Za darmo

La dégringolade

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Raymond était devenu cramoisi.

– Je ne suis pas un fat, murmura-t-il, et cependant je dois avouer…

Le docteur souriait.

– Il est sûr, interrompit-il, qu'un ridicule ineffable s'attache à cette idée d'un homme qu'on aime comme cela, malgré lui… Mais enfin, ici, le fait est patent. Et vous, comment avez-vous répondu à ces avances par trop significatives?.. Comme un imbécile d'honnête homme que vous êtes… Ah! un gaillard sans préjugés lui eût fait voir du chemin, à cette chère duchesse. Il fallait… Mais baste! ce qui est passé est passé, et d'ailleurs vous ne la connaissiez pas comme j'ai l'honneur de la connaître!..

La surprise éclatait sur les traits de Raymond.

– Vous connaissez Mme de Maumussy?.. interrogea-t-il.

– Mon Dieu oui, tout petit médicastre de banlieue que je suis…

Et tirant quelques bouffées d'un cigare qu'il venait d'allumer:

– Lorsque M. de Maumussy se crut empoisonné, poursuivit le docteur, il y a de cela une couple d'années, j'eus l'honneur insigne de rester trois semaines de planton dans sa chambre. Persuadé qu'on avait essayé de se défaire de lui pour s'emparer de certains documents relatifs aux événements de Décembre, qu'il avait toujours refusé de rendre, ce noble personnage mourait littéralement de peur. Il voyait du poison partout, et suspectait même les œufs à la coque. Ma mission consistait surtout à déguster tous les mets qu'on lui présentait. Quand il me voyait debout et bien portant une heure après l'expérience, il se risquait à manger, en face d'un miroir toutefois, pour s'arrêter s'il se voyait pâlir, et la main sur le ventre pour me demander de l'émétique au plus léger soupçon de colique.

«Au commencement, j'avoue que les frayeurs et les grimaces de ce cher duc m'amusaient considérablement. Mais au bout de quatre jours, j'étais blasé, et j'aurais planté là mon homme si je n'avais été pauvre comme Job, et si mon cher et respecté maître, le professeur B… n'eût stipulé qu'on me donnerait cinq louis par jour.

«A cause des cent francs, je restai, et pour me distraire, je me mis à observer et à étudier la duchesse de Maumussy.

«Elle s'ennuyait, pour le moins, autant que moi. Les frayeurs de son mari l'écœuraient. Elle ne quittait pas le petit salon qui précédait sa chambre; elle le soignait; elle dégustait ses plats; mais elle ne cessait de se moquer et de lui répéter qu'après tout on ne meurt qu'une fois; ce à quoi il répondait qu'il souhaitait que ce fût le plus tard possible.

«Elle ne me connaissait pas, mais elle n'avait personne à qui causer, et d'ailleurs, un médecin, vous savez, cela ne compte pas. Elle pensait tout haut devant moi, et je vous déclare qu'elle pensait de drôles de choses. Elle m'étonnait, moi qui ai reçu des confidences à faire rougir un agent de la sûreté. Quand elle me parlait de sa beauté, de cette beauté rare et presque fatale que vous connaissez, elle m'effrayait. C'était, disait-elle, une puissance exceptionnelle qui lui avait été départie, et dont elle serait bien folle de ne pas profiter pour récompenser une grande action… ou un crime, selon l'occasion, pour faire tourner la tête des imbéciles, ou tout simplement pour plaire à qui lui plairait.

«De scrupules, jamais je ne lui en ai vu l'ombre. Mais sous cette torpeur langoureuse que vous savez, j'ai deviné une âme de feu, des ardeurs dévorantes et l'imagination excentrique d'un fumeur d'opium.

«Mon cher, voilà la femme qui vous a aimé assez follement pour se jeter en quelque sorte à votre tête… Imaginez maintenant ses sentiments pour vous qui l'avez dédaignée et pour Mlle Simone que vous lui avez préférée…

Raymond se taisait.

N'était-ce pas le langage qu'autrefois aux Rosiers lui tenait M. de Boursonne?..

– Donc, poursuivait le docteur, c'est à Mme de Maumussy qu'il faut attribuer l'idée du mariage de Mlle Simone, et à elle aussi le choix du mari… Ce dernier trait ne trahit-il pas la haine d'une femme qui s'estime outragée?.. Qui en effet a-t-elle choisi entre tous? Un misérable, sans foi ni loi, souillé de tous les crimes et de toutes les flétrissures, l'homme du monde qu'elle méprise et qu'elle exècre le plus, Combelaine enfin…

Cette dernière circonstance, Raymond l'ignorait.

– Quoi!.. fit-il, Mme de Maumussy déteste M. de Combelaine!..

– Elle me l'a dit, répondit le docteur, en appuyant sur chaque mot. Et savez-vous en quelle circonstance? Lors de la maladie de son mari. Entre tous les gens que le duc de Maumussy soupçonnait de lui avoir administré du poison, était le comte de Combelaine…

– Est-ce possible!..

– Le duc ne m'avait pas caché ses soupçons…

– Oh!..

– Et il m'était recommandé, les jours où venait M. de Combelaine, de redoubler de précautions…

– Il osait venir!..

– Mais oui, et assez souvent, même…

– Et on le recevait!..

– On ne peut mieux. Est-ce que M. de Maumussy et M. de Combelaine peuvent rompre ouvertement? Deux amis si intimes! ce serait scandaleux!

Raymond était confondu.

– Cependant, disait le docteur, choisir un mari et choisir précisément Combelaine n'était rien. Le difficile était de trouver le moyen de forcer Mlle Simone à l'épouser, à lui livrer et sa personne et sa fortune. A cette tâche, la duchesse de Maillefert avait échoué. Mme de Maumussy devait réussir…

Brusquement, Raymond s'était levé.

– Oui, elle a réussi, s'écria-t-il, et voilà ce que je ne puis m'expliquer…

Le docteur haussa les épaules.

– Que nous importe? répondit-il. Nous savons qu'on est arrivé à persuader à Mlle Simone que ce mariage seul pouvait sauver l'honneur de l'illustre maison de Maillefert. Cela nous suffit. Examinons ce qui s'est passé après. Tout d'abord, M. de Combelaine et les Maillefert, éblouis par la magnifique proie qu'ils allaient avoir à se partager, ont été ravis les uns des autres. Lorsqu'il a fallu discuter le partage, la brouille est venue. D'après ce qui vous a été dit, les Maillefert ont été joués. Je n'en suis pas surpris. A cette heure, ils voudraient bien rompre ce mariage, ils ne le peuvent plus. Combelaine le veut, et Combelaine est le maître de la situation.

Le docteur, peu à peu, s'animait.

Il n'en était encore qu'aux conjectures, mais il lui semblait discerner ces lueurs qui annoncent la vérité, comme l'aurore annonce le jour.

– Oui, reprit-il, Combelaine tient les Maillefert. Vous ne pouvez rien contre lui; il ne craint que médiocrement, soyez en persuadé, Mlle Flora Misri… Dès lors, pourquoi ne presse-t-il pas un mariage qui lui tient tant à cœur et qui lui assure, à lui, l'aventurier taré, l'alliance d'une des plus vieilles familles de la noblesse; à lui, ruiné, la possession d'une fortune immense?.. Eh bien! moi je vais vous le dire. C'est que Combelaine n'est pas aussi complètement victorieux que nous le supposons. C'est qu'entre lui et le but de ses vœux se dresse quelque obstacle qui nous échappe. C'est qu'il voit quelque chose que nous ne voyons pas…

– Je cherche, commença Raymond…

Mais le docteur l'interrompit, et lui frappant gaiement sur l'épaule:

– Moi, je ne cherche pas, s'écria-t-il. L'obstacle, la menace, c'est, ce ne peut être que Laurent Cornevin…

La conclusion pouvait être erronée; elle était si logique, que Raymond ne trouva rien à répliquer.

– En ce cas, fit-il, Combelaine sait l'existence de Laurent et sa présence à Paris.

– Peut-être, répondit le docteur…

Puis, après un moment de réflexion:

– Ce qui est sûr, poursuivit-il, c'est que Combelaine doit avoir deviné, reconnu un ennemi, et un ennemi puissant et fort, tapi dans l'ombre, prêt à profiter de la moindre de ses fautes pour le perdre. Les aventuriers tels que lui, dont l'existence est un perpétuel défi à la société, ont comme un sixième sens qui les avertit du danger. Il doit avoir senti que le terrain va manquer sous ses pas. Ce valet de chambre, qui depuis si longtemps le servait, qui était son confident, le complice de ses infamies quotidiennes, qu'est-il devenu? Comment a-t-il quitté un maître qui lui devait tant d'argent? Mme Misri s'en étonnait. Je m'en étonne, moi, bien davantage. Et encore, qu'est-ce que cet Anglais qui lui donne tout à coup des gages fabuleux? Cet Anglais ne serait-il pas un Français, comme vous et moi, qui a fait fortune en Australie? Mais ce n'est rien encore. Les lettres que possédait Mme Misri lui ont été volées. Par qui?.. Est-il sûr que ce soit par M. de Combelaine? Il me semble, à moi, que, s'il les avait en sa possession, ces fameuses lettres, ces papiers qui pouvaient le perdre, vous n'auriez pas été, vous, Raymond Delorge, assailli l'autre nuit sur les boulevards extérieurs.

Trop de fois, Raymond avait été dupe de décevantes illusions, pour ne se pas obstiner à douter encore.

– Mais alors, reprit-il, en hésitant à chaque mot, celui qui a réussi à enlever les papiers de Flora Misri, ce serait donc… Laurent Cornevin?

– Telle est ma conviction…

– Il savait donc leur existence… Comment avait-il pu savoir?..

M. Legris l'arrêta du geste.

– Vous oubliez donc, fit-il, ce valet de chambre qui possédait tous les secrets de Combelaine et de Flora, Léonard? Pensez-vous que ce soit d'hier qu'il ait été acheté par cet Anglais en qui nous reconnaissons Laurent?..

Ah! cette fois, Raymond eut comme un éblouissement.

– Dieu puissant!.. s'écria-t-il, ce serait le salut et la vengeance! Savez-vous bien, docteur, ce que m'a dit Mme Misri? Livrés à la publicité, ces papiers perdent non seulement Combelaine, mais encore les misérables qui ont été ses complices, Maumussy, Verdale, la princesse d'Eljonsen…

Mais une soudaine réflexion glaçant son enthousiasme:

– Si M. de Combelaine, reprit-il, ignore l'existence de Laurent, qui donc soupçonne-t-il de s'être emparé de ses papiers?

– Vous, parbleu!..

– C'est-à-dire qu'il verrait en moi l'insaisissable ennemi qui traverse toutes ses combinaisons…

 

– Précisément.

– Oh! alors, s'expliquent les assassins dont vous m'avez sauvé, docteur…

– Et aussi les mouchards dont vous êtes entouré, mon cher ami, puisque Laurent, qui sait votre vie en danger, vous fait surveiller de son côté…

Ainsi le système du docteur répondait à toutes les objections.

– Et pourtant, reprit Raymond, il est une chose qui me dépasse, c'est l'obstination de Laurent à se cacher de moi, à m'éviter, à me fuir…

M. Legris souriait.

– C'est ce que je comprends très bien, au contraire, dit-il. Voyons, n'y a-t-il pas pour Laurent un intérêt énorme à détourner sur vous l'attention des gredins qu'il veut frapper? Voyant en vous l'ennemi, ils ne soupçonnent pas l'autre, le vrai, celui qui les guette. Tandis qu'ils vous surveillent, Laurent se meut en liberté. Qu'il consente à vous voir, à s'entendre à vous, et quarante-huit heures après, c'en est fait de son incognito…

Laissant Raymond méditer ses observations, le docteur se versa et but à petites gorgées une tasse de thé que venait d'apporter Krauss.

Après quoi, allumant un nouveau cigare qu'il ne tarda pas à laisser éteindre comme le premier:

– Nous voici, maintenant, reprit-il, à notre aventure du cimetière Montmartre. Cherchons quel peut être l'auteur de la lettre anonyme. Est-ce Combelaine?.. Non, très évidemment. C'est au moyen d'un faux que nous avons été introduits au cimetière, et Combelaine, avec ses relations à la préfecture, n'avait qu'un mot à dire pour obtenir le laisser-passer dont notre guide n'avait qu'une contrefaçon. Donc, c'est Laurent Cornevin qui vous a écrit, et c'était un de ses agents qui nous a rejoints à la Reine-Blanche. Mais il nous a traîtreusement abandonnés… C'est que Laurent, toujours résolu à vous éviter, lui avait bien recommandé de nous faire perdre sa piste…

– Oui, peut-être…

– Parbleu!.. Reste à savoir quels sont les gens que nous avons vus escalader le mur du cimetière et violer la tombe de Marie-Sidonie. Sont-ils du parti de Combelaine?.. Non, puisque l'accord était évident entre notre guide et l'homme qui dirigeait cette expédition. Donc, cet homme qui nous a paru un homme du monde, était un agent de Cornevin, sinon Cornevin lui-même…

L'angoisse serrait la gorge de Raymond, au point de l'empêcher presque de respirer.

– Mais cette femme, interrompit-il, cette femme que les autres appelaient madame la duchesse…

– Je déclare, pour ma part, répondit M. Legris, n'avoir pas reconnu la duchesse de Maumussy. Or, comme pour une telle expédition cette femme, quelle qu'elle soit, a dû se déguiser de son mieux, les indices matériels nous font défaut. Reste le raisonnement: Quel peut être le but de la terrible scène dont nous avons été témoins? J'avoue, sans honte, qu'il m'échappe absolument. Pas plus que vous, je ne découvre rien dans votre passé qui se puisse rapporter à cette violation de sépulture. Et cependant si Laurent vous a convoqué, c'est qu'il jugeait votre présence nécessaire, indispensable. Il n'est pas homme à s'exposer gratuitement. Mais que disait sa lettre anonyme?.. «Venez pour Elle, sinon pour vous.» Donc c'est à Elle, c'est à Mlle Simone qu'il faut rapporter cet événement étrange. Donc, fatalement, nécessairement, cette femme que nous n'avons pas reconnue était la duchesse de Maillefert…

Les plus magnifiques espérances illuminaient le visage de Raymond…

La destinée se lassait-elle donc!..

Mais déjà le docteur était redevenu pensif, et la contraction de ses sourcils disait l'effort de son intelligence.

– Doucement, fit-il, doucement, ne nous hâtons pas de chanter victoire…

Et comme Raymond le regardait d'un air étonné:

– Je vois encore un point noir à l'horizon, poursuivit-il. Vous êtes, m'avez-vous dit, affilié à une société secrète.

– Oui, et je revenais d'une de nos réunions, quand j'ai été attaqué…

– Bien. Mais qu'ont pensé vos amis de cette fausse lettre de convocation que vous avez reçue?

– Elle les a terriblement inquiétés.

– Savent-ils de quel guet-apens vous avez été victime en les quittant?

– Je le leur ai écrit le lendemain.

– Et alors?

– Notre président est venu me demander des détails que je lui ai donnés aussi complets que possible, sans toutefois prononcer le nom de la famille de Maillefert. J'ai été jusqu'à lui dire que j'attribuais le faux au comte de Combelaine…

– Et qu'a dit ce président?

– Que du moment où c'était là le résultat d'une haine personnelle, il se sentait un peu rassuré, que néanmoins la police ayant évidemment pénétré le secret de notre association il allait prendre ses mesures en conséquence: changer le lieu des réunions, procéder à une sévère épuration des affiliés, donner de nouveaux mots de passe et de nouveaux signes de reconnaissance…

M. Legris semblait exaspéré.

– Ces gens-là sont tous fous à lier, interrompit-il, qui n'ont pas compris encore que les conspirations n'ont jamais été et ne seront jamais que des traquenards organisés par les gouvernements pour prendre les gens qui les gênent. Si l'empire n'avait pas d'autres ennemis il durerait des siècles…

Puis brusquement:

– Eh bien! mon cher Delorge, prononça-t-il, là est le danger de l'avenir. Votre société secrète, c'est l'arme suprême de M. de Combelaine. Qu'il se voie acculé, il s'en servira…

– Que peut-il?..

– Peu de chose. Vous envoyer voir à Cayenne si Mlle de Maillefert s'y trouve…

Raymond hochait la tête.

– C'est vrai, répondit-il, mais qu'y puis-je?..

– Vous pouvez vous cacher.

– Docteur!..

– Est-ce le mot qui vous répugne? Eh bien! disparaissez, si vous l'aimez mieux, et ce soir plutôt que demain. Qui vous retient? Votre mère? Non, n'est-ce pas? Vous n'avez qu'à lui dire que vous croyez la police sur vos traces, et elle sera la première à approuver votre détermination. Or, voyez-vous d'ici la figure de M. de Combelaine, le matin où ses espions viendront lui dire: «Plus de Delorge, parti, disparu, envolé!..»

Ce parti, c'était clair, ne souriait pas à Raymond.

– Me cacher, objecta-t-il, n'est-ce pas renoncer à la lutte, me condamner à une impuissance absolue?

– Que feriez-vous en ne vous cachant pas?..

– Je ne sais, mais il me semble…

– Il vous semble à tort. Alors même qu'on ne vous arrêterait pas, les événements s'agitent hors de votre portée. C'est entre Combelaine et Cornevin qu'est la lutte désormais. Quel sera le vainqueur?.. Moi je parierais pour Cornevin… Qu'il triomphe, et Mlle de Maillefert est à vous. Mais s'il échoue, croyez-moi, ce n'est pas vous qui eussiez triomphé.

Quand même, l'obstiné Raymond cherchait encore des objections.

– Disparaître, fit-il, ce sera peut-être déranger les projets de Laurent…

– Je prétends, au contraire, que ce sera les servir. Pensez-vous donc ne lui pas être un cruel souci? Croyez-vous que, sachant votre vie menacée et qu'une fois déjà vous n'avez que par miracle échappé au couteau des assassins, il ne s'épuise pas en combinaisons incessantes pour vous protéger?..

Que répondre à des raisons si péremptoires?

– Je n'hésiterais pas, dit Raymond, si l'opinion que nous avons de la situation était basée sur autre chose que des conjectures…

M. Legris l'arrêta.

– Et si je vous apportais, prononça-t-il, l'indiscutable preuve que les papiers enlevés à Mme Misri ne sont pas aux mains de Combelaine?

– Oh! alors!.. Mais le moyen?..

– Il en est un, peut-être, répondit le docteur.

Et après un instant de réflexions, d'une voix légèrement altérée:

– Autrefois, dit-il, passionnément, follement, j'ai aimé une femme qui a mal tourné… J'ai eu le courage de rompre, je n'ai pas eu la force de cesser de penser à elle… On ne s'arrache pas un amour du cœur comme on se fait tirer une dent… En dépit de ma raison, je m'intéressais… à cette malheureuse, qui s'est fait un nom dans le monde galant, et tout en l'évitant comme la peste, je n'ai jamais cessé de la suivre de l'œil. Son existence, depuis le jour où j'ai rompu, je la connais, et c'est ainsi que je sais qu'elle est devenue une des intimes de Mme Flora Misri. Par elle, nous avons des chances de connaître la vérité.

– Oh! docteur, murmura Raymond.

– Il y a un an, affronter cette femme eût été de ma part une imprudence. Je n'étais pas guéri. Aujourd'hui, je suis sûr de moi. La revoir me fera peut-être un mal affreux, mais je me dois de braver cette souffrance… Quoi que je lui demande, je crois qu'elle le fera… Demain donc, avant midi, je serai chez elle, lui demandant de faire parler Flora Misri.

II

C'est boulevard Malesherbes, au coin de la rue de Suresnes, à deux pas des Champs-Élysées, que demeurait, sous le galant pseudonyme de Lucy Bergam, la femme autrefois tant aimée du docteur Legris.

Dire que le cœur du docteur ne battait pas un peu quand il monta en fiacre pour se faire conduire chez elle, ce serait beaucoup dire.

Mais il avait promis.

Il remplissait un devoir, pensait-il, et d'autant plus sacré, qu'il n'avait pas tout dit à Raymond…

Il ne lui avait pas dit que cette Lucy Bergam se trouvait être précisément cette actrice fantaisiste des Délassements, qui coûtait les yeux de la tête à M. Philippe de Maillefert, et de qui M. Coutanceau tenait les renseignements qu'il avait donnés à Mme Flora Misri.

– Mme Lucy Bergam, lui dit le concierge, c'est au second, la porte à droite… Seulement, elle doit être sortie.

M. Legris monta, néanmoins, lentement, se préparant à la plus pénible impression, s'armant de la ferme volonté de dissimuler l'émotion qu'il pensait ressentir.

Ce n'est pas à son premier coup de sonnette qu'on vint.

Il avait déjà sonné trois fois et très fort, lorsqu'il entendit des chuchotements et des pas.

L'instant d'après, la porte s'entre-bâillait étroitement, avec les précautions que prennent les gens qui redoutent la visite d'un ennemi.

Une sorte de chambrière à la mine futée et à l'œil impudent allongea la tête, et après qu'elle eut toisé le docteur:

– Que voulez-vous? demanda-t-elle.

– Parler à Mme Bergam.

– Elle est sortie.

Assurément elle mentait, cela se voyait, malgré l'habitude qu'elle devait avoir de mentir.

Cependant, M. Legris ne s'avisa ni d'insister ni de parlementer.

Tirant une de ses cartes de son portefeuille:

– Remettez, dit-il, cette carte à Mme Bergam. Je vais descendre assez lentement pour que vous puissiez me rappeler si elle désire me recevoir.

Le calcul était juste.

Il n'avait pas descendu dix marches, que la soubrette s'élançait sur le palier en criant:

– Monsieur, madame y est pour vous…

Il remonta et fut introduit dans un salon très luxueux et du goût le plus détestable, tout encombré de choses incohérentes, les unes précieuses véritablement, les autres tout simplement ridicules.

Ce n'est pas là, cependant, ce qui frappait le docteur.

Ce qui l'étonnait, c'était le désordre de ce salon, où tout trahissait les apprêts d'un départ précipité.

Deux de ces malles immenses que l'on appelle des chapelières étaient là, à demi pleines et entourées de cartons, de nécessaires et de sacs de voyage.

Puis, sur les tables, sur les chaises, sur le tapis, partout s'étalaient et s'empilaient des cachemires et du linge, des robes, des chapeaux, des jupons, enfin tout cet attirail prodigieux qu'une femme à la mode traîne maintenant avec elle.

Mais avant que le docteur Legris eût le temps de réfléchir, une porte s'ouvrit brusquement, et Mme Lucy Bergam en personne parut, vêtue d'un superbe peignoir tout taché, les cheveux en désordre.

– Valentin!.. s'écria-t-elle!

Elle avançait, les bras ouverts; mais le docteur recula et, froidement:

– Moi-même, fit-il.

Le fait est que l'émotion qu'il avait redoutée n'était pas venue. C'était bien fini. Mme Lucy était incapable de faire tressaillir en son cœur un souvenir du passé.

– Je savais bien que vous ne m'aviez pas oubliée, continua-t-elle, et que vous viendriez lorsque vous sauriez le malheur qui m'arrive.

– Il vous arrive un malheur, à vous!..

Elle parut stupéfaite.

– Comment! fit-elle, vous ne savez pas?

– Je ne sais rien…

– On ne parle que de cela, cependant, dans tout Paris, et tous les journaux du matin l'annoncent. Philippe est en prison, au secret…

Le docteur tressauta.

– Philippe, répéta-t-il, le duc de Maillefert?..

– Oui. C'est hier soir qu'il a été arrêté, à cinq heures, ici… Nous allions sortir pour dîner avec de ses amis, au café Anglais, quand voilà deux messieurs qui se présentent, demandant à dire deux mots à M. le duc de Maillefert. Eh bien! ils étaient jolis, les deux mots! Naturellement on les fait entrer, et sitôt dans le salon: «Monsieur, disent-ils, au nom de la loi, nous vous arrêtons…»

 

– C'est inouï, murmurait le docteur.

– Ah! si j'avais été à la place de Philippe, poursuivait Mme Bergam, c'est moi qui leur aurais brûlé la politesse, à ces oiseaux-là!.. L'escalier de service n'est pas fait pour les chiens, n'est-ce pas? Mais lui, rien. Il est devenu plus blanc qu'une guenille, et si tremblant, que j'ai cru qu'il allait tomber. Il roulait de gros yeux hébétés, en répétant: «Il y a erreur, je vous donne ma parole d'honneur qu'il y a erreur.» Je t'en moque. Les autres ont déclaré qu'ils savaient bien ce qu'ils faisaient, qu'ils avaient un mandat contre lui, et, en effet, ils le lui ont montré…

– Et il les a suivis…

– Oh! pas tout de suite. Il a commencé par réclamer une voiture. On lui a dit qu'il y avait un fiacre à la porte. Il a demandé à écrire des lettres. On lui a répondu que l'ordre était de ne communiquer avec personne. C'est alors qu'il a dit aux agents: «Eh bien! partons.» Ils sont sortis, mais une fois dans le corridor, Philippe est rentré, et venant à moi, vivement et à l'oreille: «Va-t-en, me dit-il, trouver Verdale et Combelaine, et affirme-leur de ma part que je consens à tout…»

– A tout… quoi?

– Je n'en sais rien.

– Et vous avez fait la commission?..

– J'ai essayé de la faire, du moins. Seulement, je n'ai pas trouvé M. de Combelaine, et chez M. Verdale, je n'ai pu parler qu'à un jeune homme, qui est son fils, à ce qu'il paraît, et qui m'a reçue comme un chien dans un jeu de quilles…

La stupeur du docteur Legris était immense. Toutes ses prévisions se trouvaient déconcertées par ce nouvel et extraordinaire incident.

– Mais enfin, interrompit-il, pourquoi M. Philippe de Maillefert a-t-il été arrêté?

– Est-ce que je sais, moi?.. répondit la jeune femme.

Puis, se frappant le front:

– Mais il y a des détails dans les journaux, ajouta-t-elle. Attendez, j'en ai là un qui m'a été envoyé par quelque bonne petite camarade…

Elle le prit et le tendit au docteur, qui, l'ayant ouvert, se mit à lire à demi-voix:

«Hier, à l'heure de la petite Bourse, circulait sur les boulevards la nouvelle de l'arrestation de l'un de nos plus brillants gentilshommes, célèbre par son malheur constant au jeu et ses innombrables chutes sur le turf.

«Renseignements pris, la nouvelle, si invraisemblable qu'elle paraisse, est vraie.

«Arrêté chez une personne de son intimité, le jeune duc de M… a été immédiatement conduit devant M. Barban d'Avranchel, auquel est confiée l'instruction de son affaire, et écroué ensuite à la Conciergerie, au secret…»

– Une personne de son intimité! grommelait Mme Bergam, visiblement offensée, comme s'il n'eût pas été plus simple de me nommer!..

Le docteur poursuivait:

«Président du conseil d'une très importante société financière, M. de M… aurait, assure-t-on, commis ou laissé commettre les plus graves… irrégularités.

«Nous nous abstiendrons, pour aujourd'hui, de rapporter les versions qui circulent et les détails que nous avons recueillis. Nos lecteurs comprendront notre réserve. Plutôt paraître moins bien informés que certains de nos confrères que d'ajouter à la douleur d'une grande famille, victime peut-être, nous l'espérons encore, d'un fatal malentendu…»

– Quelle aventure! murmurait le docteur.

Et lentement et pour lui seul, il relisait l'article, cherchant s'il n'y avait rien entre les lignes, sans souci de Mme Bergam, laquelle donnait un libre cours à sa douleur et à sa colère.

– Voilà ma chance ordinaire! gémissait-elle. Il n'y a qu'à moi que de pareilles choses arrivent! Philippe arrêté! Et à quel moment, s'il vous plaît? Juste quand je suis dans une situation impossible, criblée de dettes et sans le sou. Sous prétexte qu'il allait avoir des millions avant trois mois, Philippe ne payait plus rien ni personne.

Le bruit d'une discussion violente dans l'antichambre l'interrompit.

– Qu'est-ce encore! fit-elle, en devenant plus rouge.

Elle allait sonner, mais la soubrette à l'air impudent parut, et d'un ton narquois dit:

– C'est M. Grollet…

– Le loueur de voitures?

– Oui.

– Qu'il repasse, je suis occupée…

– Eh bien! que madame aille le lui dire; moi, je ne m'en charge pas.

Violemment, Mme Bergam frappait du pied.

– Qu'il entre, alors, dit-elle.

M. Legris avait lâché son journal.

Ce nom de Grollet l'avait fait tressaillir.

N'était-ce pas ainsi que se nommait le palefrenier de l'Élysée, qui s'était audacieusement substitué à Laurent Cornevin disparu, et dont le faux témoignage devant M. Barban d'Avranchel, le juge d'instruction, avait tant contribué à sauver M. de Combelaine?

Il parut à l'instant, type accompli du maquignon enrichi, gouailleur et impudent, vêtu d'habits cossus, le ventre battu par de grosses chaînes d'or, le chapeau sur la tête.

– Est-ce bien vous, monsieur Grollet, commença Mme Lucy d'une voix douce, qui venez me tourmenter?..

– J'ai besoin d'argent…

– Ne savez-vous donc pas ce qui m'arrive?

– M. de Maillefert est en prison?

– Précisément.

Le loueur eut un geste furibond.

– C'est-à-dire que voilà mon argent perdu! s'écria-t-il. Fiez-vous donc après à tous ces nobles, qui vous traitent de haut en bas… Filous, va! Enfin je verrai… Mais en attendant j'arrête les frais, et à partir d'aujourd'hui, plus de voiture…

Il tempêtait, il jurait, et cependant sa colère ne semblait rien moins que réelle au docteur Legris.

– Cher monsieur Grollet, supplia Mme Lucy…

– Quoi?

– Vous me laisserez bien un coupé, au moins, rien qu'un petit coupé à un cheval…

– Avez-vous de l'argent à me donner?..

– Hélas!..

– Alors, serviteur…

– Plus de voiture! Mon Dieu! comment vais-je faire?

Grollet ricanait.

– Vous ferez comme les honnêtes femmes, donc, dit-il, vous irez en omnibus.

Peu soucieuse de cette brutale raillerie, Mme Lucy adressait au docteur des regards éplorés.

Peut-être espérait-elle vaguement qu'il allait tirer de sa poche des billets de banque, et les jeter au nez du loueur.

Elle perdait ses peines. M. Legris n'avait d'attention que pour Grollet. Comment cet entrepreneur si riche, qui possédait un des beaux établissements de Paris, venait-il de sa personne réclamer le montant de ses factures et faire des scènes, métier désagréable, que les plus modestes commerçants laissent à leurs employés ou à leur huissier? Était-ce bien de son propre mouvement qu'il agissait ainsi!

– Eh bien! reprit Mme Lucy, lasse d'attendre en vain un bon mouvement du docteur, soit, j'irai en omnibus. Mais soyez tranquille, je vous revaudrai l'avanie que vous me faites…

– A votre aise, répondit brutalement le loueur. Seulement, qu'on me paye, sinon, gare aux meubles!..

Il sortit, là-dessus. Mme Bergam semblait près de tomber en convulsions.

– Et voilà les gens, s'écriait-elle, dès qu'ils vous savent dans le malheur, ils vous tombent dessus. Tapissier, modiste, couturière, c'est comme une procession, ici, depuis ce matin. Je vais être saisie, c'est sûr. Ah! si Philippe sort de prison, il me le payera. Laisser une femme dans cette position!..

Était-ce bien au seul Philippe que Mme Lucy Bergam adressait ces reproches amers, et n'en devait-il pas rejaillir une partie sur le docteur, qui avait eu la vilenie de ne pas intervenir?

Mais il était fermement résolu à ne rien comprendre, et de l'air le plus désintéressé:

– C'est donc à tous ces tracas, dit-il, que je dois attribuer votre départ?

– Quel départ?

Du geste, il montra le désordre du salon, les sacs de nuit, les malles…

– C'est vrai, répondit la jeune femme, c'est vrai, j'oubliais. Malheureusement, non, ce n'est pas moi qui pars… Est-ce que j'ai d'aussi belles choses que cela, moi, des cachemires de mille écus, des dentelles de vingt-cinq louis le mètre, des diamants qui valent plus de cent mille francs?.. Hormis mon mobilier, qui n'est même pas complètement payé, je n'ai rien, moi, que de la pacotille, du rebut, du faux, du «toc»!.. On disait que je ruinais Philippe, et je laissais dire, parce que c'est tout de même flatteur, mais va-t-en voir s'ils viennent!.. Ruine-t-on qui n'a rien?.. Et Philippe n'a rien, que des dettes. Ses quelques louis passaient au jeu. Pour le reste, nous prenions à crédit, toujours, partout… Le lendemain du mariage de sa sœur, nous devions, me jurait-il, rouler sur l'or… Seulement, sa sœur est toujours fille, le voilà en prison, et je suis seule à tenir tête aux créanciers… Ah! si j'avais su, quand j'étais ouvrière au faubourg Saint-Jacques!..