Za darmo

La dégringolade

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Après un moment de silence:

– Et ensuite? interrogea-t-il.

– A cela, monsieur Delorge, reprit Mme Misri, se bornaient les renseignements de M. Léonard. Il fut convenu que nous resterions alliés, poursuivant le même but, moi ouvertement, lui en secret.

«Et j'attendis les événements, tenue au courant tous les jours, tantôt par le père Coutanceau, plus animé que moi, certainement, contre Combelaine, tantôt par Léonard.

«Selon Coutanceau, tout espoir était définitivement perdu, et j'avais tort de ne pas utiliser immédiatement mes armes.

«Selon Léonard, au contraire, je devais patienter, parce que, me disait-il, M. de Maillefert et Victor, de plus en plus irrités, ne pouvaient manquer, au premier jour, de vider leur querelle sur le terrain.

«Malheureusement, c'est à Coutanceau que tout semblait donner raison.

«Le mariage de Combelaine et de Mlle de Maillefert était annoncé de divers côtés, et tout en le trouvant inouï, incompréhensible, absurde, on le considérait comme certain.

«En cette extrémité, je songeai à agir sur Combelaine par ses anciens amis.

«Parmi les papiers, il s'en trouvait qui compromettaient terriblement plusieurs personnages haut placés, et entre autres, et plus que tous les autres, le duc de Maumussy.

«C'est donc à lui que je m'adressai d'abord.

«Après lui avoir exposé la situation, qu'il devait d'ailleurs connaître aussi bien sinon mieux que moi, je lui écrivais carrément:

«Il m'est impossible de frapper Victor sans vous atteindre vous-même, je le regrette, mais c'est ainsi. Usez de votre influence sur lui pour le déterminer, non pas à m'épouser, je n'exige pas tant, mais à rompre un mariage que je suis résolue à empêcher à n'importe quel prix.»

«Je m'attendais a voir arriver Maumussy, tout courant. Je comptais, à tout le moins, sur une réponse immédiate… Rien.

«Furieuse, j'écrivis successivement la même chose au baron Verdale et à la princesse d'Eljonsen… Rien toujours.

«On riait de ma colère, on se moquait de mes menaces: c'était si clair que j'aurais douté de la valeur des pièces que j'avais entre les mains, sans le père Coutanceau, qui les avait examinées, et qui même avait profité de la circonstance pour s'emparer de tout ce qui le concernait.

«Ce silence, prétendait-il, était inouï, inexplicable, et très certainement cachait quelque embûche.

« – Défiez-vous, me répétait-il sans cesse, prenez garde!..

«Et moi, qui, mieux que lui, sais ce dont Victor est capable, je frémissais et j'étais travaillée de si affreuses terreurs, qu'il me semblait trouver un goût étrange à tout ce que je mangeais, que le jour j'osais à peine sortir, et que la nuit je me barricadais dans ma chambre comme dans une forteresse.

«Ah! ces papiers maudits!.. Vingt fois je les ai mis sous enveloppe pour les adresser à qui de droit, vingt fois j'ai eu horreur de ce que j'allais faire, et je les ai resserrés en me disant:

« – Je ne peux pas, décidément je ne peux pas…

Alors, monsieur Delorge, alors, lâche et indigne créature que je suis, pauvre bête, misérable dupe, savez-vous ce que je fis?

«J'écrivis à Victor pour lui demander une entrevue, lui disant que notre brouille venait d'un malentendu qu'une explication dissiperait.

Si Mme Flora Misri pensait surprendre Raymond, elle se trompait.

Cette défaillance, il l'avait devinée, prévue, et il n'avait qu'à s'applaudir de sa pénétration et de sa réserve.

– Oui, voilà ce que je fis, continua-t-elle, et, allégée de mes angoisses et de mes luttes intérieures, pleine d'espoir, j'attendis.

«Oh!.. je n'eus pas à attendre longtemps! Le soir même, Victor me retournait ma lettre avec ces mots au crayon rouge, en travers:

«Assez!.. ou je serai forcé de prier le préfet de police de me délivrer d'obsessions et de menaces également ridicules.»

«Il me menaçait de la police, lui!.. Quelle amère dérision!..

« – Et j'hésiterais encore, m'écriai-je, à le perdre lorsque je le puis!..

«Eh bien! oui, j'hésitai encore.

« – Il faut, me dis-je, que je le voie, que je lui parle, qu'il m'entende… C'est une dernière chance de salut que je lui offre: s'il la dédaigne, c'est fini, j'agis…

«Et voilà pourquoi, monsieur Delorge, vous m'avez vue, ce soir, à la grille du comte de Combelaine, mendiant la faveur d'un entretien.

«Et vous avez entendu!.. Il me ferme sa porte, le misérable qui me doit tout, que j'ai disputé jadis à cette police dont il me menace aujourd'hui, qui a vécu de moi, des hontes qu'il me reproche, qui m'a volée, pillée, ruinée, qui me doit jusqu'à l'argent qu'il donne à ses valets par lesquels il me fait insulter.

«Et Léonard qui n'est plus là.

«Comment, tout à coup, sans me prévenir, a-t-il quitté Combelaine qu'il sert depuis tant d'années, et qui lui doit, il me le disait encore avant-hier, une vingtaine de mille francs?

«Qu'est-ce que cet Anglais, qui lui donne, à ce qu'on prétend, des gages fabuleux?..

Durant dix secondes, Mme Misri reprit haleine, puis tout à coup, et avec une violence convulsive:

– Voilà ce que je me disais, monsieur Delorge, poursuivit-elle, pendant qu'on me refusait la porte. La mesure était comble, cette fois, et je me demandais comment frapper sur-le-champ le misérable, lorsque je vous ai aperçu et reconnu.

«Et maintenant que je vous ai tout raconté, je vous dis:

« – Je ne suis qu'une femme, je ne saurais peut-être pas me servir des armes mortelles que j'ai entre les mains; voulez-vous que je vous les confie? Voulez-vous me venger en vous vengeant vous-même? Êtes-vous prêt à me jurer que vous frapperez impitoyablement Combelaine, que vous l'écraserez!..

Jamais occasion si décisive ne s'était offerte à Raymond, et il n'avait pas trop de toute sa volonté pour garder son calme.

– Ainsi, vous me donnerez ces papiers qui sont en votre pouvoir? demanda-t-il.

– Je vous les donnerai.

– Quand?

Si imperceptible que fût l'indécision de Mme Misri, elle n'échappa pas à Raymond.

– Demain, répondit-elle, dans la matinée…

– Pourquoi pas ce soir?..

– Ce soir!..

– Oui, tout de suite. Dites à votre cocher de rentrer, je monte à votre appartement, vous me remettez ces papiers, je passe la nuit à les examiner et à voir quel parti on peut en tirer, et dès demain j'ouvre le feu…

Une brusque secousse lui coupa la parole.

Le coupé venait de s'arrêter court au milieu de l'avenue d'Eylau.

Le cocher, comme la première fois, rabattit sans façon la glace, et d'un accent inquiet:

– Madame! appela-t-il, madame!

Assurément, elle était à mille lieues de la situation présente, et il lui fallut un instant pour s'en rendre compte. Alors, elle crut que son cocher allait de nouveau se permettre des observations sur la longueur de la promenade.

– Qu'est-ce que ces façons! répondit-elle. Ne vous ai-je pas dit de marcher?..

Elle voulait relever la glace, le cocher l'en empêcha.

– C'est bien, je vais marcher, fit-il, mais avant je dois dire à madame que nous sommes suivis…

Elle tressauta, et, par un mouvement instinctif, se rapprochant de Raymond:

– C'est impossible!.. s'écria-t-elle.

– Oh! j'en suis sûr comme de mon existence, insista le cocher. Monsieur et madame n'ont donc pas remarqué les drôles de détours que je leur ai fait faire, et la singulière façon dont je les menais? C'est que je voulais m'assurer de la chose. J'ai commencé à m'en défier dès les Champs-Élysées. Voyant une voiture qui allait du même train que moi, toujours tournant à la même distance, tournant à droite quand j'allais à droite et à gauche quand je tournais à gauche, je me suis dit: «Bien certainement on épie madame.» Alors, je me suis mis à circuler au hasard, de ci et de là, tantôt au pas, tantôt au galop, la voiture ne me lâchait toujours pas, et maintenant que je suis arrêté, elle est arrêtée en arrière à cent pas.

Trop profonde était l'obscurité pour que le cocher, du haut de son siège surtout, pût juger de l'impression que produisait son rapport.

Pendant qu'il parlait, Mme Misri, plus tremblante que la feuille, s'était peu à peu blottie tout contre Raymond.

– Vous entendez? bégaya-t-elle.

– Parfaitement.

– C'est Combelaine qui nous suit, reprit-elle.

– Combelaine ou un autre…

– Non, ce ne peut être que lui. Je sais ses façons, voyez-vous, et combien il est traître. Pendant que je parlementais avec son domestique, il était au guet derrière ses persiennes. Il nous a vus causer et monter ensemble dans mon coupé. Il a demandé qui était cet homme à qui je parlais, on le lui a dit, et aussitôt, sautant en voiture, il s'est lancé sur nos traces…

Raymond sentait la victoire lui échapper, une victoire sûre, décisive, et dont il avait déjà, au dedans de lui-même, escompté la joie.

Car il n'avait pas besoin d'y voir clair pour reconnaître que Mme Flora retombait invinciblement sous l'influence de Combelaine, qu'elle était terrifiée de son audace, que le plus extrême anéantissement succédait à son exaltation nerveuse.

– Peut-être avez-vous raison, lui dit-il, mais que nous importe!..

– Malheureux!.. Vous ne comprenez donc pas que si Combelaine nous a épiés, il est trop fin pour n'avoir pas deviné ce qui s'est passé entre nous! S'il nous a suivis, il sait, à cette heure, que je vous ai tout dit, que je vous ai offert les papiers que j'ai en ma possession, que nous avons signé un traité de vengeance…

Il importait de prendre un parti, évidemment, mais il était bon aussi, avant tout, de vérifier les assertions du cocher. Raymond n'y ajoutait pas absolument foi, l'estimant fort capable d'avoir imaginé cette histoire de poursuite pour déterminer Mme Misri à rentrer.

Revenant donc à cet homme:

– Et où est-elle, maintenant, demanda-t-il, cette voiture qui nous «file» si obstinément?

 

Le cocher se dressa sur son siège pour regarder.

– Toujours au même endroit, répondit-il, près d'un café très éclairé. En mettant l'œil au petit carreau du fond, monsieur peut l'apercevoir.

Ainsi fit Raymond et, en effet, à une soixantaine de mètres, il distingua les lanternes d'une voiture immobile. Mais qu'est-ce que cela prouvait?

– Mon brave, dit-il au cocher, il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Vous allez marcher, pendant que j'observerai, et faites assez de tours et de détours pour lever tous mes doutes!..

– Soit! répondit le cocher.

Et il fouetta son cheval, qui partit au grand trot…

– Eh bien!.. demandait de temps à autre Mme Misri à Raymond.

– Eh bien, le cocher ne s'était pas trompé. Voici la voiture suspecte qui se met en marche à son tour… Elle tourne où a tourné la nôtre… Elle se maintient toujours à une cinquantaine de mètres…

Sûr de son fait, Raymond commanda au cocher d'arrêter.

– Ma conviction, dit-il à Mme Misri, est qu'il n'y a que M. de Combelaine pour nous épier ainsi… Cependant, il faut s'en assurer.

– Que voulez-vous faire?

– Je vais descendre et aller demander à la personne qui est dans cette voiture de quel droit elle me suit…

Déjà il ouvrait la portière; Mme Misri le retint.

– Vous ne ferez pas cela! s'écria-t-elle, je ne veux pas rester seule, j'ai peur… Ensuite, si c'est Victor qui est dans la voiture, qu'arrivera-t-il?..

Était-ce pour Raymond qu'elle craignait si fort, ou pour M. de Combelaine? Il eût été hardi de prétendre le décider.

Lui commençait à perdre son sang-froid.

– Que voulez-vous alors? dit-il en jurant. Avez-vous une idée?

– Oui.

– Dites.

– Voilà: mon cheval est fatigué, c'est vrai, mais il a beaucoup de sang, c'est une bête de quatre mille francs, et en le poussant un peu, on obtiendra tout ce qu'on voudra. Il faut le pousser, tout droit, toujours tout droit, sur une grande route, l'autre voiture ne nous suivra pas une lieue…

– Et après?..

– Après, nous reviendrons par un autre chemin, et je rentrerai chez moi, ou j'irai coucher chez une de mes amies…

Ce plan offrait à Raymond cet avantage de ne pas quitter Mme Misri; et cette perspective de l'accompagner chez elle, et d'en obtenir les papiers.

– Oui, c'est une idée, fit-il.

Et, s'adressant au cocher:

– Il faut distancer cette voiture, reprit-il. Vous allez prendra l'avenue de la Grande-Armée, puis l'avenue de Neuilly, et vous lancer à fond de train sur la route de Saint-Germain.

– C'est que le cheval est un peu fatigué…

– Crevez-le, s'il le faut, interrompit Mme Misri…

Le cocher haussait les épaules.

– Drôle de fantaisie, grommela-t-il.

Pourtant, il se mit à rouer de coups son cheval, qui partit dans la direction indiquée.

– Nos espions en seront pour leurs frais, dit Raymond.

Mme Misri ne répondit pas. Il n'y avait plus à en douter, elle se repentait amèrement de ce qu'elle avait fait, et certainement, elle eût donné bonne chose pour reprendre les confidences échappées à sa colère. Était-ce frayeur de Combelaine, ou regret d'avoir compromis cet homme qui avait su faire d'elle sa chose? Il eût été malaisé de le dire. Les relations de gens tels que Mme Misri et M. de Combelaine échappent à l'analyse. La passion s'y complique de circonstances mystérieuses, étranges, inavouables. Ce devient à la longue une association dont les complices se trouvent liés par un lien de honte plus difficile à rompre que ceux que nouent les conventions sociales.

– Nous ne gagnons pas, murmurait-elle.

Raymond regarda; c'était vrai. Les lanternes de l'ennemi brillaient invariablement à la même distance.

Les larmes venaient aux yeux de Mme Misri.

– Maintenant, gémissait-elle, comme si elle eût répondu aux objections de son esprit, maintenant je m'explique la sécurité et le silence de Combelaine et de ses amis. Ils sont puissants, voyez-vous, très puissants, ils ont des relations partout et à la préfecture de police plus qu'ailleurs. Du jour où j'ai menacé de me servir des papiers, j'ai été entourée d'espions. Ah! ils sont forts, les brigands. Voici que je doute de tout. Qui sait si mes domestiques, mon cocher, ma femme de chambre même, à qui je dis tout, ne sont pas payés pour me surveiller? Et Léonard? Ne me trahissait-il pas? Coutanceau lui-même ne se moquait-il pas de moi?

Littéralement, elle s'arrachait les cheveux.

– A cette heure, continuait-elle, je comprends l'obstination de Victor à nous suivre; il sait que, si je vous remets les papiers, il est perdu, et il ne veut pas que je vous les remette. Ah! folle que je suis, de m'être attaquée à lui! Folle surtout de l'avoir prévenu! On ne menace pas des hommes comme lui, on frappe d'abord…

Ainsi, de plus en plus, Raymond sentait lui échapper cette nature de fille, inconsistante et fantasque. Pourtant il ne perdait pas tout espoir.

Arrivé à la minute des résolutions suprêmes, il se jurait qu'il aurait les papiers le soir même, lui fallût-il menacer Mme Misri, lui fallût-il même recourir à la violence.

Mais il fallait dépister la voiture maudite.

– Arrêtez! cria-t-il au cocher.

Il ouvrait la portière, il allait sauter à terre; Mme Misri le retint.

– Que voulez-vous encore?..

– Voir si je ne saurai pas, mieux que votre cocher, pousser votre cheval.

Elle n'osa pas s'y opposer, et l'instant d'après, Raymond, installé sur le siège, s'emparait des rênes.

– Nous échapperons, soyez tranquille, cria-t-il à Mme Misri.

C'est qu'il venait de changer son plan. Au lieu de suivre droit l'avenue de Neuilly, il se jeta à gauche, dans l'avenue de Longchamp, qui traverse en biais tout le bois de Boulogne.

L'autre voiture en avait fait autant, mais il ne s'en inquiétait guère. Habilement poussé et sur un terrain exceptionnellement favorable, le cheval de Mme Misri filait avec une prestigieuse rapidité.

– Une demi-heure de ce train, et la pauvre bête est fourbue! grommelait le cocher.

– Oui, mais dans une demi-heure nous serons loin…

Et, ce disant, Raymond éteignait les lanternes du coupé en murmurant:

– Voilà toujours qui va rendre la poursuite plus difficile!

Il ne devait pas s'en tenir là.

Parvenu à l'endroit où l'allée de la Reine-Marguerite croise l'allée de Longchamp, brusquement, il tourna court dans une allée réservée aux piétons et, en dépit de l'obscurité profonde, au risque de tout briser, il maintint longtemps encore le cheval au galop.

Il s'arrêta pourtant. Et alors, pendant près de cinq minutes, et prêt à reprendre sa course, il prêta l'oreille et regarda dans toutes les directions.

Rien. On n'apercevait pas une lanterne de voiture, on ne percevait pas le moindre bruit de roues.

– Nous l'emportons donc!.. s'écria Raymond, en sautant à terre pour annoncer à Mme Misri cette heureuse nouvelle.

Mais c'est en vain qu'il appela, en vain qu'il étendit les bras dans l'intérieur…

Le coupé était vide, Mme Misri avait disparu.

VIII

Stupéfait, furieux, Raymond refusait en quelque sorte d'admettre cette disparition étrange, et c'est avec des imprécations de rage qu'au milieu de l'obscurité profonde du bois il fouillait les alentours…

Le cocher, lui, riait de tout son cœur.

Et tout en bouchonnant avec un lambeau de laine son pauvre cheval, dont les flancs haletaient:

– Monsieur prend une peine bien inutile, dit-il, madame doit être loin, si elle court toujours…

– Loin!.. Aurait-elle donc sauté à terre, pendant que nous étions lancés à fond de train?..

– Oh!.. non. Madame n'est pas si imprudente que cela. Mais ici, tout à l'heure, quand monsieur a arrêté le cheval pour écouter, j'ai entendu la portière s'ouvrir et se refermer doucement, si bien que je me suis dit: «Tiens, voilà madame qui brûle la politesse à ce monsieur…»

Il poussait du bois vert aux environs, et la tentation de Raymond était grande d'en caresser les épaules de ce cocher si perspicace. Mais à quoi bon!

– Soit, interrompit-il. Seulement, à cette heure et par cette nuit noire, où peut être allée Mme Misri?

– A Paris, donc, et par le plus court. Qui donc, sinon madame, connaîtrait son bois de Boulogne, à toute heure de nuit et de jour, et en toute saison…

C'était une explication.

– Puisqu'il en est ainsi, fit Raymond, rentrons.

Le cocher ne se le fit pas répéter. En un tour de main, il eut rallumé les lanternes, et tandis que Raymond remontait dans le coupé:

– Où dois-je conduire monsieur? demanda-t-il.

– Boulevard des Italiens, au coin de la chaussée d'Antin.

La voiture partit, et c'est bercé par son mouvement monotone que Raymond repassait dans son esprit les étranges événements de la soirée.

Que d'émotions poignantes en quelques heures!.. Avoir cru toucher au but, l'avoir touché plutôt, puis tout à coup s'en voir éloigné plus que jamais et sans doute pour toujours!..

L'action de Mme Flora, d'ailleurs, l'irritait plus qu'elle ne le surprenait.

A ce trait de bassesse furtive, il reconnaissait la créature qu'il avait tout d'abord devinée, et qui s'était dévoilée ensuite, la fille accoutumée à trembler et à obéir, incapable de résister en face, subissant la volonté du premier venu, mais toujours prête à se dérober et à trahir.

Où était-elle à cette heure?

Chez elle, peut-être, occupée à réunir ces papiers, qu'elle offrait naguère, pour les porter à Combelaine et obtenir ainsi son pardon.

– Ah!.. misérable fille! pensait Raymond. Créature sans intelligence et sans cœur!..

Encore bien qu'il eût été avec elle d'une réserve extrême, il lui avait laissé voir que, s'il ignorait quelle honteuse intrigue livrait Mlle de Maillefert au comte de Combelaine, il connaissait du moins l'existence de cette intrigue, et qu'il était résolu à lutter jusqu'à la fin. C'était trop.

C'était trop, parce que Raymond se rappelait les paroles de Mme Misri:

«On ne prévient pas des hommes tels que Combelaine; on frappe d'abord…»

Or, il allait être prévenu. C'est-à-dire qu'il allait plus que jamais se tenir sur ses gardes, veiller à n'offrir aucune prise, et très probablement, de peur d'accident, presser son mariage avec Mlle Simone.

Conclusion: La rencontre de Mme Misri, loin de servir les projets de Raymond, empirait positivement la situation.

Il en était là de ses réflexions, lorsque le coupé s'arrêta tout à coup sur le boulevard, à l'angle de la chaussée d'Antin, et presque aussitôt le cocher ouvrit la portière en disant:

– Monsieur est arrivé.

Raymond jeta un louis à cet homme et, descendu de voiture, il resta un moment immobile sur le boulevard. Il n'avait eu aucune raison de se faire conduire à cet endroit plutôt qu'ailleurs, et il se demandait où aller et s'il devait rentrer, quand le souvenir de Mme Cornevin, qui demeurait à deux pas, traversa son esprit.

– Il faut que je la voie, se dit-il, que je lui parle!..

Ainsi, brusquement, sans réflexions, se prennent souvent les plus graves déterminations de la vie, celles dont l'influence doit être le plus décisive.

Il y avait des mois déjà que Raymond, la franchise même, se condamnait à une dissimulation de tous les instants pour cacher à sa mère et à ses amis le secret de sa vie, son amour pour Mlle de Maillefert, et voici que, ce secret, il allait le livrer peut-être, ou tout le moins l'exposer à la subtile pénétration d'une femme.

Cette considération ne devait pas l'arrêter. Un seul fait l'éblouissait jusqu'à l'aveugler.

Mme Cornevin était la sœur de Mme Misri.

Mme Cornevin, jadis, avait eu sur cette sœur une certaine influence et avait même essayé d'en user lors de la mort du général Delorge, lorsqu'on en était encore à rechercher ce qu'était devenu Laurent Cornevin.

Alors, c'est vrai, elle avait échoué.

Mais combien les temps étaient changés, depuis!

Flora Misri, à cette époque, était dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté, à cet âge où le vice doré a encore de décevantes poésies, ivre de la soudaine et prodigieuse fortune de l'audacieux aventurier auquel elle avait associé sa vie.

Tandis que maintenant!..

Vieillie, trahie, délaissée, ayant vidé toutes les coupes jusqu'à la lie, elle devait être accessible à des considérations qui jadis ne l'eussent guère touchée.

Pourquoi donc ne subirait-elle pas l'ascendant de sa sœur, tentant près d'elle une dernière démarche?

C'était cette démarche que Raymond allait demander à Mme Cornevin.

Il comptait lui dire simplement:

– Je sais, à n'en pouvoir douter, que Mme Flora Misri a entre les mains les papiers de Combelaine. Si nous les possédions, le misérable serait perdu, nous tiendrions enfin la preuve de son infamie, de ses intrigues, de ses crimes: mon père et votre mari seraient vengés. Voyez votre sœur et tâchez d'obtenir qu'elle vous les remette.

 

C'est avec ces idées que Raymond s'en allait à grands pas le long de la rue de la Chaussée-d'Antin.

Il se faisait tard, toutes les boutiques étaient fermées, les passants se faisaient rares, et les cafés mêmes commençaient à se vider.

Depuis le matin, Raymond n'avait rien pris, mais il ne s'en apercevait pas. Il était dans une de ces crises où toutes les exigences physiques se taisent, où les nerfs, exaltés outre mesure, suffisent à tout.

Ce qu'il craignait, c'était que Mme Cornevin ne fût couchée.

– Et cela pourrait bien être, lui répondit le concierge, qu'il interrogea, car toutes les ouvrières sont parties de très bonne heure, ce soir.

N'importe! Il grimpa l'escalier quatre à quatre, et d'une main fébrile sonna…

Rien. Personne ne vint.

Pourtant, en se penchant à l'une des fenêtres du palier, il voyait de la lumière à des fenêtres qu'il savait être celles de la chambre à coucher de Mme Cornevin.

Elle ne dormait donc pas.

Il sonna une seconde fois, puis une troisième, tirant le cordon plus violemment à chaque fois, et comme c'était toujours en vain il allait renoncer, lorsque enfin il entendit des pas…

Presque aussitôt, à travers la porte, une voix demanda:

– Qui est là?

– Moi, Raymond Delorge.

La porte s'ouvrit, et Mme Cornevin se montra, tenant une bougie.

– Vous, à cette heure! dit-elle. Serait-il arrivé un accident chez vous?

– Non, madame, Dieu merci!..

Elle était pâle et fort troublée, cela eût sauté aux yeux d'un homme moins ému lui-même que ne l'était Raymond, et c'est avec cette volubilité dont on voile d'ordinaire son embarras qu'elle reprit:

– Vous m'excuserez de vous avoir fait attendre si longtemps; mais j'ai renvoyé toutes mes ouvrières à six heures, ma domestique et mes filles sont couchées, j'allais moi-même me mettre au lit…

Elle n'avait pas, néanmoins, commencé à se déshabiller, car elle était aussi correctement vêtue que dans la journée pour recevoir ses clients.

– Il faut que je vous parle, interrompit Raymond.

– Ce soir?

– Oui, tout de suite; il s'agit d'une affaire très grave…

L'embarras de Mme Cornevin fut alors si manifeste, qu'il ne put faire autrement que de le remarquer.

– Mais je vous gêne peut-être beaucoup, commença-t-il.

– Moi!.. fit-elle. Et pourquoi, grand Dieu! Vous ne me gênez pas plus que ne me gêneraient Jean et Léon, s'ils étaient ici. Entrez, entrez.

Il entra; seulement, au lieu de le faire passer dans son appartement particulier, c'est dans l'atelier qu'elle l'introduisit.

Posant sa bougie sur un meuble, elle s'assit lourdement, et non sans une nuance très saisissable d'impatience:

– Je vous écoute, dit-elle.

L'attention de Raymond était éveillée. Il observait ces détails et s'en étonnait.

Cependant, c'est de la façon la plus claire qu'il raconta les événements de la soirée, omettant toutefois ce qui concernait Mlle de Maillefert, mettant tout sur le compte de sa haine contre Combelaine.

Il s'attendait à des objections de la part de Mme Cornevin. Elle ne lui en fit pas une.

– C'est bien, dit-elle. Je verrai ma sœur…

– Dès demain!..

– Avant midi, je vous le promets…

– Et quand connaîtrai-je le résultat de votre démarche?

– Venez me le demander demain, à cette heure-ci.

C'était plus que n'osait espérer Raymond. Et, pourtant:

– J'aurais encore quelque chose à vous demander, madame, commença-t-il.

– Quoi?..

– Si vous étiez assez généreuse pour me garder le secret, pour ne parler de rien à ma mère…

– Je vous garderai le secret.

Quand on a hâte de se débarrasser de quelqu'un, c'est ainsi qu'on agit; on répond Amen à tout, et cela abrège. Raymond le comprenait bien, et les plus étranges conjectures lui passaient par la tête, d'autant qu'il lui avait semblé distinguer dans la pièce voisine un bruit de chaise renversée…

– Si nous avions ces papiers, pourtant! reprit-il…

– Oui, ce serait un grand bonheur! acheva Mme Cornevin…

Et elle se levait en disant cela, et c'était une si positive invitation à se retirer, que Raymond n'osa pas rester davantage.

– A demain soir donc, dit-il, en se levant à son tour…

– Oui, oui, dit Mme Cornevin, c'est convenu.

Et elle avait repris sa bougie, et, précédant Raymond, elle lui ouvrit la porte. Et il n'était pas sur le palier que la porte se refermait vivement…

En vérité, s'il se fût agi de toute autre femme, Raymond eût été assailli de doutes singuliers et pénibles. L'inconduite, en définitive, n'a pas d'âge. Mais Mme Cornevin était de celles que ne saurait effleurer l'aile sombre du soupçon.

– Et pourtant, se disait-il en descendant l'escalier à pas comptés, son trouble était manifeste, elle m'a mis dehors littéralement. Puis, qu'est-ce que ce bruit que j'ai entendu? N'était-elle donc pas seule?

Pas seule!.. Mais qui donc, à pareille heure, et dans l'appartement où dormaient les trois jeunes filles, pouvait-elle recevoir qu'elle eût intérêt à cacher?

Son mari, Laurent Cornevin?..

A cette idée, traversant son esprit comme un éclair, Raymond tressaillait.

– Et pourquoi non? murmurait-il.

Laurent Cornevin, certes, était un homme d'une prodigieuse énergie, mais c'était un homme, après tout. Qui pouvait garantir qu'il n'y avait pas eu une heure où son courage avait faibli? Qui disait qu'à cette heure d'attendrissement il ne s'était pas révélé à sa femme, à la mère de ses enfants, et qu'il ne venait pas parfois la visiter en secret?..

Plus Raymond étudiait cette hypothèse, plus il la trouvait logique, vraisemblable, probable, et répondant à tout.

A ce point qu'il était presque tenté de remonter chez Mme Cornevin, de sonner jusqu'à ce qu'elle lui ouvrît, et de lui dire brusquement:

– Votre mari est ici, je le sais, il faut que je lui parle à l'instant, il y va de mon bonheur et de ma vie…

S'il devinait juste, Mme Cornevin étourdie n'aurait pas la présence d'esprit de nier…

Oui, mais s'il s'abusait, aussi!..

– Je ne puis risquer cela, pensait-il, je ne le puis absolument pas.

Mais, tout en remontant la rue Blanche:

– Demain, se disait-il, en venant chercher la réponse de Mme Cornevin, je serai bien malheureux ou bien maladroit si je ne parviens pas à saisir quelque indice qui dissipe ou confirme mes présomptions…

Bien qu'il fût plus de minuit lorsqu'il rentra, harassé, l'âme et le corps brisés, sa mère et sa sœur n'étaient pas couchées et l'attendaient.

– J'étais inquiète, lui dit Mme Delorge. Ce tantôt encore Me Roberjot me disait que la résistance s'organise contre l'Empire… Fais ce que tu crois être ton devoir, mais sois prudent. Plus qu'un autre tu dois être surveillé. Songe à la joie de nos ennemis si tu leur fournissais le prétexte de t'impliquer dans quelque procès.

Il rassura sa mère, mais il ne trouva rien à répondre, lorsque sa sœur, lui serrant la main, murmura à son oreille:

– Pauvre Raymond!.. Pourquoi te défier de moi!..

Les horribles fatigues de cette journée eurent du moins cela de bon, qu'elles lui procurèrent un sommeil de plomb.

Il dormait encore lorsqu'à dix heures le vieux Krauss entra dans sa chambre, tenant deux lettres que le facteur venait d'apporter.

A la seule vue de l'une d'elles, Raymond frémit.

Il avait reconnu l'écriture chérie de Mlle de Maillefert.

Ses mains tremblaient tellement qu'il eut quelque peine à rompre l'enveloppe, et c'est comme à travers un brouillard qu'il lut:

«J'avais perdu toute conscience de ce qui se passait autour de moi, lorsque – me dit ma mère, – vous vous êtes emporté en menaces terribles contre le comte de Combelaine.

«Il faut donc, ô mon unique ami, que je vous répète ce que je vous ai déjà dit: la violence, à cette heure, rendrait inutiles mes souffrances et ne nous sauverait pas.

«Je viens de promettre à la duchesse de Maillefert que vous sauriez vous résigner à notre douloureuse destinée. C'est un horrible sacrifice, je le sais, mais c'est à genoux que je vous le demande, au nom du passé. Me le refuserez-vous? Ai-je eu tort de compter sur votre affection? Répondez-moi.

«SIMONE.»

Des larmes brûlantes comme du plomb fondu jaillissaient des yeux de Raymond.

– Voilà donc, pensait-il, ce qu'elle en est réduite à écrire. Et moi, je me rendrais à ces prières qu'on lui a dictées!.. Ah! plutôt la mort mille fois, la plus affreuse et la plus cruelle!..