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La vie infernale

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C’était, en effet, chez M. Fortunat, un parti pris de ne rien entendre.

Il ne voulait pas d’explications, se défiant de lui, redoutant les inspirations de son caractère aventureux qui le poussait quand même vers tout ce qui était spéculation, risques à courir, gains énormes promis à une faible mise.

Il redoutait l’appât des affaires aléatoires comme le joueur craint la vue des cartes et l’ivrogne l’odeur des liqueurs fortes.

Enfin il avait peur de l’éloquence du marquis. Ne l’avait-il pas entraîné déjà plus loin que sa volonté première? Enfin il savait que qui discute est à moitié vaincu et ne demande plus bientôt qu’à se laisser convaincre.

– Ne me dites rien, monsieur, fit-il vivement, tout serait inutile… je n’ai pas d’argent… Pour vous donner dix mille francs hier soir, il m’eût fallu les emprunter à M. Prosper Bertomy, parole d’honneur!.. Et je les aurais, que je vous dirais encore: «Impossible!» Chacun a son système, n’est-ce pas?.. Le mien est de ne jamais courir après mon argent… On se ruine à chercher à se rattraper… Pour moi, ce qui est perdu est perdu définitivement… je tâche de n’y plus penser et je me tourne d’un autre côté… Ainsi, vos quarante mille francs sont déjà passés aux profits et pertes. Et cependant il vous serait aisé de me les rendre, si vous vouliez suivre mon conseil et liquider sans tambour ni trompettes…

– Jamais!.. interrompit M. de Valorsay, jamais!..

Et son imagination lui représentant comme en un éclair tous les déboires et toutes les humiliations de l’homme ruiné et déchu…

– Je ne veux pas déchoir, s’écria-t-il… Je sauverai tout, les apparences et la réalité, ou je ne sauverai rien… si vous me refusez, je verrai ailleurs, je chercherai… Mais je ne donnerai pas à tous mes bons amis, qui m’exècrent et que je haïs, cette joie délicieuse de voir le marquis de Valorsay tombant de chute en chute, jusqu’aux pantalons douteux, aux bottes ressemelées et à l’emprunt du louis… Je ne brosserai jamais les habits de ceux que j’ai éclaboussés quinze ans… Non, jamais, j’aimerais mieux mourir ou commettre les plus grands crimes!..

Il s’arrêta court, un peu étonné peut-être de ce qu’il venait de dire, et, pendant un moment, M. Fortunat et lui se regardèrent dans les yeux, en silence, chacun s’efforçant de pénétrer la pensée secrète de l’autre, comme des duellistes sur le terrain, pendant un repos, avant de reprendre le combat.

Le marquis fut le premier à se croire renseigné.

– Ainsi, fit-il, d’un ton qui voulait être dégagé, et qui était plutôt menaçant, c’est bien décidé, votre refus est définitif.

– Dé – fi – ni – tif!!!

– Vous ne daignerez même pas écouter mes explications?

– Ce serait du temps perdu!..

M. de Valorsay, à cette cruelle réponse, donna sur le bureau un si formidable coup de poing que trois ou quatre dossiers roulèrent à terre. Sa colère n’était plus feinte…

– Que projetez-vous donc, s’écria-t-il, et que comptez-vous faire?.. Pour qui me trahissez-vous, pour quelle somme et pour quels desseins?.. Prenez garde… C’est ma peau que je vais défendre, et par le nom de Dieu!.. je la défendrai bien… L’homme résolu à se brûler la cervelle s’il échoue est terriblement dangereux… Malheur à vous si je vous trouve jamais entre moi et les millions de Chalusse…

M. Fortunat n’avait pas une goutte de sang aux joues; néanmoins sa contenance fut digne.

– Vous avez tort de me menacer, fit-il, vous ne me faites pas peur… Si j’étais contre vous, je n’aurais qu’à vous poursuivre pour les 40,000 francs que vous me devez. Je ne serais pas payé, mais l’édifice mensonger de votre fortune croulerait sous ce seul coup de pic… Vous oubliez en outre que je possède un double de notre traité signé de votre main, et que je n’aurais qu’à le faire parvenir à Mlle Marguerite, pour lui donner la juste mesure de votre désintéressement… Brisons donc nos relations, Monsieur, et allons chacun notre chemin sans plus nous occuper l’un de l’autre… Si vous réussissez vous me rendrez mon argent.

La victoire restait au dénicheur d’héritages, et c’est avec un sentiment d’orgueil qu’il vit s’éloigner son très-noble client humilié et blême de rage…

– Quel brigand que ce marquis, grommelait-il, et comme je préviendrais Mlle Marguerite, la pauvre fille, si je n’avais pas si peur de lui!..

XIV

M. Casimir, le valet de chambre de feu M. le comte de Chalusse, n’était, mon Dieu! ni meilleur ni pire que la plupart de ses confrères…

Les vieillards racontent qu’il existait jadis une race de serviteurs fidèles, qui se croyaient solidaires de la famille qui les adoptait et en embrassaient les intérêts et les idées. Les maîtres, en ce temps, payaient ce rare dévouement en protection efficace et en sécurité pour l’avenir.

De tels maîtres et de pareils serviteurs, on ne trouve plus aujourd’hui de traces que dans les vieux mélodrames de l’Ambigu; dans la Berline de l’Emigré, par exemple, ou dans le Dernier des Châteauvieux.

Les domestiques, à cette heure, traversent les maisons où ils servent comme ces auberges à la nuit où on se permet tout puisqu’on part le lendemain.

Et les familles les accueillent comme des hôtes nomades, dangereux souvent, et dont il est toujours prudent de se défier.

On ne laisse pas la clef de la cave à ces tâcherons révoltés, on ne leur confie plus guère que les enfants, ce qui produit de prodigieux résultats, ainsi que le prouva, l’an passé, certain procès qui épouvanta Paris…

Cependant, M. Casimir était probe, dans le sens strict du mot. Plutôt que de dérober une pièce de dix sous, il eût gâché et gaspillé pour 100 francs de n’importe quoi, dans l’hôtel, comme cela lui arrivait parfois, quand on lui avait fait des reproches et qu’il voulait se venger.

Vaniteux, cauteleux et rapace, il se contentait de n’aimer que son maître et de l’envier furieusement, trouvant bien injuste et bien ridicule la destinée qui ne l’avait pas fait naître à la place de M. le comte de Chalusse.

Étant bien payé, il servait passablement. Mais le plus clair de son intelligence il l’employait à surveiller le comte. Flairant dans la maison quelque gros secret de famille, il était humilié qu’on ne l’eût pas confié à sa discrétion.

Et s’il ne découvrit rien, c’est que véritablement M. de Chalusse était la méfiance même, ainsi que Mme Léon le reprochait à sa mémoire.

Aussi, cette après-midi où il avait vu Mlle Marguerite et le comte chercher dans le jardin les débris d’une lettre déchirée dans un mouvement de rage dont il avait été témoin, M. Casimir sentit redoubler les démangeaisons de sa curiosité, plus ardentes et plus agaçantes que le prurit de l’urticaire.

Il eût donné un mois de ses gages, et quelque chose encore, pour connaître le contenu de cette lettre, dont le comte recollait précieusement les morceaux sur une grande feuille de papier.

Et quand il entendit M. de Chalusse dire à Mlle Marguerite que les plus importants débris manquaient, et que cependant il renonçait à des recherches vaines, le digne valet de chambre se jura qu’il serait plus adroit ou plus heureux que son maître.

Et en effet, ayant cherché, il découvrit cinq petits morceaux de papier de la largeur du pouce, qui avaient été emportés sous un massif.

Ils étaient couverts d’une écriture menue et allongée, écriture de femme, évidemment, mais sur aucun d’eux ne se trouvait une phrase offrant un sens.

N’importe!.. M. Casimir les serra précieusement, à tout hasard, se gardant bien surtout de parler d’une trouvaille dont il supposait bien que son maître ne lui saurait aucun gré.

Mais ces débris, les mots sans suite qu’il y avait déchiffrés, lui trottaient par la cervelle, et parmi toutes les idées que fit éclore en lui l’accident du comte, l’idée de la lettre pointa.

Cela explique son grand empressement à fouiller les vêtements de M. de Chalusse, quand Mlle Marguerite lui commanda de chercher la clef du secrétaire.

Et il joua de bonheur, car s’il trouva la clef qu’il remit, il rencontra aussi la lettre qu’il chiffonna dans la paume de sa main et glissa fort subtilement dans sa poche.

Dextérité perdue!.. M. Casimir eut beau combler les lacunes de cette lettre avec les débris trouvés par lui, il eut beau la lire et la relire en appliquant toute son attention, elle ne le renseigna pas; ou du moins, elle le renseigna si vaguement et si incomplétement que ce lui fut comme un nouvel irritant.

Un moment il eut la pensée de la remettre à Mlle Marguerite, mais il résista à ce premier mouvement en se disant:

– Ah!.. mais non!.. pas si bête!.. Elle lui serait peut-être utile.

Et M. Casimir, qui était un homme fort, ne voulait pas être utile à cette pauvre fille, dont il n’avait jamais reçu que des marques de bonté.

Il la haïssait, sous prétexte qu’elle n’était pas à sa place, qu’on ne savait ni qui elle était ni d’où elle venait et qu’il était bien ridicule qu’il eût, lui, Casimir, à recevoir des ordres d’elle.

L’infâme calomnie que Mlle Marguerite avait recueillie sur son passage: «Voici la maîtresse du riche comte de Chalusse,» était l’œuvre de M. Casimir.

Il avait juré qu’il se vengerait de cette orgueilleuse, et on ne peut savoir ce qu’il eût imaginé sans l’intervention décisive du juge de paix.

Rappelé vertement à l’ordre, M. Casimir se consola de ce camouflet quand le juge lui confia huit mille francs et l’administration provisoire de l’hôtel. Rien ne pouvait lui plaire davantage.

C’était d’abord et principalement une occasion magnifique de faire acte d’autorité et de trancher du maître; c’était, en outre, la faculté de traiter, pour les funérailles, avec Victor Chupin, c’était enfin la liberté de courir au rendez-vous que lui avait fait demander M. Isidore Fortunat.

Laissant donc ses camarades suivre les opérations du juge de paix, il chargea M. Bourigeau des déclarations à la mairie, et, allumant un cigare, il sortit de l’hôtel, et lentement remonta la rue de Courcelles.

 

C’est au boulevard Haussmann qu’il avait rendez-vous, dans un établissement tout neuf, presque en face des beaux ateliers de Binder.

Plutôt débit de vins que restaurant, cet établissement ne payait pas précisément de mine, mais on y mangeait, on y déjeunait surtout fort bien, M. Casimir le savait par expérience.

– Personne n’est venu pour moi?.. demanda-t-il en entrant.

– Personne.

Il consulta sa montre et parut surpris.

– Pas midi encore?.. fit-il; je suis en avance… Donnez-moi, cela étant, un verre d’absinthe et un journal.

On lui obéit avec une promptitude que jamais son défunt maître n’avait obtenue de lui, et il se plongea dans le cours de la Bourse de l’air d’un homme qui a dans son tiroir des raisons de s’y intéresser.

Ayant vidé son verre d’absinthe, il en demandait un second, quand on lui frappa sur l’épaule. Il se dressa en sursaut; M. Isidore Fortunat était devant lui.

Comme toujours, le chasseur d’héritages était vêtu avec une recherche sévère, chaussé et ganté correctement, mais un sourire discret et encourageant qui ne lui était pas habituel errait sur ses lèvres.

– Vous le voyez, s’écria M. Casimir, on vous attendait!

– C’est vrai! je suis en retard, fit M. Fortunat, mais nous allons réparer le temps perdu… Car vous me ferez, je l’espère, le plaisir de déjeuner avec moi?

– C’est que, véritablement, je ne sais si je dois…

– Oui, oui, vous devez… On va nous donner un cabinet: nous avons à causer…

Ce n’était certes pas pour son agrément, que M. Fortunat fréquentait M. Casimir et faisait avec lui commerce d’amitié et de fourchette. M. Fortunat, qui était fier, estimait ces relations quelque peu au-dessous de sa dignité. Mais les événements lui avaient forcé la main au début, et ensuite, son intérêt commandant, il avait passé sur ses répugnances.

C’est par le comte de Chalusse que M. Fortunat avait connu M. Casimir. Ayant eu à se louer des services du dénicheur d’héritiers, et lui supposant une probité relative, le comte l’avait chargé d’arranger diverses tracasseries, et à chaque fois lui avait expédié son valet de chambre.

Naturellement M. Casimir avait péroré, l’autre avait écouté, de là une connaissance superficielle.

Plus tard, lors des projets de mariage de M. de Valorsay, M. Fortunat avait trouvé commode, pour contrôler les allégations de son noble client, de faire du domestique de M. de Chalusse son espion.

De là des relations suivies, dont le prétexte avait été facile à trouver, M. Casimir étant un spéculateur et jouant à la Bourse.

Et quand il avait besoin de renseignements, M. Fortunat invitait M. Casimir à déjeuner, sachant l’influence d’une bonne bouteille offerte à propos, et tout en sirotant le café, sans avoir l’air d’y toucher, il arrivait à ses fins…

C’est dire qu’il soigna le menu, ce jour où d’un mot de plus ou de moins dépendait peut-être la partie qu’il allait jouer…

Et l’œil de M. Casimir étincelait, en prenant place devant une table bien blanche, en face de son amphitryon.

C’est dans un tout petit «salon de société» prenant jour sur le boulevard, que le traiteur avait dressé le couvert.

M. Fortunat lui-même l’avait choisi et désigné. Non qu’il fût plus spacieux que les autres, ni plus confortable, mais il était isolé. C’est un avantage considérable, pour qui sait combien sont indiscrets et perfides les cabinets particuliers séparés par de simples voliges de sapin, aussi minces qu’une feuille de papier.

Il ne devait pas tarder à s’applaudir de sa prévoyance.

Le déjeuner avait commencé par un plat d’escargots, et M. Casimir n’avait pas achevé sa douzaine, arrosée de vin de Chablis, que déjà il déclarait ne voir nul inconvénient à se déboutonner devant un ami…

Les événements de la matinée ayant déjà bouleversé sa cervelle, la vanité et la bonne chère achevaient d’exalter ses facultés, et il discourait avec une verve intarissable.

Oubliant toute prudence, il s’abandonnait, et on pouvait le juger à l’entendre parler du comte de Chalusse et du marquis de Valorsay, et surtout de son ennemie, Mlle Marguerite.

– Car c’est elle, criait-il en tapant son couteau sur la table, c’est elle seule qui a pris les millions disparus. Comment?.. c’est ce qu’on ne saura jamais, car elle n’a pas sa pareille pour la malice. Mais elle les a volés, j’en suis sûr, j’en lèverais la main devant la justice, et je le lui aurais prouvé sans cet espèce de juge de paix qui a pris son parti parce qu’elle est jolie… car elle est diantrement jolie la coquine…

Le guetteur d’héritages eût voulu placer un mot qu’il ne l’eût pu, tant l’autre, impérieusement, s’emparait de la conversation.

Mais cela ne lui déplaisait pas. Il n’en était que plus libre de se donner à ses réflexions.

Elles étaient singulières:

Rapprochant des affirmations de M. Casimir les assurances du marquis de Valorsay, il était confondu de la coïncidence.

– C’est au moins bizarre! pensait-il. Cette jeune fille aurait-elle vraiment volé, le marquis le saurait-il par Mme Léon et songerait-il à profiter du vol? En ce cas, je rentrerais dans mon argent… Il faudra voir…

Aux escargots et au vin blanc, une perdrix et du vin de Pomard succédaient, et la loquacité de M. Casimir augmentait et le diapason de sa voix montait…

Seulement, il s’égarait en ridicules cancans et en calomnies absurdes, et il devenait assommant lorsque tout à coup, sans transition, il en arriva à la lettre mystérieuse qui avait, selon lui, déterminé l’accident du comte.

Aux premiers mots, M. Fortunat avait tressailli.

– Bast!.. fit-il, d’un air incrédule, comment diable une lettre aurait-elle une pareille influence…

– Dame, je ne sais pas… Ce qui est sûr, c’est qu’elle l’a eue.

Et, à l’appui de son dire, il raconta comme quoi le comte l’avait déchirée sans la lire, comment il en avait été désolé ensuite, et comme quoi il en avait recherché les débris pour retrouver une adresse qu’on lui donnait…

– Et la preuve, ajouta-t-il, c’est que défunt Monsieur devait passer chez vous pour vous prier de lui dénicher la personne qui lui écrivait.

– Êtes-vous sûr de cela?..

– Sûr comme je le suis de boire du Pomard!.. s’écria M. Casimir en vidant son verre.

Rarement le «pisteur d’héritages» avait eu la gorge serrée par une semblable émotion.

Que cette lettre fût le mot du problème dont la solution pouvait l’enrichir, il n’en doutait pas: son flair si exercé le lui affirmait.

– L’a-t-on retrouvée, cette lettre? demanda-t-il.

– Eh!.. je l’ai, s’écria triomphalement le valet de chambre, je l’ai dans ma poche, et complète, qui plus est.

Le coup fut si fort que M. Fortunat pâlit… de joie.

– Tiens!.. Tiens!.. fit-il, elle doit être curieuse!

L’autre, dédaigneusement allongea la lèvre inférieure.

– Comme ci, comme ça, répondit-il… Et d’abord, on n’y comprend goutte… Le plus clair est qu’elle a été écrite par une femme.

– Ah!..

– Oui, par quelque ancienne maîtresse… Et naturellement, elle demande de l’argent pour un moutard… Les femmes ne la ratent jamais, celle-là… On me l’a faite, à moi qui vous parle, plus de dix fois… Mais avec moi, ça ne mord pas.

Et, tout gonflé de fatuité, il entreprit trois ou quatre «histoires d’amour» qui lui étaient arrivées, jurait-il, et qui le montraient sous un jour purement ignoble.

La chaise de M. Fortunat eût été un gril posé sur un bon feu, qu’il n’eût pas paru plus mal à l’aise.

Après avoir versé rasade sur rasade à son convive, il s’apercevait qu’il l’avait trop poussé et qu’il n’y avait plus à essayer de le retenir.

– Et cette lettre?.. interrompit-il à la fin.

– Eh bien?..

– Vous m’aviez promis de me la donner à lire.

– C’est juste… c’est très-juste… mais il faudrait du moka, avant!.. si nous demandions le moka, hein?

On servit le café, et dès que le traiteur eut refermé la porte, M. Casimir tira la lettre de sa poche et la déplia en disant:

– Attention!.. je vais lire.

Ce n’était pas l’affaire de M. Fortunat, il eût bien préféré lire lui-même; mais on ne discute pas les volontés d’un ivrogne, et M. Casimir, d’une langue de plus en plus pâteuse, s’écria:

– «Paris, 14 octobre 186…» Donc, la dame habite Paris… C’est toujours ça… Mais après, elle ne met ni «monsieur,» ni «mon ami,» ni «cher comte,» rien du tout… elle écrit tout roide:

«Une fois déjà, voici bien des années, je me suis adressée à vous en suppliante. Impitoyable, vous n’avez pas daigné me répondre.

«Et cependant, j’étais tout au bord de l’abîme, et je vous le disais, j’avais la tête perdue, et le vertige s’emparait de moi… Abandonnée, j’errais dans Paris, sans asile et sans pain, et mon enfant avait faim!..»

M. Casimir s’interrompit, éclatant de rire.

– Hein!.. comme c’est ça!.. s’écria-t-il, comme c’est bien ça! J’en ai dix, dans mon tiroir, des lettres pareilles, et même plus empoignantes… Après déjeuner, vous viendrez chez moi, et je vous les montrerai. Nous rirons bien!

– Finissons toujours celle-ci.

– Naturellement.

Et il reprit:

«Seule, je n’eusse pas hésité… J’étais si malheureuse que la mort m’apparaissait comme un refuge. Mais que fût devenu mon enfant?.. Devais-je donc le tuer et me tuer après? J’en ai eu la pensée, non le courage.

«Ce que j’implorais de votre pitié, vous me le deviez… Je n’avais qu’à me présenter à votre hôtel et à dire: Je veux!.. Hélas! je ne le savais pas alors, je me croyais liée par un serment, et vous m’inspiriez un invincible effroi…

«Et cependant il fallait que mon enfant vécût…

«Alors je me suis abandonnée… Et j’ai roulé si bas que j’en ai été réduite à éloigner mon fils… Il ne fallait pas qu’il sût à quelles hontes il devait sa vie… Et il ignore jusqu’à mon existence…»

M. Fortunat était comme pétrifié.

Après ce qu’il avait surpris du passé du comte, après les confidences de la Vantrasson, la mégère du garni-modèle, il ne pouvait guère douter.

– Cette lettre, pensait-il, ne peut être que de Mlle Herminie de Chalusse.

M. Casimir poursuivait:

«… Si je m’adresse à vous de nouveau, si, du fond de mon enfer, je vous crie: Au secours! c’est que je suis à bout de forces, c’est qu’il faut, avant que je meure, que l’avenir de mon fils soit assuré…

«Il lui faut non une fortune, mais de quoi vivre, et j’ai compté sur vous…»

Une fois encore, l’honorable valet de chambre s’interrompit.

– Et voilà!.. fit-il… de quoi vivre… j’ai compté sur vous!.. C’est superbe!.. Les femmes sont superbes, parole d’honneur!.. C’est qu’elle y compte, oui!.. Écoutez plutôt la fin!

Et il continua:

«… Il est indispensable que je vous voie le plus tôt possible.

«Daignez donc, demain jeudi, 15 octobre, vous rendre, 43, rue du Helder, à l’hôtel de Hombourg. Vous demanderez Mme Lucy Huntley, et on vous conduira à moi…

«Je vous attendrai depuis trois heures jusqu’à six…

«Venez, je vous en conjure, venez…

«Il m’est pénible d’ajouter que si je n’ai pas de vos nouvelles, je suis résolue à exiger et à obtenir, – quoi qu’il doive arriver, – ce que je vous demande encore à genoux et à mains jointes.»

Ayant achevé, M. Casimir posa la lettre sur la table et se versa un bon verre d’eau-de-vie qu’il lampa d’un trait.

– Et c’est tout!.. prononça-t-il. Pas de signature, pas une initiale, rien… C’est une femme du monde qui écrit ça… Elles ne signent jamais leurs poulets, les coquines, de peur de se compromettre… On a ses raisons pour le savoir…

Et il riait, de ce rire idiot et entrecoupé de hoquets de l’homme qui a bu.

– Si j’avais eu le temps, poursuivit-il, je serais allé m’informer de cette Lucy Huntley, un faux nom, évidemment… J’aurais voulu… Mais qu’avez-vous donc, cher monsieur Fortunat, vous voilà pâle comme la mort… Seriez-vous indisposé?

Il est de fait que, depuis un moment, l’honorable guetteur d’héritages était changé comme après une maladie d’un mois.

– Merci, balbutia-t-il, je vais très-bien… Seulement je viens de me rappeler qu’on m’attend…

– Qui?..

– Un client, pour une liquidation…

L’autre eut un geste moqueur et cordial.

– Connu le prétexte! interrompit-il. Eh! envoyez promener le client! N’êtes-vous pas assez riche?.. Tenez, versez-nous plutôt un petit verre, cela vous remettra…

M. Fortunat obéit, mais si maladroitement, ou si adroitement plutôt, que sa manche ramena devant lui la lettre placée devant M. Casimir.

– Allons… à votre santé! fit le valet de chambre.

 

– A la vôtre! répondit M. Fortunat.

Et en retirant le bras qu’il avait tendu pour trinquer, il fit tomber la lettre sur ses genoux.

M. Casimir, qui ne s’était aperçu de rien, essayait d’allumer un cigare, et tout en usant en vain quantité d’allumettes, il continuait:

– C’est-à-dire, mon vieux, que vous voudriez me lâcher… Pas de ça, Lisette!.. Nous allons monter chez moi, et je vous lirai des lettres d’amour de femmes du monde… Après, nous irons faire une partie de billard chez Morloup… C’est là, qu’on rit… Vous verrez Joseph de chez Commarin, un farceur qui est plein d’esprit…

– C’est cela… Mais avant, il faut que je paie ici.

– Oui, payez…

Le chasseur d’héritages sonna, en effet, pour demander la carte.

Il avait obtenu bien plus de renseignements qu’il n’espérait, il avait la lettre dans sa poche, il ne souhaitait plus qu’une chose: se débarrasser de M. Casimir.

Mais cela ne devait pas être facile, les ivrognes ont l’amitié tenace, et il se demandait quel stratagème employer, quand le traiteur parut et dit:

– Il y a là un petit jeune homme très-pâle… qui a l’air d’un clerc d’huissier… Il voudrait parler à ces messieurs…

– Eh! c’est Chupin!.. s’écria le valet de chambre. C’est un ami… Faites entrer et apportez un verre. Plus on est de fous, plus on rit, comme dit cet autre!

Que voulait Chupin? M. Fortunat ne l’imaginait pas du tout. Il n’en bénit pas moins sa venue, bien décidé à lui colloquer le fardeau de Casimir.

Mais dès que Victor Chupin parut, son visage se rembrunit. Il ne lui avait fallu qu’un coup d’œil pour reconnaître l’ivresse du brillant valet de chambre. Or, c’était un garçon sérieux et rangé, qui n’aimait pas à traiter les affaires le verre à la main et qui professait pour les ivrognes une grande aversion.

Il salua poliment M. Fortunat, et s’adressant à M. Casimir d’un ton mécontent:

– Il est trois heures… fit-il, et je venais, ainsi que nous en étions convenus, m’entendre avec vous pour les funérailles de M. de Chalusse.

Cela fit à M. Casimir l’effet d’une douche d’eau glacée.

– Sapristi!.. s’écria-t-il, j’avais oublié… totalement… parole d’honneur!..

Et la notion lui revenant tout à la fois, et de la responsabilité qu’il avait acceptée, et de son ivresse:

– Dieu de Dieu!.. poursuivit-il, je me suis mis dans un bel état… Allons, bon!.. je ne tiens seulement plus debout… Que va-t-on penser à l’hôtel… Que va-t-on dire…

M. Fortunat avait attiré son employé dans un coin.

– Victor, lui dit-il vivement, je file… Tout est payé, mais pour le cas où il vous faudrait faire quelque dépense de voiture ou autre, voici dix francs… Le reste sera pour vous… Je vous confie cet imbécile, veillez sur lui…

La pièce de dix francs dérida un peu Chupin.

– Bon, grommela-t-il, les ivrognes, ça me connaît… J’ai fait mon apprentissage «d’ange gardien» quand ma grand-mère tenait la Poivrière.

– Surtout ne le laissez pas rentrer dans l’état où il est…

– Soyez tranquille, m’sieu, il faut que je cause d’affaires avec lui; ainsi, je vais vous le dégriser comme avec la main…

Et pendant que M. Fortunat s’esquivait, Chupin fit signe à un garçon et lui dit:

– Apportez-moi du café très-fort, une poignée de sel gris et un citron… Rien de meilleur pour remettre un homme!..