Za darmo

La dégringolade

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Peut-être y avait-il beaucoup de vrai dans ce qu'elle disait. Peut-être le docteur Legris était-il plus cruellement vengé qu'il ne le supposait. Mais que lui importait!..

– A qui donc tout ce bagage? interrogea-t-il.

– A une de mes amies, à Flora Misri, qui se cache chez moi depuis douze jours…

Le docteur avait tressailli de joie. La partie, décidément, se présentait plus belle qu'il n'eût osé le souhaiter.

– Qui donc craint-elle si fort, la pauvre femme? fit-il.

– Combelaine, donc! Ah! si elle voulait me croire! Mais non. Cet homme la rend folle. C'est à ce point qu'elle n'ose même pas aller jusque chez elle. Tout ce que vous voyez là, elle l'a envoyé chercher pièce à pièce par ma femme de chambre. Elle qui était si avare et si défiante, qui aurait coupé un liard en quatre et qui croyait toujours qu'on la volait, elle confie maintenant toutes ses clefs, même celle de son secrétaire, à la première venue… Si bien que nous étions en train de faire ses malles quand vous êtes arrivé. Elle compte, ce soir, à la nuit, se faire conduire au chemin de fer et passer en Angleterre, et ensuite en Amérique…

Jusqu'à quel point le récit de Mme Bergam devait être exact, nul mieux que le docteur Legris ne pouvait le savoir.

Et cependant, il souriait d'un air de doute.

– Pas mal imaginé, murmurait-il, pas mal!..

Il voulait piquer Mme Bergam, il y réussit d'autant plus aisément qu'elle se croyait intéressée à lui prouver la réalité de sa détresse.

– Vous croyez que je mens! s'écria-t-elle. Eh bien! attendez, vous allez voir…

Et courant ouvrir une des portes:

– Flora! cria-t-elle, Flora, viens donc, tu n'as rien à craindre.

L'instant d'après Mme Misri entrait.

Elle n'avait plus à nier la quarantaine, désormais. Sa pâleur et les plis de ses tempes disaient ses insomnies, de même que la mobilité de ses yeux et le tremblement de ses mains trahissaient ses perpétuelles frayeurs.

Décidé à brusquer la situation, le docteur s'avança.

– Je suis le plus intime ami de M. Raymond Delorge, madame, prononça-t-il.

A ce nom, une fugitive rougeur colora les joues pâlies de Mme Misri.

– M. Delorge s'est conduit avec moi abominablement, prononça-t-elle.

– Madame!..

– C'est une lâcheté indigne que de trahir une femme comme il m'a trahie… J'avais eu la faiblesse de lui révéler l'existence de certains papiers que je possédais, il en a profité pour s'introduire chez moi et me les voler…

Ce qu'elle disait, elle le croyait, c'était manifeste.

– Vous vous trompez, madame, ce n'est pas mon ami qui vous a enlevé vos papiers; je vous le jure sur l'honneur.

– Qui donc les aurait pris?

– Celui qui avait le plus grand intérêt à les posséder, le comte de Combelaine.

C'est la bouche béante, et stupide d'étonnement, que Mme Bergam écoutait.

Elle commençait à soupçonner qu'elle avait été dupe d'une illusion, et que ce n'était pas uniquement pour ses beaux yeux que le docteur était venu.

– Ce n'est pas par Combelaine que j'ai été volée! déclara Mme Misri.

– Qu'en savez-vous? fit le docteur.

– Il me l'a dit.

– N'a-t-il donc jamais menti!..

Elle frissonna de souvenir, et vivement:

– Il n'a pas menti en cette occasion, dit-elle, je vous le jure. C'était le lendemain de l'affaire du bois de Boulogne. Désolée de ce que j'avais fait, et craignant d'être relancée par M. Delorge, j'étais venue passer la nuit ici, sur ce canapé…

– C'est la vérité, attesta Mme Bergam.

– Dès huit heures du matin, j'envoyai chercher une voiture, et je me fis conduire chez moi. Mon parti était pris. J'étais résolue à rendre à Victor, sans conditions, tout ce que j'avais à lui. Jugez de ma stupeur lorsque, cherchant ces papiers maudits, je ne les trouvai plus. Et nulle trace d'effraction! J'interrogeai mes domestiques, ils n'avaient rien vu, rien entendu. J'en perdais si bien la tête que c'est comme d'un rêve que je me souviens de la visite de ma sœur. J'étais comme folle…

– C'est ce qu'a dit, en effet, Mme Cornevin, approuva le docteur.

– Ma sœur venait de partir, continua Mme Flora, lorsque je vis paraître Victor. Il savait ma promenade avec M. Delorge, et était furieux. Fermant à clef la porte de ma chambre: – «A nous deux, me dit-il; mes papiers, à l'instant!..» Alors, j'espérais que c'était lui qui les avait enlevés. – «Tu sais bien, répondis-je, que je ne les ai plus!» Il devint livide, et sans mot dire il bondit jusqu'à ma cachette, dont il avait, sans que je puisse deviner comment, surpris le secret. Voyant que je disais vrai: – «Ah! misérable femme! s'écria-t-il, tu les as vendus au fils du général Delorge!» Il était si effrayant que je me laissai tomber à genoux, en murmurant: «Je te jure que non!» Mais lui, sans m'écouter: «Tu vas voir comment je punis les traîtres!» cria-t-il. Et me saisissant au cou, il m'eût étranglée, j'étais morte, sans un de mes domestiques, qui, entendant mon râle, fit sauter la porte et m'arracha de ses mains!..

Ce n'est pas sans efforts que le docteur Legris dissimulait, sous une mine grave et froide, l'immense satisfaction dont il était inondé.

– Et après? interrogea-t-il.

– Après, je crus que Victor deviendrait fou de rage.

« – Je t'ai manquée cette fois, me dit-il, mais tu es condamnée sans appel.» Puis, avant de se retirer: « – Tes amis, Raymond Delorge et tous les misérables qui ont payé ton infâme trahison, triomphent sans doute. C'est trop tôt. Je suis perdu, c'est possible, mais ils ne sont pas sauvés. Je ne périrai pas seul, en tout cas. On ne sait pas ce dont un homme tel que moi est capable, une fois acculé au fond d'une situation sans issue…» J'essayai de le détromper, de lui démontrer que j'avais été victime d'un abus de confiance, il refusa de m'écouter: « – Va retrouver ton Delorge, fit-il en ricanant, et qu'il te protège, s'il le peut…» Et il sortit…

Elle s'arrêta; son état était si pitoyable, que Mme Lucy Bergam, dont la sensibilité n'était pas le défaut, en fut touchée.

– Pauvre Flora! murmura-t-elle.

Déjà elle poursuivait:

– Victor parti, je tombai comme une masse, évanouie. Lorsque je repris enfin connaissance, je reconnus, penché au-dessus de moi, le visage pâle et les lèvres serrées, le docteur Buiron… Peut-être le connaissez-vous?

Oui, M. Legris le connaissait.

C'était ce médecin, il s'en souvenait bien, qui, dix-huit ans plus tôt, avait été appelé à l'Élysée, près du général Delorge mort et déjà froid.

– M. Buiron est un confrère, répondit-il simplement.

– C'est un homme très savant, à ce qu'il paraît, reprit, Mme Flora, très riche, qui est dans les places et dans les honneurs… Et cependant lorsque mes yeux rencontrèrent les siens, je frémis comme si j'avais entrevu la mort même… C'est que je le connais, moi, le docteur Buiron. Il venait chez moi quelquefois passer la soirée. C'est un ami intime de Victor. Il y a une lettre de lui parmi les papiers qui m'ont été volés. Ma première idée fut: « – Cet homme a été envoyé pour m'empoisonner!..»

Pauvre Misri!.. De grosses larmes roulaient le long de ses joues.

– C'est que je ne m'abusais pas, disait-elle d'une voix étouffée, c'est que je ne sentais que trop combien il serait aisé de se défaire de moi sans danger. Une femme telle que moi, qui donc s'en soucie! On se ruine pour elle, on lui donne des diamants, on lui prodigue les flatteries… Mais quant à paraître mêlé à sa vie, à moins d'être un Combelaine, qui donc le voudrait!..

Sans perdre une syllabe du récit de Mme Flora, le docteur Legris, du coin de l'œil, guettait Mme Bergam.

Elle s'était assise et, toute pâle, elle l'écoutait, épouvantée des misères de cette femme dont elle avait envié la vie.

– Cependant, continuait Mme Misri, vous pensez bien que je ne laissai rien voir au docteur Buiron de mes soupçons. – «S'il voit que je me défie, pensais-je, c'en est fait de moi à l'instant.» Je le remerciai bien, au contraire, de s'être tant hâté de venir, et je lui promis de suivre avec la dernière exactitude toutes ses prescriptions. Mais dès qu'il eut tourné les talons, vite je jetai tout ce qu'il avait envoyé chercher chez le pharmacien, les drogues, et les potions. Après quoi, sortant du lit malgré ma faiblesse, je me fis habiller et conduire ici. Je savais que Lucy a bon cœur, et que ce n'est pas elle qui abandonnerait une amie dans la peine, et qu'elle ne me trahirait pas, quand bien même on lui offrirait gros d'or comme elle.

– J'aimerais mieux mourir que de trahir une amie, affirma Mme Bergam.

– Oh! je le sais, se hâta de reprendre Mme Misri, je le sais très bien. Pauvre mignonne, je t'ai bien gênée, n'est-ce pas? bien ennuyée, bien tracassée, mais sois tranquille, tu n'as pas obligé une ingrate…

– Je ne demande rien, Flora…

– Non certes, mais je n'oublie pas ce que je te dois… Te voici dans l'embarras, par suite de l'arrestation du duc de Maillefert, et tes créanciers abusent de ta position pour te tourmenter… Mais je suis là. Je ne veux pas que mon amie Lucy soit saisie, moi, ni qu'on la fasse pleurer. J'ai de l'argent. Je t'en donnerai pour payer tes créanciers et attendre…

D'un commun mouvement, les deux femmes étaient levées et s'embrassaient avec des effusions qui eussent touché le docteur, s'il n'eût compris le sens vrai de cette scène d'attendrissement.

Il était clair que Mme Bergam, se voyant sans ressources, avait dû songer à tirer parti des secrets de son amie.

Il était évident que Flora en avait eu le soupçon, et que, par cette générosité soudaine et si contraire à ses habitudes, elle espérait prévenir une trahison…

Dès que Mme Misri se fut rassise:

– Et maintenant, chère madame, interrogea le docteur, y aurait-il de l'indiscrétion à vous demander ce que vous comptez faire?..

Elle le regarda d'un air soupçonneux.

 

– Je ne suis pas encore bien décidée, répondit-elle.

Du pied, négligemment, le docteur poussa une des malles.

– Je pensais, fit-il, que vous alliez partir pour un long voyage…

– Peut-être…

Lui, s'attendait à cette réserve.

– Je vous suis inconnu, madame, commença-t-il…

Mais Mme Bergam l'interrompit.

– Oh! on peut tout dire devant Valentin, s'écria-t-elle, je réponds de lui!

M. Legris ne lui sut aucun gré de cette assistance.

– Madame cessera, je l'espère, de se défier de moi, reprit-il, en se rappelant que je suis l'ami de Raymond Delorge.

– Oui, j'oubliais; vous êtes l'ami de Raymond…

– Le plus intime, madame, ce qui est vous dire que nos intérêts, nos craintes et nos espérances sont les mêmes…

Il fut interrompu par un grand claquement de portes, puis par une voix furibonde qui criait, dans l'antichambre:

– Je vous dis qu'elle y est, moi, sacré tonnerre! et je vous commande d'aller lui dire que c'est moi qui veux lui parler, moi le baron Verdale!..

Entendant ce nom, Mme Flora Misri était devenue plus pâle encore.

– Verdale!.. bégaya-t-elle, c'est Victor qui l'envoie, je suis perdue…

Ce dont M. de Combelaine pouvait être capable, il suffisait pour le comprendre de voir la terreur de cette malheureuse qui le connaissait si bien.

– Vous n'avez rien à craindre, madame, prononça le docteur. Ne suis-je pas là?

– Ne peux-tu pas te cacher d'ailleurs? proposa Mme Bergam, aux petits soins désormais pour cette amie qui devait la tirer d'embarras.

Et ouvrant vivement la porte de sa chambre à coucher:

– Va, dit-elle, en y poussant Mme Flora, va et enferme-toi; nous allons le recevoir, nous, ce monsieur.

Il était temps.

Désespérant de vaincre la résistance obstinée de la chambrière, M. Verdale avait pris le parti de s'annoncer lui-même, et il entrait.

C'était toujours le même gros homme, portant partout l'intolérable despotisme du parvenu. Il était seulement beaucoup plus rouge encore que de coutume.

Sans remarquer le docteur, lequel, discrètement, s'était retiré dans un coin:

– Je savais bien, parbleu! que vous y étiez! dit-il grossièrement à Mme Lucy. Depuis quand faut-il violer des consignes, quand on veut vous parler!..

– Vous avez à me parler, monsieur?..

– A vous, oui.

Ainsi, ce n'était pas pour Mme Misri qu'il venait. Si elle l'entendait de la chambre à coucher, comme c'était probable, elle dut respirer plus librement.

Sans daigner s'asseoir, et toujours du même ton rude:

– Vous vous êtes présentée chez moi, vous, commença-t-il.

– Oui, hier soir.

– Et comme j'étais absent, vous avez demandé à voir mon fils.

– Je n'ai rien demandé du tout. C'est votre domestique qui m'a conduite à un jeune homme…

– Eh bien! ce jeune homme est mon fils.

Un geste d'épaules fut la seule réponse de Mme Bergam, geste qui, éloquemment, traduisait cette phrase:

– Je m'en moque pas mal!

La mauvaise humeur de M. Verdale en redoubla.

– Savez-vous, reprit-il, que c'est du toupet de s'introduire dans les maisons…

– Monsieur!..

– Pour y colporter des ragots ridicules.

Sans avoir précisément l'habitude d'être traitée avec un respect exagéré, Mme Lucy s'indignait de la grossièreté de M. Verdale.

– D'abord, je ne fais jamais de ragots, déclara-t-elle, en prenant son grand air de dignité première.

– Qu'avez-vous donc raconté à mon fils? Je l'ai trouvé en rentrant aussi mécontent que possible.

Il était évident, et le docteur Legris le reconnaissait bien, que M. Verdale, de même que beaucoup de pères en sa situation, avait en monsieur son fils un censeur incommode, sinon un maître redouté.

– Je ne lui ai rien raconté, répondit Mme Bergam. Ce jeune homme, qui n'est pas poli du tout, ne m'a seulement pas laissé le temps de lui bien expliquer ce que Philippe m'a chargée de faire savoir à M. de Combelaine et à vous, c'est-à-dire qu'il consent à tout…

– C'est fort heureux, en vérité… Et quand vous a-t-il donné cette commission, M. Philippe?

– Lorsqu'on est venu l'arrêter.

M. Verdale eut un mouvement de dépit.

– Elle est donc vraie, fit-il, cette histoire d'arrestation que je viens de lire dans les journaux du matin?

– Très vraie, malheureusement… Vous n'avez donc pas vu M. de Combelaine?..

– Combelaine!.. Est-ce qu'on le voit? est-ce qu'on lui parle? est-ce qu'on sait ce qu'il tripote et ce qu'il devient?..

De plus en plus, la colère montait en flots de pourpre au visage de l'ancien architecte. Il ne se contenait plus. Il oubliait qu'il n'était pas seul.

– Il se cache, parbleu! après le beau coup qu'il vient de faire, poursuivait-il. Faire arrêter le duc de Maillefert!.. C'est de la folie, c'est le comble de la démence!.. Fourrer le nez de la justice dans nos affaires, comme c'est adroit!.. Qu'il aille donc arrêter les poursuites, maintenant, ou limiter seulement les investigations!.. Mais c'est bien fait pour moi, je n'ai que ce que je mérite!.. Est-ce que je ne connaissais pas Combelaine?.. Est-ce que je ne savais pas qu'il incendierait la maison de son meilleur ami pour se faire tiédir un bain de pieds!.. Et ne pas me prévenir, ne me rien dire, m'exposer à tout!..

Si le docteur Legris eût encore eu des doutes, il ne lui en fût plus resté un seul après cette explosion.

Une inspiration audacieuse lui vint. Il s'avança brusquement, et d'un ton dégagé:

– Peut-être ne blâmeriez-vous pas si fort M. de Combelaine, monsieur, dit-il à M. Verdale, si vous connaissiez les raisons de sa conduite.

C'est d'un œil stupéfait que l'ancien architecte considérait cet étranger qu'il n'avait pas aperçu d'abord, et qui lui faisait l'effet de surgir du parquet.

S'étant un peu remis, cependant:

– Vous les savez donc, vous, monsieur, ces raisons? demanda-t-il.

– Je crois les savoir, du moins.

– Ah!

– Il est arrivé un accident à M. de Combelaine…

– Un accident?

– Ou un désagrément, comme vous voudrez, qui a dû précipiter ses résolutions. En homme prudent et qui sait combien peu il faut se fier aux faveurs de la fortune, M. de Combelaine s'était de son mieux mis en garde contre les rigueurs de l'avenir. Il avait soigneusement collectionné et mis en un lieu qu'il croyait sûr quantité de documents qui compromettaient gravement plusieurs de ses amis, tous gens influents par leur fortune ou leur situation. C'était la ressource de ses vieux jours…

L'architecte trépignait d'impatience.

– Au fait, monsieur! s'écria-t-il.

– Eh bien! monsieur, ces documents si précieux, M. de Combelaine ne les a plus…

– Quoi!.. ces papiers qu'il avait eu l'imprudence de confier à Flora…

– Ont été volés!..

Les couleurs si brillantes de l'architecte avaient disparu.

– Voilà ce que je prévoyais, fit-il, d'un accent consterné. Oui, je l'avais prévu!.. Le jour où Flora Misri nous a menacés de ces papiers maudits, j'ai dit à Combelaine: Prenez garde, prenez bien garde!.. Il m'a ri au nez. Flora, selon lui, était sa propriété, sa chose, et il n'avait rien à redouter d'elle. En voilà la preuve!..

Il se tut, mesurant sans doute le péril; puis s'adressant au docteur:

– Savez-vous aussi, demanda-t-il, par qui ces papiers ont été volés?

Cette question, le docteur l'attendait, et sa réponse allait, pensait-il, servir puissamment Cornevin.

– On suppose, répondit-il, qu'ils ont été enlevés par Raymond Delorge.

– Le fils du général?..

– Précisément.

– Dans quel but?..

– Uniquement pour empêcher M. de Combelaine d'épouser Mlle de Maillefert.

Mais l'ancien copain de Me Roberjot n'était pas homme à se laisser démonter longtemps. Il avait en sa vie tenu tête à trop de bourrasques pour ne pas savoir qu'on revient de loin avec de l'audace.

– M. Delorge n'empêchera rien, déclara-t-il.

– Qui sait?

– C'est moi qui vous le garantis. Quant à Flora, elle ne portera pas en paradis sa petite infamie, vous pouvez le lui garantir. Sur quoi, madame et monsieur, j'ai bien l'honneur…

Et il s'en alla, sans avoir soulevé son chapeau, haussant toujours les épaules, comme s'il se fût reproché, lui, un personnage sérieux, d'avoir perdu à des futilités quelques minutes de son temps précieux.

– C'est égal, s'écria Mme Bergam, il est dans ses petits souliers…

– On le croirait, approuva le docteur.

– Et j'ai idée qu'il va y avoir une fameuse scène entre Combelaine et lui.

Elle riait de plaisir.

– Et le résultat, continuait-elle, sera de me rendre Philippe. Pauvre garçon! Je suis bien sûre, moi, qu'il est trop bête pour être coquin…

Elle ne put continuer. Mme Flora sortait de la chambre où elle s'était réfugiée à l'arrivée de M. Verdale. Agenouillée derrière la porte de communication, l'oreille collée contre la serrure, elle n'avait pas perdu un mot de la conversation.

– Ainsi donc, vous me trompiez! dit-elle au docteur Legris, c'est bien M. Delorge qui m'a volée…

– Permettez…

– Vous venez de le dire à M. Verdale, je vous ai entendu.

– Eh! oui, je l'ai dit, je ne le nie pas, mais j'avais mes raisons.

Elle l'interrompit violemment.

– C'est-à-dire que vous me trahissiez, s'écria-t-elle, lâchement, comme tous les autres!..

Discuter avec une femme dont la colère et la peur troublaient la faible cervelle, n'était-ce pas perdre son temps? Mais le docteur Legris s'était juré de conquérir Mme Flora à ses projets.

S'armant donc de patience:

– Moi vous trahir! reprit-il. Est-ce possible? Songez-vous bien à ce que vous dites? Au profit de qui vous trahirais-je? Au profit de M. de Combelaine, qui est notre plus mortel ennemi, qui a jadis assassiné le père de Raymond, et qui maintenant veut lui ravir la femme qu'il aime et dont il est aimé?.. C'est insensé, vous devez bien le comprendre…

Qu'elle se l'expliquât ou non, ses traits peu à peu se détendaient.

– Par qui votre vie est-elle menacée? poursuivait le docteur, qui s'animait à mesure qu'il constatait le succès de son éloquence. Par M. de Combelaine. Entre vous et lui, c'est une lutte sans merci qui ne prendra fin qu'à la mort de l'un de vous deux. C'est exactement la situation de mon ami. Donc vous avez, Raymond et vous, des intérêts pareils; donc vous devez vous entendre, vous soutenir, vous prêter en toute occasion une assistance dévouée…

– C'est vrai, murmurait Mme Misri, c'est vrai, cependant!..

– Vous vous plaignez de n'avoir ni amis ni alliés. A qui la faute? A vous, qui restez indécise entre celui dont vous avez tout à craindre et ceux dont vous avez tout à espérer. On prend un parti, que diable! résolument.

Mme Lucy Bergam ricanait.

– Vous perdez votre temps, mon cher, dit-elle au docteur. Flora va vous promettre tout ce que vous voudrez, et vous n'aurez pas plus tôt le dos tourné, qu'elle écrira à Combelaine pour lui tout dire et lui demander pardon.

Elle ne pensait pas un mot de ce qu'elle disait, Mme Lucy.

Mais elle avait beaucoup réfléchi pendant la visite de M. Verdale, et elle avait reconnu qu'il était de son intérêt de se déclarer contre ces gens qui avaient fait arrêter M. Philippe pour lui prendre sans doute ses millions, – ces millions dont elle avait tant compté avoir sa bonne part…

Sa raillerie, c'était, pensait-elle, le coup de fouet qui déciderait son amie.

Elle ne se trompait pas.

Mme Misri se dressa, la joue en feu, et d'un accent de haine farouche:

– J'ai été lâche autrefois, s'écria-t-elle, c'est vrai, mais ce temps est passé. Il y va de ma peau, maintenant, et j'y tiens. Tant que Victor vivra, je tremblerai. Si je savais quels mots dire pour le faire monter sur l'échafaud, je les dirais.

Et, tendant la main au docteur:

– Je suis avec vous, monsieur, dit-elle, avec M. Delorge, avec ma sœur. Vous pouvez compter sur moi. Que voulez-vous de moi? Parlez.

Un sourire de triomphe glissait sur les lèvres du docteur.

– Avant tout, commença-t-il, je désirerais savoir vos projets.

– Je vais quitter Paris ce soir même, monsieur.

– Quitter Paris?.. Où donc serez-vous plus en sûreté?

– Là où Combelaine ne saura pas que je suis…

– C'est-à-dire que vous espérez lui faire perdre vos traces, que vous espérez échapper aux espions dont il ne peut manquer de vous avoir entourée…

– Je l'espère, oui, car toutes mes mesures sont prises et toutes les chances sont pour moi. Jugez plutôt. Comme vous le voyez, mes apprêts de départ sont presque terminés. Ce soir, à huit heures, j'envoie chercher une voiture, sur laquelle on charge mes bagages. Dans cette voiture, prennent place ma chère Lucy et sa femme de chambre Ernestine, vêtue et coiffée de façon à ce qu'on la prenne pour moi, et le visage caché sous un voile très épais. Elles se font conduire au chemin de fer de l'Ouest, et là, Ernestine prend un billet pour Londres, où elle se rend pour attendre mes ordres dans un hôtel convenu. Moi, restée seule, je revêts le costume d'Ernestine. Je fais ensuite monter le concierge, et carrément je lui offre dix louis, vingt louis, cent louis au besoin, s'il veut, à l'instant même, me donner le moyen de franchir le petit mur qui sépare la cour de cette maison de la cour d'une maison voisine, qui a son entrée rue de Suresnes. Le concierge refuse-t-il? Non, évidemment. Je passe donc le mur et me voilà rue de Suresnes, vêtue comme une bonne, et portant tout ce que je possède dans un grossier panier d'osier. La première voiture que je vois, je la prends, et avec cent sous de pourboire, je suis sûre d'arriver à la gare Montparnasse assez à temps pour profiter du train de Brest. Après-demain, part de Brest le paquebot de New-York. J'y prends passage sous un faux nom, grâce à un passeport que m'a procuré le père Coutanceau. Une fois en Amérique, je trouverai bien le moyen de donner de mes nouvelles à Ernestine et de me faire expédier mes malles, sans livrer le secret de ma retraite. Et si je ne le trouve pas, ce moyen, eh bien! mon saint-frusquin sera perdu, voilà tout. Mon sacrifice est fait. Pour ce qui est de tout ce que je laisse ici, Coutanceau y veillera. Avant-hier, lorsqu'il est venu me voir, je me suis entendue avec lui, et je lui ai signé un pouvoir.

 

Rien de singulier comme l'ébahissement de Mme Lucy.

– Comment, Flora! s'écria-t-elle, c'est toi qui a combiné tout cela?

– Avec l'aide du père Coutanceau, oui.

– Et tu ne m'avais rien dit…

– A quoi bon t'inquiéter!.. Ne suis-je pas sûre de toi! Refuseras-tu un service à une amie qui, avant de te quitter, t'aura tirée de peine!..

– Oh! non, certes!

– Ernestine hésitera-t-elle à partir pour Londres, si je lui donne cinq ou six billets de mille comme frais de voyage…

– Pour cinq mille francs, Ernestine ferait le tour du monde.

– Tu vois bien que j'ai tout prévu, fit Mme Flora.

Et réprimant un frisson:

– C'est que cela rend ingénieux, ajouta-t-elle, de songer qu'on défend sa peau!

Elle disait vrai: son plan était assez simple et assez bien conçu pour avoir quatre-vingt-dix-neuf chances de succès sur cent.

Il n'avait qu'un tort, aux yeux du docteur Legris, c'était de déranger absolument ses projets.

Son intention, en effet, était de garder Mme Misri sous la main, comme on garde à sa portée une arme chargée.

– Ainsi, madame, dit-il, vous nous abandonnez au moment critique?..

– Parfaitement.

– Est-ce bien… généreux?

– Peut-être bien que non, répondit Mme Flora, avec la cynique franchise de la peur, mais chacun pour soi. Ici, je ne vis plus. Combelaine m'a dit qu'il m'avait condamnée, je sais ce que cela signifie. Je lui ai entendu dire cela de trois personnes… Un mois après, on les portait au cimetière.

Le docteur vit bien qu'il avait fait fausse route; aussi, loin d'insister:

– Partez donc, chère madame, fit-il; seulement…

– Quoi?

– Seulement, Paris est encore la seule ville où vous puissiez vivre en toute sécurité; vous allez échapper aux espions de Combelaine qui, vous sachant ici, surveillent le boulevard Malesherbes, et ils vont suivre Ernestine, la prenant pour vous. Mais, avant vingt-quatre heures, ils auront reconnu leur erreur, et, avant deux jours, ils auront retrouvé votre piste. Et lorsque vous arriverez en Amérique, il y aura à vous guetter sur le port quelque détective prévenu par le télégraphe…

Mme Misri était redevenue toute pâle.

– Oh!.. protestait-elle, oh! monsieur!

Sûr d'avoir touché juste, le docteur poursuivait froidement:

– C'est un grand et puissant pays que l'Amérique, mais qui a ses mœurs particulières. On y respecte la liberté jusqu'en ses excès. Jamais on n'y tolérerait une police telle que la nôtre, dont la sollicitude est inquiète jusqu'à la tracasserie…

– De sorte que…

– Si je voulais me défaire lâchement et sans danger d'un ennemi, c'est en Amérique que je tâcherais de l'attirer.

Résolue à servir le docteur, Mme Lucy crut devoir intervenir.

– Ah! chère Flora, s'écria-t-elle, écoute Valentin, ne va pas dans cet horrible pays!..

La plus affreuse perplexité se lisait sur le visage blême de Mme Misri.

– Que faire donc, selon vous? demanda-t-elle au docteur.

– Rester à Paris.

– J'y mourrais de peur…

M. Legris l'arrêta.

– Aussi n'est-ce pas d'y rester ostensiblement que je vous conseille, dit-il.

– Ah!..

– Je vous engage à vous y cacher…

– Hélas! comment?..

– Le plus simplement du monde. Ainsi vous exécutez la première partie de votre plan qui est, de tout point, excellente. Ernestine part pour Londres, et vous, chère madame, vous franchissez le mur mitoyen. Seulement, rue de Suresnes, au lieu d'arrêter le premier fiacre qui passe, vous allez droit à une voiture où un ami vous attend. Cet ami, homme dévoué et prudent, qui sait son Paris sur le bout des doigts, vous a préparé une retraite sûre, il vous y conduit et vous y attendez les événements.

– Et vous croyez…

– Je ne crois pas, je suis certain que ce parti est le meilleur…

Mme Misri réfléchissait.

– Oui, murmura-t-elle, peut-être, mais ai-je un ami dévoué?

– Vous avez moi, madame, dont l'intérêt vous répond.

– Ah! à ta place, Flora, s'écria Mme Lucy, je n'hésiterais pas!

Elle hésitait, cependant, pleurant silencieusement, et le docteur préparait de nouveaux arguments, lorsque tout à coup:

– Alors, monsieur, dit-elle, vous viendrez m'attendre ce soir rue de Suresnes?

– Ce soir, non, parce qu'il me faut un peu de temps pour vous préparer une cachette telle que je la veux, mais demain…

Elle était décidée.

– Soit! s'écria-t-elle. A quelle heure?

– A partir de huit heures, je serai dans un fiacre, arrêté en face du numéro 20. Pour que vous ne puissiez pas vous méprendre, le coin d'un mouchoir blanc pendra de la portière de ce fiacre…

– C'est entendu. Vous le voyez, monsieur, je me confie à vous, absolument…

– Vous n'aurez pas à vous en repentir, madame, je vous en donne ma parole d'honneur…

Lorsque se retira M. Legris, quelques instants après, Mme Lucy voulut le reconduire jusqu'à la porte et, une fois dans l'antichambre, lui prenant le bras:

– Ainsi, fit-elle, ce n'est pas pour moi que vous veniez?

– Je l'avoue, répondit-il en souriant.

Elle soupira, et d'une voix un peu étouffée:

– Vous m'avez donc oubliée? murmura-t-elle, moi qui jadis…

Et comme il ne répondait pas:

– Baste!.. ajouta-t-elle, cela vaut peut-être mieux… pour vous surtout. Mais nous restons amis, n'est-ce pas? Vous voyez que je suis de votre parti. Allons, adieu!..