Za darmo

La corde au cou

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Cheminot n'était pas le premier venu. Il se flattait d'être connu tout le long de la côte, depuis Royan jusqu'à Fouras, et dans une bonne partie du département, plus loin que Rochefort et que Sauveterre. Et ce qu'il y a de plus surprenant, c'est qu'on ne lui en voulait pas trop de sa paresse. Les ménagères de campagne le saluaient bien d'un: «Que cherches-tu par ici, fainéant!…», mais elles ne lui refusaient guère uneécuellée de soupe sur un coin de table et un verre de vin blanc.

Sa bonne humeur inaltérable et son obligeance expliquaient cette indulgence. Ce garçon, qui refusait des journées bien payées, était toujours prêt à donner gratis un solide coup de main. Et ilétait bon à tout – sur terre et sur mer, disait-il. Et, en effet, c'est à lui que s'adressait indifféremment le fermier dont la besogne pressait, ou le patron de bateau pêcheur qui avait un de ses hommes malade.

Le diable, c'est que cette existence de gueuserie rustique, si elle a ses bons jours, a ses mauvaises séries. Par certaines semaines, on ne rencontre ni ivrognes bon enfant, ni fermières hospitalières. La faim, elle, vient toujours. Alors, il faut marauder, déterrer des pommes de terre qu'on fait cuire au coin d'un bois, ou secouer les arbres des vergers. Et si en pleins champs on ne trouve ni fruits ni pommes de terre, dame! on force les clôtures ou on escalade les murs… Relativement, Cheminotétait un honnête garçon et incapable de voler une pièce d'argent. Mais des légumes, des volailles, des fruits… Voilà comment deux fois déjà il avaitété arrêté et condamné à quelques jours de prison, et à chaque fois il avait juré ses grands dieux qu'on ne l'y reprendrait plus et qu'il allait se remettre à l'ouvrage. Et, cependant, on l'y avait repris…

Ce pauvre diable avait raconté ses infortunes à Jacques. Et Jacques, qui lui devait d'avoir pu, étant au secret, recevoir des nouvelles de Mlle Denise, l'avait pris en affection.

Aussi, le voyant arriver, respectueusement, son bonnet à la main:

– Qu'est-ce, Cheminot? lui demanda-t-il.

– Monsieur, répondit le vagabond, monsieur Blangin vous fait savoir que messieurs vos avocats viennent de monter à votre chambre.

Une dernière fois le marquis de Boiscoran embrassa son fils.

– Ne les fais pas attendre, lui dit-il, va, et bon courage…

23. Le marquis de Boiscoran avait dit vrai…

Le marquis de Boiscoran avait dit vrai. Fortementébranlé déjà par le récit de Mlle Denise, maître Magloire avaitété définitivement vaincu par les explications de maître Folgat, et il arrivait à la prison prêt à répondre de l'innocence de Jacques.

– Mais je doute fort qu'il me pardonne mon incrédulité, disait-ilà maître Folgat pendant qu'ils attendaient le prisonnier dans sa cellule.

Jacques entrait, sur ces mots, toutému encore du dernier embrassement de son père. Maître Magloire s'avança vers lui.

– Je n'ai jamais su déguiser ma pensée, Jacques, prononça-t-il. Vous croyant coupable, et persuadé que vous accusiez faussement la comtesse de Claudieuse, je vous l'ai dit franchement, brutalement même. Revenu de mon erreur et convaincu de la sincérité de votre relation, non moins simplement je viens vous dire: Jacques, j'ai eu tort de croire à la réputation d'une femme plus qu'à la parole d'un ami. Voulez-vous me donner la main?

C'est avec un transport de joie que le prisonnier serra cette main loyale qui luiétait offerte.

– Puisque vous croyez à mon innocence, s'écria-t-il, d'autres peuvent y croire, l'heure du salut est proche!

Au visage attristé des deux avocats, il comprit qu'il se réjouissait trop tôt. Ses traits se contractèrent, mais c'est d'une voix ferme qu'il dit:

– Allons, je vois que la lutte sera longue encore, et que l'issue en est toujours incertaine… N'importe! soyez sûrs que je ne faiblirai pas…

Déjà maître Folgat avaitétalé sur la table de la prison tous les papiers de son portefeuille, des copies qui lui avaientété fournies par Méchinet et les notes de son rapide voyage.

– Avant tout, mon cher client, commença-t-il, je dois vous mettre au fait de mes démarches.

Et lorsqu'il eut exposé jusqu'en ses moindres détails son expédition en compagnie de Goudar:

– Résumons la situation, dit-il. Nous sommes dès aujourd'hui en mesure de prouver trois choses: 1° que la maison de la rue des Vignes vous appartient et que le sir Francis Burnett qu'on y connaît n'est autre que vous; 2° que vous receviez dans cette maison la visite d'une dame qui, à en juger par les précautions qu'elle prenait, avait un puissant intérêt à se cacher; 3° que les visites de cette dame n'avaient lieu qu'à une certaineépoque, chaque année, laquelle coïncidait précisément avec celle des voyages à Paris de la comtesse de Claudieuse.

De la tête, le célèbre avocat de Sauveterre acquiesçait.

– Oui, dit-il, tout ceci est définitivement acquis au procès.

– Pour nous-mêmes, continua son jeune confrère, nous avons une certitude nouvelle, c'est que la servante du faux sir Francis Burnett, Suky Wood, aépié la mystérieuse visiteuse et l'a vue, et par conséquent la reconnaîtrait.

– Parfaitement. Cela résulte de la déposition de l'amie de cette fille.

– Donc, si nous retrouvons Suky Wood, la comtesse de Claudieuse est démasquée…

– Si nous la retrouvons! fit maître Magloire. Et ici, malheureusement, nous rentrons dans le domaine de l'hypothèse…

– Hypothèses, soit, interrompit maître Folgat, mais basées sur des faits positifs et dont cent exemples confirment la probabilité. Pourquoi donc ne retrouverions-nous pas cette Suky, dont nous connaissons le lieu de naissance et la famille, et qui n'a aucune raison de se cacher? (Et s'animant à mesure qu'ilénumérait les chances favorables): Goudar en a retrouvé bien d'autres, poursuivait-il, et Goudar est avec nous. Et soyez tranquille, il ne s'endormira pas. J'ai laissé tomber dans son cœur un espoir qui lui fera faire des miracles, l'espoir de recevoir en récompense du salut de monsieur de Boiscoran la maison de la rue des Vignes. Trop magnifique est l'enjeu pour qu'il ne gagne pas cette partie, lui qui en a tant gagné. Qui sait ce qu'il a trouvé, depuis qu'il m'a quitté! Qui peut dire ce qu'il découvrira ici! N'est-ce donc rien, ce qu'il a fait en une journée?…

– C'est immense! s'écria Jacques, émerveillé des résultats obtenus.

Plus vieux que maître Folgat et que Jacques, le premier avocat de Sauveterreétait moins prompt à l'enthousiasme.

– Oui, c'est immense, répéta-t-il, et si nous avions du temps devant nous, je dirais avec vous: nous l'emportons. Mais le temps manque pour les investigations de Goudar; mais la session est proche, et obtenir la remise de l'affaire me semble bien difficile…

– Et d'ailleurs je ne veux pas de remise, moi, interrompit Jacques.

– Cependant…

– À aucun prix, Magloire, jamais! Quoi!… il me faudrait endurer trois mois encore les angoisses qui me torturent!… Je ne le pourrais pas, mes forces sont à bout!… Assez d'incertitudes comme cela! Il faut en finir…

D'un geste, maître Folgat l'arrêta.

– Ne vous débattez pas, fit-il, obtenir une remise est impossible. Quel prétexte invoquerions-nous, pour la demander? L'insuffisance de l'instruction? En l'état, l'enquête est irréprochable. Il nous faudrait introduire dans l'affaire unélément nouveau, c'est- à-dire nommer madame de Claudieuse…

Une immense surprise se peignit sur le visage de Jacques.

– Ne la nommerez-vous donc pas quand même? interrogea-t-il.

– Cela dépend.

– Je ne vous comprends pas…

– C'est bien simple, cependant. Si, avant les délais, Goudar réunissait contre elle deséléments suffisants d'accusation, oui, je la nommerais, et alors fatalement l'affaire serait retirée du rôle, et l'on recommencerait une instruction où, très probablement, vous n'interviendriez qu'en qualité de témoin. Si, au contraire, avant le jour du jugement, nous ne recueillons pas contre elle d'autres preuves que celles que nous possédons, non, je ne la nommerais pas, car ce serait, et tel est l'avis de maître Magloire, perdre irrémissiblement votre cause…

– Oui, telle est mon opinion, approuva le vieil avocat.

La stupeur de Jacques n'avait plus de bornes.

– Cependant, fit-il, pour ma défense, si je passe en cour d'assises, il faudra bien parler de mes relations avec madame de Claudieuse…

– Non.

– Mais elles expliquent tout…

– Si on les admet…

– Prétendez-vous donc me défendre, espérez-vous donc me sauver en ne disant pas la vérité?

Maître Folgat secouait la tête.

– En cour d'assises, prononça-t-il, la vérité est la moindre des choses…

– Oh!…

– Les jurés admettraient-ils des allégations que n'a point admises maître Magloire, votre ami? Non. N'en parlons donc pas, et ne songeons qu'à trouver une explication admissible aux charges relevées contre vous. Croyez-vous que nous serons les premiers à agir ainsi? Nullement. Il est peu de cause où le ministère public dise tout ce qu'il sait, et il en est moins encore où le défenseur invoque tout ce qu'il pourrait invoquer. Sur dix procès criminels, il en est au moins trois qui se plaident à côté. Que sera le réquisitoire prononcé contre vous? Le résumé du roman imaginé par le juge d'instruction pour démontrer que vousêtes coupable. Opposez-lui un autre roman qui prouve que vousêtes innocent!

– La vérité, pourtant…

– Est primée par la vraisemblance, mon cher client. Interrogez maître Magloire. C'est de la vraisemblance seule que s'inquiète l'accusation; donc, la vraisemblance doitêtre l'unique souci de la défense. Faillible et bornée en ses moyens, la justice humaine ne saurait descendre au fond des choses, discerner les mobiles et sonder les consciences. C'est sur des probabilités qu'elle décide, sur des apparences, et il n'est guère d'affaire qui ne garde pour elle des côtés mystérieux et inexplorés. Je n'en finirais pas si je vousénumérais lesénigmes judiciaires. A-t-on su jamais le dernier mot de l'assassinat de Fualdès, du meurtre Marcellange et de l'empoisonnement Bocarmé? Non, et on ne le saura jamais. A-t-on tout dit lors du procès Lafarge, a-t-on parlé du complice qui, évidemment, existait!… La vérité!… Vous imaginez-vous que monsieur Galpin-Daveline l'a cherchée! Si oui, que ne laisse-t-il comparaître Cocoleu? Mais non, du moment où, pour le crime commis, il produit un coupable probable, il est content. La vérité!… Qui donc de nous la sait! Votre affaire, monsieur de Boiscoran, est de celles dont ni l'accusation, ni la défense, ni l'accusé lui-même ne possèdent le secret.

 

Un long silence suivit, si profond qu'on put entendre le pas monotone du soldat de la ligne de faction sous les fenêtres de la prison.

Maître Folgat avait dit tout ce qu'il estimait pouvoir dire. Il eût cru, en insistant davantage, assumer une responsabilité trop lourde. C'était de Jacques que l'honneur et la vieétaient en question. C'était à Jacques à décider du système de défense. Peser sur sa décision, c'était, en cas d'insuccès possible, sinon probable, s'exposer à ce qu'il s'écriât: «Que ne m'a-t-on laissé libre, je n'en serais pas là!»

Et pour bien indiquer cette nuance:

– Le conseil que je vous donne, mon cher client, prononça-t-il, est, selon moi, le meilleur, et c'est celui que je donnerais à mon frère. Je ne puis dire, malheureusement, qu'il soit infaillible. À vous donc de choisir. Quelle que soit votre détermination, je reste à vos ordres…

Jacques ne répondit pas. Les coudes sur la table, le front entre les mains, il demeurait aussi immobile qu'une statue, abîmé en ses réflexions.

Que résoudre? Suivre son premier mouvement, déchirer tous les voiles, clamer la vérité! C'était chanceux, mais quel triomphe que de réussir ainsi! Adopter le système de ses avocats, manœuvrer, ruser, mentir… C'était plus sûr, mais l'emporter de la sorte, était-ce vaincre?

Les perplexités de Jacquesétaient affreuses. Il ne le sentait que trop: du parti qu'il allait prendre pouvait dépendre sa destinée.

Tout à coup, redressant la tête:

– Votre avis, Magloire? demanda-t-il.

Le célèbre avocat de Sauveterre fronça les sourcils, et d'un ton bourru:

– Tout ce que vient de vous dire mon jeune confrère, répondit-il, j'ai eu l'honneur de l'exposer à madame votre mère. Maître Folgat n'a eu qu'un tort, c'est d'y mettre tant de ménagements. Le médecin n'a pas à s'inquiéter de ce que pense le malade, des remèdes qu'il lui prescrit. Il se peut que nos prescriptions ne soient pas le salut, mais si vous ne les suivez pas, vousêtes perdu sûrement.

Quelques minutes encore, Jacques hésita. Ces prescriptions, comme disait maître Magloire, répugnaient horriblement à son caractère chevaleresque et hardi.

– Être acquitté ainsi, murmurait-il, serait-ce bien l'être? Serais-je réellement, et pour tous, disculpé?… Toute mon existence, ensuite, ne serait-elle pas flétrie par de vagues soupçons… Je ne serais pas sorti des débats le front haut, je me serais esquivé en quelque sorte par un escalier de service et une porte dérobée…

– Cela vaut encore mieux que d'aller au bagne par la grande porte! dit brutalement maître Magloire.

À ce mot de bagne, Jacques avait bondi comme au contact d'une batterieélectrique. Il se leva, et après quelques tours dans sa prison, se posant en face de ses défenseurs:

– Je m'abandonne à vous, messieurs, prononça-t-il Dictez-moi ma conduite, j'obéirai…

Jacques avait du moins les qualités de ses défauts: une résolution prise, il ne revenait plus sur celles qu'il eût pu prendre.

Calme, désormais, et de sang-froid, il s'assit, et avec un sourire triste:

– Voyons le plan de bataille, dit-il.

Ce plan, depuis un mois, était la constante et presque unique préoccupation de maître Folgat. Tout ce qu'il avait d'intelligence, de pénétration et de pratique des affaires, il l'avait appliqué à disséquer cette cause devenue sienne, en quelque sorte, par l'intérêt passionné qui l'y attachait. Il connaissait la tactique de l'accusation aussi bien que M. Galpin-Daveline, et mieux que lui il en savait le fort et le faible.

– Ainsi donc, commença-t-il, nous allons procéder comme si madame de Claudieuse n'existait pas. Nous ne la connaissons plus. Il n'est plus question du rendez-vous au Valpinson, ni de lettres brûlées…

– C'est convenu.

– Celaétant, nous avons tout d'abord à chercher, non l'emploi de notre temps, mais l'explication de notre sortie le soir du crime. Ah! si nous en pouvions imaginer une plausible, bien vraisemblable, je répondrais presque du succès, car ne nous y méprenons pas, là est le nœud de l'affaire, et c'est sur ce point que s'acharneront les débats.

C'est ce dont Jacques ne semblait pas parfaitement convaincu.

– Est-ce bien possible! fit-il.

– Ce n'est que trop certain, malheureusement. Et si je dis malheureusement, c'est que nous avons ici contre nous une charge terrible, la plus décisive, à coup sûr, qui aitété relevée, sur laquelle monsieur Galpin-Daveline n'a pas insisté – il est bien trop fin pour cela – mais qui, entre les mains du ministère public, peutêtre l'arme du coup de grâce…

– Je dois avouer, commença Jacques, que je ne vois pas trop…

– Oubliez-vous donc la lettre que vous avezécrite à mademoiselle Denise le jour du crime? interrompit maître Magloire.

Alternativement, Jacques regardait ses deux défenseurs.

– Quoi, fit-il, cette lettre…

– Nous accable, mon cher client, acheva maître Folgat. Ne vous la rappelez-vous donc plus? Vous y dites à votre fiancée que vous serez privé du bonheur de passer la soirée près d'elle par une affaire de la plus haute importance et qui ne souffre point de retard. Donc, d'avance, et après mûres réflexions, vous vous proposiez d'employer votre soirée à une certaine chose. Quelle? L'assassinat de monsieur de Claudieuse, prétend l'accusation. Que lui répondrons-nous?

– Mais, pardon, cette lettre, mademoiselle Denise ne l'a certainement pas communiquée.

– Non, mais l'accusation sait son existence. Monsieur de Chandoré et monsieur Séneschal, croyant vous disculper, en ont dit et redit le contenu. Et monsieur Galpin-Daveline la connaît si bien qu'il vous en a parlé à diverses reprises, et que vous avez avoué tout ce qu'il pouvait souhaiter.

Le jeune avocat cherchait parmi les papiersétalés sur la table. Bientôt il eut trouvé.

– Tenez, reprit-il, dans votre troisième interrogatoire, voici ce que je lis:

DEMANDE. – Vous deviezépouser prochainement mademoiselle de Chandoré?

R ÉPONSE . – Oui.

D. – Vous passiez près d'elle, depuis assez longtemps, toutes vos soirées?

R. – Toutes.

D. – Sauf celle du crime, cependant.

R. – Malheureusement.

D. – Celaétant, votre fiancée a dû s'étonner de votre absence?

R. – Non, je lui avaisécrit…

Entendez-vous, Jacques? s'écria maître Magloire. Et remarquez que monsieur Daveline se garde bien d'insister. Il craint de vous donner l'éveil. Il a obtenu un aveu, cela lui suffit.

Mais déjà maître Folgat avait cherché et trouvé une autre copie.

– Dans votre sixième interrogatoire, continua-t-il, voilà ce que j'ai noté:

D. – Ainsi, c'est sans but arrêté que, le soir du crime, vousêtes sorti emportant votre fusil?

R. – Je m'expliquerai sur ce sujet lorsque j'aurai consulté mon défenseur.

D. – Il n'est pas besoin de consultation pour dire la vérité.

R. – Rien ne me fera revenir sur ma détermination.

D. – Alors, pas plus qu'hier, vous ne direz où vousêtes allé de huit heures à minuit?

R. – Je répondrai à cette question en même temps qu'à l'autre.

D. – Il vous fallait un motif bien grave pour vous retenir dehors, car vous vous saviez attendu par votre fiancée, mademoiselle de Chandoré?

R. – Je lui avaisécrit de ne pas m'attendre.

– Ah! Galpin-Daveline est un habile mâtin! grommela maître Magloire.

– Enfin, reprit maître Folgat, voici un passage de l'avant-dernier interrogatoire:

D. – Quand vous aviez une commission à faire à Sauveterre, à qui aviez-vous coutume de la confier?

R. – Au fils de mon métayer, Michel.

D. – Alors, c'est lui qui, le soir du crime, a porté à mademoiselle de Chandoré la lettre que vous luiécriviez pour lui dire de ne pas compter sur vous?

R. – Oui.

D. – Vous vous prétendiez retenu par quelque grave affaire?

R. – C'est le prétexte ordinaire.

D. – Mais, de votre part, ce n'était pas un prétexte. Où aviez-vous à aller, oùêtes-vous allé?

R. – Tant que je n'aurai pas vu mon défenseur, je me tairai.

D. – Prenez garde! le système de dénégations et de réticences est périlleux!

R. – J'en connais et j'en accepte le danger.

Jacquesétait confondu. Et fatalement, il en est ainsi de tout accusé auquel on représente le procès-verbal de ses interrogatoires. Pas un qui ne s'écrie: «Quoi! j'ai dit cela, moi!»Il l'a dit, et il n'y a pas à le nier, c'estécrit et il l'a signé. Comment donc l'a-t-il pu dire?… Ah! voilà!… Si fort que soit un homme, il ne saurait, durant des mois entiers, tendre au même degré toutes ses facultés et toute sonénergie. Il a ses heures d'accablement et ses heures d'espérance, ses accès de révolte et ses moments d'abandon…

Et l'impassible juge d'instruction profite de tout. Innocent ou coupable, il n'est pas de prévenu qui puisse lutter. Si prodigieuse que puisseêtre sa mémoire, comment se rappellerait-il une réponse inoffensive qui a des semaines de date! Le juge, lui, l'a recueillie, et vingt fois, s'il le faut, il la représentera sous une forme nouvelle. Et de même que l'impalpable flocon de neige devient l'irrésistible avalanche, le mot insignifiant prononcé au hasard, abandonné, puis repris, puis développé, commenté et interprété, peut devenir une chargeécrasante.

Il faut avoir passé par là, il faut avoirété l'accusé ou le juge pour comprendre combien inégale est la partie, pour comprendre que les dispositions de la loi ne sontéquitables que si le prévenu est coupable, et qu'en définitive il s'en faut bien que l'innocence trouve autant de protection que le crime.

Voilà ce que Jacques constata. Si habilement et à de si longs intervalles lui avaientété posées ces questions qu'il les avait oubliées; et cependant, rapprochant ses réponses, il lui fallait bien reconnaître que très positivement il avait avoué qu'il se proposait de consacrer à une affaire importante la soirée du crime.

– C'estépouvantable! s'écria-t-il. (Et pénétré de l'affreuse réalité des appréhensions de maître Folgat, il ajouta): Comment sortir de là?

Peut-être les défenseurs, maître Magloire surtout, ne furent-ils pas mécontents de cet effroi qui leur garantissait la docilité de Jacques.

– Je vous l'ai dit, répondit maître Folgat, il faut trouver une explication plausible.

– C'est ce dont je me déclare incapable.

Le jeune avocat parut rassembler ses souvenirs; puis:

– Vousêtes prisonnier, monsieur, reprit-il, et j'étais libre. Depuis un mois que je médite un système de défense, je me suis préoccupé de ce point, qui en est la base…

– Ah!…

– Où devait se célébrer votre mariage?

– Chez moi, à Boiscoran.

– Où devait avoir lieu la cérémonie religieuse?

– À l'église de Bréchy.

– En avez-vous parlé au curé?

– Plusieurs fois. Et même, à ce sujet, un jour, en plaisantant, il m'a dit: «Je vais enfin vous tenir dans mon confessionnal!»

Maître Folgat eut comme un tressaillement de joie qui n'échappa pas à Jacques.

– Donc, poursuivit-il, le curé de Bréchyétait votre ami?

– Assez intime, oui. Il venait quelquefois me demander à dîner, sans façon, et jamais je ne passais près de chez lui sans entrer lui serrer la main…

La satisfaction du jeune avocatétait devenue tout à fait visible.

– Décidément, s'écria-t-il, mon explication n'est pas invraisemblable! Écoutez, et croyez que je suis parfaitement sûr de mes informations. De neuf à onze heures, le soir du crime, il n'y avait personne au presbytère de Bréchy. Le curé dînait au château de Besson, et sa servanteétait allée au-devant de lui avec une lanterne…

– Compris! murmura maître Magloire.

– Pourquoi, mon cher client, continua maître Folgat, pourquoi ne seriez-vous pas allé chez le curé de Bréchy? D'abord, vous aviez à vous entendre avec lui sur les détails de la cérémonie, puis, comme il est votre ami, homme d'expérience, prêtre, vous vouliez, au moment de vous marier, prendre ses conseils, et enfin, vous vous proposiez de remplir ce devoir religieux dont il vous avait parlé, et qui vous répugnait un peu.

 

– Bon, cela! approuvait le célèbre avocat de Sauveterre, très bon!

– Donc, poursuivait le jeune avocat, c'est pour aller chez le curé de Bréchy, mon cher client, que vous vousêtes privé du bonheur de passer la soirée près de votre fiancée. Voyons comment cela répond aux charges de l'accusation. On vous demande en premier lieu pourquoi vous avez pris par les marais. Pourquoi? C'est que c'est de beaucoup le chemin le plus court, et que vous aviez peur de trouver le curé de Bréchy couché. Rien de plus naturel, car il est bien connu que cet excellent homme a l'habitude de se mettre au lit dès neuf heures. Cependant, c'est en vain que vous vousêtes hâté, car lorsque vous avez frappé à la porte du presbytère, personne n'est venu vous ouvrir…

D'un geste, maître Magloire interrompit son jeune confrère.

– Jusqu'ici, dit-il, très bien. Mais là, une invraisemblance se présente. Jamais, pour revenir de Bréchy à Boiscoran, personne ne s'avisera d'aller prendre par les bois de Rochepommier. Si vous connaissiez le pays…

– Je le connais pour l'avoir soigneusement exploré. Et la preuve, c'est que, prévoyant votre objection, j'y ai trouvé une réponse. Pendant que monsieur de Boiscoran frappait à la porte du presbytère, une petite paysanne, qu'il ne connaît pas, est passée et lui a dit qu'elle venait de rencontrer le curé sur la route, près de l'endroit qu'on appelle la Cafourche des Maréchaux. La situation du presbytère, isolé à l'entrée du bourg, rend très admissible cet incident. Pour ce qui est du curé, voici que le hasard m'a révélé: précisément à l'heure où monsieur de Boiscoran pouvaitêtre à Bréchy, un prêtre passait près de la Cafourche des Maréchaux, et ce prêtre, auquel j'ai parlé, est le desservant d'une commune voisine, qui dînait chez monsieur de Besson, lui aussi, et qu'onétait allé chercher pour administrer une femme qui se mourait… La petite paysanne ne mentait donc pas, elle se trompait…

– Étonnant! fit maître Magloire.

– Cependant, poursuivit maître Folgat, qu'a fait monsieur de Boiscoran, ainsi averti?… Il s'est lancé sur cette route et, croyant aller à la rencontre du curé, il a marché jusqu'au bois de Rochepommier. Reconnaissant enfin que, volontairement ou non, la petite paysanne l'avait induit en erreur, il s'est décidé à regagner Boiscoran par les bois… Mais ilétait de très mauvaise humeur d'avoir perdu ainsi une soirée qu'il eût pu passer près de sa fiancée, et c'est pour cela qu'il pestait et jurait, ainsi que l'a déclaré le témoin Gaudry…

Le célèbre avocat de Sauveterre secouait la tête.

– C'est ingénieux, prononça-t-il, je le reconnais, et j'avoue en toute humilité que jamais je n'aurais trouvé aussi bien. Seulement… car il y a un seulement, mon cher confrère, votre récit pèche par son admirable simplicité même. L'accusation vous répondra: «Si telle est la vérité, comment monsieur de Boiscoran ne l'a-t-il pas dite immédiatement, et qu'avait-il besoin, pour la dire, de consulter ses défenseurs?…»

À la contraction des traits de maître Folgat, on devinait l'effort de sa pensée.

– Je ne le sais que trop, répondit-il, là est le défaut de la cuirasse… Défaut considérable, car il est bien clair que si, le jour de son arrestation, monsieur de Boiscoran eût donné cette explication, on le relâchait. Mais comment trouver mieux!… Comment trouver seulement autre chose!… Ce n'est là d'ailleurs que le premier jet de mon idée, et c'est la première fois que je la formule… Aidé de vous, maître Magloire, de Méchinet, auquel je dois mes plus précieux renseignements, aidé de tous nos amis, enfin, je ne désespère pas d'ajouter à mon récit quelque particularité mystérieuse qui explique un peu les réticences de monsieur de Boiscoran… J'avais bien pensé à y faire intervenir la politique, à prétendre qu'en raison des opinions qu'on lui suppose, monsieur de Boiscoran tenait à dissimuler ses relations avec le curé de Bréchy…

– Oh! ce serait du plus détestable effet! interrompit maître Magloire. Nous ne sommes pas religieux, à Sauveterre, mais nous sommes dévots, confrère, excessivement dévots…

– Aussi ai-je renoncé à mon idée.

Silencieux et jusque-là immobile, Jacques se dressa tout à coup.

– N'est-il pas prodigieux, s'écria-t-il d'un accent de rage concentrée, n'est-il pas inouï de nous voir ici réduits à combiner un mensonge! Et je suis innocent!… Que serait-ce de plus si j'étais assassin!

Jacques avait raison mille fois: c'était quelque chose de monstrueux que cette nécessité où il se trouvait de taire la vérité.

Pourtant ses défenseurs ne relevèrent pas l'exclamation, absorbés qu'ilsétaient par l'examen minutieux du système de défense.

– Abordons les autres points de l'accusation, fit maître Magloire.

– Si ma versionétait admise, répondit maître Folgat, le reste irait tout seul. Mais le sera-t-elle?… Le jour où on est venu l'arrêter, cherchant un prétexte à sa sortie de la veille, monsieur de Boiscoran a dit qu'il allait à Bréchy chez son marchand de bois… Imprudence désastreuse! Voilà le danger! Quant au reste, qu'est-ce en somme?… L'eau où monsieur de Boiscoran s'est lavé les mains en rentrant, et où on a retrouvé des débris de papier carbonisé… Nous n'avons qu'à altérer légèrement la vérité pour l'expliquer. Nous n'avons qu'à dire ce qu'a fait réellement monsieur de Boiscoran, en attribuant son action à un autre motif. Monsieur de Boiscoran est un fumeur déterminé, n'est-ce pas?… Pour son excursion à Bréchy, il s'était muni d'une provision de cigarettes, mais il n'avait pas pris d'allumettes… Et ceci n'est pas une allégation en l'air. Nous fournissons des preuves, nous produisons des témoins. Si nous n'avions pas d'allumettes, c'est que la veille nous avons oublié chez monsieur de Chandoré la boîte que nous portons habituellement sur nous, que tout le monde nous connaît, et qui depuis est restée sur la cheminée du petit salon de mademoiselle Denise, où elle est encore… Donc, nous n'avions pas d'allumettes, et nousétions déjà loin de Boiscoran quand nous nous en sommes aperçus. Fallait-il donc ou nous passer de fumer ou retourner sur nos pas?… Non! Nous avions notre fusil et nous connaissons le procédé qu'emploient tous les chasseurs en pareille occurrence. Nous avons retiré la charge de plomb d'une de nos cartouches et, en enflammant la poudre, nous avons enflammé un morceau de papier… C'est une opération qu'il est impossible de réussir sans se salir et se noircir les mains. Comme nous l'avons répétée plusieurs fois, nous avions les mains très sales et très noires, et les ongles pleins de débris de papier brûlé…

– Ah! cette fois, s'écria le célèbre avocat de Sauveterre, bravo!

Son jeune confrère s'animait. Et toujours employant le «nous», qui est dans les habitudes du barreau:

– Cette eau, d'ailleurs, poursuivit-il, cette eau que vous nous reprochez, est le plus magnifique témoignage moral de notre innocence. Incendiaire, nous l'eussions jetée avec la précipitation que met le meurtrier à effacer de ses habits les taches de sang qui le dénoncent…

– Très bien encore! approuva maître Magloire.

– Et vos autres charges, continua maître Folgat, comme s'il eûtété à l'audience et se fût adressé au ministère public, vos autres charges sont toutes de cette valeur. Notre lettre à mademoiselle Denise, pourquoi l'invoquez-vous? Parce que, selon vous, elleétablit notre préméditation… Ah! ici je vous arrête. Sommes-nous donc stupide et dénué du plus vulgaire bon sens? Telle n'est pas notre réputation… Quoi! préméditant un crime, nous ne nous serions pas dit que nous pouvionsêtre découvert, et nous ne nous serions pas ménagé un alibi! Quoi! nous serions parti de chez nous avec l'intention bien arrêtée d'aller tuer un homme, et c'est avec du plomb de lièvre et de la cendrée que nous aurions chargé notre fusil!… En vérité, vous nous faites la défense trop facile, car votre accusation ne soutient pas l'examen…

Du geste, vivement, Jacques à son tour approuvait.

– Voilà, interrompit-il, ce que je n'ai cessé de répéter à Daveline, et ce à quoi il ne trouvait rien à répondre… C'est sur ce point qu'il faut insister!

Maître Folgat consultait ses notes.