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La corde au cou

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30. – Quelle scène? Quel témoin?…

– Quelle scène? Quel témoin?… C'est pour que vous me l'appreniez que je vous attendais avec tant d'impatience, dit le docteur Seignebos à maître Folgat. J'ai constaté l'effet: à vous de m'expliquer la cause…

Il ne parut cependant nullement surpris de ce que lui raconta le jeune avocat de la démarche désespérée de Jacques et de son tragique résultat. Et dès que ce fut fini:

– Je l'avais deviné! s'écria-t-il. Oui, sur ma parole, à force de me creuser la cervelle, j'étais presque arrivé à la vérité! Qui donc, à la place de Jacques, n'eût voulu tenter un suprême effort? Mais la fatalité est sur lui…

– Qui sait! interrompit maître Folgat. (Et sans laisser le médecin répliquer): Nos chances, poursuivit-il, sont-elles donc moindres qu'avant cet accident?… Non. Tout aussi bien qu'hier nous pouvons, d'un moment à l'autre, mettre la main sur ces preuves qui existent, nous le savons, et qui nous sauveraient. Qui nous dit qu'au moment où nous parlons, sir Francis Burnett et Suky Wood ne sont pas retrouvés? Votre confiance en Goudar en est-elle moins grande?

– Oh! pour cela, non. Je l'ai vu ce matin à l'hôpital, au moment de ma visite, et il a trouvé le moyen de me dire qu'ilétait à peu près certain de réussir.

– Eh bien!…

– Je suis donc persuadé que Cocoleu parlera. Parlera-t-ilà temps? Voilà la question. Ah! si nous avions seulement un mois devant nous, je vous dirais: «Jacques est sauvé.»Mais les heures sont comptées. N'est-ce pas la semaine prochaine que s'ouvre la session. Déjà, m'a-t-on affirmé, le président des assises est arrivé, et monsieur Du Lopt de la Gransière a fait retenir son appartement à l'Hôtel des Messageries. Que ferez-vous si rien de nouveau n'est survenu le jour des débats?

– Maître Magloire et moi, nous nous renfermerons obstinément dans le système de défense convenu…

– Et si le comte de Claudieuse tient ses menaces, s'il déclare qu'il a reconnu Jacques faisant feu sur lui?

– Nous dirons qu'il s'est trompé…

– Et Jacques sera condamné.

– Soit, fit le jeune avocat. (Et baissant la voix, comme s'il eût craint d'être entendu): Seulement, la condamnation ne sera pas définitive… Oh! ne m'interrogez pas, docteur, et sur votre vie, sur le salut de Jacques, pas un mot… Un soupçon effleurant l'esprit de monsieur Galpin-Daveline serait l'anéantissement de notre dernière espérance, car il aurait le temps de réparer la bévue qu'il a commise, et qui fait que je puis vous dire: même après que le comte aurait parlé, même après une condamnation, rien ne serait perdu… (Il s'animait, et, à son accent et à son geste, on sentait l'homme sûr de soi.) Non, rien ne serait perdu, continuait-il, et alors nous aurions du temps devant nous, en attendant une secondeépreuve pour retrouver nos témoins, pour arracher la vérité à Cocoleu… Que monsieur de Claudieuse parle donc, je l'aime autant, il m'enlèvera ainsi mes derniers scrupules. Trahir madame de Claudieuse me paraissait odieux, parce que je me disais que le plus cruellement puni serait alors le comte. Mais le comte nous attaque, nous nous défendons; l'opinion sera pour nous. Bien plus, on nous admirera d'avoir sacrifié notre honneur à celui d'une femme, et de nousêtre laissé condamner, nous, innocent, plutôt que de livrer le nom de celle qui s'était donnée à nous…

Le docteur ne semblait pas convaincu, mais le jeune avocat n'y prenait garde.

– Non, poursuivait-il, le succès à une secondeépreuve ne serait pas douteux. La scène de la rue Mautrec a eu un témoin; n'est-ce pas celui dont les souliers ferrés avaient laissé leur empreinte sous le tilleul le plus rapproché du salon, celui dont la petite Marthe a suivi tous les mouvements? Quel peutêtre ce témoin, sinon Cheminot? Eh bien, nous saurons le retrouver. Ilétait placé de façon à tout voir et à ne pas perdre une parole. Il dira ce qu'il a vu et entendu. Il dira comment le comte de Claudieuse criait à monsieur Jacques de Boiscoran: «Non, je ne veux pas vous tuer, j'ai une vengeance plus sûre, je vous enverrai au bagne…»

Tristement, M. Seignebos hochait la tête.

– Puissent vos espérances se réaliser, mon cher maître, prononça-t-il.

Mais, pour la troisième fois depuis une heure, on venait chercher le docteur. Échangeant une poignée de main, ils se séparèrent, et après une courte visite à maître Magloire, qu'il importait de tenir au courant, maître Folgat se hâta de regagner la rue de la Rampe.

À la seule physionomie de Mlle Denise, il comprit qu'elle n'avait rien à lui apprendre, qu'elle savait la vérité et l'injustice de ses soupçons.

– Que vous avais-je dit, mademoiselle? fit-il simplement.

Elle rougit, honteuse d'avoir livré le secret des doutes qui l'avaient déchirée, et au lieu de répondre:

– Il est venu des lettres pour vous, maître Folgat, dit-elle, et on les a montées dans votre chambre…

Deux lettresétaient arrivées, en effet, une de Mme Goudar, l'autre de l'agent expédié en Angleterre.

La premièreétait insignifiante. Mme Goudar priait simplement le jeune avocat de faire passer à son mari un billet qu'elle lui adressait.

La secondeétait, au contraire, du plus haut intérêt.

L'agent d'Angleterreécrivait:

Non sans de grandes difficultés, non sans de fortes dépenses surtout, j'ai réussi à découvrir, à Londres, le frère de sir Francis Burnett, ancien caissier de la maison Gilmour et Benson.

Notre sir Francis n’est pas mort. Envoyé par son père à Madras, pour y régler une très importante affaire de banque, il est attendu par le prochain paquebot. Le jour même où il mettra pied à terre, nous serons avisés de son retour.

J'ai eu moins de peine à dénicher les parents de Suky Wood, qui sont des gens très à leur aise, tenant à Folkestone une auberge bien achalandée. Il n'y a pas trois semaines qu’ils ont eu des nouvelles de leur fille, qu'ils aiment beaucoup, à ce qu'ils m'ont affirmé. Malgré ce grand amour, ils n’ont pu me dire au juste où je la trouverais. Tout ce qu’ils savent, c'est qu'elle doitêtre à Jersey, servante dans quelque public-house.

Mais cela me suffit. L'île n’est pas grande, et je la connais bien pour y avoir filé autrefois un notaire quiétait parti avec l'argent de ses clients. On peut donc considérer Suky comme prise.

Lorsque vous recevrez cette lettre, je serai en route pour Jersey. Adressez-m'y des fonds à l 'Hôtel de la Pomme-d'Or, où je me propose de descendre. La vie est si incroyablement chère à Londres que c'est à peine s'il me reste quelque chose de la somme qui m'aété remise à mon départ…

Ainsi, de ce côté du moins, tout allait bien.

Tout heureux de ce premier succès, maître Folgat mit sous pli, à l'adresse indiquée, un billet de mille francs qu'il fit porter à la poste.

Après quoi, demandant à M. de Chandoré sa voiture et son cheval, il se fit conduire à Boiscoran. Il voulait voir Michel, le fils du métayer, ce brave garçon qui avait su retrouver si promptement Cocoleu. Justement, lorsqu'il arriva, Michel rentrait à la métairie, conduisant une charrette de paille. Le prenant à part:

– Voulez-vous rendre un grand service à monsieur Jacques de Boiscoran? lui demanda le jeune avocat.

– Que faut-il faire? répondit le digne gars d'un accent qui, mieux que toutes les protestations, prouvait qu'ilétait prêt à tout.

– Connaissez-vous Frumence Cheminot?

– L'ancien saunier de la Tremblade?

– Précisément.

– Pardi! si je le connais! Il m'a assez volé de pommes, le câlin!… Mais je ne lui en veux pas, parce que, malgré tout, c'est un bon garçon.

– Ilétait en prison à Sauveterre.

– Oui, je sais, pour avoir enfoncé la porte d'un enclos, près de Bréchy.

– Eh bien! il s'estévadé.

– Ah! le mâtin!

– Et il faudrait absolument le retrouver. On a mis les gendarmes à ses trousses, mais le prendront-ils?

Micheléclata de rire.

– Jamais de la vie, répondit-il. Cheminot va gagner l'île d'Oléron, où il a des amis… les gendarmes peuvent courir.

Amicalement, maître Folgat frappa sur l'épaule du jeune gars.

– Mais vous, fit-il, si vous vouliez… Oh! ne froncez pas le sourcil, il ne s'agit pas de le faire arrêter… Je vous demande seulement de lui remettre le billet que voici, et de me rapporter sa réponse.

– Si ce n'est que cela, je suis votre homme! Le temps de me changer, de prévenir mon père, et je pars…

Ainsi, autant qu'ilétait en lui, maître Folgat ensemençait l'avenir et préparait lesévénements, opposant aux savantes manœuvres de l'accusation toutes les combinaisons que lui pouvaient suggérer son expérience et son génie.

S'ensuivait-il que sa foi en un succès définitif fût telle qu'il le disait à ceux-là mêmes dont ilétait le plus sûr, au docteur Seignebos, par exemple, à maître Magloire et au bon greffier Méchinet? Non… Portant toute la responsabilité, il avait trop bienévalué les chances contraires de la terrible partie qui allait s'engager, et dont l'enjeuétait l'honneur et la vie d'un innocent. Mieux que personne il savait qu'il suffisait d'un rien pour anéantir ses espérances, et que la destinée de Jacquesétait à la merci du plus vulgaire incident. Mais tel qu'un généralà la veille d'une bataille, il maîtrisait sesémotions, affectant, pour l'inspirer aux autres, une assurance qu'il n'avait pas, et rien sur son visage ne trahissait le secret des angoisses poignantes qui, le plus souvent, le tenaientéveillé une partie de la nuit.

Et certes, pour demeurer impassible et résolu, il lui fallait un caractère d'une trempe exceptionnelle. On désespérait autour de lui, on s'abandonnait… La maison de la rue de la Rampe, si riante autrefois et si vivante, était désormais silencieuse et morne comme un tombeau.

En deux mois, grand-père Chandoré était devenu décidément un vieillard. Sa robuste taille s'était affaissée, courbée et cassée. Son pas traînait, ses mains tremblaient.

 

Plus rudement encore, le marquis de Boiscoran avaitété frappé. Lui, si vert quelques semaines plus tôt, il semblait toucher à la décrépitude. Il ne mangeait ni ne dormait, pour ainsi dire. Sa maigreur devenait effrayante. Prononcer une parole lui coûtait un effort.

Quant à la marquise, elle, c'est aux sources mêmes de la vie qu'elle avaitété atteinte. N'avait-elle pas entendu maître Magloire déclarer que le salut si problématique de Jacques eûtété assuré, si l'on eût obtenu le renvoi de l'affaire à une autre session! Et c'était elle qui avait empêché de solliciter ce renvoi! Cette idée la tuait! À peine lui restait-il assez de forces pour se traîner chaque jour à la prison embrasser son fils.

Sur les tantes Lavarande retombaient tous les détails matériels, et on les voyait, pâles comme des ombres, aller et venir, parlant bas et marchant sur la pointe du pied, comme dans la maison d'un mort.

Seule, Mlle Denise haussait sonénergie au niveau de son malheur. Elle ne se berçait pas d'illusions: «Je sens que Jacques sera condamné!»avait-elle dit à maître Folgat. Mais elle ajoutait que l'abattement et le désespoir sont le fait des criminels, et que l'erreur affreuse dont Jacques, innocent, était victime ne devait inspirer à ses amis que colère et désir de vengeance.

Et pendant que son grand-père et le marquis de Boiscoran sortaient le moins possible, elle affectait de se montrer par la ville, étonnant les «dames de la société»par la façon dont elle recevait leurs hypocrites compliments de condoléances. Mais ilétaitévident que la fièvre seule la soutenait, donnant à ses joues leur pourpre, à ses yeux leuréclat, à sa voix son timbre métallique et vibrant.

Ah! c'est pour elle surtout que maître Folgat souhaitait la fin de cette incertitude plus douloureuse que le pire malheur.

Ce terme approchait. Ainsi que l'avait annoncé le docteur Seignebos, le président des assises, M. Domini, venait de s'installer à Sauveterre. C'était un de ces hommes dont le caractère est l'honneur de la magistrature, pénétré de la majesté de sa mission, mais ne se croyant pas infaillible, ferme sans rigueurs inutiles, froid et cependant bienveillant, n'ayant d'autre passion que la justice, d'autre ambition que de faireéclater la vérité.

Il avait interrogé Jacques. Mais cet interrogatoire n'était qu'une formalité dont il n'était rien résulté. Il avait de plus procédé à la formation du jury. Déjà les jurés désignés par le sort arrivaient de tous les coins du département. Ils descendaient tous à l'Hôtel de France, où ils prenaient leurs repas en commun, dans la grande salle du fond, qu'on leur réserve à toutes les sessions.

Et, dans l'après-midi, on les voyait, graves et soucieux, se promener sur la place du Marché-Neuf ou le long des anciens remparts.

M. Du Lopt de la Gransière aussiétait arrivé. Mais il se tenait, lui, sévèrement enfermé dans son appartement de l'Hôtel des Messageries, où chaque jour M. Galpin-Daveline allait passer de longues heures.

– Il paraît, disait confidentiellement Méchinet à maître Folgat, il paraît qu'il prépare un réquisitoire foudroyant…

Le lendemain, en ouvrant L'indépendant de Sauveterre, Mlle Denise put lire l'ordre des affaires de la session.

Lundi. – Banqueroute frauduleuse, détournements, faux.

Mardi. – Assassinat et vol.

Mercredi. – Infanticide. – Vols domestiques.

Jeudi. – Incendie et tentative d'assassinat (affaire Boiscoran).

Jeudi. – Incendie et tentative d'assassinat (affaire Boiscoran).

C'est donc pour ce jeudi fameux que les habitants de Sauveterre se promettaient les plusétonnantesémotions.

Aussi, était-ce à qui se procurerait une carte d'entrée à la cour d'assises. M. Domini, M. Du Lopt de la Gransière, M. Daubigeon et Méchinet lui-mêmeétaient harcelés de demandes. Des gens qui, la veille, ne saluaient pas M. Daveline l'arrêtaient dans la rue et sollicitaient la faveur d'une petite place, non pour eux, mais pour leur dame. Fait sans exemple, il se négocia des billets à prix d'argent. Une famille, enfin, eut l'inconcevable courage d'écrire au marquis de Boiscoran pour lui demander trois entrées, promettant enéchange de «contribuer, par son attitude, à l'acquittement de l'accusé».

Et c'est au plus fort de ces rumeurs que tout à coup circula dans la ville une liste de souscription en faveur des parents des malheureux pompiers qui avaient péri à l'incendie du Valpinson. Qui avait lancé cette liste? C'est en vain que M. Séneschal essaya de découvrir la main d'où partait le coup. Le secret de la perfidie fut bien gardé. Et c'était une perfidie atroce que de venir ainsi, à la veille des débats, rappeler des souvenirs sinistres et raviver les haines.

– Il y a du Galpin là-dessous, disait en grinçant des dents le docteur Seignebos. Et penser qu'il l'emportera peut-être… Ah! pourquoi Goudar n'a-t-il pas commencé plus tôt son expérience?

C'est qu'en effet Goudar, tout en répondant du succès, demandait du temps. Ce ne pouvaitêtre l'œuvre d'un jour que de calmer les défiances de l'ombrageux Cocoleu. Il déclarait que, s'il précipitait le dénouement, il perdrait tout irrémissiblement. D'ailleurs, rien de nouveau ne survenait. Le comte de Claudieuse allait plutôt mieux que mal. L'agent de Jersey avait télégraphié qu'ilétait sur la piste de Suky, qu'il la rejoindrait sûrement, mais qu'il ne pouvait dire quand. Michel, enfin, avait inutilement couru tout l'arrondissement et fouillé l'île d'Oléron, personne n'avait pu lui donner des nouvelles de Cheminot.

Si bien que le jour même de la session, après un conseil auquel prirent part tous les amis de Jacques, il fut arrêté que les défenseurs ne prononceraient pas le nom de Mme de Claudieuse et s'en tiendraient, quoi que pût dire le comte, au système de défense imaginé par maître Folgat.

Hélas! il n'avait que de bien faibles chances de succès, car le jury, contre l'ordinaire, se montrait d'une excessive sévérité. Le banqueroutier fut condamné à vingt ans de travaux forcés. L'homme accusé de meurtre n'obtint pas de circonstances atténuantes et fut condamné à mort. Onétait alors au mercredi. Il fut décidé que le marquis et la marquise de Boiscoran et M. de Chandoré assisteraient aux débats. On voulaitépargner à Mlle Denise cetteépouvantableémotion, mais elle déclara qu'elle irait seule à l'audience, et force fut de se rendre à sa volonté.

Grâce à une autorisation de M. Domini, maître Folgat et maître Magloire passèrent la soirée près de Jacques, à arrêter les derniers détails et à bien convenir de certaines réponses.

Jacquesétait excessivement pâle, mais très calme. Et quand ses défenseurs le quittèrent en lui disant:

– Bon espoir et bon courage…

– D'espoir, répondit-il, je n'en ai plus. Mais du courage, soyez tranquilles, j'en aurai!

31. Enfin, du fond de sa prison, Jacques de Boiscoran vit se lever le jour qui allait décider de sa destinée… Il allaitêtre jugé!

Enfin, du fond de sa prison, Jacques de Boiscoran vit se lever le jour qui allait décider de sa destinée… Il allaitêtre jugé!

Trop rare était l'occasion pour que L'indépendant de Sauveterre la laissât échapper. Paraissant le matin, il publia, «vu la gravité des circonstances», uneédition du soir, qui jusqu'à minuit fut criée dans les rues par une douzaine de gamins.

Et voici son compte rendu:

COUR D'ASSISES DE SAUVETERRE

Audience du jeudi 23… PRÉSIDENCE DE M. DOMINI

Assassinat – Incendie (Correspondance particulière de L'Indépendant)

Pourquoi dans notre paisible cité ce mouvement inaccoutumé, ce tumulte, cette animation! Pourquoi ces rassemblements sur nos places publiques, ces groupes devant les maisons? Pourquoi sur tous les visages l'inquiétude, dans tous les yeux l'anxiété?

C'est que c'est aujourd'hui qu'arrive devant la cour cette ténébreuse affaire du Valpinson qui, depuis tant de semaines, tient enéveil nos populations. C'est que c'est aujourd'hui que doitêtre jugé l'homme accusé de ce grand crime…

Aussi, est-ce vers le palais de justice que chacun se hâte, se précipite, court…

Le palais de justice!… Longtemps avant le jour ilétait assiégé par la multitude, difficilement contenue par les appariteurs aidés de la gendarmerie. Et on se presse, on se pousse, on se heurte. Des paroles grossières sontéchangées. Des mots on passe aux gestes, une rixe est imminente, les femmes crient, les hommes menacent, et nous voyons conduire au poste deux paysans de Bréchy.

C'est qu'il y aura peu d'élus, on le sait. La place du Marché-Neuf ne contiendrait pas toute cette foule, accourue des quatre points de l'arrondissement. Comment donc notre salle des assises suffirait-elle?

Et cependant nosédiles, toujours empressés à satisfaire les citoyens qui ont mis en eux leur confiance, ont eu recours à des expédients héroïques. Ils ont fait abattre deux cloisons, réunissant ainsi à la salle des assises une portion de notre belle salle des pas perdus.

M. Lantier, l'architecte de la ville, bon juge en pareille matière, nous affirme que douze cents personnes trouveront place dans l'immense vaisseau. Mais qu'est-ce que douze cents personnes!

Bien longtemps avant l'heure fixée pour l'ouverture de l'audience, tout est plein, comble, bondé. Uneépingle qu'on lancerait ne tomberait certes pas à terre.

Pas un pouce d'espace n'aété perdu. Tout autour, le long du mur, les hommes se tiennent debout. Sur les deux côtés de l'estrade, des chaises ontété disposées, où viennent prendre place un grand nombre de dames de la société, tant de Sauveterre que des environs et même des villes voisines. Quelques-unes ont des toilettes ravissantes.

Mille versions circulent, mille conjectures, mille suppositions que nous nous garderons de rapporter… À quoi bon! Disons pourtant que l'accusé n'a pas usé du droit que la loi lui confère de récuser un certain nombre de jurés. Il a accepté tous les noms qui sortaient de l'urne et que ne récusait pas le ministère public. C'est d'un avocat de nos amis que nous tenons cette particularité, et juste comme il achevait de la raconter, un grand bruit se fait à la porte, suivi d'un rapide mouvement de chaises et d'exclamationsétouffées.

C'est la famille de l'accusé qui vient occuper les places qui lui ontété réservées tout près de l'estrade.

M. le marquis de Boiscoran donne le bras à Mlle de Chandoré, qui porte avec une exquise distinction une toilette d'un gris foncé, relevée d'agréments cerise. M. le baron de Chandoré soutient Mme la marquise de Boiscoran. Le marquis et le baron sont graves et froids. La mère de l'accusé nous paraît extrêmement affaissée. Mlle de Chandoré, au contraire, est très animée et ne paraît nullement inquiète, et c'est en souriant qu'elle répond aux saluts assez rares qui lui sont adressés de divers côtés de la salle.

Mais on cesse bientôt de s'occuper d'eux. Toute l'attention est absorbée par une grande table dressée au milieu du prétoire, et sur laquelle se trouvent quantité d'objets qu'on ne peut voir, recouverts qu'ils sont d'un grand tapis rouge. là, sont les pièces à conviction.

Cependant onze heures sonnent. Les serviteurs du Palais circulent, donnant à tout un dernier coup d'œil. Puis une petite porte s'ouvre, à gauche, et les défenseurs entrent. Nos lecteurs les connaissent. L'un est maître Magloire Mergis, l'honneur de notre barreau. L'autre, un avocat de la capitale, maître Folgat, jeune encore et célèbre.

Maître Magloire a son visage des bons jours, et c'est en souriant qu'il s'entretient avec le maire de Sauveterre, M. Séneschal, pendant que maître Folgat ouvre sa serviette et consulte ses dossiers. Onze heure et demie. Un huissier annonce:

– La cour!

M. Domini prend place au fauteuil de la présidence. M. Du Lopt de la Gransière vient occuper le siège du ministère public.

Derrière eux, silencieux et graves, se rangent messieurs les jurés.

Tout à coup, grand tumulte. Chacun se lève, chacun se dresse et se hausse sur la pointe des pieds. Quelques assistants, même, dans le fond, montent sur leur chaise. C'est que M. le président vient de donner l'ordre d'introduire l'accusé… Il paraît…

Il est strictement vêtu de noir, et avec une rareélégance. On remarque beaucoup qu'il porte à la boutonnière son ruban de la Légion d'honneur. Il est pâle, mais son regard est droit et clair, assuré, sans défi. Son attitude est triste, mais fière.

À peine est-il assis qu'un des assistants enjambe trois rangées de chaises et, malgré les huissiers, vient lui serrer la main. C'est le docteur Seignebos.

Mais M. le président commande aux huissiers de faire faire silence, et après avoir rappelé que toutes marques d'approbation ou d'improbation sont sévèrement interdites, et s'adressant à l'accusé:

 

– Dites-moi vos prénoms, lui demande-t-il, votre nom, votreâge, votre profession, votre domicile…

L'accusé répond:

– Louis, Trivulce, Jacques de Boiscoran, vingt-sept ans, propriétaire, domicilié à Boiscoran, arrondissement de Sauveterre.

– Asseyez-vous, etécoutez l'exposé des faits dont vousêtes accusé.

M. le greffier Méchinet donne lecture de l'acte d'accusation, dont la simplicité terrible fait frissonner l'auditoire.

Nous ne le rapporterons pas, tous les incidents qu'il relateétant bien connus de nos lecteurs.

Interrogatoire de l'accusé.

M. LE PRÉSIDENT. – Accusé, levez-vous, et répondez catégoriquement. Vous avez, pendant l'instruction, refusé de répondre à beaucoup de questions. Ici, il faut que la lumière se fasse. Et, je dois vous le dire, il est de votre intérêt d'être franc.

L'ACCUSÉ. – Nul plus que moi ne souhaite que la vérité soit connue. Je suis prêt à répondre…

D. – Pourquoi vos réticences pendant l'instruction?

R. – Je croyais de mon intérêt de ne répondre qu'ici.

D. – Vous venez d'entendre de quels crimes vousêtes accusé?

R. – Je suis innocent… Et avant tout, monsieur le président, permettez-moi une observation. Le crime du Valpinson est atroce, lâche, odieux… mais il est en même temps si absurde et si stupide qu'il me semble l'œuvre inconsciente d'un fou. Or, on ne m'a jamais refusé une certaine intelligence…

D. – Ceci est de la discussion…

R. – Cependant, monsieur…

D. – Plus tard, vous aurez liberté pleine et entière de faire valoir vos raisons. Pour le moment, contentez-vous de répondre aux questions que je vous adresse.

R. – Je me soumets, monsieur.

LE PRÉSIDENT. – Ne deviez-vous pas vous marier prochainement?

À cette question, tous les regards se tournent vers Mlle de Chandoré, qui devient plus rouge qu'une pivoine, mais qui ne baisse pas les yeux.

L'ACCUSÉ (d'une voix faible). — Oui.

D. – Le soir du crime, quelques heures seulement avant qu'il ne fût commis, n'avez-vous pasécrit à votre fiancée?

R. – Oui, monsieur, et je lui ai fait porter ma lettre par le fils de mon métayer, Michel.

D. – Que lui disiez-vous?

R. – Qu'une affaire importante me priverait de passer la soirée près d'elle.

D. – Quelleétait cette affaire?

Au moment où l'accusé ouvre la bouche pour répondre, M. le président l'arrête d'un geste:

D. – Prenez garde… Cette question vous aété adressée pendant l'instruction, et vous avez répondu que vous aviez à aller à Bréchy voir votre marchand de bois.

R. – J'ai répondu cela, en effet, sur le premier moment… Ce n'est pas exact.

D. – Pourquoi avez-vous menti?

L'ACCUSÉ (avec un mouvement de colère qui n'échappe à personne). — Je ne pouvais croire à la gravité de ma situation. Je ne pensais pas pouvoir, moi,être sérieusement compromis par l'accusation qui, cependant, m'amène sur ce banc… Ceétant, je ne voyais pas la nécessité de livrer le secret de mes affaires privées.

D. – Mais vous n'avez pas tardé à reconnaître la gravité de votre situation.

R. – En effet.

D. – Comment alors n'avez-vous pas dit la vérité?

R. – Parce que le magistrat chargé de l'instruction avaitété jadis trop avant dans mon intimité pour m'inspirer une entière confiance.

D. – Expliquez-vous clairement.

R. – Je vous demanderai la permission de me taire, monsieur le président. Peut-être, en parlant de monsieur Galpin-Daveline, manquerais-je de modération…

Un sourd murmure accueille cette réponse de L'ACCUSÉ.

M. LE PRÉSIDENT. – Ces murmures sont inconvenants, et je rappelle l'assemblée au respect de la justice.

M. l'avocat général Du Lopt de la Gransière se lève.

– Nous ne saurions tolérer de telles récriminations contre un magistrat qui a fait noblement, et quoi qu'il en coûtât, son devoiR. Si L'ACCUSÉ avait contre le juge des motifs de suspicion légitimes, que ne les faisait-il valoir!… Il ne saurait arguer de son ignorance, il connaît la loi, il est avocat. Ses défenseurs sont des hommes d'expérience.

MAÎTRE MAGLOIRE (de sa place). — Aussiétions-nous d'avis que monsieur de Boiscoran présentât à la cour une demande de renvoi. Il a refusé de suivre notre conseil, confiant, nous a-t-il dit, en la bonté de sa cause.

M. DU LOPT DE LA GRANSIÈRE (se rasseyant). — Messieurs les jurés apprécieront ce système…

M. LE PRÉSIDENT ( à l'accusé). — Et maintenant,êtes-vous disposé à dire la vérité au sujet de cette affaire qui vous privait de passer la soirée près de votre fiancée?

L'ACCUSÉ. – Oui, monsieur. Mon mariage devaitêtre célébré à l'église de Bréchy, et j'avais à m'entendre avec le curé au sujet de la cérémonie. J'avais, de plus, à remplir des devoirs religieux. Monsieur le curé de Bréchy, qui est mon ami, vous dira que, sans qu'il y eût rendez-vous pris, ilétait convenu qu'un des soirs de la semaine, puisqu'il l'exigeait, j'irais me confesser.

L'assemblée, qui s'attendait à quelque révélationémouvante, semble fort désappointée, et des rires moqueurséclatent de divers côtés.

M. LE PRÉSIDENT (d'une voix sévère). — Ces ricanements sont indécents et odieux. Huissiers, faites sortir les personnes qui se permettent de rire. Et une dernière fois je préviens qu'à la première manifestation, je feraiévacuer la salle. (Revenant ensuite à l'accusé): Continuez.

R. – C'est donc chez le curé de Bréchy que je suis allé le soir du crime. Malheureusement, il n'y avait personne au presbytère lorsque je m'y présentai. Je sonnais inutilement pour la troisième ou quatrième fois, quand une petite paysanne passa, qui me dit qu'elle venait de rencontrer le curé près de la Cafourche des Maréchaux. Immédiatement, pensant aller à sa rencontre, je me lançai sur la route. Mais c'est en vain que je fis plus d'une lieue. Reconnaissant que la petite fille s'était trompée ou m'avait trompé, je rentrai chez moi.

D. – C'est là votre explication?

R. – Oui.

D. – Et vous la trouvez vraisemblable?

R. – Je me suis engagé non à dire une chose vraisemblable, mais à dire la vérité. Je puis bien l'avouer, d'ailleurs, c'est précisément parce que l'explication est si simple que, ne l'ayant pas donnée tout d'abord, j'hésitais à la donner. Et cependant, si le crime n'eût pasété commis, et si, le lendemain, j'étais venu dire: «Je suis allé hier soir à Bréchy, voir le curé, et je ne l'ai pas trouvé», qui donc eût pensé que ce n'était pas tout naturel?

D. – Et c'est pour vous rendre à un devoir si naturel que vous preniez un chemin détourné, difficile, presque dangereux, les marais?

R. – Je choisissais le chemin le plus court…

D. – Alors pourquoi cet effroi lorsque vous avez rencontré le fils Ribot au déversoir de la Seille?

R. – Je n'ai pasété effrayé, mais surpris, comme on l'est de rencontrer quelqu'un là où on pensait ne trouver personne. Et si j'aiété étonné, le fils Ribot ne l'a pasété moins que moi.

D. – Vous voyez bien que vous espériez ne rencontrer personne.

R. – Pardon, monsieur, je ne dis pas cela, supposer n'est pas espéreR.

D. – Pourquoi, en ce cas, essayer d'expliquer votre présence en cet endroit?

R. – Je n'ai pas donné d'explications. Le fils Ribot, le premier, m'a dit en riant où il se rendait, et je lui ai répondu que j'allais à Bréchy.

D. – Vous lui avez dit aussi que vous preniez par les marais pour tirer des oiseaux d'eau. Et, en même temps, vous lui montriez votre fusil.

R. – C'est possible. Mais est-ce une preuve contre moi? Je crois tout le contraire. Si j'avais eu les intentions criminelles que me suppose l'accusation, me voyant rencontré, c'est- à-dire en grand danger d'être découvert, je serais rentré chez moi… J'allais chez mon ami le curé.

D. – Et, pour cette visite, vous emportiez votre fusil?

R. – Mes propriétés sont situées entre des bois et des marais, et il ne se passait pas de jour que je n'eusse l'occasion de tirer un lapin ou un oiseau d'eau. Tous les gens du pays affirmeront que jamais je ne sortais sans mon fusil.

D. – Et pour revenir, pourquoi avez-vous pris par les bois de Rochepommier?