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La corde au cou

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25. C'est rue Mautrec qu'après l'incendie du Valpinsonétaient venus s'établir provisoirement le comte et la comtesse de Claudieuse…

C'est rue Mautrec qu'après l'incendie du Valpinsonétaient venus s'établir provisoirement le comte et la comtesse de Claudieuse. La maison louée pour eux par le maire, M. Séneschal, aété pendant plus d'un siècle la demeure de la famille de Juliac et passe pour une des plus anciennes et des plus magnifiques de Sauveterre.



En moins de dix minutes, le docteur Seignebos et maître Folgat y furent arrivés.



De la rue on n'aperçoit qu'un grand mur, contemporain du château, à ce que prétendent les archéologues, et tout fleuri de pariétaires, de giroflées et de gueules-de-lion. Dans ce mur est encastrée une lourde porte à deux battants. Le jour, on ouvre un de ces battants et on le remplace par un portillon à claires-voies, qui, dès qu'on le pousse, met en mouvement une sonnette. On traverse alors un grand jardin où une douzaine de statues, vertes de mousse, s'émiettent sur leur piédestalà l'ombre des vieux tilleuls plantés en quinconce.



La maison n'a que deuxétages. Un large vestibule traverse le rez-de-chaussée, et l'on distingue au fond l'escalier de pierre avec sa rampe en fer ouvré.



Une fois dans ce vestibule, M. Seignebos ouvrit une porte à droite.



– Entrez là, dit-ilà maître Folgat, et attendez. Je monte chez le comte, dont la chambre est au premier, et je vous envoie la comtesse.



Le jeune avocat obéit, et il se trouva dans un vaste salon largementéclairé par trois portes-fenêtres ouvrant de plain-pied sur le jardin. Ce salon avait dûêtre superbe jadis. De belles menuiseries peintes en blanc, rehaussées de filets et d'arabesques d'or, lambrissaient les murs. Au plafond, une vaste composition allégorique représentait des amours joufflus folâtrant dans un cielétoilé.



Mais le temps avait promené ses doigts crasseux sur toutes ces magnificences d'un autre siècle, effacé à demi les peintures, terni l'or des arabesques, fané l'azur du plafond etécaillé les amours. Et certes l'ameublement n'était pas fait pour atténuer la mélancolie de ces ruines. Aux fenêtres, pas de rideaux. Sur la cheminée, une pendule et des candélabres à moitié brisés. Puisç à et là, et comme au hasard, des meubles disparates arrachés à l'incendie du Valpinson, des chaises, des canapés, des fauteuils et une table ronde toute disloquée et noircie par les flammes.



Mais qu'importaient à maître Folgat ces détails. Il ne songeait qu'à la démarche qu'il risquait, et dont il comprenait alors seulement l'audace extraordinaire et l'étrangeté. Peut-être eût-il battu en retraite s'il l'eût pu; et il n'avait pas trop de toute sa volonté pour dominer son trouble.



Enfin, il entendit un pas rapide et léger dans le vestibule, et presque aussitôt la comtesse de Claudieuse parut. C'était bien elle, telle qu'elle lui avaitété décrite par Jacques, calme, grave et sereine, comme si sonâme eût plané bien au-dessus des passions humaines.



Loin d'altérer son exquise beauté, lesévénements terribles qui se succédaient depuis un mois lui avaient mis au front comme une auréole divine. Elle avait quelque peu maigri, cependant. Et le cercle de bistre qui entourait ses yeux et le désordre de ses cheveux admirables trahissaient la fatigue et les angoisses des longues nuits passées au chevet de son mari.



Pendant que maître Folgat s'inclinait:



– Vousêtes le défenseur de monsieur de Boiscoran, monsieur? demanda-t-elle.



– Oui, madame, répondit le jeune avocat.



– Vous désirez me parler, à ce que vient de me dire le docteur…



– Oui, madame.



D'un geste de reine, elle montra un siège, et s'asseyant elle-même:



– Je vousécoute, monsieur, dit-elle.



Non sans une importune palpitation au cœur, maître Folgat commença:



– Je dois d'abord, madame, vous exposer la situation de mon client.



– C'est inutile, monsieur, je la connais.



– Vous savez alors, madame, qu'il vient d'être renvoyé devant la cour d'assises, et qu'il peutêtre condamné!



D'un mouvement douloureux, elle secoua la tête, et doucement:



– Je sais, monsieur, que le comte de Claudieuse aété victime du plus lâche des attentats, que sa vie est en péril, qu'avant peu, s'il ne survient un miracle de Dieu, je n'aurai plus de mari, mes enfants n'auront plus de père…



– Mais monsieur de Boiscoran est innocent, madame!



Une profonde surprise se peignit sur les traits de Mme de Claudieuse, et fixant maître Folgat:



– Qui donc est l'assassin? interrogea-t-elle.



Ah! ce n'est pas sans peine que le jeune avocat arrêta sur ses lèvres ce seul mot terrible: «Vous!», qui montait au fond de sa conscience révoltée.



Mais il songea au succès de sa mission, et au lieu de répondre:



– Pour un accusé, madame, reprit-il, pour un malheureux à la veille du jugement, un avocat est un confesseur auquel il ne cache rien. J'ajouterai que le défenseur a la discrétion du prêtre, et qu'il sait oublier les secrets qui lui ontété confiés.



– Je ne comprends pas, monsieur…



– Mon client, madame, avait un moyen bien simple de se disculper, c'était de dire toute la vérité. Il a mieux aimé risquer son bonheur que de compromettre celui d'une autre personne…



La comtesse eut un geste d'impatience.



– Mes moments sont comptés, monsieur, interrompit-elle. Veuillez vous expliquer plus clairement.



Mais maître Folgatétait aussi loin que possible.



– Je suis chargé par monsieur de Boiscoran, madame, reprit-il, de vous remettre une lettre.



La surprise de Mme de Claudieuse parut se changer en stupeur.



– À moi! fit-elle. À quel titre?



Sans mot dire, le jeune avocat tira de son portefeuille la lettre de Jacques, et la tendant à la comtesse:



– La voici, dit-il.



Elle la prit, d'une main qui ne tremblait pas, et l'ouvrit lentement. Mais, dès qu'elle l'eut parcourue, se dressant en pied, pourpre et les yeux pleins d'éclairs:



– Savez-vous ce que contient cette lettre, monsieur? s'écria-t-elle.



– Oui.



– Vous savez que monsieur de Boiscoran ose m'y appeler de mon nom de jeune fille, Geneviève, comme mon mari, comme mon père!



Le moment décisif venu, maître Folgat avait tout son sang-froid.



– Monsieur de Boiscoran, madame, prétend qu'il vous nommait ainsi autrefois… rue des Vignes… au temps où vous l'appeliez Jacques…



La comtesse paraissait abasourdie.



– Mais c'est infâme, monsieur, balbutia-t-elle, ce que vous dites là! Quoi! monsieur de Boiscoran a pu vous dire que moi, la comtesse de Claudieuse, j'aiété… sa maîtresse.



– Il me l'a dit, oui, madame, et il affirme que peu d'instants avant l'incendie, ilétait près de vous, et que s'il avait les mains noircies, c'est qu'il venait de brûler votre correspondance et la sienne…



Elle se redressa sur ces mots, et d'une voix vibrante:



– Et vous avez pu croire cela! s'écria-t-elle, vous?… Ah! le premier crime de monsieur de Boiscoran n'est rien, comparé à celui-ci! Il ne lui suffisait pas d'avoir incendié notre maison et de nous avoir ruinés, il veut nous déshonorer. Il ne lui suffit pas d'avoir pris la vie du mari, il lui faut l'honneur de la femme!



Elle parlait si haut que du vestibule on devait entendre leséclats de sa voix.



– Plus bas, madame, de grâce, fit maître Folgat, plus bas…



Elle le foudroya d'un regard de mépris souverain, et haussant encore le ton:



– Oui, continua-t-elle, je conçois que vous ayez peur d'être entendu… Mais moi, qu'ai-je à craindre! Je voudrais que l'univers entier nousécoutât et nous jugeât. Plus bas, dites-vous. Pourquoi plus bas! Pensez-vous donc que si monsieur de Claudieuse n'était pas mourant, celle lettre ne serait pas déjà entre ses mains! Ah! il saurait faire justice de cette lettre infâme, lui!… Tandis que moi, une femme!… Jamais je n'avais compris si terriblement que tout le monde croit mon mari perdu, et que je vais rester seule au monde, sans protecteur, sans amis…



– Mais, madame, monsieur de Boiscoran vous jure le secret le plus absolu…



– Le secret de quoi? De vos lâches insultes, de l'abominable intrigue dont ceci n'est sans doute que le prélude!



Maître Folgat pâlit sous l'outrage.



– Ah! prenez garde, madame, fit-il d'une voix sourde, nous avons des preuves flagrantes, irrécusables…



D'un geste impérieux, Mme de Claudieuse l'arrêta et, superbe de douleur, de dédain et de colère:



– Eh bien! s'écria-t-elle, produisez-les, ces preuves! Allez, faites, agissez, parlez! nous saurons si la vile calomnie d'un criminel peut entamer l'intacte réputation d'une honnête femme!… Nous verrons si de cette boue où vous vous débattez, une seuleéclaboussure jaillira jusqu'à moi!



Et jetant aux pieds du jeune avocat la lettre de Jacques, elle gagna la porte.



– Madame, dit encore maître Folgat, madame!



Elle ne daigna même pas tourner la tête, et elle disparut, le laissant seul au milieu du salon, siécrasé de stupeur qu'il en perdait jusqu'à la faculté de réfléchir.



Heureusement, le docteur Seignebos revenait.



– Par ma foi, commença-t-il, je ne me serais jamais imaginé que madame de Claudieuse prendrait si bien ma trahison… C'est exactement comme à l'ordinaire qu'elle vient, en vous quittant, de me demander comment j'ai trouvé son mari, ce matin, et ce qu'il y a à faire. Je lui ai répondu…



Mais le reste de sa phrase s'étouffa dans sa gorge; il s'apercevait enfin de l'attitude de maître Folgat.



– Ahç à! qu'avez-vous? interrogea-t-il.



Le jeune avocat le regardait de l'air d'un homme pris de vertige.



– J'ai, répondit-il, que je me demande si je veille ou si je rêve! J'ai que, si cette femme est coupable, son audace passe toute croyance.



– Comment, si… Enêtes-vous à douter de sa culpabilité?



Tout en maître Folgat trahissait le plus affreux découragement.

 



– Eh! le sais-je moi-même, dit-il, ne voyez-vous pas que je n'ai plus ma tête à moi, que je ne sais plus qu'imaginer ni que croire?



– Oh!…



– C'est ainsi! Et cependant, docteur, je ne suis pas un naïf, et depuis cinq ans que je plaide au criminel et que je fouille aux plus bas fonds des couches sociales, j'ai découvert d'étranges choses, rencontré des types inouïs etécouté d'effroyables confidences…



Le docteur, à son tour, était abasourdi, jusqu'à ce point d'oublier de tracasser ses lunettes d'or.



– Que vous a donc dit madame de Claudieuse? demanda-t-il.



– Je vous le répéterais, répondit maître Folgat, que vous n'en seriez pas plus avancé. Il vous eût falluêtre là, et la voir, et l'entendre!… Quelle femme!… Pas un des muscles de son visage ne tressaillait, sonœil restait limpide et clair, nulleémotion n'altérait le timbre de sa voix. Et de quel air elle me défiait!… Mais tenez, docteur, je vous en prie, sortons…



Ils sortirent, en effet, et déjà ilsétaient au tiers de la longue allée du jardin, lorsqu'ils aperçurent s'avançant vers eux l'aînée des filles de la comtesse de Claudieuse, rentrant, avec sa bonne, de la promenade.



M. Seignebos s'arrêta, et serrant le bras du jeune avocat et se penchant à son oreille:



– Attention! fit-il. La vérité se trouve dans la bouche des enfants, n'est-ce pas?



– Qu'espérez-vous? murmura maître Folgat.



– Éclaircir un point douteux… Silence, et laissez-moi faire.



Déjà la petite fille arrivait à eux. C'était une gracieuse enfant de huit à neuf ans, blonde, avec de beaux yeux bleus, grande pour sonâge, et qui avait presque toute l'intelligence d'une jeune fille, sans en avoir les timidités.



– Bonjour, ma petite Marthe, lui dit le docteur de sa plus douce voix, quiétait fort douce quand il voulait.



– Bonjour, messieurs, répondit-elle avec une jolie révérence.



Se penchant vers elle, M. Seignebos mit un bon baiser sur ses joues roses, puis la regardant:



– Mais tu as l'air toute triste, Marthe, ajouta-t-il.



– C'est que papa et ma petite sœur sont bien malades, monsieur, dit-elle avec un gros soupir.



– Et aussi parce que tu regrettes le Valpinson…



– Oh, oui!



– C'est cependant bien joli, ici, et tu as pour jouer un grand jardin.



Elle secoua la tête, et baissant la voix:



– C'est vrai que c'est joli, dit-elle, seulement… j'y ai peur.



– Et de quoi, ma mignonne?



Elle montra les statues, et toute frissonnante:



– Le soir, répondit-elle, à la brune, il me semble toujours qu'elles remuent, et je crois voir des personnes qui se cachent derrière les arbres, comme l'homme qui a voulu tuer papa…



– Il faut chasser ces vilaines idées, mademoiselle, interrompit maître Folgat.



Mais M. Seignebos ne le laissa pas poursuivre:



– Comment, Marthe, tu es si peureuse que cela! Je te croyais, au contraire, très brave… Ton papa m'avait affirmé que, la nuit de l'incendie du Valpinson, tu n'avais pasété effrayée du tout.



– Papa a dit la vérité.



– Et cependant, quand tu asété réveillée par les flammes, ce devaitêtre terrible…



– Oh! ce n'est pas les flammes qui m'ont réveillée, docteur.



– Pourtant, quand le feu aéclaté…



– Je ne dormais pas plus qu'en ce moment, docteur, parce que j'avaisété réveillée par le bruit de la porte que maman avait fermée très fort en rentrant.



Un même pressentiment terrible fit tressaillir le médecin et l'avocat.



– Tu dois te tromper, Marthe, reprit le docteur, ta maman n'était pas rentrée, au moment de l'incendie…



– Pardonnez-moi, monsieur…



– Non, tu te trompes…



La fillette se redressa, et de cette mine grave que prennent les enfants lorsqu'ils voient qu'on doute de leur parole:



– Je suis sûre de ce que je dis, insista-t-elle, et je me souviens très bien de tout. On m'avait couchée à l'heure ordinaire, et comme j'étais très lasse d'avoir joué, je m'étais endormie tout de suite… Pendant que je dormais, maman est sortie, mais en rentrant, elle m'a réveillée. Sitôt rentrée, elle est allée se pencher sur le lit de ma petite sœur, et elle l'a regardée un bon moment d'un air si triste que j'ai eu envie de pleurer. Après cela, elle est allée s'asseoir près de la fenêtre, et de mon lit, n'osant lui parler, je voyais de grosses larmes rouler le long de ses joues, quand un coup de fusil a retenti au-dehors…



C'est un regard d'angoisse qu'échangeaient maître Folgat et M. Seignebos.



– Ainsi, ma mignonne, insista le médecin, tu es bien certaine que ta mamanétait dans votre chambre, quand on a tiré un premier coup de fusil?



– Certainement, docteur. Et même, en l'entendant, maman s'est dressée toute droite, la tête penchée, comme quelqu'un quiécoute. Presque aussitôt, le second coup a retenti, maman a levé les bras en l'air, en s'écriant: «Ô mon Dieu!…», et tout de suite elle est sortie en courant.



Jamais sourire ne fut plus faux que celui que le docteur Seignebos, non sans un grand effort de volonté, maintenait sur ses lèvres.



– Tu as rêvé cela, Marthe…, fit-il.



Ce fut la bonne, jusque-là silencieuse, qui répondit:



– Mademoiselle ne rêvait pas, prononça-t-elle. Moi aussi, j'avais entendu les détonations, et j'avais ouvert la porte de ma chambre pour savoir ce que ce pouvaitêtre, quand j'ai vu madame traverser le palier en deux sauts et se lancer dans l'escalier…



– Oh! je ne discute pas, interrompit le docteur, du ton le plus indifférent qu'il put prendre, qu'importe cette circonstance.



Mais la fillette tenait à achever son récit:



– Maman partie, continua-t-elle, l'inquiétude me prit, et je me soulevai sur mon lit, prêtant l'oreille… Je ne tardai pas à entendre des bruits que je ne connaissais pas, des craquements et des pétillements, et aussi comme des cris dans le lointain. La peur me prenant, je sautai à terre, et je courus ouvrir la porte. Mais je faillisêtre renversée par un tourbillon de fumée et d'étincelles… Pourtant je ne perdis pas la tête. Je réveillai ma petite sœur, je la pris dans mes bras, et j'allais essayer de gagner l'escalier quand Cocoleu arriva comme un fou, qui nous enleva toutes deux et nous emporta…



– Marthe! cria une voix de la maison, Marthe!



L'enfant interrompit court son histoire.



– C'est maman qui m'appelle, dit-elle. (Et, faisant une belle révérence): Au revoir, messieurs…



Déjà Marthe avait disparu, que Seignebos et maître Folgat restaient encore plantés sur leurs pieds, se regardant d'un air de suprême détresse.



– Nous n'avons plus rien à faire ici, docteur, dit enfin le jeune avocat.



– En effet, rentrons, et même hâtons-nous, car on m'attend peut-être… Vous déjeunez avec moi…



Ils se retirèrent alors, la tête basse, et à ce point abîmés dans leurs réflexions qu'ils oubliaient de rendre les coups de chapeau qu'on leur tirait le long des rues, circonstance qui fut remarquée de plusieurs bourgeois.



En arrivant chez lui:



– Deux couverts, dit le docteur à son domestique, et monte une bouteille de vin de Médis… (Et lorsqu'il eut conduit l'avocat à son cabinet de travail): Maintenant, commença-t-il, que pensez-vous de l'aventure?



Maître Folgat eut un geste de douloureux abattement.



– Je m'y perds! murmura-t-il.



– Peut-on admettre que madame de Claudieuse ait fait le mot à sa fille?



– Non.



– Et à sa femme de chambre?



– Encore moins. Une femme de cette trempe ne se confie à personne; elle combat, triomphe ou succombe seule.



– Donc la bonne et l'enfant nous ont dit la vérité.



– Je le crois fermement.



– C'est ma conviction… Alors, elle n'est pour rien dans le meurtre de son mari?



– Hélas!



Ce que maître Folgat ne remarquait pas, c'est qu'un victorieux sourireéclairait la physionomie du docteur Seignebos. Il avait retiré ses lunettes d'or, et les essuyant vigoureusement:



– Si la comtesseétait innocente, reprit-il, Jacques serait donc coupable! Jacques nous aurait donc dupés tous…



Maître Folgat secouait la tête.



– De grâce, docteur, fit-il avec un effort, ne me pressez pas ainsi, laissez-moi me recueillir, rassembler mes idées. Je suisépouvanté de mes conjectures. Non, monsieur de Boiscoran ne nous a pas menti, et assurément madame de Claudieuse aété sa maîtresse. Non, il ne nous a pas trompés, et certainement le soir du crime, il a eu une entrevue avec la comtesse. Marthe ne nous a-t-elle pas dit que sa mèreétait sortie? Où allait-elle, sinon au rendez-vous? Seulement…



Il hésitait.



– Oh! allez, allez, dit le médecin, vous n'avez rien à craindre de moi…



– Eh bien, il se pourrait qu'après que madame de Claudieuse a eu quitté monsieur de Boiscoran, la fatalité s'en fût mêlée. Monsieur de Boiscoran nous a conté comment les lettres qu'il brûlait s'étaient enflammées tout à coup, avec une telle violence qu'il en avaitété effrayé. Qui nous dit qu'une flammèche emportée par le vent n'a pas mis le feu aux paillers! Tirez les conséquences. Au moment de se retirer, monsieur de Boiscoran aperçoit ce commencement d'incendie; il court essayer de l'éteindre; ses efforts sont inutiles, la flamme gagne de proche en proche, elle grandit, elle illumine déjà toute la façade du château… À ce moment, monsieur de Claudieuse sort… Monsieur de Boiscoran se croit surpris, il voit ses amours dévoilées, son mariage rompu, sa vie manquée, son avenir brisé, son bonheur anéanti… Il perd la tête, il ajuste le comte, il fait feu et s'enfuitéperdu… Et ainsi s'explique la maladresse des coups et aussi cette circonstance jusqu'ici inexplicable d'un assassinat tenté avec du plomb de chasse…



– Malheureux! interrompit le docteur.



– Quoi! Qu'ai-je dit?



– Gardez-vous de jamais répéter ceci. Telle est l'effroyable vraisemblance de votre hypothèse que, si elle s'ébruitait, vous ne trouveriez plus personne pour vous croire le jour où vous direz la vérité.



– La vérité!… Vous pensez donc que je m'abuse?



– Positivement. (Et rajustant ses lunettes): Ce que je ne pouvais admettre, reprit M. Seignebos, c'était que madame de Claudieuse eût de sa main fait feu sur son mari… J'avais raison. Elle n'a pas commis le crime, matériellement, elle l'a seulement commandé…



– Oh!…



– Serait-elle donc la première? Voilà mon hypothèse, à moi: avant de rejoindre Jacques au rendez-vous, madame de Claudieuse avait pris son parti et combiné ses mesures. L'assassinétait à son poste. Si elle eût réussi à ramener Jacques, le complice désarmait son fusil et allait tranquillement se coucher. N'ayant pu obtenir que Jacques renonçât à son mariage, résolue à se faire libre pour l'empêcher, elle a donné le signal, l'incendie aété allumé et on a tiré sur le comte.



Le jeune avocat ne semblait pas absolument convaincu.



– En ce cas, il y aurait eu préméditation, objecta-t-il, et alors, comment le fusil n'était-il chargé que de cendrée?



– C'est que le complice manquait d'intelligence…



Encore bien qu'il eût prévu où tendait le docteur, maître Folgat se dressa vivement.



– Toujours Cocoleu! fit-il.



Du bout du doigt, M. Seignebos se toucha le front.



– Quand une idée est entrée là, répondit-il, elle y est solidement fixée… Oui, madame de Claudieuse a un complice, et ce complice est Cocoleu. Et si l'intelligence lui a fait défaut, vous voyez jusqu'où ce misérable idiot pousse le dévouement et la discrétion…



– Si vous dites vrai, docteur, jamais nous n'aurons la clef de cette affaire, car jamais Cocoleu ne parlera…



– Ne jurez de rien. On m'a proposé un expédient…



Il fut interrompu par l'entrée brusque de son domestique.



– Monsieur, lui dit ce brave garçon, il y a en bas un gendarme qui vous amène un individu qu'il faudrait faire admettre d'urgence à l'hôpital.



– Qu'ils montent, répondit le médecin. (Et pendant que le domestique courait remplir la commission): Voilà mon expédient, maître Folgat, dit M. Seignebos. Attention…



Un pas pesantébranlait déjà l'escalier, et presque aussitôt un gendarme parut, qui, d'une main, tenait un violon, et de l'autre aidait à marcher un pauvre diable.



«Goudar!»faillit s'écrier maître Folgat.



C'était Goudar, en effet, mais en quelétat! Les vêtements déchirés et tachés de boue, pâle, l'œil hagard, la barbe et les lèvres souillées d'uneécume blanchâtre.



– Voilà l'histoire, major, prononça le gendarme. Ce particulier jouait du violon dans la cour de la caserne, et nousétions plusieurs aux fenêtres quand, tout à coup, nous l'avons vu tomber par terre et se rouler, et se tordre, et se débattre en hurlant et enécumant comme un loup enragé. Nous l'avons ramassé, soigné, et je vous l'amène pour savoir…



– Laissez-nous seuls avec lui, ordonna le médecin.

 



Le gendarme sortit, et la porte fermée:



– Quel métier! s'écria Goudar d'un