Za darmo

La vie infernale

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Sa plus grande prétention, d’ailleurs, était d’être l’homme le plus volé de l’Europe… Mais s’il était, en effet, exploité indignement, scandaleusement, ce n’était pas volontairement… Il n’en avait pas moins le fonds d’avarice et de défiance de l’Arabe. On lui eût vendu deux sous des pièces de vingt francs qu’il eût encore crié au voleur…

– Franchement, prince, déclara le baron, votre récit me fait tout l’effet d’un conte de votre pays… Valorsay n’est pas fou, que je sache… Comment admettre qu’il ait osé hasarder cette fraude si grossière, qui pouvait, qui devait être reconnue dans les vingt-quatre heures, et qui, prouvée, le déshonore?

– Avec un autre, il y eût peut-être regardé à deux fois, mais avec moi!.. N’est-il pas connu qu’on ne court point de risques à voler Kami-Bey!..

– N’importe! à votre place je me livrerais sans bruit à une petite enquête.

– A quoi bon?.. Allez, je suis fixé et bien plus positivement que je ne vous l’avouais tout à l’heure… Il est vrai que j’oubliais une circonstance importante… La vente n’a d’abord été faite que conditionnellement, et sous le sceau du secret… Le marquis se réservait le droit de reprendre ses chevaux en me remboursant dans un délai de… Ce n’est que depuis avant-hier que mon acquisition est définitive.

– Eh! que ne disiez-vous cela tout d’abord! s’écria le baron.

De cette façon, en effet, l’inexplicable escroquerie de M. de Valorsay s’expliquait…

Se voyant perdu, croyant à son salut s’il gagnait du temps, il avait agi comme tous les caissiers infidèles, la première fois qu’ils empruntent à leur caisse… Il s’était dit: «Je rembourserai, et personne ne saura rien!..»

Puis, l’échéance arrivée, il s’était trouvé n’avoir pas plus de ressources que le jour du vol, et force lui avait bien été de s’abandonner aux événements.

– Et que comptez-vous faire, prince?.. reprit Pascal.

– Ah! je me le demande… J’ai exigé du marquis la collection de tous les journaux où ses chevaux sont désignés… Cela servirait en cas de procès… Seulement, dois-je déposer une plainte? S’il ne s’agissait que d’argent, je rirais, je suis au-dessus de cette misère… Mais il s’est moqué de moi outrageusement, et cela me vexe. D’un autre côté, avouer qu’on peut me duper ainsi, c’est me couvrir de ridicule… Puis, ce diable d’homme est dangereux. Si son cercle allait prendre parti pour lui, que deviendrais-je, moi, étranger?.. Je serais forcé de quitter Paris. Ah! je donnerais bien dix mille francs à qui m’arrangerait cette affaire maudite!..

Ses perplexités étaient si affreuses, et si terrible son dépit, que pour cette fois seulement il arracha son éternel fez et le lança violemment sur la table, en jurant comme un charretier…

Mais il ne tarda pas à se remettre, et d’un ton qui jouait assez mal l’insouciance:

– Bast! fit-il, en voici assez là-dessus pour aujourd’hui… Je suis ici pour jouer, jouons, baron… Car nous gaspillons un temps précieux, comme vous disiez autrefois.

Pascal n’avait plus rien à apprendre, il serra la main du baron, prit avec lui rendez-vous pour le soir même et sortit.

La demie de deux heures sonnait, il avait encore devant lui une grande heure et demie.

– Si j’en profitais pour manger quelque chose! se dit-il, forcé par les tiraillements de son estomac de se rappeler qu’il n’avait rien pris de la journée qu’une tasse de chocolat.

Précisément il passait devant un café, il y entra, se fit servir à déjeuner, et se remit en route de façon à arriver chez M. de Valorsay juste à l’heure qu’il lui avait fixée…

Il s’y fût présenté bien plus tôt, s’il n’eût écouté que son impatience, persuadé que cette seconde entrevue serait décisive… Mais la prudence lui commandait de ne se point exposer à rencontrer Mme Léon et ce docteur Jodon qui l’intriguait tant.

– Et bien!.. Monsieur Mauméjan… lui cria le marquis dès qu’il parut.

Il y avait peut-être une heure déjà qu’il comptait les secondes, agité d’une indicible angoisse, son accent le disait.

Gravement Pascal tira de sa poche vingt-quatre billets de mille francs et un effet de commerce, qu’il posa sur la table, en disant:

– Voilà, monsieur le marquis. Comme de raison, je me suis appliqué tout d’abord mes cinquante louis de commission… Souscrivez maintenant à mon ordre un billet de vingt-cinq mille francs, à deux mois, et pour aujourd’hui nous serons quittes…

C’est d’une main tremblante d’émotion, que M. de Valorsay libella ce billet… L’instant d’avant, il doutait encore de la promesse de cet homme d’affaires inconnu, survenu si fort à propos… et lorsqu’il eut signé…

– Voilà toujours de quoi payer ma dette de jeu, fit-il, en jetant négligemment les billets de banque dans son tiroir… Mon embarras n’en est pas moins grand… Ces vingt-quatre mille francs ne remplacent pas les cent mille que m’avait promis le baron Trigault…

Et comme Pascal ne répondait pas, il se mit à arpenter le fumoir, pâle, les sourcils froncés, en homme qui avant de prendre un grand parti, en calcule les conséquences…

C’est que depuis sa rupture avec M. Fortunat, M. de Valorsay se heurtait à chaque moment à des difficultés insurmontables… Il se trouvait embarqué dans une affaire où les conseils d’un jurisconsulte habile étaient indispensables, et il ne savait à qui s’adresser… Ce n’était pas à un notaire, à un avoué, à un avocat, honorables et connus, qu’il pouvait confier des desseins tels que les siens… Et, d’un autre côté, s’il consultait le premier venu, n’abuserait-on pas de ses confidences pour le faire «chanter?»

Or, il se demandait pourquoi il n’emploierait pas cet homme d’affaires qui venait de le servir si efficacement… Il lui avait paru le conseiller qu’il souhaitait, délié, avide et léger de scrupules…

N’ayant pas de temps à perdre en hésitations, il se décida, à tous risques, et s’arrêtant devant Pascal:

– Puisque vous venez de me prêter 24,000 francs, dit-il, pourquoi ne me prêteriez-vous pas le reste?..

Mais Pascal hocha la tête.

– On ne court jamais de risques, répondit-il, à avancer à un homme dans votre position vingt-cinq mille francs… Sombrât-il, on retrouverait toujours cela dans les épaves… Mais le double, le triple… diable!.. cela demande réflexion, et j’aurais besoin de connaître la situation…

– Et si je vous disais que je suis… presque ruiné, que répondriez-vous?..

– Je ne serais pas surpris outre mesure…

Désormais M. de Valorsay était trop avancé pour reculer.

– Eh bien, reprit-il, la vérité est que ma fortune est terriblement compromise…

– Diable! vous eussiez dû me dire cela plus tôt…

– Oh! attendez… Cette fortune, je puis la rétablir, et même la faire plus considérable qu’elle n’a jamais été… J’ai en vue un mariage qui me rendrait un des hommes les plus riches de Paris… Mais il me faut du temps pour réussir, et l’argent me manque, et mes créanciers me pressent… Une fois déjà, m’avez-vous dit, vous avez tiré d’affaire un homme dans ma situation. Voulez-vous m’aider? Vous fixerez vous-même le prix de vos services…

Moins fort contre la joie qu’il ne l’était contre la douleur, Pascal faillit se trahir… Il touchait le but, croyait-il…

Cependant, il se maîtrisa, et c’est d’une voix pleine et calme qu’il répondit:

– Je ne puis rien dire sans connaître l’opération, monsieur le marquis… Veuillez me l’exposer, je vous écoute…

XIII

…Il n’était guère plus de minuit lorsque M. Wilkie sortit de l’hôtel d’Argelès, après la scène lamentable où il s’était révélé tout entier.

A le voir passer, les yeux hagards, la lèvre blanche, les vêtements en désordre, les domestiques groupés dans le vestibule le prirent tout d’abord pour un joueur ruiné et désespéré, comme il en sortait parfois de cette maison…

– Encore un qui n’a pas eu de chance!.. ricanèrent-ils entre eux.

– Ah!.. c’est bien fait… «faillait pas qu’il y aille!..»

Quelques minutes plus tard, seulement, ils apprirent une partie de la vérité par les domestiques chargés du service des salons, qui descendirent tout effarés, criant que Mme d’Argelès se mourait et qu’il fallait courir chercher un médecin.

Mais déjà M. Wilkie était loin, et d’un pied agile gagnait le boulevard.

Tout autre eût été accablé de douleur et de honte, épouvanté de ce qu’il avait fait, et n’eût su où ni comment cacher son ignominie… Lui, point.

De cette épouvantable crise, une seule circonstance l’occupait, c’est qu’au moment où il levait la main sur Mme Lia d’Argelès, sur sa mère, un gros homme était entré comme une trombe, qui l’avait saisi à la gorge, l’avait de force mis à genoux et l’avait obligé à demander pardon…

Lui, Wilkie, réduit à s’humilier!.. Voilà ce qu’il ne pouvait digérer… Il s’en estimait amoindri… C’était, dans son jugement, une de ces insultes qui crient vengeance et demandent du sang.

– Ah! il me la payera, ce gros brutal, répétait-il en grinçant des dents. Ce n’est pas à moi qu’on la fait, celle-là!..

Et s’il courait si vite vers le boulevard, c’est qu’il espérait y rencontrer ses deux intimes, M. Costard et M. le vicomte de Serpillon, les co-propriétaires de Pompier de Nanterre.

C’est qu’il se proposait de remettre à ses «chers bons» le soin de son honneur outragé… Ils seraient ses témoins, et ils iraient de sa part demander une réparation par les armes au manant qui l’avait insulté, après qu’on se serait procuré son adresse, toutefois.

Seule, l’idée d’un bon duel était capable de calmer un peu sa furieuse colère et versait du baume sur les plaies de son noble et intelligent orgueil…

Même, il découvrait là l’occasion d’un gros scandale dont il serait le héros, et dont la chronique s’occuperait deux jours… Quelle source glorieuse de notoriété, à une époque où les journaux deviennent comme des lavoirs publics, où chacun aspire à laver son linge sale au grand soleil de la réclame sous l’œil de milliers de lecteurs…

 

Il en voyait sa personnalité déjà remarquable, grandie de tout l’intérêt qui s’attache aux gens dont on parle, et il se délectait par avance à entendre, sur son passage, murmurer cette phrase flatteuse: «Vous voyez bien ce jeune homme… c’est à lui qu’est arrivée cette fameuse aventure…»

Et déjà, dans sa tête, il tournait et retournait les termes de la note que ses témoins ne manqueraient pas d’envoyer au Figaro avec prière de l’insérer, hésitant entre ces deux commencements également saisissants: «Encore un duel, à cent nous ferons une croix…» Ou: «Hier, à la suite d’une scène scandaleuse, a eu lieu une inévitable rencontre, etc., etc.»

Malheureusement il ne put rencontrer ni M. Costard, ni M. le vicomte de Serpillon.

Fait bizarre! Ils ne s’étaient montrés, de la soirée, dans aucun de ces cafés du boulevard, où de neuf heures du soir à une heure du matin, s’étale la fine fleur de la jeunesse française, en compagnie de spirituelles demoiselles à chignon beurre frais.

Ce contre-temps était de nature à désoler M. Wilkie, encore qu’il lui procurât l’occasion de recueillir quelques bénéfices de son «aventure.» Partout où il entrait, avec ses habits en désordre, lui toujours si correct en sa mise, les gens qui le connaissaient s’étonnaient…

– D’où sortez-vous, lui demandaient-ils, et que vous est-il arrivé?

A quoi, mystérieusement, il répondait:

– Ne m’en parlez pas!.. une affaire épouvantable!.. Pourvu qu’elle ne s’ébruite pas… j’en serais au désespoir…

Cependant, les cafés se fermaient un à un; le bruit s’éteignait, les promeneurs devenaient rares… M. Wilkie se décida, bien à regret, à rentrer…

Chez lui, seulement, quand il eut fermé sa porte et passé sa robe de chambre, il essaya de récapituler les événements et de mettre de l’ordre dans ce qu’il appelait un peu fastueusement ses idées…

Ce qui l’inquiétait et le troublait, ce n’était pas l’état où il avait laissé Mme Lia d’Argelès, sa mère, qui peut-être en ce moment même agonisait, frappée aux sources de la vie, et par lui!.. Ce n’était pas l’épouvantable sacrifice que, dans l’égarement de son amour maternel, avait fait pour lui cette malheureuse femme!.. Ce n’était pas davantage l’origine de l’argent qu’il gaspillait depuis tant d’années!..

Non, M. Wilkie était au-dessus de ces mesquines considérations, bonnes pour des gens vulgaires et arriérés… Il était plus fort que cela, lui, «ah! mais oui!» Il avait plus d’estomac et était «en plein dans le mouvement.»

Si donc il suait à grosses gouttes tout en dressant son bilan, c’est qu’il songeait à cette succession immense qu’il avait cru tenir et qui lui échappait…

C’est qu’il voyait, entre les millions de Chalusse et ses dévorantes convoitises, se dresser, menaçant et cynique, son père, cet homme qu’il ne connaissait pas, et dont Mme d’Argelès ne prononçait le nom qu’en frémissant…

Et ce devait être un redoutable adversaire que cet Américain, cet ancien marin, cet aventurier coureur de tripots, qui depuis plus de vingt ans attendait le prix d’une infâme séduction…

Examinant sa situation actuelle, M. Wilkie était saisi d’épouvante… Qu’allait-il devenir?..

Il était bien certain que Mme d’Argelès, désormais ne lui donnerait plus un centime… Elle ne le pouvait plus, il le reconnaissait, son intelligence allait jusque-là!..

S’il recueillait jamais quelques bribes de l’héritage du comte, ce qui était douteux, ne les lui ferait-on pas attendre longtemps?.. C’était probable.

Comment vivrait-il, comment mangerait-il, en attendant?..

Son angoisse était si poignante que les larmes lui en venaient aux yeux, et qu’il déplorait presque sa démarche…

Oui, il en arrivait à regretter le passé, les années où il se plaignait si amèrement de sa destinée…

Alors, assurément, il n’était pas millionnaire, mais du moins rien ne lui manquait. Chaque trimestre, une pension assez considérable lui était exactement servie, et pour les grandes circonstances, il avait le digne M. Patterson, qui ne fût point devenu si rebelle «aux carottes» si on ne lui en eût pas tant «tiré.»

Il se lamentait en ce temps!.. Ah! que n’avait-il mieux connu son bonheur!.. N’était-il pas encore un des plus opulents de son monde, et n’y brillait-il pas d’un éclat flatteur?.. N’avait-il pas été aimé, mieux encore, adoré et flatté!.. Enfin n’avait-il pas dû à Pompier de Nanterre les plus fortes et les plus délicates émotions!..

Tandis que maintenant, que lui restait-il?.. Rien… le doute, l’anxiété de l’avenir, toutes sortes d’incertitudes et de terreurs!..

– «Quel impair…» répétait-il, «quelle veste!..» Ah!.. si c’était à recommencer!.. Que le diable emporte le vicomte de Coralth…

Car, dans son désespoir, c’est à son cher vicomte qu’il s’en prenait, il l’accusait, il le maudissait!

Il était au plus fort de cet accès d’ingratitude, quand on sonna à sa porte, rudement, brutalement…

Son domestique ayant sa chambre dans les combles, il se trouvait seul dans son appartement. Il se leva donc, armé de sa lampe, pour aller ouvrir.

A cette heure, au milieu de la nuit, qui pouvait lui venir, sinon M. Costard ou M. le vicomte de Serpillon, ou peut-être tous les deux?..

– Ils auront appris que je les cherchais, ces excellents bons, pensa-t-il, et ils accourent…

Il se trompait… Ce n’était ni l’un ni l’autre de ces gentlemen. Le visiteur était M. Fernand de Coralth en personne.

Retenu des derniers, par la prudence, dans le salon de Mme d’Argelès, il avait couru en sortant chez le marquis de Valorsay pour se concerter avec lui, et, libre enfin, il arrivait, sans se douter, certes, qu’il avait été suivi, et que même, en ce moment, il était attendu en bas, dans la rue, par un auxiliaire de Pascal Férailleur et de Mlle Marguerite, par un ennemi d’autant plus redoutable qu’il était plus humble: Victor Chupin.

A la vue de celui qui si longtemps avait été son modèle, de l’ami qui lui avait conseillé ce qu’il appelait son «impair,» M. Wilkie fut si surpris, qu’il faillit lâcher sa lampe…

Puis toutes ses colères se réveillant:

– Ah!.. c’est vous!.. s’écria-t-il d’un ton brutal; vous tombez bien!..

Mais M. de Coralth était bien trop exaspéré pour prendre garde à l’étrange accueil de M. Wilkie!..

Il le saisit par le bras, rudement, et refermant la porte d’un coup de pied, le fit reculer jusque dans son salon.

Une fois là:

– Oui, c’est moi!.. fit-il d’un accent bref et impérieux. C’est moi qui viens vous demander si vous êtes devenu stupide ou fou, depuis hier.

– Vicomte!

– C’est que je ne sais pas une troisième expression pour qualifier votre conduite!.. Quoi! c’est le jour où Mme d’Argelès reçoit, c’est l’heure où elle a cent cinquante personnes dans son salon, que vous choisissez pour vous présenter!..

– Ah!.. voilà!.. je n’aime pas qu’on me fasse poser. Deux fois déjà j’étais allé chez elle, et j’avais trouvé visage de bois…

– Il fallait y retourner, monsieur, dix fois, cent fois, mille fois, plutôt que de risquer votre équipée idiote…

– Pardon!.. pardon!..

– Que vous avais-je recommandé?.. une prudence, excessive, beaucoup de calme et de modération, une douceur infinie, du sentiment à haute dose, de l’attendrissement, des larmes, une averse de larmes…

– Possible, mais…

– Mais, au lieu de cela, vous tombez comme une tuile sur la tête de cette femme, et pour débuter, vous mettez l’hôtel sens dessus dessous… Qu’espériez-vous, en faisant une scène absurde, pitoyable, ignoble!.. Car vous vocifériez comme un portefaix, à ce point, qu’on vous entendait du salon… Si tout n’est pas complétement perdu, c’est qu’il y a un Dieu pour les imbéciles…

Tout étourdi d’abord, le spirituel Wilkie n’avait su que bégayer des excuses incohérentes, des commencements de phrases, dont la fin lui restait dans le gosier…

Cette violence de M. de Coralth, qu’il avait toujours vu froid et poli comme le marbre, faisait taire sa propre violence.

Pourtant, à la fin, il se cabra sous les injures dont on le cinglait.

– Savez-vous, vicomte, que je commence à ne pas la trouver drôle!.. s’écria-t-il. Si tout autre que vous mettait les pieds dans le plat tant que cela, je lui aurais réglé son compte en deux temps.

A demi étendu sur le canapé, M. de Coralth, du bout de sa badine, tapait impatiemment les coussins, lesquels ne s’étant jamais trouvés à pareille fête, laissaient échapper de leurs flancs un nuage de poussière.

Il haussa les épaules, d’un air de pitié, à la menace de M. Wilkie, et durement:

– C’est bon! interrompit-il, vous pourfendriez tout autre que moi, c’est entendu! Arrivons au fait… Que s’est-il passé entre votre mère et vous?

– Permettez, je voudrais avant…

– Sacrebleu!.. Me croyez-vous donc l’intention de coucher ici?.. Racontez-moi la scène, et soyez bref, et tâchez d’être exact.

Une des prétentions de M. Wilkie était d’être, selon son expression «carré comme un dé,» c’est-à-dire d’avoir un caractère de fer, une nature indomptable…

Mais le vicomte avait sur lui l’irrésistible ascendant du maître sur l’élève; et, pour tout dire, il lui inspirait un certain… émoi, proche parent de la peur…

Puis, une dernière lueur de raison, éclairant sa cervelle brouillée, il comprenait qu’en somme le vicomte avait raison, qu’il avait agi comme un sot, et que maintenant qu’il était dans le pétrin, le plus sage serait encore d’écouter, pour tâcher d’en sortir, les conseils de plus expérimenté que lui.

Cessant donc de récriminer, il entreprit d’exposer ce qu’il appelait «son explication» avec Mme d’Argelès…

Tout alla bien, d’abord, et même il n’osa pas altérer trop la vérité.

Mais quand il en arriva à l’intervention de l’homme qui avait arrêté son bras, il devint tout rouge, et sa fureur le reprit.

– Je regrette, s’écria-t-il, de m’être déshabillé!.. Vous auriez vu, vicomte, en quel état il m’avait mis… Le col de ma chemise était arraché, ma cravate pendait en lambeaux… C’est qu’il était plus fort que moi, le gros lâche, sans cela!.. Mais j’aurai ma revanche… Oui, il apprendra ce qu’il en coûte de marcher sur le pied du petit que voilà!.. Demain, deux témoins, vlan!.. Et s’il refuse de me rendre raison ou de faire des excuses… des claques, comme s’il en pleuvait, et des coups de canne… Je suis comme cela, moi…

Il était visible que pour entendre ces beaux projets sans mot dire, M. de Coralth s’imposait une pénible contrainte…

– Je ne saurais trop vous engager, interrompit-il enfin, à parler en d’autres termes d’un homme honorable et honoré.

– Hein!.. de quoi!.. Vous le connaissez donc?..

– Oui… le défenseur de Mme d’Argelès est le baron Trigault…

L’intelligent M. Wilkie bondit, à ce nom, mais de joie.

– Ah!.. elle est bien bonne, s’écria-t-il, et j’en suis comme une petite folle!.. Comment, c’est là le baron Trigault, ce joueur si riche, qui a un si bel hôtel rue de la Ville-l’Evêque, le mari de cette toquée qui a tant de chic, vous savez bien, cette cocotte de la haute…

Brusquement le vicomte se dressa, fort pâle, et interrompant M. Wilkie:

– Je vous conseille, prononça-t-il, en scandant ses mots pour leur donner plus de valeur, – dans l’intérêt de votre propre sûreté, de ne jamais prononcer le nom de Mme la baronne Trigault autrement qu’avec le plus profond respect…

Il n’y avait pas à se méprendre à l’accent de M. de Coralth et ses regards disaient clairement qu’il ne laisserait pas s’écouler beaucoup de temps entre une menace et l’exécution…

Ayant toujours vécu dans un monde bien inférieur à celui où la baronne brillait d’un éclat si vif, – inférieur par la fortune, sinon par les mœurs, M. Wilkie ignorait quelles raisons avait son «grand ami» de la défendre si vivement. Ce qu’il comprit, c’est qu’insister ou seulement discuter serait une imprudence insigne.

Aussi, essayant de prendre son air le plus dégagé:

– Laissons donc la femme, dit-il, et parlons du mari… Ah! c’est le baron qui m’a frappé!.. Cela me va!.. Hein! une rencontre avec lui, quelle veine!.. Du coup, je suis posé, et crânement… Il peut dormir; au saut du lit il verra arriver Costard et Serpillon… Je leur recommanderai d’être épatants de chic… D’abord, comme témoin, Serpillon n’a pas son pareil… Il ne se donne pas une giffle à Paris sans qu’il en soit… A lui le plumet pour arranger une affaire aux petits oignons!.. D’abord, il connaît les bons endroits comme personne, il prête des armes quand on n’en a pas, il se charge de procurer un médecin, il est bien avec des journalistes qui publient ses procès-verbaux.

Jadis le vicomte pensait avoir estimé M. Wilkie à sa juste valeur… Ce n’est pas sans stupeur qu’il découvrait de combien il était resté au-dessous de la vérité.

 

– Assez de niaiseries, interrompit-il… Ce duel ne saurait avoir lieu…

– Je voudrais bien savoir qui m’en empêcherait…

– Moi!.. qui, si vous persistez dans cette idée absurde, vous campe là… Vous pensez bien que le baron enverrait promener fort loin m’sieu Serpillon, et que vous seriez simplement couvert de ridicule… Ainsi entre votre duel et mon aide, décidez-vous, et vite…

Certes, la perspective d’envoyer des témoins au baron Trigault souriait bien à M. Wilkie… Mais d’un autre côté, comment se passer de l’aide, de M. de Coralth!..

– C’est que le baron m’a insulté, objecta-t-il.

– Eh bien!.. vous lui demanderez raison quand vous tiendrez votre succession; le moindre scandale en ce moment la compromettrait encore plus…

– Je remettrai donc la partie, soupira l’intelligent jeune homme; mais au moins conseillez-moi… Que pensez-vous de ma situation?

Durant une minute, M. de Coralth parut se recueillir, puis gravement:

– Je pense, répondit-il, que, seul, vous n’auriez rien… Vous n’avez ni tenants, ni aboutissants, ni état civil, vous n’êtes même pas Français…

– Hélas!.. voilà ce que je me suis dit.

– Je suis persuadé, au contraire, qu’avec quelques protections, vous auriez vite raison des résistances de votre mère, et même des prétentions de votre père…

– Oui, mais où trouver des protecteurs?..

La gravité du vicomte redoublait.

– Écoutez, reprit-il, je ferai pour vous ce que je ne ferais pour aucun autre… J’essaierai d’intéresser à votre position un de mes amis, tout-puissant par son nom, par sa fortune et par ses relations… le marquis de Valorsay, enfin…

– Celui qui fait courir?..

– Précisément.

– Et vous me présenterez à lui?

– Oui!.. Demain à onze heures, soyez prêt, je viendrai vous prendre et je vous conduirai chez le marquis… S’il s’intéresse à votre partie, elle est gagnée…

Et comme l’autre se confondait en remercîments:

– Mais il faut que je rentre, reprit-il; allons, pas de sottises nouvelles… et à demain!..

Déjà, grâce à cette surprenante mobilité qui était le trait le plus frappant de son aimable caractère, M. Wilkie était presque consolé de son «impair.»

Il avait reçu M. de Coralth en ennemi, le poing sur la hanche; il le reconduisit avec toutes sortes d’attentions obséquieuses, comme un sauveur…

Un mot que le vicomte avait laissé tomber négligemment dans la conversation, n’avait pas peu contribué à ce brusque revirement.

– Vous devez comprendre, avait-il dit, que si le marquis de Valorsay prend votre cause en main, vous ne manquerez de rien. Même, s’il faut soutenir un procès, il vous avancera volontiers les fonds nécessaires…

Comment, après cela, M. Wilkie eût-il pu n’avoir pas confiance!..

Aux sombres pressentiments qui avaient troublé le commencement de sa nuit, succédaient de nouveau des espérances délirantes…

La seule idée, qu’il serait présenté à M. de Valorsay, ce gentleman si célèbre par ses aventures, ses chevaux et sa fortune… eût suffi à lui faire oublier tous ses déboires…

Devenir l’ami de cet homme illustre, quel rêve!.. A graviter dans l’orbe d’un tel astre, que de rayons ne lui emprunterait-il pas?.. Alors, pour tout de bon, il compterait dans le monde. Il se sentait grandi d’une coudée, et Dieu sait avec quelle hauteur il eût accueilli Costard et Serpillon s’ils se fussent présentés en ce moment.

Inutile, après cela, d’insister sur le soin qu’il mit au matin à composer sa toilette… C’est que ce n’était pas d’une médiocre importance, avec l’intention qu’il avait de se révéler tout entier par son seul extérieur, et de frapper et de séduire le marquis du premier coup.

Comment paraître à la fois très-recherché et un peu négligé en sa mise, excessivement élégant et cependant fort simple, «épatant de chic et de distinction» en un mot?..

Il ne fallait rien moins que ce problème à résoudre pour lui alléger le vol des heures… Mais telle était sa préoccupation qu’en voyant entrer M. de Coralth qui venait le prendre, il s’écria:

– Déjà!..

C’est qu’il lui semblait en vérité qu’il n’y avait pas cinq minutes qu’il étudiait, devant sa glace, son attitude et ses gestes, une façon neuve et élégante de saluer et de s’asseoir, pareil au comédien qui «répète les effets» qui le feront applaudir…

– Comment, déjà!.. répondit le vicomte, je suis en retard d’un quart d’heure… Ne seriez-vous pas prêt?..

– Si, certainement.

– En route, alors, et vivement, mon coupé est en bas.

Le trajet fut silencieux.

M. Fernand de Coralth, dont le teint blanc et reposé eût d’ordinaire fait envie à une jeune fille, avait le visage tout couperosé et comme bouffi, et un grand cercle bleuâtre s’élargissait autour de ses yeux… Il paraissait d’ailleurs d’une humeur de dogue…

– C’est qu’il n’a pas assez dormi, pensa M. Wilkie, dont la perspicacité jamais n’était en défaut… Il n’a pas comme moi un tempérament de bronze.

Le fait est qu’il ne sentait aucune fatigue, bien que n’ayant pas fermé l’œil de la nuit, mais seulement cette trépidation intérieure qui précède les débuts et qui sèche si merveilleusement la gorge.

Pour la première fois de sa vie, – et la dernière, sans doute, – M. Wilkie se défia de lui et craignit de n’être pas «à la hauteur.»

Or, l’aspect de l’hôtel du marquis de Valorsay n’était pas de nature à lui rendre son assurance…

Quand il pénétra dans la cour, où attendait tout attelé le phaéton du maître, quand il vit par les portes ouvertes des écuries et des remises les chevaux de prix piaffant dans leurs stalles et les voitures sous leurs grandes housses de toile… lorsqu’il compta les valets rangés dans le vestibule, et qu’il gravit l’escalier à la suite d’une manière d’huissier en habit noir, sérieux comme un notaire… pendant qu’il traversait les salons encombrés de tableaux, d’armes, de statues, de tous les objets d’art gagnés par les chevaux du marquis, M. Wilkie s’avoua qu’il ne savait rien de la «grande vie,» que ce qui lui avait semblé être le luxe n’en était même pas l’ombre, et il se sentait rapetissé jusqu’à avoir honte de lui…

Même, ce sentiment d’infériorité fut si puissant, que la tentation de fuir lui vint au moment où l’homme à l’habit noir, ouvrant une porte, annonça d’une belle voix bien timbrée:

– M. le vicomte de Coralth!.. M. Wilkie!..

De l’air le plus aisé et le plus noble, – c’était, en vérité, tout ce qu’il avait gardé de ses aïeux, le marquis de Valorsay se leva, et tendant la main à M. de Coralth:

– Soyez le bienvenu, vicomte, prononça-t-il… Monsieur que voici est sans doute le jeune ami dont me parlait le billet que vous m’avez écrit ce matin?..

– Lui-même… et en vérité, le brave garçon a bien besoin de votre obligeance… Il se trouve dans une situation très-délicate et ne connaît personne qui puisse lui donner un coup d’épaule…

– Eh bien!.. je le lui donnerai, moi, et avec plaisir, puisqu’il est votre ami… Mais encore faut-il que je sache ce dont il s’agit… Asseyez-vous, messieurs, et veuillez me mettre au courant…

D’avance, M. Wilkie avait préparé son thème, un récit émouvant et spirituel, tel qu’il était capable de le composer, mais voilà qu’au moment de commencer il ne put… Il ouvrit bien la bouche, mais il n’en sortit aucun son, et il demeura béant, interloqué, stupide…

Ce fut M. de Coralth qui exposa les faits, et cela valut autant; l’histoire y gagna en netteté et en exactitude, et même M. Wilkie remarqua que son «grand ami» savait donner aux événements une meilleure couleur et esquiver ce que sa conduite avait eu de trop odieux.

Il remarqua aussi, et cela lui parut du meilleur augure, que M. de Valorsay écoutait de toute son attention.

Digne marquis! ses intérêts propres eussent été en jeu qu’il n’eût point paru plus intéressé… Et dès que le vicomte eut terminé:

– Voilà, en effet, une situation embrouillée, prononça-t-il, et je crois que, livré à ses seules ressources, votre jeune ami, cher vicomte, y laisserait toute sa laine…

– Mais, c’est entendu, vous l’aiderez, n’est-ce pas?

M. de Valorsay se recueillit quelques secondes, puis s’adressant à M. Wilkie: