Za darmo

La corde au cou

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– Je vous remercie, répondit le vieux gentilhomme, l'air m'a tout à fait remis.

Il s'assit; et le jeune avocat se retournant vers Antoine:

– Revenons, dit-il, à monsieur de Boiscoran. Commentétait-il, le jour qui a précédé l'incendie?

– Comme tous les autres jours, monsieur.

– Qu'a-t-il fait avant de sortir?

– Il a dîné comme d'habitude, de bon appétit. Il est ensuite monté dans son appartement, où il est resté plus d'une heure. En descendant il tenait à la main une lettre, qu'il a remise à Michel, le fils du fermier, pour la porter à Sauveterre, à mademoiselle Chandoré…

– Précisément. Dans cette lettre monsieur de Boiscoran dit à mademoiselle Denise qu'il est retenu loin d'elle par une affaire impérieuse.

– Ah!

– Avez-vous idée de ce que pouvaitêtre cette affaire?

– Aucunement, monsieur, je vous le jure.

– Cependant, voyons, ce ne peutêtre sans raison que monsieur de Boiscoran s'est privé du plaisir de passer la soirée auprès de sa fiancée?

– Non, en effet.

– Ce ne peutêtre sans but, qu'au lieu de suivre la grande route, il s'est lancé à travers les marais inondés et qu'il est revenu à travers bois…

Le vieil Antoine, littéralement, s'arrachait les cheveux.

– Ah! monsieur! s'écria-t-il, vous dites là précisément ce que disait monsieur Galpin-Daveline!

– C'est malheureusement ce que dira tout homme sensé.

– Je le sais, monsieur, je ne le sais que trop. Et monsieur Jacques lui-même l'a si bien senti qu'il a essayé d'inventer un prétexte. Mais il n'a jamais menti, monsieur Jacques, il ne sait pas mentir, et lui qui a tant d'esprit, il n'a rien su trouver qu'un prétexte dont l'absurdité saute aux yeux. Il dit qu'il allait à Bréchy voir son marchand de bois…

– Et pourquoi non! fit M. de Chandoré.

Antoine secoua la tête.

– Parce que, répondit-il, le marchand de bois de Bréchy est un voleur, et qu'au su et vu de tout le monde, monsieur l'a mis dehors par lesépaules, voilà plus de trois ans. C'est à Sauveterre que nous vendons nos coupes.

Maître Folgat venait de sortir de sa poche un agenda, et il y notait certaines indications d'Antoine, arrêtant déjà les grandes lignes de sa défense.

Cela fait:

– À cette heure, commença-t-il, arrivons à Cocoleu.

– Ah! le misérable! s'écria Antoine.

– Vous le connaissez?

– Comment ne le connaîtrais-je pas, moi qui ai passé toute ma vie ici, à Boiscoran, au service de défunt l'oncle de monsieur!

– Alors, quel individu est-ce, décidément?

– Un idiot, monsieur, ou, comme on dit ici, un innocent, qui a la danse de Saint-Guy, par-dessus le marché, et qui tombe du haut mal.

– Ainsi, il est de notoriété publique qu'il est complètement imbécile?

– Oui, monsieur. Quoique pourtant j'ai entendu des gens soutenir qu'il n'était pas si dénué de bon sens qu'on croyait, et qu'il faisait, comme on dit, l'âne pour avoir du son…

M. de Chandoré l'interrompit.

– Sur ce sujet, dit-il, le docteur Seignebos peut donner les renseignements les plus précis, ayant gardé Cocoleu chez lui près de deux ans.

– Aussi ai-je bien l'intention de voir le docteur, répondit maître Folgat. Mais, avant tout, il faudrait retrouver ce misérable idiot…

– Vous avez entendu monsieur Séneschal, monsieur, il a mis la gendarmerie à sa poursuite.

Antoine se permit une grimace.

– Quand les gendarmes prendront Cocoleu, déclara-t-il, c'est qu'il aura voulu se laisser prendre.

– Pourquoi, s'il vous plaît?

– Parce que, messieurs, il n'y a personne comme cet innocent pour connaître les coins et les recoins du pays, les trous, les fourrés, les cachettes, et qu'avec l'habitude qu'il a eu de vivre comme un sauvage, de fruits, de racines et d'oiseaux, il peut, en cette saison, rester trois mois sans approcher d'une maison.

– Diable! fit maître Folgat, désappointé.

– Je ne connais qu'un homme, continua le vieux serviteur, capable de dénicher Cocoleu, c'est le fils de notre métayer, Michel, ce gars que vous avez vu en bas.

– Qu'il vienne! dit M. de Chandoré.

Appelé, Michel ne tarda pas à paraître, et quand on lui eut expliqué ce qu'on attendait de lui:

– Il y a moyen, répondit-il, quoique certainement ce ne soit point aisé. Si Cocoleu n'a pas la raison d'un homme, il a la malice d'une bête… Enfin, on va essayer.

Rien ne retenait plus à Boiscoran M. de Chandoré ni maître Folgat.

Après avoir recommandé au vieil Antoine de bien surveiller les scellés et de donner, s'ilétait possible, un coup d'œil au fusil de Jacques, lorsque la justice viendrait enlever les pièces à conviction, ils remontèrent en voiture.

Et cinq heures sonnaient à la cathédrale de Sauveterre quand ils arrivèrent rue de la Rampe.

Mlle Denise attendait dans le salon. Elle se leva lorsqu'ils entrèrent, pâle, les yeux secs et brillants.

– Comment! tu es seule! s'écria M. de Chandoré, on t'a laissée seule!

– Ne te fâche pas, grand-père. Je viens de décider madame de Boiscoran, quiétaitépuisée de fatigue, à prendre, avant dîner, une heure de repos.

– Et tantes Lavarande?

– Elles sont sorties, grand-père. Elles doiventêtre en ce moment chez monsieur Galpin-Daveline.

Maître Folgat tressauta.

– Oh!… fit-il.

– Mais c'est une démarche insensée! s'écria le vieux gentilhomme.

D'un mot la jeune fille lui ferma la bouche.

– C'est moi, dit-elle, qui l'ai voulu.

5. Oui, la démarche des demoiselles de Lavarandeétait insensée…

Oui, la démarche des demoiselles de Lavarandeétait insensée. Au point où enétaient les choses, aller trouver M. Galpin-Daveline, c'était peut-être lui porter des armes dont ilécraserait Jacques.

Mais, à qui la faute, sinon à M. Chandoré et à maître Folgat? N'avaient-ils pas commis une impardonnable imprudence en partant pour Boiscoran sans prévenir, sans autre précaution que de faire dire par le domestique de M. Séneschal qu'ils seraient de retour pour dîner et qu'il ne fallait pas s'inquiéter?

Ne pas s'inquiéter!… Et c'est à la marquise de Boiscoran et à Mlle Denise, à la mère et à la fiancée de Jacques qu'ils disaient cela!…

Certainement, sur le premier moment, ces deux infortunées conservèrent un sang-froid relatif, chacune s'efforçant de donner à l'autre l'exemple du courage et de la confiance. Mais à mesure que s'étaientécoulées les heures, leurs angoisses avaient repris le dessus, et peu à peu leur douleur s'était exaltée de l'échange de leurs craintes. Elles se représentaient Jacques innocent et cependant traité comme les pires criminels, seul, au fond d'un cachot, livré aux plus horribles inspirations du désespoir. Quelles pouvaientêtre ses réflexions depuis plus de vingt-quatre heures qu'ilétait sans nouvelle des siens? Ne devait-il pas se croire méprisé, abandonné, renié?

Cette idée est intolérable! s'écria enfin Mlle Denise. À tout prix, il faut arriver jusqu'à lui.

– Comment? demanda Mme de Boiscoran.

– Je ne sais, mais il doit y avoir un moyen. Il est des choses que, seule, je n'aurais pas osé; mais avec vous, ma chère mère, je puis tout tenter. Allons à la prison…

Vivement, Mme de Boiscoran jeta sur sesépaules son manteau de voyage.

– Je suis prête, dit-elle, partons!

Elles avaient bien l'une et l'autre entendu dire que Jacquesétait «au secret», mais ni l'une ni l'autre n'attachaient à cette expression sa réelle et effrayante signification. Elles n'avaient nulle idée de cette mesure atroce et cependant indispensable en l'état de notre législation, qui supprime en quelque sorte un homme, qui le mure dans une cellule, seul en face du crime dont il est accusé, seul, à l'entière et absolue discrétion d'un autre homme, chargé de lui arracher la vérité.

Pour elles, le secret, ce n'était que la privation de la liberté, la cellule avec son mobilier sinistre, les grilles aux fenêtres, les verrous aux portes, le geôlier secouant ses trousseaux de clefs le long des corridors sombres et le soldat de faction dans la cour.

– Il est impossible, disait Mme de Boiscoran, qu'on me refuse de voir mon fils.

– Impossible, approuvait Mlle Denise. Et, d'ailleurs, je connais le geôlier Blangin, dont la femmeétait autrefois à notre service.

C'est donc avec une entière confiance que la jeune fille, de sa main frêle, souleva le lourd marteau de la porte de la prison.

Ce fut Blangin lui-même qui vint ouvrir, et, à la vue des deux pauvres femmes, un immenseétonnement se peignit sur sa large face.

– Nous venons voir monsieur de Boiscoran, dit résolument Mlle Denise.

– Ces dames ont donc une permission? demanda le geôlier.

– Une permission!… De qui?

– De monsieur Galpin-Daveline.

– Nous n'avons pas de permission.

– Alors j'ai le regret de dire à ces dames qu'il est impossible qu'elles voient monsieur de Boiscoran. Il est au secret, et j'ai les ordres les plus rigoureux…

Mlle Denise fronçait les sourcils.

– Vos ordres, monsieur Blangin, interrompit-elle, ne sauraient concerner madame, qui est la marquise de Boiscoran.

– Mes ordres concernent tout le monde, mademoiselle.

– Vous empêcheriez, vous, une mère désolée d'embrasser son fils!

– Eh! ce n'est pas moi, mademoiselle! Moi! Que suis-je? Rien, un verrou que la justice pousse ou tire à son gré.

Pour la première fois, la jeune fille eut l'idée que sa tentative pouvaitéchouer.

– Mais moi, mon bon monsieur Blangin, insista-t-elle, avec des larmes plein les yeux, moi, me refuserez-vous? Ne me connaissez-vous pas? Votre femme ne vous a-t-elle jamais parlé de moi?

Le geôlier, certainement, étaitému.

– Je sais, répondit-il, tout ce que ma femme et moi devons aux bontés de mademoiselle, mais… J'ai ma consigne, mademoiselle ne voudrait pas perdre la place d'un pauvre homme…

 

– Si vous perdez votre place, monsieur Blangin, moi, Denise de Chandoré, je vous en garantis une qui vous vaudra le double.

– Mademoiselle…

– Douteriez-vous de ma parole, monsieur Blangin?

– Dieu m'en garde! mademoiselle, mais ce n'est pas seulement de ma place qu'il s'agit… Si je faisais ce que vous demandez, je serais puni sévèrement…

À l'accent du geôlier, Mme de Boiscoran comprit que Mlle de Chandoré n'obtiendrait rien.

– N'insistez pas, mon enfant, dit-elle, rentrons…

– Quoi! sans savoir rien de ce qui se passe derrière ces murs implacables, sans savoir même si Jacques est vivant ou mort!

Ilétait clair qu'un rude combat se livrait dans le cœur du geôlier. Tout à coup, d'une voix brève, et en jetant autour de lui des regards inquiets:

– Parler, dit-il, m'est interdit, mais n'importe… Je ne vous laisserai pas vouséloigner sans vous apprendre que monsieur de Boiscoran est en bonne santé.

– Ah!

– Hier, quand on l'a amené, ilétait comme hébété… Il s'est jeté sur son lit à corps perdu, et il y est resté sans faire un mouvement plus de deux heures. Je crois bien qu'il pleurait…

Un sanglot, que ne put maîtriser Mlle Denise, fit tressaillir M. Blangin.

– Oh! rassurez-vous, mademoiselle, reprit-il bien vite, cetétat n'a pas duré. Bientôt monsieur de Boiscoran s'est levé en s'écriant: «Ahç à! mais je suis stupide de me désespérer ainsi…»

– Vous l'avez entendu? demanda Mme de Boiscoran.

– Pas personnellement. C'est Frumence Cheminot qui l'a entendu…

– Frumence Cheminot?

– Oui, un de nos détenus. Oh! un simple vagabond, pas méchant du tout, et qui a la commission de monter la garde au guichet de monsieur de Boiscoran et de ne jamais le perdre de vue… C'est monsieur Galpin-Daveline qui a eu l'idée de cette précaution, parce que les accusés, quelquefois, dans le premier moment, si le désespoir les prend et le dégoût de la vie… Un malheur est si vite arrivé! Frumence empêcherait le malheur…

Mme de Boiscoran frémissait d'horreur. Mieux que tout, cette précaution lui donnait la mesure exacte de la situation de son fils.

– Du reste, poursuivit M. Blangin, il n'y a plus rien à craindre. Monsieur de Boiscoran est redevenu calme, tranquille et même gai, si j'ose m'exprimer ainsi. Quand il s'est levé ce matin, après avoir dormi toute la nuit comme un loir, il m'a appelé pour me demander du papier, de l'encre et des plumes. C'est ce que les prisonniers demandent le second jour. J'avais ordre de lui en donner: il en a eu. Et quand je suis allé lui porter son déjeuner, il m'a remis une lettre, à l'adresse de mademoiselle de Chandoré.

– Comment! s'écria Mlle Denise, vous avez une lettre pour moi et vous ne me la donnez pas!

– C'est que je ne l'ai plus, mademoiselle; c'est que je l'ai remise, comme c'était mon devoir, à monsieur Galpin-Daveline, quand il est venu, avec son greffier Méchinet, pour interroger monsieur de Boiscoran.

– Et qu'a-t-il dit?

– Il a décacheté la lettre, il l'a lue, et il l'a mise dans sa poche en disant: «Bon!»

Des larmes, mais de colère, cette fois, jaillirent des yeux de Mlle Denise.

– Quelle honte! s'écria-t-elle. Cet homme, lire une lettre que Jacques m'adressait! C'est infâme!

Et, sans songer à remercier M. Blangin, elle entraîna Mme de Boiscoran, et jusqu'à la maison elle ne prononça pas une parole.

– Ah! pauvre enfant, tu n'as pas réussi! s'écrièrent tantes Lavarande lorsqu'elles virent rentrer leur nièce.

Mais quand Denise leur eut tout appris:

– Eh bien! s'écrièrent-elles, nous allons aller le voir, nous, ce petit juge, qui avant-hier encore nous faisait bassement sa cour pour obtenir la dot de notre nièce. Et nous lui dirons son fait. Et si nous n'obtenons pas qu'il nous rende Jacques, nous troublerons du moins son triomphe et nous rabaisserons son orgueil.

Comment Mlle de Chandoré n'eût-elle pas adopté l'idée des tantes Lavarande, un projet qui donnait à sa colère une satisfaction immédiate et qui servait ses secrètes espérances!

– Oh, oui! vous avez raison, chères tantes! s'écria-t-elle. Vite, sans perdre une minute, partez…

Incapables de résister à de tels accents, elles se mirent en route, sansécouter les timides objections de la marquise de Boiscoran.

Seulement les bonnes demoiselles se trompaient quant aux dispositions d'esprit de M. Galpin-Daveline. L'ex-prétendant de leur nièce Lavarande n'était pas sur un lit de roses. Au début de cetteétrange affaire, il s'yétait jeté fiévreusement, comme sur l'occasion admirable qu'il guettait depuis tant d'années et qui devait ouvrir à deux battants les portes jusqu'alors fermées à son ambition. Puis, une fois engagé, l'enquête commencée, il avaitété emporté par un courant plus rapide que la réflexion. Aussi est-ce avec une sorte de satisfaction malsaine qu'il avait vu les charges se multiplier et grossir, jusqu'à le contraindre de signer un mandat d'arrêt contre son ancien ami. Alors, ilétait comme aveuglé par les plus magnifiques espérances. Ne prouvait-elle pas les plus hautes facultés et un savoir-faire supérieur, cette enquête qui, en quelques heures, avait conduit la justice d'un crime presque inexplicable à un coupable que personne n'eût osé soupçonner?

Mais quelques heures plus tard, M. Galpin-Daveline ne voyait plus lesévénements du mêmeœil. La réflexion le refroidissant, il commençait à douter de son habileté et à se demander s'il n'avait pas agi avec trop de précipitation. Si Jacquesétait coupable, rien de mieux. Il y avait, c'était clair, de l'avancement pour le juge d'instruction au bout d'une condamnation. Oui, mais… si Jacques allaitêtre innocent!

Cette idée, se dressant pour la première fois devant M. Galpin-Daveline, le glaça jusqu'à la moelle des os. Jacques innocent! c'était sa condamnation à lui, Galpin-Daveline, c'était son avenir perdu, ses espérances anéanties, sa carrière à jamais entravée! Jacques innocent! c'était une disgrâce certaine. On le retirerait de Sauveterre, devenue impossible pour lui après un teléclat. Mais ce serait pour le reléguer dans quelque pays perdu, sans aucune chance d'avancement.

Vainement il objectait qu'il n'avait fait que son devoir. On lui répondait, si même on daignait lui répondre, qu'il est de ces maladresseséclatantes, de ces erreurs scandaleuses qu'un magistrat ne doit pas commettre, et que, pour la gloire de la justice et dans l'intérêt de la magistrature si violemment attaquée, mieux vaut, en certaines circonstances, laisser un coupable impuni qu'emprisonner un innocent.

Avec de telles angoisses, les plus cruelles qui puissent déchirer le cœur d'un ambitieux, M. Galpin-Daveline devrait trouver son chevet rembourré d'épines.

Dès six heures du matin, ilétait debout. À onze heures, il envoyait chercher son greffier, Méchinet, et ils se rendirent ensemble à la prison, afin de procéder à un nouvel interrogatoire. C'est à ce moment qu'avaitété remise au juge d'instruction la lettre adressée par Jacques à Mlle Denise.

Elleétait brève, et telle que peut l'écrire un homme trop intelligent pour ne pas savoir qu'un prisonnier ne doit pas compter sur le secret de sa correspondance. Elle n'était même pas cachetée, circonstance qui avaitéchappé à M. Blangin, le geôlier.

Denise, ma bien-aimée,écrivait Jacques, la pensée de l'horrible chagrin que je vous cause est ma plus cruelle et presque mon unique souffrance. Dois-je m'abaisser jusqu'à vous jurer que je suis innocent? Non, n'est-ce pas? Je suis victime d'un si fatal concours de circonstances que la justice a dû s'y tromper. Mais, rassurez-vous, soyez sans inquiétude. Je saurai, le moment venu, dissiper cette funeste erreur.

À bientôt…

Jacques.

«Bon!»avait dit, en effet, M. Galpin-Daveline après avoir lu cette lettre.

Elle ne lui en avait pas moins donné un coup au cœur.

Quelle assurance! avait-il pensé.

Pourtant, il s'était un peu remis en montant l'escalier de la prison. Jacques, évidemment, ne s'était pas imaginé que sa lettre arriverait directement à destination; donc, il y avait lieu de conjecturer qu'il l'avaitécrite pour la justice bien plus que pour Mlle Denise. L'absence de cachet donnait à cette présomption un certain poids.

Enfin, c'est ce que nous allons voir, se disait M. Galpin-Daveline, pendant que Blangin lui ouvrait la cellule du prévenu.

Mais il trouva Jacques aussi calme que s'il eûtété libre à son château de Boiscoran, hautain et même railleur. Impossible de rien tirer de lui. Pressé de questions, il se renfermait dans le silence le plus obstiné ou répondait qu'il avait besoin de réfléchir.

Le juge d'instructionétait donc rentré chez lui bien plus inquiet qu'il n'enétait parti. L'attitude de Jacques le confondait. Ah! s'il eût pu reculer! Mais il ne le pouvait plus, il avait brûlé ses vaisseaux et ilétait condamné à aller quand même jusqu'au bout. Pour son salut, désormais, pour son avenir, il fallait que Jacques de Boiscoran fût coupable, qu'il fût traduit en cour d'assises et qu'il fût condamné. Il le fallait absolument. C'était une question de vie ou de mort.

Voilà précisément quellesétaient ses réflexions, quand on vint lui annoncer que les demoiselles de Lavarande demandaient à lui parler.

Il se dressa tout d'une pièce, et, en moins d'une seconde, son esprit surexcité embrassa toutes leséventualités imaginables. Que pouvaient lui vouloir ces deux vieilles filles?

– Qu'elles entrent, dit-il enfin.

Elles entrèrent, roides, hautaines, refusant le fauteuil que leur avançait le magistrat.

– Je m'attendais peu à l'honneur de votre visite, mesdemoiselles…, commença-t-il.

L'aînée des tantes Lavarande, Mlle Adélaïde, lui coupa la parole:

– Je le conçois, dit-elle, après ce qui s'est passé…

Et tout de suite, avec uneénergie de dévote flétrissant l'impie, elle se mit à lui reprocher ce qu'elle appelait son infâme trahison. Quoi! lui, prendre parti contre Jacques, son ami, un homme qui s'était employé à lui procurer la faveur d'une alliance inespérée!… Par le seul fait de ses espérances de mariage, il faisait en quelque sorte partie de la famille. D'oùétait-il donc né, pour avoir oublié qu'entre parents, se hait-on à la mort, on se doit aide et protection, dès qu'il s'agit de défendre ce patrimoine sacré qui s'appelle l'honneur!

Étourdi comme un passant qui reçoit d'un cinquièmeétage une volée de pierres, M. Galpin-Daveline gardait cependant assez de sang-froid pour se demander s'il n'y avait nul parti à tirer de cet incident extraordinaire. Un retourétait-il impossible?

Aussi, dès que Mlle Adélaïde s'arrêta, entreprit-il de se justifier, peignant en métaphores hypocrites la douleur dont ilétait saisi, jurant qu'il n'avait pas pu maîtriser lesévénements, que Jacques luiétait plus cher que jamais…

– S'il vous est si cher, interrompit Mlle Adélaïde, faites-le mettre en liberté.

– Eh! le puis-je, mademoiselle.

– Alors, donnez à sa famille et à ses amis la permission de le voir.

– La loi me le défend. S'il est innocent, qu'il se disculpe. S'il est coupable, qu'il avoue. Dans le premier cas, il sera libre. Dans le second, il recevra qui bon lui semblera…

– C'est peut-être aussi par amitié que vous vousêtes permis de lire une lettre de Jacques à sa fiancée…

– J'ai rempli en cela un des devoirs de ma pénible profession, mademoiselle.

– Ah! Et cette profession vous défend-elle de nous donner cette lettre que vous avez lue?

– Oui… Mais je puis vous la communiquer.

Il la tira d'un dossier, en effet, et la plus jeune des tantes, Mlle Élisabeth, la copia au crayon. Cela fait, elles se retirèrent presque sans saluer.

M. Galpin-Davelineétait ivre de colère.

– Ah! vieilles sorcières! s'écria-t-il, votre démarche me prouve que vousêtes loin de croire à l'innocence de Jacques. Pourquoi sa famille tient-elle tant à arriver jusqu'à lui? Sans doute pour lui fournir le moyen de se soustraire, par le suicide, au châtiment de son crime… Mais, de par Dieu, cela ne sera pas, je saurai l'empêcher!

À quoi bon récriminer sur un fait accompli contre lequel on ne peut rien!

Si contrarié que fût maître Folgat, lorsqu'il apprit de Mlle Denise la démarche des tantes Lavarande, ilévita d'en rien laisser paraître. N'était-ce pas à lui d'avoir du sang-froid pour tous au milieu de cette famille si cruellementéprouvée?

M. de Chandoré, d'ailleurs, dissimulait mal son mécontentement. Et, en dépit de son respect pour les volontés de Mlle Denise:

– Certes, chère fille, je ne dis pas que tu as eu tort… Cependant tu connais tes tantes, et tu sais combien peu elles sont conciliantes. Elles sont capables d'exaspérer monsieur Galpin-Daveline…

 

– Qu'importe! interrompit fièrement la jeune fille. La circonspection ne sied qu'aux coupables, et Jacques est innocent.

– Mademoiselle a raison, approuva maître Folgat, qui parut ainsi subir, comme toute la famille, l'ascendant de Mlle Denise. Quoi que puissent faire ou dire les demoiselles de Lavarande, elles n'empireront pas la situation. Monsieur Galpin-Daveline n'en sera ni plus ni moins un ennemi acharné.

Grand-père Chandoré eut un soubresaut.

– Cependant…, commença-t-il.

– Oh! ce n'est pas à lui que je m'en prends, interrompit le jeune avocat, mais à l'institution dont il subit la fatalité. Est-il bien possible qu'un juge d'instruction demeure absolument impartial, en certaines causes retentissantes comme celle-ci, où il joue en quelque sorte son avenir! On est certes un magistrat intègre, incapable de forfaiture, étroitement attaché au devoir, mais on est homme, mais on a ses intérêts!… On n'aime pas au ministère les enquêtes qui aboutissent à une ordonnance de non-lieu. Le juge qu'on récompense n'est pas toujours celui qui a le mieux su dégager la vérité d'une ténébreuse affaire…

– Mais monsieur Galpin-Davelineétait notre ami, monsieur…

– Oui, et c'est là ce qui m'épouvante. Quelle sera sa situation, le jour où monsieur de Boiscoran sera reconnu innocent?

– Enfin!… nous allons savoir ce qu'ont fait les tantes Lavarande…

Elles rentraient, en effet, très fières de leur expédition et agitant triomphalement la copie de la lettre de Jacques.

Cette copie, Mlle Denise la prit, et, tandis qu'elle se retirait à l'écart pour la lire, Mlle Adélaïde racontait l'entrevue, disant combien elle avaitété ferme et dédaigneuse, et combien M. Galpin-Daveline lui avait paru humble et repentant.

– Car il aété foudroyé, reprenaient, en duo, les vieilles demoiselles, car il aété anéanti, écrasé!

– Oui, vous venez de faire un beau coup, grommelait M. de Chandoré, et je vous engage à vous en vanter.

– Les tantes ont bien agi, déclara Mlle Denise. Voyez plutôt ce que m'écrivait Jacques. C'est précis, c'est net. Que pouvons-nous craindre après cette dernière phrase: «Soyez sans inquiétude. Je saurai, le moment venu, dissiper cette funeste erreur.»

Ayant pris la copie et l'ayant lue, maître Folgat hochait la tête.

– Il n'était pas besoin de cette lettre, prononça-t-il, pour fixer mon opinion. Au fond de cette affaire est un secret que nul de nous n'a pénétré. Seulement, monsieur de Boiscoran est bien téméraire de jouer ainsi avec un procès criminel. Que ne s'est-il disculpé tout de suite! Ce quiétait facile hier peut devenir difficile demain et impossible dans huit jours…

– Jacques, monsieur, s'écria Mlle Denise, est un homme trop supérieur pour qu'on ne s'en remette pas absolument à ce qu'il dit!

Mme de Boiscoran, qui entrait, empêcha l'avocat de répondre.

Deux heures de repos avaient rendu à la malheureuse femme une partie de sonénergie et de sa présence d'esprit accoutumée, et elle venait demander qu'on expédiât un télégramme à son mari.

– C'est le moins que nous puissions faire, murmura M. de Chandoré, quoiqu'en vérité ce soit bien inutile. Boiscoran se soucie bien de son fils, ma foi! Ah! s'il s'agissait d'une faïence rare, ou d'une assiette qui manque à sa collection, ce serait une autre histoire!…

La dépêche n'en fut pas moins rédigée et envoyée au télégraphe, juste comme un domestique venait annoncer que le dînerétait servi.

Et ce repas fut moins triste qu'on ne l'eût supposé. Certes, chacun avait bien le cœur oppressé, en songeant qu'en ce moment même c'était un geôlier qui servait à Jacques l'ordinaire de la prison. Certes, Mlle Denise ne sut pas retenir une larme en voyant maître Folgat à la place où s'asseyait son fiancé… Mais personne, hormis le jeune avocat, ne croyait que Jacques fût vraiment en péril.

M. Séneschal, par exemple, qui arriva au moment où on servait le café, partageait, c'était manifeste, les anxiétés de maître Folgat. L'excellent maire venait chercher des nouvelles de ses amis, et leur dire comment s'était passée sa journée.

L'enterrement des pompiers avait eu lieu sans bruit, sinon sans une profondeémotion. La manifestation qu'il redoutait n'avait pas donné signe de vie, et le docteur Seignebos n'avait point pris la parole au cimetière. Manifestation et discours eussentété, du reste, mal accueillis, ajoutait M. Séneschal, car il avait eu la douleur de constater que l'immense majorité des Sauveterriens croyait fermement à la culpabilité de M. de Boiscoran. Dans plusieurs groupes, il avait entendu des gens qui disaient: «Et cependant, vous verrez qu'il ne sera pas condamné. Un pauvre diable qui aurait commis ce crime abominable serait sûr d'avoir le cou coupé. Mais lui, le fils du marquis de Boiscoran… vous verrez qu'on le renverra blanc comme neige.»

Le roulement d'une voiture qui s'arrêtait à la porte de la rue lui coupa fort à propos la parole.

– Qu'est-ce? fit Mlle Denise en se dressant.

On entendit, dans le corridor, un bruit de voix et de pas, quelque chose comme le trépignement d'une lutte, et presque immédiatement la porte de la salle à manger s'ouvrit, et le fils du métayer de Boiscoran, Michel, parut en s'écriant:

– C'est fait, je le tiens, je l'amène!

Et en même temps, il attirait Cocoleu, lequel se débattait en grognant et jetait autour de lui les regards effarés de la bête prise au piège.

– Par ma foi! mon gars, s'écria M. Séneschal, vous avezété plus habile que les gendarmes!

À la façon dont Michel cligna de l'œil, il fut aisé de voir que sa foi en l'habileté de la gendarmerie n'était pas illimitée.

– Ce tantôt, dit-il, quand j'ai promis à monsieur le baron de dénicher Cocoleu, j'avais mon idée. Je savais que, dans le temps, il allait souvent se terrer, comme une bête puante qu'il est, dans une manière de trou qu'il s'était creusé sous des rochers, au plusépais des bois de Rochepommier. C'était le hasard qui m'avait fait découvrir ce terrier, car on passerait bien cent fois à côté et même dessus sans se douter qu'il existe. Donc, quand monsieur le baron m'a dit que «l'innocent»avait disparu, j'ai pensé en moi-même: sûr, il se cache dans son trou, allons voir!… là-dessus, je prends mes jambes à mon cou, j'arrive aux rochers et je trouve Cocoleu… Seulement, je peux dire que j'ai eu du malà le tirer dehors, le gredin, il ne voulait pas venir, et en se défendant, il m'a mordu la main, comme un chien enragé qu'il est… (Sur quoi, Michel agitait sa main gauche enveloppée d'un linge ensanglanté.) Pour amener mon idiot, poursuivit-il,ça aété toute une histoire. J'aiété obligé de lui lier les mains et de le porter jusque chez mon père. là, nous l'avons hissé dans notre cabriolet, et le voilà… Regardez-moi le joli garçon!

Ilétait hideux, en ce moment, avec sa face livide, marquée de plaques rouges, ses lèvres pendantes, frangées de bave, et ses regards hébétés.

– Pourquoi ne voulais-tu pas venir? lui demanda M. Séneschal.

L'idiot ne sembla même pas entendre.

– Pourquoi as-tu mordu Michel? insista le maire. Cocoleu ne répondit pas.

– Sais-tu que monsieur de Boiscoran est en prison à cause de ce que tu as dit?

Toujours pas de réponse.

– Ah! ce n'est pas la peine de l'interroger, dit Michel. Vous le battriez jusqu'à demain, que vous lui feriez sortir l'âme du corps plutôt qu'une parole de la bouche.

– J'ai… j'ai faim!… bégaya Cocoleu.

Maître Folgat eut un geste indigné.

– Et penser, murmura-t-il, que c'est sur la déposition d'un telêtre qu'on base une accusation capitale!

Grand-père Chandoré, lui, semblait assez embarrassé.

– Avec tout cela, demanda-t-il, qu'allons-nous faire de ce misérable idiot?

– Je vais moi-même, à l'instant, répondit M. Séneschal, le conduire à l'hôpital, et prévenir de la trouvaille le docteur Seignebos et le procureur de la République.

Le docteur Seignebos avait des ridicules, c'est incontestable, et toutes les burlesques aventures que lui attribuaient ses ennemis n'étaient pas imaginaires. Il avait, en tout cas, cette qualité, devenue rare, de professer pour son «art», comme il disait, un respect voisin du fanatisme. La Faculté, selon lui, était impeccable, et volontiers il lui attribuait l'infaillibilité qu'il déniait au pape. Il confessait bien dans l'intimité que certains de ses confrèresétaient desânesânonnant, mais jamais il n'eût permis à un profane d'émettre, devant lui, cette irrévérencieuse opinion. Du moment où un hommeétait muni de ce fameux diplôme qui confère le droit de vie et de mort, cet homme, à son avis, devaitêtre pour le vulgaire un personnage auguste. C'était un crime, à ses yeux, que de ne se point soumettre aveuglément à l'arrêt d'un médecin.