Za darmo

La dégringolade

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III

Tout en descendant l'escalier de Mme Bergam:

– Oui, certes, pensait le docteur Legris, cela vaut mieux pour moi!..

Et cependant, ce n'est pas sans une surprise secrète que, s'examinant, il se trouvait l'esprit si parfaitement libre et le cœur si léger. C'était bien fini. Il n'avait été ni ému ni troublé par les regards et la voix de Mme Lucy. Son unique sensation avait été une sorte de honte d'avoir pu l'aimer jusqu'à l'oubli de soi. Car le prisme étant brisé, il la voyait et la jugeait telle qu'elle était réellement, très belle à coup sûr, mais sotte, vulgaire et banale, sans cœur et inconsciemment perverse.

– Voilà donc, se disait-il, ce que deviennent avec le temps ces grandes passions dont on croit ne jamais guérir.

Mais ce n'était ni le lieu ni l'heure de philosopher, et comme il n'aperçut point de voiture aux environs, il se mit en route à pied, se faisant d'avance une fête de la joie de Raymond.

C'est que les résultats étaient immenses, estimait-il, de sa visite à Mme Bergam.

Désormais il lui était prouvé que Laurent seul avait pu s'emparer des papiers de Mme Flora, et il se disait qu'un tel homme possédant de pareilles armes devait être invincible.

Puis, n'était-ce pas un coup de partie, que d'avoir déterminé Mme Misri à rester à Paris!..

D'autant que le docteur n'était nullement embarrassé de tenir la promesse qu'il lui avait faite de lui trouver une retraite inviolable.

Parmi ses clients, se trouvait la veuve d'un sous-officier du génie, à laquelle il avait eu occasion de rendre un de ces services dont on ne s'acquitte jamais. Cette femme, d'un certain âge déjà, intelligente et énergique, habitait, tout au fond des Batignolles, une petite maison isolée.

C'est chez elle qu'il se proposait de conduire Mme Misri, bien certain que personne jamais ne s'aviserait d'aller l'y chercher.

Et la veuve avait précisément le caractère qu'il fallait pour soutenir, pour rassurer, pour défendre, au besoin, de ses propres imprudences, une femme telle que Flora.

Préoccupé autant que s'il se fût agi de ses intérêts et non de ceux d'un ami de quinze jours, M. Legris remontait la pente de la rue Blanche, et il dépassait la rue Moncey, lorsqu'il s'entendit appeler:

– Monsieur le docteur!..

C'était le vieux Krauss qui venait à lui avec des gestes désespérés.

– Qu'y a-t-il? demanda M. Legris.

– Un grand malheur, répondit le vieux soldat. M. Raymond s'habillait pour sortir, après déjeuner, quand tout à coup arrive à la maison un monsieur que j'y ai vu venir quelquefois. Tout pâle, et d'un air effaré il me demanda à parler à monsieur, à l'instant. Je le fais entrer dans le cabinet de travail, il y reste cinq minutes et ressort tout courant. Alors, M. Raymond paraît, qui nous annonce, à sa mère et à moi, qu'une société secrète dont il fait partie est découverte, que les listes sont saisies et que déjà plusieurs membres sont arrêtés. Ah! monsieur, quelle femme que madame!.. Au lieu de se troubler et de perdre son temps à pleurer: – «Eh bien! dit-elle à M. Raymond, il faut fuir, te cacher, passer en Belgique. Heureusement j'ai ici trois ou quatre mille francs, prends-les et pars, ne reste pas ici une minute de plus…»

– Et il est parti?

– Oui, monsieur; seulement, avant de s'éloigner, il m'a bien recommandé de vous guetter, pour vous empêcher d'aborder la maison, où on a peut-être établi une souricière, et pour vous dire qu'il faut absolument qu'il vous parle, et qu'il vous attend à ce café où vous l'avez si bien soigné, au Café de Périclès

Le docteur Legris avait fait mieux que prévoir, il avait prédit le sort réservé à la Société des Amis de la justice, – et c'était un mince mérite après la fausse lettre de convocation adressée à Raymond.

Ayant une arme, M. de Combelaine s'en servait; rien de si simple.

Ce qui était moins naturel, c'était qu'on eût laissé ce répit à Raymond, et qu'il n'eût pas été arrêté le premier de tous, bien avant l'éveil donné.

– Voilà ce que je ne m'explique pas, murmurait M. Legris.

– Eh bien! approuva Krauss, c'est juste ce que disait M. Raymond, quand il a quitté la maison.

– Combien y a-t-il de cela?

– Une heure à peu près… Mais vous allez le rejoindre sur-le-champ, n'est-ce pas, monsieur?..

– Oui, sur-le-champ.

La colère faisait trembler la moustache du vieux soldat.

– Alors, monsieur, reprit-il, recommandez-lui bien, je vous en conjure, d'ouvrir l'œil. Qu'il se défie même de son ombre. Avec des lâches, avec des assassins, il n'y a pas de honte à être prudent.

– Comptez sur moi, mon brave Krauss, dit le docteur.

Et après avoir serré la main du fidèle serviteur, au lieu de continuer à remonter la rue Blanche, il tourna rue Boursault pour gagner les boulevards extérieurs par la rue Pigalle.

Une sinistre appréhension le faisait précipiter sa marche: Raymond n'avait-il pas été filé et arrêté?

– Quelle folie aussi, grommelait-il, de choisir, pour me donner rendez-vous, un établissement où on lui sait des amis!

Mais il allait en avoir le cœur net; il arrivait.

Comme tous les jours, à pareille heure, le Café de Périclès était silencieux et presque désert. Trois clients seulement l'honoraient de leur présence: deux peintres, qui jouaient leur dîner au billard, et le journaliste Peyrolas, assis à une table, un bock à sa gauche et un encrier à sa droite, écrivait avec une sorte de rage.

– Pas de Raymond! se dit le docteur en pâlissant.

Si doucement qu'il fût entré, le fougueux journaliste avait levé la tête et l'avait aperçu. Aussitôt:

– Docteur!.. s'écria-t-il.

Et M. Legris s'étant approché:

– Tel que vous me voyez, lui dit-il, j'achève deux articles qui feront du bruit dans Landerneau. C'est mon journal que je risque, je le sais; c'est ma liberté que je joue, n'importe!.. J'aurai cette gloire, à défaut d'autre, d'avoir élevé la voix quand la peur fermait toutes les bouches.

– Qu'est-ce donc? demanda le docteur d'un ton distrait.

– Peu de chose: les journaux officieux annoncent la découverte d'une grrrande et rrredoutable conspiration.

M. Legris tressaillit.

– S'agirait-il des Amis de la justice?

– Précisément. On avoue cent cinquante arrestations. Il y en aura mille demain. Avant la fin de la semaine, cinq cents citoyens seront expédiés à Cayenne, sous ce fallacieux prétexte qu'ils ont essayé de bouleverser l'ordre social. Eh bien! docteur, savez-vous ce que je prétends, moi, ce que je viens d'écrire, ce que je vais imprimer?..

Il tapait du poing, morbleu! à briser le marbre.

– Je soutiens, criait-il, et je prouve que ce complot n'existe pas, qu'il n'y a jamais eu ni amis ni justice, que c'est une grossière invention de la police, une abjecte imagination, un ignoble traquenard…

Le docteur était sur les épines.

– Il faut que je vous quitte, dit-il au terrible articlier.

Mais lui:

– Un instant: j'ai gardé le bouquet pour la fin. Je ne vous ai rien dit de l'abominable scandale d'hier.

– Quel scandale?

– Ah çà, docteur, de quel hospice d'incurables sortez-vous? Ignorez-vous vraiment que le duc de Maillefert, un duc pour de bon, celui-là, contrôlé, authentique, vient d'être arrêté?..

Outre qu'il bâclait des articles farouches, M. Peyrolas avait toutes les qualités de creux et de sonorité qui constituent un remarquable reporter. M. Legris le savait. Aussi, dominant son inquiétude:

– Avez-vous des détails? interrogea-t-il.

Le fougueux journaliste se redressa.

– Qui donc en aurait sinon moi! répondit-il, sinon un homme qui a successivement interrogé le concierge de l'hôtel de Maillefert, le portier de la maîtresse de l'accusé, deux employés du greffe et le caissier de M. Verdale!.. Je puis vous donner le menu du déjeuner de M. Philippe à la Conciergerie.

– Inutile!.. protesta le docteur. Ce que je voudrais savoir, c'est comment le duc de Maillefert, un gentilhomme viveur, a pu se trouver fourré dans des tripotages financiers.

D'un air suffisant, M. Peyrolas remontait son faux col.

– Rien de si simple, rien de si naturel. Depuis un an ou deux déjà, monsieur le duc faisait commerce de l'illustration de ses aïeux. C'était bien connu en Bourse. Quiconque avait besoin pour un prospectus d'un nom sonore et d'un beau titre n'avait qu'à l'aller trouver. Il en coûtait tant, un prix fait comme les petits pâtés. Mais, en somme, ce trafic lui rapportait peu; le jeu n'en valait pas la chandelle. Si bien qu'à force de respirer le fumet de toutes les cuisines financières, l'envie lui est venue de mettre la main à la sauce. Un beau matin, il a acheté une part de gérance de je ne sais plus quelle société, fondée à un capital considérable par un gaillard adroit dont vous avez entendu parler, un certain baron Verdale, qui est baron comme le garçon qui dort dans ce coin, là-bas…

Ce nom de Verdale, positivement, M. Legris l'attendait.

– Et après? interrogea-t-il.

– Après, dès que M. de Maillefert se vit entre les mains les clefs d'une caisse bien garnie, il se dit: «Cette caisse doit être à moi.» Et, en effet, il fit comme si elle était à lui…

– Mais comment tout s'est-il découvert?

– Comme se découvrent tous les vols, parbleu! Voyant la caisse vide, Verdale s'est écrié: «Où est l'argent?» Et comme M. de Maillefert seul avait pu le prendre, il a déposé une plainte contre M. Philippe.

Concilier cette version et la surprise de M. Verdale chez Mme Lucy était difficile.

– Êtes-vous sûr de vos renseignements, mon cher Peyrolas? demanda le docteur.

– Si, j'en suis sûr? Je les tiens du caissier de M. Verdale.

– Et vous n'avez pas entendu dire que M. de Combelaine fût pour quelque chose dans toute cette affaire?..

Un profond étonnement se peignit sur le visage mobile du journaliste.

 

– M. de Combelaine, répéta-t-il. J'ai beau chercher, je ne vois pas…

Mais il s'interrompit et, se frappant le front:

– Vous ayez raison, docteur, s'écria-t-il, mille fois raison. Est-ce que Combelaine ne doit pas épouser Mlle de Maillefert!.. Moi-même, il y a quinze jours, je l'ai annoncé, en ajoutant qu'il faut l'affaissement actuel des caractères, pour qu'une des plus illustres familles de France consente à donner sa fille à un misérable aventurier perdu d'honneur et d'argent…

Il ne parlait pas, il tonnait, à ce point que le garçon, Adonis, en fut éveillé en sursaut.

Reconnaissant le docteur.

– Monsieur Legris! s'écria-t-il.

Et bien vite, le tirant à part, il lui expliqua que Raymond était arrivé depuis plus d'une heure et l'attendait dans le petit salon du premier.

Il n'en fallait pas plus.

Campant là Peyrolas, qui parut vivement choqué du procédé, le docteur, en trois sauts, fut au petit salon.

Raymond s'y trouvait, en effet, fumant un cigare devant un verre de bière intact.

– Quoi!.. lui cria M. Legris, vous savez la police à vos trousses, et vous êtes là, tranquille… Vite, suivez-moi, la maison a une seconde issue que je connais…

Mais Raymond ne bougea non plus qu'un terme.

– Oh! rien ne presse, fit-il d'un air singulier.

– Malheureux! cent cinquante de vos amis, déjà, sont arrêtés.

– C'est parce que je le sais que je ne crains rien.

– Oh!..

– Permettez, docteur. N'avez-vous pas trouvé étrange que je n'aie pas été saisi le premier de tous, moi contre qui surtout l'expédition était dirigée?

– Très étrange, je l'ai dit à Krauss.

– Ce fut ma première impression, quand ce matin un des affiliés, que je ne connais pas autrement, vint me dire: «Tout est découvert, fuyez.» J'ai fui, mais j'ai réfléchi depuis. La police n'est pas si maladroite que cela. Si j'ai été prévenu, c'est qu'elle l'a voulu. C'est à un savant calcul que je dois de n'être pas sous les verroux…

– Cependant, mon cher…

– Calcul que je comprends, docteur, et que je puis vous démontrer. Mon arrestation débarrassait-elle de moi M. de Combelaine et ses honorables associés? Pas le moins du monde. Elle les exposait, au contraire, à des révélations désagréables, sinon dangereuses. En m'enfuyant, au contraire, en me cachant, je leur laisse le champ libre. Que je passe en Belgique, et les voilà tranquilles…

Le docteur se grattait le front.

– Eh! eh!.. grommela-t-il, je n'avais pas songé à cela, moi!..

– Attendez. Persuadé que c'est moi qui ai enlevé et qui possède les papiers de Mme Flora, M. de Combelaine suppose que je les emporterai avec moi, sur moi. L'idée a donc dû lui venir de me les faire enlever. Très probablement, je suis épié par les mêmes bandits qui, une fois déjà, m'ont manqué. A la première occasion, ils me sauteront à la gorge. Un conspirateur réduit à se cacher est un ennemi dont il n'est pas dangereux de se défaire. Qu'on le trouve un matin mort au coin d'une borne, avec un poignard dans la poitrine, personne ne s'en inquiète…

Il s'exprimait d'un accent de si glaciale insouciance, que le docteur, à la fin, en fut frappé, de même que de sa physionomie…

– Comme vous dites cela! fit-il.

– Je le dis comme un homme à qui désormais tout est égal, parce qu'il n'a plus rien à craindre ni à espérer de l'existence. C'est un fier service que me rendra M. de Combelaine en me faisant assassiner.

– Comment! c'est vous qui parlez ainsi! s'écria-il, vous que j'ai quitté hier soir tout enflammé d'espoir et de foi au succès!

Un éclair de rage traversa les yeux de Raymond.

– Que m'importe le succès! interrompit-il. Ne remarquez-vous pas que je ne vous ai même point demandé le résultat de la démarche que vous venez de tenter!..

Et tirant de sa poche une lettre qu'il jeta sur la table:

– Je l'ai reçue ce matin, ajouta-t-il. Lisez et vous me comprendrez.

C'était une lettre de Mlle Simone:

«Ainsi, écrivait-elle, larmes, prières, supplications ont été inutiles. Vous vouliez agir, vous avez agi, et tout est perdu sans retour. Mon sacrifice, le plus douloureux que puisse consentir une femme, sera inutile. J'aurai donné ma vie, et cependant je n'aurai pas épargné le déshonneur à notre maison, ni au nom de mon père une flétrissure éternelle.

«Et c'est par vous que j'aurai été frappée, par vous, mon meilleur, mon unique ami, prétendiez-vous!.. Votre amour si grand et si pur n'était donc que la plus égoïste des passions!..

«N'essayez pas de vous justifier ni de m'écrire. Plus jamais mes lèvres ne prononceront votre nom, pendant les quelques jours qui me restent à vivre. Je saurai bien arracher de mon lâche cœur jusqu'au souvenir d'un amour qui me fait horreur.

«Réjouissez-vous de votre œuvre et, si vous le pouvez, oubliez.

«SIMONE DE MAILLEFERT.»

– Eh bien! demanda Raymond, dès qu'il vit que M. Legris avait achevé.

Mais le visage du docteur ne trahissait ni douleur ni surprise.

– Cette lettre, dit-il, est le résultat fatal de l'événement d'hier.

– Je ne vous comprends pas…

– Vous comprendrez quand je vous aurai dit que Philippe est en prison, accusé de détournements et de faux.

Comme en une vision, Raymond revit soudain le jeune duc de Maillefert tel qu'il l'avait vu un matin sur le perron de son hôtel, pâle, indécis, ému, se débattant sous les obsessions de M. Verdale et du comte de Combelaine.

– C'est une abomination! s'écria-t-il. Philippe est un sot, un vaniteux, un égoïste, mais il est incapable de tels crimes…

– C'est l'opinion de Mme Bergam.

– Il est victime de quelque machination diabolique…

– J'en ai la certitude, presque la preuve.

La joue en feu, les narines frémissantes, Raymond s'était dressé.

– Tout ne serait donc pas dit! s'écria-t-il.

Le docteur Legris souriait.

– Je jurerais que nous touchons au triomphe, dit-il, car il me paraît démontré que de l'ombre où il se cache Laurent Cornevin frappe les derniers coups. Écoutez, au surplus, l'emploi de mon temps depuis midi.

Et rapidement il raconta sa visite à Mme Bergam, la survenue de Grollet et de M. Verdale, ses conventions avec Mme Flora, et enfin les détails qu'il tenait de Peyrolas.

C'était pour Raymond comme un étourdissement.

– Oui, murmurait-il, la lumière se fait… Mais Simone reviendra-t-elle jamais sur sa détermination?..

– Oui, si nous sauvons son frère.

– Hélas! que pouvons-nous pour lui?

– Qui sait?.. Ne viens-je pas de vous dire que la discorde est au camp de vos ennemis… car ce n'est pas Verdale qui a dénoncé M. Philippe, c'est évidemment Combelaine… Verdale voulait s'en tenir à la menace. Combelaine, pressé par les événements, l'a exécutée. De là brouille. Maintenant, il nous faudrait un ami ayant sur Verdale une certaine influence. L'avons-nous, cet ami? Oui. Un jour que vous vouliez vous battre avec Combelaine, M. Verdale et Me Roberjot se sont trouvés en présence. Qu'est-il arrivé? Que M. Verdale, en apercevant Me Roberjot, est devenu plus blanc qu'un linge, lui toujours si rouge, et humble jusqu'à la servilité, lui toujours si arrogant. Donc, il y a entre eux quelque chose, une histoire, un secret, que sais-je!.. Donc, à l'instant, et sans plus de réflexions, il faut aller trouver Me Roberjot…

Nulle démarche ne pouvait paraître à Raymond plus pénible ni, en un certain sens, plus humiliante.

Aller tout avouer à Me Roberjot, après s'être si longtemps caché de lui, c'était une dure extrémité. Que dirait-il? Certainement il ne refuserait pas son concours: mais ne raillerait-il pas, lui, qui se moquait de tout?

Mais comme de Me Roberjot, malgré tout, pouvait venir un secours décisif:

– Allons!.. dit Raymond. Je vais être suivi, je le sais, mais qu'importe? puisque nous savons qu'on ne m'arrêtera pas. Il sera toujours temps ce soir d'essayer de faire perdre ma piste…

Me Roberjot venait de se mettre à table, lorsque son domestique lui annonça que M. Delorge était là, demandant à lui dire quelques mots…

– Qu'il entre! s'écria l'avocat.

Et lui-même, il accourut, sa serviette à la main.

– Comment, c'est vous! disait-il à Raymond, vous que votre mère, que je viens de voir, croit sur la route de Belgique. Perdez-vous la tête? Tenez-vous absolument à visiter Mazas?..

– Je ne crois courir aucun danger, monsieur, interrompit Raymond, et quand je vous aurai expliqué ma situation, vous comprendrez ma conduite.

Il se détournait un peu en disant cela, démasquant ainsi le docteur qui était resté dans l'ombre.

– Du reste, ajouta-t-il, mon ami, le docteur Legris et moi, venons vous demander conseil et assistance.

A vrai-dire, Me Roberjot ne parut pas précisément ravi de la présence de cet étranger, qu'il n'avait pas aperçu d'abord.

Mais, faisant fortune contre bon cœur, il invita les deux jeunes gens à le suivre dans la salle à manger. L'instant d'après, ils étaient à table, et le docteur Legris, s'emparant de la parole, exposait à Me Roberjot la situation exacte que les événements faisaient à Raymond.

Si vivement était intéressé l'avocat, qu'il restait la fourchette en l'air, oubliant de manger, répétant par intervalles:

– C'est donc cela!.. voilà donc l'explication de la mine farouche de mon gaillard!..

Mais lorsque le docteur en arriva à l'arrestation de M. Philippe de Maillefert, et au rôle probable de M. Verdale:

– Ah! Raymond, s'écria Me Roberjot, malheureux insensé, pourquoi ne vous êtes-vous pas confié à moi!..

Le front du député de l'opposition se rembrunissait.

– Malheureusement, poursuivait-il, ce que je pouvais il y a trois mois, je ne le puis plus à cette heure… Vous souvient-il, Raymond, de cette visite que vous me fîtes à votre retour des Rosiers?.. Elle fut interrompue par le fils de M. Verdale… Évidemment, et quoiqu'il l'ait nié alors, et que je l'aie cru, c'était son honorable père qui me le dépêchait… Savez-vous ce qu'il venait faire?.. Me conjurer de lui rendre, à lui, une lettre que je possédais, qui n'avait que dix lignes, mais qui faisait de Verdale l'esclave de ma volonté… Il est bien, ce jeune homme; il s'exprimait avec des accents qui me semblaient partir d'un noble cœur; il me toucha, il m'émut…

– Et?..

– Et je lui rendis la précieuse lettre…

Il n'acheva pas. Se dressant si violemment que la table faillit être renversée:

– Mais tout n'est pas perdu encore, s'écria-t-il. Non! Il me reste peut-être une arme que mon ami Verdale ne soupçonne pas… Décidément, quoi qu'on en dise, il y a un Dieu pour les honnêtes gens.

Raymond et le docteur eussent bien souhaité qu'il s'expliquât plus clairement; mais, à toutes les questions:

– Patience! répondait Me Roberjot. Je ne veux pas vous exposer à une déception cruelle. J'espère, mais je ne suis pas sûr de mon fait. Tout dépend du plus ou moins d'ordre d'un de mes amis, qui était agent de change en 1852.

A huit heures, les trois hommes sortaient de table, et, montant en voiture, se faisaient conduire rue Taitbout, où demeurait l'ancien agent de change de Me Roberjot.

L'avocat entra seul chez son ami. Il y resta dix minutes environ, et lorsqu'il sortit son visage rayonnait.

– Victoire! dit-il aux jeunes gens, qui étaient restés dans la voiture, nous pouvons maintenant affronter Verdale.

Et, s'élançant près d'eux:

– Avenue d'Antin, 72, cria-t-il au cocher, et vivement!..