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La corde au cou

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Ses occupations, par bonheur, devaientêtre, ce jour-là, trop nombreuses pour lui laisser le loisir de la réflexion. Il avait à assurer le transport des restes informes du tambour Bolton et du pauvre Guillebault. Il dut recevoir la mère de l'un et la femme de l'autre, écouter leurs lamentations et essayer de les consoler; promettre à la première une petite pension, affirmer à la seconde qu'il ferait obtenir à l'aîné de ses garçons une bourse entière au collège de Sauveterre ou au petit séminaire de Pons.

Il lui avait fallu, de plus, donner des ordres pour qu'on rapportât, avec toutes les précautions nécessaires, les blessés de l'incendie, le gendarme et le paysan.

Il s'était, aussitôt après, mis en quête d'une maison pour le comte et la comtesse de Claudieuse, et ne l'avait pas trouvée sans peine.

Enfin, une bonne partie de son après-midi avaitété prise par une violente discussion avec le docteur Seignebos. Le docteur, au nom, prétendait-il, de la science outragée, au nom de la justice et de l'humanité, réclamait l'arrestation immédiate de Cocoleu, ce misérable dont le témoignage inconscient avaitété la base de la prévention. Il exigeait, jurait-il, en frappant du poing sur la table, que cet idiotépileptique fût conduit à l'hôpital et séquestré, par mesure administrative, pourêtre ultérieurement soumis à l'examen des hommes de l'art.

Longtemps le maire avait résisté à ces prétentions, qui lui paraissaient exorbitantes, mais M. Seignebos avait parlé si haut et si ferme qu'à la fin il avait expédié deux gendarmes à Bréchy, avec l'ordre de ramener Cocoleu.

Ilsétaient revenus quelques heures plus tard, les mains vides. L'idiot avait disparu. Personne, dans le pays, n'avait pu leur donner de ses nouvelles.

– Et vous trouvez cela naturel! s'étaitécrié le docteur Seignebos, dont les yeuxétincelaient sous ses lunettes d'or. Moi, j'y vois la preuve irrécusable du complot organisé pour perdre monsieur de Boiscoran.

– Mais, sacrebleu! soyez donc tranquille, avait répondu M. Séneschal, agacé, Cocoleu n'est pas perdu, on le retrouvera.

Le médecin s'étaitéloigné sans insister, mais avant de rentrer chez lui, ilétait monté au cercle, et là, en présence de plus de vingt personnes, il avait dit avoir acquis la preuve que Jacques de Boiscoranétait victime de ses opinions avancées, que les partis monarchistes ne lui pardonnaient pas d'avoir déserté leurs rangs, et que certainement les jésuites n'étaient pasétrangers à l'affaire.

Cette intervention devaitêtre plus nuisible qu'utile à Jacques, et le résultat ne se fit pas attendre. Le soir même, lorsque M. Galpin-Daveline traversa la place du Marché-Neuf, il fut outrageusement sifflé.

Tout naturellement, le juge d'instruction, furieux, se transporta chez le maire, s'en prenant à lui de l'insulte faite à la justice en sa personne, et réclamant la plusénergique répression. M. Séneschal promit de prendre les mesures nécessaires et courut chez M. Daubigeon, le procureur de la République, pour se concerter avec lui. là il apprit ce qui s'était passé à Boiscoran, et le résultat terrible de l'interrogatoire.

Ilétait donc rentré chez lui fort triste, désolé de la situation de Jacques et très inquiet de la couleur politique que prenait cette affaire.

Avec de telles préoccupations, il avait passé une mauvaise nuit, et il s'était levé d'une humeur si massacrante que c'est à peine si sa femme avait osé lui adresser la parole.

C'est que tout n'était pas fini. À deux heures précises devait avoir lieu l'enterrement de Bolton et de Guillebault, et il avait promis au capitaine Parenteau qu'il y assisterait, ceint de sonécharpe, à la tête d'une partie du conseil municipal. Il venait même de donner l'ordre de préparer ses habits de cérémonie, quand son domestique lui annonça la visite de M. de Chandoré et d'un autre monsieur.

– Il ne manquait que cela! s'écria-t-il. (Mais réfléchissant): Tôt ou tard, la scène aura toujours lieu… Qu'ils entrent!

M. Séneschalétait bien bon de s'émouvoir ainsi d'avance et de s'affermir contre une déchirante explosion de douleur. Il fut stupéfait de l'air dégagé dont M. de Chandoré lui présenta son compagnon:

– Monsieur Manuel Folgat, mon cher Séneschal, un des avocats en renom de Paris, qui a bien voulu accompagner la marquise de Boiscoran, arrivée ce matin.

– Je suisétranger au pays, monsieur le maire, ajouta maître Folgat, j'en ignore les idées, les coutumes, les mœurs, les intérêts, les préjugés, tout enfin, et je risquerais de commettre quelque grosse sottise si je n'avais un conseiller expérimenté, habile et sûr. Monsieur de Boiscoran et monsieur de Chandoré m'ont fait espérer que vous voudriez bienêtre ce conseiller…

– Assurément, monsieur, et du meilleur cœur, répondit M. Séneschal tout en s'inclinant, visiblement flatté de la déférence de l'avocat de Paris.

Il avait avancé des sièges à ses hôtes. Lui-même s'était assis et, le coude appuyé au bras de son fauteuil de cuir, il caressait de la main son menton rasé de frais.

– L'affaire est grave, messieurs, prononça-t-il enfin.

– Une accusation criminelle l'est toujours, dit maître Folgat.

– Sarpejeu! messieurs! s'écria M. de Chandoré, doutez-vous donc de l'innocence de Jacques?

M. Séneschal ne répondit pas non. Il se taisait, il cherchait de ces atténuations savantes dont sa femme parlait la veille.

– Comment imaginer, commença-t-il enfin, les idées qui peuvent germer dans un cerveau de vingt-cinq ans, exalté par le souvenir de certaines offenses! La colère est une conseillère perfide…

Grand-père Chandoré n'en putécouter plus long.

– Que me parlez-vous de colère, interrompit-il, et où en voyez-vous trace en cette affaire du Valpinson! Je n'aperçois, moi, que le plus lâche des crimes, longuement prémédité et froidement exécuté.

Gravement, le maire hochait la tête.

– Vous ne savez pas tout ce qui s'est passé, fit-il.

– Monsieur, dit maître Folgat, c'est avec l'espoir d'être renseignés que nous sommes venus à vous.

– Soit, fit M. Séneschal.

Et tout de suite, avec la lucidité d'un vieil avoué accoutumé à débrouiller les fils les plus enchevêtrés d'une procédure, il exposa les faits dont il avaitété témoin au Valpinson, et ceux que le procureur de la République lui avait dit s'être passés à Boiscoran. Et en terminant:

– Enfin, conclut-il, savez-vous ce que m'a dit Daubigeon, dont certes vous ne suspecterez pas le témoignage? Il m'a dit en propres termes: «Daveline ne pouvait pas ne pas faire arrêter monsieur de Boiscoran. Est-il coupable? Je ne sais plus que penser. Les charges sontécrasantes. Il jure ses grands dieux qu'il est innocent, mais il refuse de faire connaître l'emploi de sa soirée…».

M. de Chandoré, cet homme si robuste, semblait près de défaillir, encore bien que son visage conservât ses tons cramoisis, dont nulleémotion ne pouvait pâlir l'éclat.

– Que va dire Denise, mon Dieu! murmura-t-il. (Puis, tout haut, et s'adressant à maître Folgat): Et cependant, fit-il, Jacques avait certainement des projets pour ce soir-là.

– Vous croyez, monsieur?

– J'en suis sûr. Est-ce que sans cela il ne fût pas venu à la maison comme tous les soirs depuis un mois? Lui-même le dit d'ailleurs, dans la lettre qu'il a envoyée à Denise par un de ses fermiers, cette lettre dont elle vous a parlé… Il luiécrit: «C'est du fond du cœur que je maudis l'affaire qui m'empêchera de passer la soirée près de vous, mais il m'est impossible de la remettre. À demain…»

– Vous voyez! s'écria M. Séneschal.

– Telle est cette lettre, continua le vieillard, qu'il est impossible, je le répète, qu'un homme méditant un odieux forfait l'ait pensée etécrite. Pourtant, à vous, je puis l'avouer, lorsque j'ai appris la funeste nouvelle, cette circonstance d'une affaire urgente m'a impressionné péniblement.

Mais le jeune avocat semblait bien loin d'être convaincu.

– Il est clair, prononça-t-il, que monsieur de Boiscoran ne veut, à aucun prix, qu'on sache où il est allé.

– Il a menti, monsieur, insista M. Séneschal, il a commencé par nier avoir pris la route où les témoins l'ont rencontré.

– Naturellement, puisqu'il tient à cacher l'endroit où il est allé.

– Quand on lui a signifié qu'ilétait arrêté, il n'a pas parlé.

– Parce qu'il espère se tirer d'affaire sans dire où il est allé.

– Si c'était vrai, ce serait bienétrange!

– On a vu plusétrange encore.

– Se laisser accuser de meurtre et d'incendie quand on est innocent…

– Être innocent et se laisser condamner est bien plus fort encore. Et cependant, on en sait des exemples.

Le jeune avocat s'exprimait de cet accent impérieux et bref qui est comme un des privilèges de sa profession, et avec un tel accent de certitude que M. de Chandoré semblait renaître à la vie.

M. Séneschal enétait presque interloqué.

– Que pensez-vous donc, monsieur? interrogea-t-il.

– Que monsieur de Boiscoran doitêtre innocent, répondit le jeune avocat. (Et sans permettre une objection): C'est, insista-t-il, l'avis d'un homme dont nulle considération ne trouble le jugement. J'arrive, sans idée préconçue, je ne connais pas plus monsieur de Claudieuse que monsieur de Boiscoran. Un crime aété commis, on m'en dit les circonstances, et tout aussitôt je reconnais que les raisons mêmes qui ont fait arrêter le prévenu me feraient le mettre en liberté.

– Oh!…

– Je m'explique: si monsieur de Boiscoran est coupable, il a montré, par la façon dont il a reçu monsieur Galpin-Daveline, une puissance sur soi inouïe et un incomparable talent de comédien. Donc, s'il est coupable, il est très fort.

– Cependant…

– Permettez. S'il est coupable, il a fait preuve dans son interrogatoire d'une absence de sang-froid insigne, et, tranchons le mot, d'une imbécillité sans nom. Donc, s'il est coupable, il est très faible.

 

– Mais…

– Pardon, j'achève. Le même homme peut-ilêtre à la fois si fort et si faible que cela? Décidez… Il y a plus: si monsieur de Boiscoranétait coupable, c'est à Charton et non au bagne qu'il faudrait l'envoyer, car tout autre qu'un fou eût jeté l'eau où il avait lavé ses mains noires de charbon et enterré n'importe où ce fusil Klebb, que la prévention brandit si victorieusement.

– Jacques est sauvé! s'écria M. de Chandoré.

M. Séneschal n'était pas si prompt à l'enthousiasme.

– C'est spécieux, fit-il. Malheureusement, il faut autre chose qu'une déduction, si logique qu'elle soit, à des juges qui ont les mains pleines de preuves…

– On leur en trouvera de plus fortes.

– Que comptez-vous donc faire?

– Je ne sais pas… Je viens de vous dire ma première impression; maintenant, il faut que j'étudie l'affaire, que j'interroge les gens, à commencer par le vieil Antoine.

M. de Chandoré s'était levé.

– Nous pouvonsêtre à Boiscoran dans une heure, fit-il. Dois-je envoyer chercher ma voiture?…

– Le plus tôt sera le mieux, répondit le jeune avocat.

Chargé de cette commission, le domestique de M. Séneschalétait de retour moins d'un quart d'heure après, annonçant que la voitureétait devant la porte.

M. de Chandoré et maître Folgat y prirent place, et tandis qu'ils s'installaient:

– Surtout, recommanda le maire à l'avocat parisien, soyez prudent et circonspect. Déjà cette affaire ne passionne que trop l'opinion. La politique s'en mêle. Je crains une manifestation à l'enterrement des pompiers, et l'on m'annonce que le docteur Seignebos prononcera un discours au cimetière. Allons, bonne chance!

Le cocher fouetta le cheval, et pendant que la voiture roulait le long du faubourg des Dames:

– Je ne m'explique pas, disait M. de Chandoré, qu'Antoine ne soit pas venu me trouver aussitôt après l'arrestation de son maître. Que peut-il luiêtre arrivé?

4. Le cheval de M. Séneschalétait peut-être un des meilleurs de l'arrondissement…

Le cheval de M. Séneschalétait peut-être un des meilleurs de l'arrondissement; mais celui de M. de Chandoré luiétait encore supérieur.

En moins de cinquante minutes furent franchis les treize kilomètres qui séparent Boiscoran de Sauveterre. Cinquante minutes pendant lesquelles M. de Chandoré et maître Folgat n'échangèrent pas cinquante mots.

Lorsqu'ils arrivèrent, la cour du château de Boiscoranétait silencieuse et déserte. Portes et fenêtresétaient hermétiquement closes. Sur les marches du perronétait assis un jeune paysan à robuste carrure, lequel, à la vue des «bourgeois», se leva et porta la main à son bonnet de laine.

– Où est Antoine? lui demanda M. de Chandoré.

– là-haut, monsieur le baron.

Le vieux gentilhomme essaya d'ouvrir la porte; elle résista.

– Oh! monsieur, Antoine est barricadé en dedans, dit le paysan.

– Singulière idée, fit M. de Chandoré en frappant du bout de sa canne.

Il frappait depuis un moment de plus en plus fort, quand enfin, de l'intérieur:

– Qui va là? cria la voix d'Antoine.

– C'est moi, sarpejeu! le baron de Chandoré.

Bruyamment les barres furent retirées, et le vieux valet de chambre se montra. Ilétait blême et défait. Au désordre de sa barbe, de ses cheveux et de ses vêtements, ilétait aisé de voir qu'il ne s'était pas couché. Et ce désordreétait fort significatif, de la part d'un homme qui, en toute circonstance, mettait son amour-propre à afficher l'irréprochable tenue d'un gentleman anglais. M. de Chandoré en fut si frappé qu'avant tout:

– Qu'avez-vous, mon brave Antoine? demanda-t-il.

Au lieu de répondre, le fidèle serviteur attira le baron et son compagnon à l'intérieur. Et après qu'il eut refermé la porte, se croisant les bras devant eux:

– J'ai, répondit-il d'un accentétrange, j'ai… que j'ai peur!

Le vieux gentilhomme et l'avocat se regardaient. Ce malheureux, pensaient-ils, a perdu l'esprit.

Antoine comprit, car vivement:

– Non! je ne suis pas fou, dit-il, quoiqu'en vérité il se passe ici des choses telles qu'on se demande si l'on jouit bien de tout son bon sens!… Si j'ai peur, ce n'est pas sans motifs…

– Douteriez-vous de votre maître? interrogea maître Folgat.

Si menaçant fut le regard que l'honnête domestique lança au questionneur, que tout de suite M. de Chandoré intervint:

– Mon cher Antoine, dit-il, monsieur est un ami, un ami dévoué, un avocat venu de Paris avec madame de Boiscoran pour défendre Jacques. Non seulement vous ne devez pas vous défier de lui, mais il faut lui dire tout ce que vous savez, tout absolument et quand même…

Le visage du digne serviteur s'éclaira.

– Ah! monsieur est un avocat! s'écria-t-il. Qu'il soit le bienvenu. Je vais pouvoir dire tout ce que j'ai sur le cœur… Non, certes, je ne crois pas monsieur Jacques coupable, il est impossible qu'il le soit, il est stupide de penser qu'il puisse l'être. Mais ce que je crois, ce dont je suis sûr, c'est qu'il y a un coup monté pour lui mettre sur le dos les horreurs du Valpinson…

– Un coup monté! interrompit maître Folgat, par qui, comment, dans quel but?

– Ah! c'est ce que j'ignore. Mais je ne me trompe pas, et vous penseriez comme moi si vous aviez assisté à l'interrogatoire… C'était effrayant, messieurs, c'était inouï, à ce point que moi, j'aiété commeébloui, et qu'à un moment j'ai douté de mon maître et que je lui ai conseillé de fuir… Non, jamais on n'a entendu chose pareille. Toutétait contre lui… Chacune de ses réponsesétait comme un aveu. Il y a eu un crime au Valpinson… on l'y a vu aller et en revenir par des chemins détournés. On a mis le feu; l'eau où il s'était lavé les mainsétait noire de charbon. On a tiré des coups de fusil… on a retrouvé une de ses cartouches près de l'endroit où monsieur de Claudieuse aété blessé. Même, c'est là que j'ai reconnu le coup monté. Est-ce que toutes les circonstances se seraient ajustées si exactement, si elles n'eussentété d'avance prévues, calculées et arrangées!… Ce pauvre monsieur Daubigeon avait les larmes aux yeux et ce «tout se mêle»de Méchinet, le greffier, lui-mêmeétait confondu. Il n'y avait à paraître content que ce Galpin-Daveline de malheur. Car c'était lui quiétait le juge et qui interrogeait. Lui, l'ami de monsieur! Un homme qui à tout moment arrivait ici manger notre pain, dormir dans nos lits et tirer notre gibier. Ilétait à genoux devant monsieur, alors, pour obtenir la main de la nièce des demoiselles de Lavarande. Alors, c'était «mon bon Jacques»par-ci, «mon cher Boiscoran»par-là, et des protestations et des cajoleries à n'en plus finir, au point que je me disais toujours qu'un matin je trouverais les bottes de monsieur cirées par lui. Ah! il a pris sa revanche, hier matin, et il fallait voir de quel air il disait à monsieur: «Nous ne sommes plus amis.»Bandit!… non, nous ne sommes plus amis, et si le bon Dieuétait juste, tu aurais dans le ventre les deux coups de fusil qu'on a tirés sur monsieur de Claudieuse, et tu ne les digérerais pas…

L'impatience de M. de Chandoré était grande. Aussi, dès qu'Antoine s'arrêta pour reprendre haleine:

– Pourquoi, fit-il, n'êtes-vous pas venu me raconter cela tout de suite?

Le vieux serviteur se permit un haussement d'épaules.

– Est-ce que je le pouvais! répondit-il. Quand l'interrogatoire aété fini, le Galpin a mis partout les scellés, des bandes de toile fixées avec de la cire, comme on en pose sur le secrétaire des morts. Oh! il en a mis sur toutes les ouvertures, et deux plutôt qu'une. Il en a placé trois sur la porte extérieure. Puis il m'a dit qu'il me constituait gardien, que j'aurais une rétribution pour cela, mais que les galères m'attendaient si quelqu'un touchait aux scellés, seulement du bout du doigt. là-dessus, après avoir livré monsieur aux gendarmes, le Galpin est parti, me laissant seul ici, hébété comme un homme qui aurait reçu un coup de marteau sur la tête… Pourtant, je serais allé trouver monsieur le baron, sans une idée qui m'est venue et qui m'a donné le frisson.

Grand-père Chandoré frappait du pied.

– Au fait! dit-il. Au fait!…

– Voilà. Il faut que ces messieurs sachent que, dans l'interrogatoire, il aété beaucoup question du fusil Klebb que monsieur avait emporté le soir de l'incendie. Le Galpin a manié ce fusil et a ensuite demandé quand monsieur avait feu avec pour la dernière fois. Monsieur a répondu qu'il y avait cinq jours… Vous m'entendez, je dis: cinq jours. Et là-dessus, mon Galpin a remis le fusilà sa place, sans examiner les canons.

– Eh bien? fit maître Folgat.

– Eh bien! monsieur, moi, Antoine, j'avais, l'avant-veille – je dis bien l'avant-veille – lavé et nettoyé à fond le Klebb de monsieur…

– Sarpejeu! s'écria M, de Chandoré, comment n'avez-vous pas dit cela plus tôt, Antoine… Si les canons sont propres, c'est la preuve irrécusable que Jacques est innocent!

Le vieux serviteur branla la tête.

– C'est vrai, dit-il, seulement… les canons sont-ils propres?

– Oh!

– Monsieur peut s'être trompé quant à la date de son dernier coup de fusil, et alors les canons seraient encrassés, et au lieu de le sauver, ma déclaration le perdrait définitivement. Avant de parler, il fautêtre sûr.

– Oui, approuva maître Folgat, et vous avez bien fait de vous taire, mon brave, et je ne saurais trop vous adjurer de ne parler à personne au monde de cette circonstance, qui peut devenir pour la défense un argument décisif.

– Oh! je saurai tenir ma langue, monsieur; seulement vous devez comprendre ce que je me suis fait de mauvais sang, devant ces maudits scellés qui m'empêchaient d'aller m'assurer de l'état du fusil… Oh! si j'avais osé les briser!…

– Malheureux!

– J'en ai eu l'idée, mais je me suis retenu. Seulement j'ai songé, après, que cette pensée pouvait venir à d'autres. Les scélérats qui ont organisé ce complot abominable contre monsieur Jacques sont capables de tout, n'est-ce pas? Pourquoi ne seraient-ils pas venus, de nuit, briser les scellés… J'ai mis le métayer de garde dans le jardin, sous les fenêtres; j'ai placé son fils de faction dans la cour, et moi je suis resté en sentinelle devant les scellés, avec des armes sous la main… Les brigands pouvaient venir ils auraient trouvé à qui parler!

On a beau dire, les avocats valent mieux que leur réputation. Il est des grâces d'état. Le premier qui versera une larme à la représentation d'un drame bien noir sera toujours dramaturge, un homme du métier qui connaît toutes les ficelles et pour qui les coulisses n'ont plus de secrets. L'avocat, tant accusé de scepticisme, est par excellence crédule et naïf. C'est sincèrement qu'il se passionne, et, quand on pense qu'il joue la comédie, il est de bonne foi. Les trois quarts du temps est gagnée dans son esprit la cause détestable qu'il plaide et qu'il perd devant les juges.

D'heure en heure, depuis son arrivée à Sauveterre, maître Folgat s'était pénétré de l'innocence de Jacques de Boiscoran, et le récit du vieil Antoine n'était pas fait pourébranler ses convictions. Non qu'il admît l'existence d'un complot. Mais il n'était paséloigné de croire à l'audacieux calcul de quelque scélérat, profitant de circonstances connues de lui seul pour faire retomber le châtiment de son crime sur M. de Boiscoran.

Mais il avait bien d'autres explications à demander, et ilétait difficile de les obtenir d'Antoine, dans l'état de fiévreuse exaltation où il se trouvait. Car interroger un homme, si disposé qu'il soit à parler, n'est pas facile. Et si l'on n'apporte pas à cette tâche un grand sang-froid, beaucoup de soin et une méthode imperturbable, on risque fort de passer à côté du fait le plus important à recueillir.

Donc, après un moment:

– Mon brave Antoine, reprit maître Folgat, je ne saurais trop louer votre conduite en toute cette affaire. Nous sommes loin d'en avoir fini… Seulement, comme je n'ai rien pris depuis hier à Paris, et que j'entends sonner midi…

M. de Chandoré se frappa le front.

– Ah! vieil oublieux que je suis! interrompit-il. Comment ne vous ai-je rien offert!… Pourtant, vous m'excuserez, n'est-ce pas, je suis si bouleversé!… Antoine, qu'avez-vous à nous servir?

– La métayère a desœufs, du confit d'oie, du jambon…

– Ce qui sera le plus vite prêt sera le meilleur, dit le jeune avocat.

– Avant vingt minutes ces messieurs seront à table! s'écria le digne serviteur.

Et il s'élança dehors, pendant que M. de Chandoré faisait entrer maître Folgat dans le salon.

Le pauvre grand-père faisait appelà toute sonénergie pour garder une contenance assurée.

– Cette circonstance du fusil, dit-il, c'est le salut, n'est-ce pas?

 

– Peut-être, répondit le jeune avocat.

Et ils gardèrent le silence: le grand-père songeant à la douleur de sa petite-fille et maudissant le jour où, en ouvrant sa maison à Jacques, il l'avait ouverte à tant et de si cruelles angoisses; l'avocat classant dans son esprit les faits qu'il avait recueillis et préparant les questions qu'il voulait poser encore.

Ilsétaient, l'un et l'autre, si profondément enfoncés dans leurs réflexions qu'ils tressautèrent quand Antoine reparut disant:

– Ces messieurs sont servis!

La table avaitété dressée dans la salle à manger, et les deux convives y ayant pris place, l'honnête domestique se plantait debout, près d'eux, la serviette au bras, quand M. de Chandoré l'interpellant:

– Mettez un troisième couvert, Antoine, dit-il, et déjeunez avec nous.

– Oh! monsieur, protesta le brave homme, monsieur le baron…

– Asseyez-vous, insista M. de Chandoré, manger après nous vous ferait perdre du temps, et un serviteur tel que vous fait partie de la famille.

Antoine obéit, confus, mais rouge de plaisir de l'honneur qui luiétait fait, car ce n'est pas par excès de familiarité que péchait le baron de Chandoré.

Et le jambon et lesœufs de la métayère expédiés:

– Maintenant, reprit maître Folgat, revenons à notre affaire, et vous, mon cher Antoine, du calme, et rappelez-vous que si nous n'obtenons pas une ordonnance de non-lieu, vos réponses seront leséléments de ma défense! Quellesétaient, ici, les habitudes de monsieur de Boiscoran?

– Ici, monsieur, il n'en avait pour ainsi dire pas. Nous venions si rarement et pour si peu de temps…

– N'importe, quelétait son genre de vie?

– Il se levait tard, il se promenait beaucoup, il chassait quelquefois, il dessinait, il lisait… car monsieur est un grand liseur, et qui aime les livres autant que monsieur le marquis, son père, aime la porcelaine.

– Qui recevait-il?

– Monsieur Galpin-Daveline, le plus souvent; le docteur Seignebos, le curé de Bréchy, monsieur Séneschal, monsieur Daubigeon…

– Comment passait-il ses soirées?

– Chez monsieur le baron de Chandoré, qui est ici pour le dire.

– Il n'avait pas d'autres relations dans le pays?

– Non.

– Vous ne lui connaissez pas quelque… bonne amie?

Antoine eut un geste pudibond.

– Oh! monsieur, prononça-t-il, monsieur, ne savez-vous donc pas que monsieur est le fiancé de mademoiselle Denise!

Le baron de Chandoré n'était pas né d'hier, ainsi qu'il se plaisait à le dire. Si puissamment intéressé qu'il fût, il se leva.

– J'ai besoin de prendre l'air, fit-il.

Et il sortit, comprenant que sa qualité de grand-père de Denise pouvait arrêter la vérité sur les lèvres d'Antoine.

Voilà un homme d'esprit, pensa maître Folgat.

Et tout haut:

– Puisque nous voilà seuls, mon brave Antoine, reprit-il, parlons nettement. Monsieur de Boiscoran avait-il quelque maîtresse dans le pays?

– Non, monsieur.

– N'en a-t-il jamais eu?

– Jamais. On vous dira peut-être que, dans le temps, il regardait avec plaisir la Fougerouse, une grande rousse, la fille d'un meunier qui demeure tout près d'ici, et que la mâtine venait au château plus souvent qu'il n'était besoin, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre… Mais c'était pur enfantillage. D'ailleurs, il y a cinq ans de cela, et depuis trois la Fougerouse est mariée à un saunier des environs de Marennes.

– Vousêtes sûr de ce que vous dites?

– Comme de mon existence. Et monsieur en serait sûr connaissant le pays comme moi, et la langue infernale des gens. Il n'y a pas de ruses qui tiennent, ni précautions; je défie un homme de parler trois fois à une femme sans que tout le monde le sache. À Paris, je dis pas…

Maître Folgat dressa l'oreille.

– Il y a donc eu quelque chose à Paris? interrogea-t-il.

Mais Antoine hésitait.

– C'est que, balbutia-t-il, les secrets de mon maître ne sont pas les miens, et après le serment que je lui ai fait…

– De votre franchise dépend peut-être le salut de votre maître interrompit le jeune avocat, soyez sûr qu'il ne vous en voudra pas d'avoir parlé.

Quelques secondes encore, l'honnête serviteur demeura indécis; puis:

– Eh bien! commença-t-il, monsieur a eu, comme on dit une grande passion…

– Quand?

– Ah! je l'ignore; cela avait commencé avant mon entrée au service de monsieur. Ce que je sais, c'est que pour recevoir… la personne, monsieur avait acheté à Passy bout de la rue des Vignes, au milieu d'un immense jardin, une belle maison qu'il avait fait meubler magnifiquement.

– Ah!…

– C'est là un secret que ni le père de monsieur ni sa mère comme de juste, ne connaissent. Et si je le sais, c'est que monsieur, un jour qu'ilétait à cette maison, est tombé dans l'escalier et s'est déboîté le pied, et qu'il m'a fait venir pour le soigner. C'est probablement sous son nom qu'il l'a achetée, mais ce n'était pas sous son nom qu'il l'occupait. Il s'y faisait passer pour un Anglais, monsieur Burnett, et c'était une servante anglaise qui le servait.

– Et… la personne…

– Ah! monsieur, non seulement je ne la connais pas, mais je ne soupçonne pas qui elle pouvaitêtre. Ah! monsieur, et elle prenait de fières précautions! Étant ici pour tout dire, j'avouerai que j'ai eu la curiosité de questionner la servante anglaise. Elle m'a répondu qu'elle n'était pas plus avancée que moi; qu'elle savait bien qu'il venait une dame, mais que jamais elle n'avait réussi à lui voir seulement le bout du nez. Monsieur prenait si adroitement son temps que toujours la servanteétait en course quand la dame arrivait et repartait. Quand elleétait à la maison, monsieur et elle se servaient seuls. Et s'ils voulaient se promener dans le jardin, ils envoyaient la servante faire une commission à tous les diables, à Versailles ou à Fontainebleau, ce dont elle enrageait, comme de raison.

D'un mouvement machinal qui luiétait familier, maître Folgat tortillait une mèche de sa barbe noire. Un instant, il lui avait semblé voir poindre la femme, cette inévitable femme dont l'inspiration toujours se retrouve au fond de toutes les actions d'un homme, et voici que décidément elle s'évanouissait. Car c'est en vain que d'un esprit alerte il cherchait un rapport quelconque possible, sinon probable, entre la mystérieuse visiteuse de la rue des Vignes et lesévénements dont le Valpinson venait d'être le théâtre; il n'en découvrait aucun.

Quelque peu découragé:

– Enfin, mon brave Antoine, reprit-il, cette grande passion de votre maître n'existe sans doute plus?

– Évidemment, monsieur, puisque monsieur Jacques allaitépouser mademoiselle Denise.

La raison n'était peut-être pas aussi péremptoire que l'imaginait le fidèle serviteur; pourtant le jeune avocat ne fit aucune observation.

– Et, selon vous, poursuivit-il, quand cette passion aurait-elle pris fin?

– Pendant la guerre, monsieur et la dame ont dû se trouver séparés, car monsieur n'est pas resté à Paris. Il commandait une compagnie de nos mobiles, et même il aété blessé à leur tête, ce qui lui a valu la croix.

– Possède-t-il encore sa maison de la rue des Vignes?

– Je le crois.

– Pourquoi?

– Parce que monsieur et moi sommes allés passer huit jours à Paris, après lesévénements, et qu'un soir il m'a dit: «La guerre et la Commune me coûtent bon. Ma bicoque a reçu plus de vingt obus, et il y a logé tour à tour des francs-tireurs, des communeux et des soldats. Les murs sont à jour, et il n'y reste pas un meuble intact. Mon architecte me dit que, tout compris, j'aurai pour plus de quarante mille francs de réparations…»

– Comment! de réparations!… Il comptait donc encore utiliser cette maison?

– À cetteépoque, monsieur, le mariage de monsieur n'était pas encore arrêté.

– Soit, mais cette circonstance tendrait à prouver qu'il a revu à cetteépoque la dame mystérieuse, et que la guerre n'avait pas brisé leurs relations…

– C'est possible.

– Et il ne vous a jamais reparlé de cette dame?

– Jamais…

Il s'arrêta. Dans le vestibule, on entendait M. de Chandoré tousser avec cette affectation d'un homme qui tient à s'annoncer.

Aussitôt qu'il reparut:

– Par ma foi, monsieur, lui dit maître Folgat, lui indiquant ainsi que sa présence n'avait plus aucun inconvénient, je me disposais à aller à votre recherche, craignant que vous ne fussiez incommodé.