop insaisissables de leur nature, trop discutés encore pour que je puisse rien assurer.

Cet exposé du docteur parut contrarier vivement M. Lecoq.

– Cependant, dit-il, du moment où…

– Ce que je puis affirmer, interrompit M. Gendron, ce que sans scrupules j’affirmerais devant un tribunal, sous la foi du serment, c’est que toutes les plaies contuses de la tête, à l’exception d’une seule, ont été faites bien après la mort. Pas de doutes, pas de discussion possibles. Voici, au-dessus de l’œil, le coup donné pendant la vie. Comme vous le voyez, l’infiltration du sang dans les mailles des tissus a été considérable, la tumeur est énorme, très noire au centre et plombée. Les autres contusions ont si peu ce caractère que même ici, où le choc a été assez violent pour fracturer l’os temporal, il n’y a aucune trace d’ecchymose.

– Il me semble, monsieur le docteur, insinua M. Lecoq, que de ce fait acquis et prouvé, que la comtesse a été, après sa mort, frappée par un instrument contondant, on peut conclure que c’est également lorsqu’elle avait cessé de vivre qu’elle a été hachée de coups de couteau.

M. Gendron réfléchit un moment.

– Il se peut, monsieur l’agent, dit-il enfin, que vous ayez raison, et pour ma part j’en suis persuadé. Pourtant, les conclusions de mon rapport ne seront pas les vôtres. La médecine légale ne doit se prononcer que sur des faits patents, démontrés, indiscutables. Si elle a un doute, le moindre, le plus léger, elle doit se taire. Je dirai plus: s’il y a incertitude, mon avis est que l’accusé doit en recueillir le bénéfice et non l’accusation.

Ce n’était, certes, pas là l’opinion de l’agent de la Sûreté, mais il se garda bien d’en rien dire.

C’est avec une attention passionnée qu’il avait suivi le docteur Gendron, et la contraction de sa physionomie disait l’effort de son intelligence.

– Il me paraît possible maintenant, dit-il, de déterminer où et comment la comtesse a été frappée.

Le docteur avait recouvert le cadavre et le père Plantat avait replacé la lampe sur la petite table.

Ils engagèrent tous deux M. Lecoq à s’expliquer.

– Eh bien! reprit l’homme de la police, la direction de la blessure de Mme de Trémorel me prouve qu’elle était dans sa chambre, prenant le thé, assise et le corps un peu incliné en avant, lorsqu’elle a été assassinée. L’assassin est arrivé par-derrière, le bras levé, il a bien choisi sa place et a frappé avec une force terrible. Telle a été la violence du coup, que la victime est tombée en avant, et que dans la chute, son front rencontrant l’angle de la table, elle s’est fait la seule blessure ecchymosée que nous ayons remarquée à la tête.

M. Gendron examinait alternativement M. Lecoq et le père Plantat, qui échangeaient des regards au moins singuliers. Peut-être se doutait-il du jeu qu’ils jouaient.

– Évidemment, dit-il, le crime doit avoir eu lieu comme l’explique monsieur l’agent.

Il y eut un autre silence si embarrassant que le père Plantat jugea convenable de l’interrompre. Le mutisme obstiné de M. Lecoq le taquinait.

– Avez-vous vu, lui demanda-t-il, tout ce que vous aviez à voir!

– Pour aujourd’hui, oui, monsieur. Pour les quelques perquisitions qui me seraient encore utiles, j’ai besoin de la lumière du jour. Il me paraît d’ailleurs que, sauf un détail qui m’inquiète, je tiens complètement l’affaire.

 

– Il faut alors être ici demain de bon matin.

– J’y serai, monsieur, à l’heure qu’il vous plaira.

– Vos explorations terminées, nous nous rendrons ensemble à Corbeil, chez monsieur le juge d’instruction.

– Je suis aux ordres de monsieur le juge de paix.

Le silence recommença.

Le père Plantat se sentait deviné et il ne comprenait rien au singulier caprice de l’agent de la Sûreté qui, si prompt quelques heures plus tôt, se taisait maintenant.

M. Lecoq, lui, ravi de taquiner un peu le juge de paix, se proposait de l’étonner prodigieusement le lendemain en lui présentant un rapport qui serait le fidèle exposé de toutes ses idées. En attendant, il avait tiré sa bonbonnière et confiait mille choses au portrait.

– Puisqu’il en est ainsi, fit le docteur, il ne nous reste plus, ce me semble, qu’à nous retirer.

– J’allais demander la permission de le faire, dit M. Lecoq; je suis à jeun depuis ce matin.

Le père Plantat prit un grand parti:

– Regagnez-vous Paris ce soir, M. Lecoq? demanda-t-il brusquement.

– Non, monsieur, je suis arrivé ici ce matin avec l’intention d’y coucher. J’ai même apporté mon sac de nuit, qu’avant de venir au château j’ai déposé à cette petite auberge qui est au bord de la route et qui a un grenadier peint sur sa devanture. C’est là que je me propose de souper et de coucher.

– Vous serez fort mal au Grenadier fidèle, fit le vieux juge de paix, vous ferez acte de prudence en venant dîner avec moi.

– Monsieur le juge de paix est vraiment trop bon…

– De plus, comme nous avons à causer et peut-être, longuement, je vous offre une chambre; nous allons prendre votre sac de nuit en passant.

M. Lecoq s’inclina, la bouche en cœur, à la fois flatté et reconnaissant de l’invitation.

– Et vous aussi, docteur, continua le père Plantat, bon gré mal gré je vous enlève. Ah! ne dites pas non. Si vous tenez absolument à rentrer à Corbeil ce soir, nous vous reconduirons après souper.

Restaient les scellés à poser.

L’opération fut promptement terminée. Des bandes étroites de parchemin, retenues par de larges cachets de cire, aux armes de la justice de paix, furent placées à toutes les portes du premier étage, à la porte de la chambre à la hache, et aussi aux battants d’une armoire où toutes les pièces de conviction, recueillies par l’enquête et minutieusement décrites dans les procès-verbaux, avaient été déposées.