Za darmo

La corde au cou

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Le docteur n'en voulut pasécouter davantage.

– Arguties d'avocat, que tout cela! s'écria-t-il assez peu poliment. Je ne connais qu'une chose, moi, la vérité…

– Elle n'est pas toujours bonne à dire, murmura l'avocat.

– Si, monsieur, toujours! riposta le médecin, toujours et quand même, et quoi qu'il puisse arriver. Je suis l'ami de monsieur de Boiscoran, mais je suis encore plus l'ami de la vérité. Si Cocoleu est un misérable fourbe, comme j'en ai la conviction, notre devoir est de le démasquer.

Ce que ne disait pas M. Seignebos – et peut-être ne se l'avouait-il pas —, c'est que c'était entre Cocoleu et lui une affaire personnelle. Cocoleu l'avait joué, pensait-il, et lui avaitété l'occasion d'une averse de quolibets dont il avait cruellement souffert, sans qu'il y parût. Démasquer Cocoleu, c'était prendre sa revanche et renvoyer à ses ennemis le ridicule dont ils l'avaient accablé.

– Ainsi, reprit-il, mon parti est pris, et quoi que vous décidiez, messieurs, je vais dès aujourd'hui me mettre en campagne, pour obtenir, s'il est possible, la nomination d'une commission.

– Il serait peut-être prudent, objecta maître Folgat, de réfléchir avant de rien faire, de consulter maître Magloire…

– Je n'ai pas besoin des consultations de maître Magloire, quand le devoir parle.

– Vous nous accorderez bien vingt-quatre heures…

Le docteur Seignebos fronçait les sourcils en broussaille.

– Pas une heure! s'écria-t-il, et je me rends de ce pas chez monsieur Daubigeon, le procureur de la République!

Sur quoi, reprenant son chapeau et sa canne, il salua et sortit, aussi mécontent que possible, sans daigner répondre à grand-père Chandoré qui lui demandait des nouvelles de M. de Claudieuse, dont la situation, d'après ce qui se disait en ville, loin de s'améliorer empirait de jour en jour.

– Le diable emporte le vieil original! s'écria M. de Chandoré avant même que le médecin eût quitté le corridor. (Puis, s'adressant à maître Folgat): Bien que je doive convenir, ajouta-t-il, que vous avez un peu froidement accueilli les grandes nouvelles qu'il nous apportait.

– C'est précisément parce qu'elles sont terriblement graves, répondit l'avocat, que j'aurais voulu qu'il me laissât le temps de réfléchir. Cocoleu jouant l'imbécillité, ou du moins exagérant son inintelligence!… c'est la confirmation de ce que disait hier monsieur de Boiscoran à mademoiselle Denise. C'est la preuve d'un odieux guet-apens, d'une exécrable vengeance longuement méditée et préparée. là est le nœud de l'affaire, évidemment…

M. de Chandoré tombait de son haut.

– Quoi! s'écria-t-il, telle est votre opinion, et vous avez hésité à appuyer les démarches de Seignebos, qui est un brave homme, décidément…

Le jeune avocat hochait la tête.

– Si je tenais à gagner vingt-quatre heures, c'est que je crois indispensable de consulter monsieur de Boiscoran. Pouvais-je dire cela à monsieur Seignebos? Avais-je le droit de lui livrer le secret de mademoiselle Denise?

– C'est juste, murmura M. de Chandoré, c'est juste…

Mais pourécrire à M. de Boiscoran, l'assistance de Mlle Deniseétait indispensable, et ce n'est que dans l'après-midi qu'elle reparut, très pâle encore, mais armée, visiblement, d'uneénergie nouvelle.

Maître Folgat lui dicta les questions à poser au prisonnier, elle se hâta de les traduire, et, vers les quatre heures, la lettre fut portée au greffier Méchinet.

Le lendemain soir, la réponse arriva.

Le docteur Seignebos doit avoir raison, mes chers amis,écrivait Jacques. Je n'ai que trop de raisons d'être sûr que l'imbécillité de Cocoleu est en partie simulée et que sa déposition lui aété suggérée. Cependant, je vous en prie, ne faites aucune démarche pour provoquer une nouvelle enquête médicale. La moindre imprudence peut me perdre. Au nom du ciel, attendez pour agir la fin de l'instruction, qui est prochaine maintenant, d'après ce que me dit Daveline…

C'est en famille que fut lue cette réponse, et sa concision résignée arracha à Mme de Boiscoran un cri de désespoir.

– Lui obéirons-nous donc! s'écria-t-elle, lorsqu'il estévident qu'il se perd, le malheureux, en s'obstinant ainsi…

Mlle Denise se leva.

– Seul juge de la situation, prononça-t-elle, Jacques a le droit de commander, et notre devoir est d'obéir… J'en appelle à maître Folgat.

Du geste le jeune avocat approuvait.

– Tout ce quiétait possible aété fait, dit-il. Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre.

12. Depuis la nuit fameuse de l'incendie du Valpinson, Sauveterre ne s'ennuyait plus…

Depuis la nuit fameuse de l'incendie du Valpinson, Sauveterre ne s'ennuyait plus. Sauveterre avait sur le tapis, désormais, palpitant d'un intérêt toujours renouvelé, intarissable, fécond en discussions et en conjectures, un sujet de conversation: l'affaire Boiscoran. «Où en est l'affaire?»se demandaient les gens qui s'abordaient.

Aussi, lorsque M. Galpin-Daveline se rendait du Palais à la prison et qu'il remontait de son pas solennel et roide la rue Nationale, vingt bourgeoises embusquées derrière leurs rideaux cherchaient à surprendre sur son visage les secrets de l'instruction. Elles n'y surprenaient que l'empreinte des plus cuisants soucis, et une pâleur de jour en jour plus visible. De sorte qu'elles se disaient: «Vous verrez que ce pauvre monsieur Galpin finira par attraper la jaunisse.»

Si triviale que fût l'expression, elle traduisait exactement les sensations de l'ambitieux magistrat. Cette affaire de Boiscoran luiétait devenue comme une de ces plaies vives, dont rien ne saurait calmer l'incessante irritation.

– J'en ai perdu le sommeil, disait-il au procureur de la République.

L'excellent M. Daubigeon, qui avait toutes les peines du monde à modérer les ardeurs de son zèle, ne le plaignait que médiocrement.

– À qui la faute! répondait-il. Mais on veut parvenir, et les soucis suivent de près la fortune croissante: Crescentem sequitur cura pecuniam, majorumque fames…

– Eh! je n'ai fait que mon devoir! s'écriait le juge d'instruction, et ce serait à recommencer que j'agirais de même.

Pourtant, chaque jour luiéclairait d'une lumière plus crue la fausseté de sa situation. L'opinion publique, tout enétant hostile à M. de Boiscoran, était bien loin de luiêtre favorable, à lui, Daveline. On croyait généralement à la culpabilité de Jacques, et on appelait sur lui toute la rigueur des lois; mais, d'un autre côté, on s'étonnait que M. Galpin-Daveline eût accepté cette mission si cruelle de juge d'instruction. Ce fait d'instruire contre un ancien ami, de rechercher les preuves de ses crimes, de le pousser vers la cour d'assises, c'est- à-dire au bagne ou à l'échafaud, avait comme un reflet de trahison qui révoltait les consciences.

Rien qu'à la façon dont les gens lui rendaient son salut, ou même l'évitaient, le magistrat pouvait se rendre compte du sentiment dont ilétait l'objet.

Sa colère contre Jacques en redoublait, et, par contre, son inquiétude.

Il avait reçu, c'est vrai, des félicitations du procureur général, mais est-on jamais sûr de l'issue d'une instruction tant que le coupable n'a pas avoué? Certes, les charges qui s'élevaient contre Jacquesétaient trop accablantes pour que la décision de la chambre des mises en accusation fût douteuse. Mais, au-dessus de la chambre des mises en accusation, il y a le jury.

– Et, en somme, mon cher, objectait le procureur de la République, vous n'avez pas un seul témoin oculaire. Et, comme le dit Loisel en ses Maximes du droit coutumier:

 
Un seulœil a plus de crédit
Que deux oreilles n'ont d'audivi.
– Témoin qui l'a vu est meilleur
Que cil qui a ouy, et plus seur…
 

– J'ai Cocoleu, interrompit M. Daveline, que leséternelles citations de M. Daubigeon avaient le don d'exaspérer.

– Les médecins ont donc décidé qu'il n'est pas idiot?

– Non. Monsieur Seignebos est toujours seul de son avis.

– Alors, du moins, Cocoleu consent à répéter son témoignage?

– Non.

– C'est donc comme si vous n'aviez personne.

Eh! oui, M. Daveline ne le comprenait que trop. De là ses angoisses.

Plus ilétudiait son prévenu, plus il lui trouvait une attitudeénigmatique et menaçante qui ne présageait rien de bon.

Aurait-il un alibi? pensait-il. Tiendrait-il en réserve, pour le dernier moment, quelqu'un de ces moyens imprévus qui démolissent tout l'échafaudage de la prévention et couvrent de ridicule le magistrat instructeur!

Lorsque de telles idées lui venaient, si invraisemblables qu'elles fussent, elles faisaient perler des gouttes de sueur à ses tempes, et il traitait comme un nègre son pauvre greffier Méchinet.

Et ce n'était pas tout. Si retiré qu'il vécût depuis cette affaire, bien deséchos lui arrivaient encore de la rue de la Rampe. Certes, ilétait à mille lieues d'imaginer qu'on y eût des intelligences avec son prévenu, et des intelligences, qui plus est, nouées et servies par Méchinet, par son propre greffier. Il eût haussé lesépaules, si on fût venu lui dire que Mlle Denise avait passé une nuit dans la prison et rendu une visite à Jacques. Mais il lui revenait toujours quelque chose des espérances et des projets des parents et des amis de Jacques, et ce n'est pas sans une secrète terreur qu'il se les représentait puissants par la fortune et par l'honorabilité, appuyés par de hautes relations, aimés et estimés de tous.

Il savait que près de Mlle Denise se groupaient des hommes intelligents et dévoués, grand-père Chandoré, M. Séneschal, le docteur Seignebos, maître Magloire, et, enfin, cet avocat que la marquise de Boiscoran avait amené de Paris, maître Folgat.

Et Dieu sait ce qu'ils tenteraient, pensait-il, pour soustraire le coupable à l'action de la justice.

 

Aussi peut-on dire que jamais instruction ne fut conduite avec tant d'ardeur passionnée, avec un zèle si méticuleux. Chacun des points acquis à la prévention fut pour M. Galpin-Daveline le sujet d'une laborieuse enquête. En moins de quinze jours, soixante-sept témoins défilèrent dans son cabinet. Il fit comparaître le quart de la population de Bréchy. Il eût cité le pays entier, s'il eût osé.

Inutiles efforts! Après des semaines d'investigations enragées, l'instruction restait au même point, le mystère demeurait aussi impénétrable. Le prévenu n'avait pas dissipé une seule des chargesécrasantes qui pesaient sur lui, mais le juge n'avait pas recueilli une preuve nouvelle à ajouter aux preuves qu'il avait réunies dès le premier jour.

Il fallait en finir cependant.

Par une chaude après-midi de juillet, les bourgeoises de la rue Nationale crurent remarquer que M. Davelineétait plus soucieux encore que d'ordinaire. Elles ne se trompaient pas. Après une longue conférence avec le procureur de la République et le président du tribunal, le juge d'instruction avait pris son parti.

Arrivé à la prison, il se fit conduire à la cellule de Jacques de Boiscoran, et là, voilant sonémotion d'une roideur plus grande:

– Ma pénible mission touche à sa fin, monsieur, commença-t-il, l'instruction dont j'étais chargé vaêtre close. Dès demain, les pièces de la procédure, avec unétat des pièces servant à conviction, seront transmises à monsieur le procureur général, pourêtre soumises à la chambre d'accusation.

Jacques ne sourcilla pas.

– Bien! fit-il simplement.

– N'avez-vous rien à ajouter, monsieur? insista le juge.

– Rien, sinon que je suis innocent.

C'est à peine si M. Daveline réussit à réprimer un mouvement d'impatience.

– Alors, prouvez-le, fit-il. Alors, détruisez les charges qui vous accusent, qui vous accablent, qui font que pour moi, pour la justice, pour tout le monde vousêtes coupable. Alors, parlez, expliquez votre conduite…

Obstinément, Jacques garda le silence.

– Votre résolution est bien arrêtée, reprit encore le juge, vous ne voulez rien dire?

– Je suis innocent!

Ce n'était pas la peine d'insister, M. Galpin-Daveline le comprit.

– À dater de ce moment, monsieur, dit-il, votre secret est levé. Vous pourrez recevoir, au parloir de la prison, les visites de votre famille. Le défenseur que vous désignerez sera admis dans votre cellule pour conférer avec vous…

– Enfin! s'écria Jacques avec une explosion de joie. (Et tout de suite): M'est-il permis, demanda-t-il, d'écrire à monsieur de Chandoré?

– Oui, répondit le juge, et si vous voulezécrire immédiatement, mon greffier se chargera de faire parvenir votre lettre ce soir même.

À l'instant même Jacques de Boiscoran profita de l'occasion, et il eut vite fini, car le billet qu'ilécrivit et qu'il remit à Méchinet n'avait que ces deux lignes:

J'attends maître Magloire demain matin, à neuf heures.

J.

Du jour où ils avaient compris qu'une fausse démarche pouvait avoir les plus funestes conséquences, les amis de Jacques de Boiscoran s'étaient scrupuleusement abstenus. À quoi bon des démarches, d'ailleurs!

Sur sa seule requête, le docteur Seignebos avaitété en partie exaucé, et le parquet avait désigné pour décider de l'état mental de Cocoleu un médecin de Paris, un aliéniste célèbre. C'est un samedi que M. Seignebos vint tout triomphant annoncer rue de la Rampe cette heureuse nouvelle. Dès le mardi suivant, il revenait, blême de colère, raconter sonéchec.

– Il y a desânes à Paris comme ailleurs! s'écriait-il, d'une voix à faire vibrer les vitres du salon Chandoré, ou plutôt, en ce temps d'égoïsmes trembleurs et de servilités avides, les hommes indépendants sont aussi introuvables à Paris qu'en province! J'attendais un savant inaccessible à toutes les considérations mesquines; on m'envoie un farceur qui serait désolé d'être désagréable à messieurs du parquet… Ah! la surprise est cruelle! (Et toujours, comme de coutume, tracassant ses lunettes d'or): J'étais informé, poursuivait-il, de l'arrivée du confrère de la capitale, et j'étais allé, de ma personne, l'attendre au chemin de fer. Le train arrive, et immédiatement je distingue mon homme dans la foule. Belle tête, bien encadrée de cheveux grisonnants,œil fin, lèvre gourmande et narquoise… C'est lui, me dis-je. Hum! il avait bien un peu la mise d'un freluquet, beaucoup de décorations à la boutonnière, des favoris taillés comme les buis de mon jardin, et au lieu de fidèles lunettes, un binocle impertinent… mais nul n'est parfait. Je m'approche, je me nomme, nouséchangeons une poignée de main, je l'invite à déjeuner; il accepte, et bientôt nous voilà à table, lui rendant bonne justice à mon vin de Bordeaux, moi lui exposant méthodiquement l'affaire. Le repas fini, il veut voir Cocoleu; nous nous rendons à l'hôpital, et là, tout de suite, après un seul coup d'œil: «Ce garçon, s'écrie-t-il, est tout bonnement le plus complet type d'idiot que j'aie vu de ma vie!…»Un peu déconcerté, j'entreprends de lui réexpliquer l'affaire; il refuse de m'écouter. Je le supplie de revoir Cocoleu; il m'envoie promener. Blessé, je lui demande alors comment il explique le témoignage si net de cet idiot, la nuit du crime. Il me répond en chantonnant qu'il ne l'explique pas. Je veux discuter, il me plante là pour se rendre au tribunal… Et savez-vous où il dînait, le soir même? À l'hôtel, avec notre confrère du chef-lieu. Et là, ils rédigeaient, de concert, un rapport qui boucle Cocoleu dans la plus parfaite imbécillité qui se puisse rêver… (Il se promenait à grands pas par le salon et, sans rienécouter, il continuait): Mais le sieur Galpin aurait tort de chanter victoire! Tout n'est pas dit! On ne se débarrasse pas comme cela du docteur Seignebos… J'ai dit que Cocoleu est un ignoble fourbe, un misérable simulateur, un faux témoin, je le prouverai. Boiscoran peut compter sur moi… (Il s'interrompit sur ces mots, et se plantant devant maître Folgat): Et si je dis que Boiscoran peut compter sur moi, ajouta-t-il, c'est que j'ai mes raisons. Il m'est venu de singuliers soupçons, monsieur l'avocat, très singuliers…

Maître Folgat, Mlle Denise et la marquise de Boiscoran le pressaient de s'expliquer, mais il déclara que le moment n'était pas venu encore, et que, d'ailleurs, il n'était pas assez sûr… Et il s'échappa, jurant qu'ilétait très pressé, ayant abandonné ses malades depuis quarante-huit heures etétant attendu par la comtesse de Claudieuse, dont le mari allait de mal en pis.

– Quels soupçons peut avoir ce vieil original? demandait encore grand-père Chandoré, une heure après le départ du médecin.

Maître Folgat eût pu répondre que ces soupçons vraisemblablement n'étaient autres que les siens, mais plus précis alors et appuyés sur des indices positifs.

Mais à quoi bon dire cela, puisque toute investigationétait interdite, puisqu'un seul mot imprudemment prononcé pouvait donner l'éveil? À quoi bon troubler d'espérances peut-être aussitôt déçues la morne tristesse de ces longues journées qui, l'une après l'autre, s'écoulaient à attendre le bon plaisir de M. Galpin-Daveline.

Déjà, à ce moment, les nouvelles de Jacques de Boiscoranétaient devenues plus rares. Les interrogatoires n'ayant lieu qu'à d'assez longs intervalles, Méchinetétait quelquefois jusqu'à quatre ou cinq jours sans apporter de lettre.

– C'est la plus intolérable des agonies…, ne cessait de répéter Mme de Boiscoran.

L'heure du dénouement allait sonner.

Mlle Denise se trouvait seule au salon, un après-midi, lorsqu'elle crut reconnaître dans le vestibule la voix du greffier.

Précipitamment, elle sortit. Elle ne s'était pas trompée.

– Ah! l'instruction est terminée! s'écria-t-elle, comprenant bien qu'il ne fallait rien moins que ce graveévénement pour décider Méchinet à se montrer en plein jour rue de la Rampe.

– En effet, mademoiselle, répondit le brave garçon, et c'est sur l'ordre de monsieur Daveline que je vous apporte ce billet de monsieur de Boiscoran…

Elle le prit, elle le lut d'un coup d'œil et, oubliant tout, à demi folle de joie, elle courut à son grand-père et à maître Folgat, criant en même temps à un domestique d'aller bien vite chercher maître Magloire.

Moins d'une heure plus tard, le premier avocat de Sauveterre arrivait, et quand on lui eut remis le billet qui le mandait:

– J'ai promis mon assistance à monsieur de Boiscoran, dit-il d'un ton embarrassé, elle ne lui fera pas défaut… Je serai demain près de lui à l'ouverture de la prison, et je viendrai vous rendre compte de notre entrevue.

On ne put lui rien tirer de plus; ilétait visible qu'il ne croyait pas à l'innocence de son client. Dès qu'il fut sorti:

– Jacques est fou, s'écria M. de Chandoré, de confier sa défense à un homme qui doute ainsi de lui!

– Maître Magloire est un honnête homme, bon papa, dit Mlle Denise, s'il pensait compromettre Jacques, il se retirerait.

Pour cela, oui, maître Magloireétait un honnête homme, et encore assez accessible aux sentiments tendres pour que l'idée lui fût affreuse de revoir prisonnier, accusé d'un crime odieux, et accusé justement, pensait-il, un homme qu'il avait aimé et que, malgré tout, il aimait encore.

Il n'en dormit pas de la nuit, et chacun put remarquer sa mine soucieuse lorsqu'il traversa la ville le lendemain matin, pour se rendre à la prison.

Blangin, le geôlier, le guettait.

– Ah! venez vite, monsieur, lui cria-t-il, le prévenu est fou d'impatience!

Lentement, et avec un sourd battement de cœur, le célèbre avocat gravit l'étroit escalier. Il traversa la longue galerie. Blangin lui ouvrit une porte… Ilétait dans la cellule de Jacques de Boiscoran.

– Enfin, vous voilà! s'écria le malheureux jeune homme en se jetant au cou de maître Magloire. Enfin, je vois un visage ami et je presse une main loyale! Ah! j'ai cruellement souffert, si cruellement que je m'étonne que ma raison ait résisté! Mais vous voici, vousêtes près de moi, je suis sauvé!

Si l'avocat se taisait, c'est qu'ilétait effrayé des ravages de la douleur sur la physionomie si noble et si intelligente de Jacques. C'est qu'il s'épouvantait du désordre de ses traits, de l'éclat délirant de ses yeux, du rire convulsif qui pinçait ses lèvres.

– Malheureux! murmura-t-il enfin.

Jacques se méprit, et il devait se méprendre au sens de cette exclamation. Il recula, plus blanc que le plâtre du mur.

– Vous me croyez coupable! s'écria-t-il.

– Je crois, mon pauvre ami, que tout vous accuse…, répondit l'avocat.

Une expression d'indicible désespoir contracta le visage de Jacques.

– En effet, interrompit-il, avec unéclat de rire terrible, il faut que les charges soient bien accablantes, puisqu'elles ont convaincu mes amis les plus chers. Aussi, pourquoi me suis-je tu, le premier jour?… L'honneur! Effroyable duperie!… Et cependant, victime d'une inconcevable vengeance, je me tairais encore, s'il ne s'agissait que de la vie. Mais il y va de mon honneur, de l'honneur des miens, de la vie de Denise… Je parlerai. À vous, Magloire, je dirai la vérité, je puis me disculper d'un mot… (Et saisissant le poignet de maître Magloire, et le serrant à le briser): D'un mot, fit-il d'une voix sourde, je vais tout vous expliquer: j'étais l'amant de la comtesse de Claudieuse.