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Il appuyait beaucoup sur cette circonstance atténuante que ces cent soixante-quatorze mille francs avaient été intégralement perdus à la Bourse, et qu'il se fût considéré comme le dernier des coquins s'il en eût détourné la moindre portion pour ses besoins personnels.

Le malheur est que les fausses traites trouvées dans ses tiroirs rendaient peu admissible ce système de défense.

Persuadé que les sommes volées n'avaient point été dissipées, le juge d'instruction soupçonna les parents de l'accusé de les recéler. Il les interrogea, et recueillit contre eux assez de charges pour signer leur arrestation. Mais il fut obligé de les relâcher plus tard, faute de preuves suffisantes, et Justin Chevassat fut seul traduit devant la cour d'assises.

Son cas était grave, mais il eut la chance de choisir un jeune avocat qui inaugura en cette affaire un genre de défense souvent imité depuis.

Il ne perdit point ses peines à essayer de justifier son client; il accusa carrément le banquier… Etait-ce bien un homme sensé, disait-il, celui qui confiait des sommes si considérables à un employé si jeune!.. N'était-ce pas l'exposer à des tentations trop fortes, le provoquer en quelque sorte au vol! Comment ce banquier ne vérifiait-il pas plus attentivement ses livres!.. Qu'était-ce que cette maison où un caissier pouvait en dix mois détourner cent soixante-quatorze mille francs sans qu'on s'en aperçût!.. Enfin, que penser d'un patron qui donnait à ses commis le scandaleux exemple des immorales opérations de Bourse!..

Justin Chevassat en fut quitte pour vingt ans de travaux forcés.

Ce qu'il fut au bagne, vous pouvez l'imaginer maintenant que vous le connaissez. Il y réalisa le type ignoble du «bon forçat» grimé de repentirs hypocrites, se ménageant des protections à force d'abjections et de bassesses.

Cette conduite ne manquait pas d'adresse, puisque, au bout de trois ans et dix mois, il fut gracié.

Mais ce temps n'avait pas été perdu pour lui. Au contact des plus vils coquins, ses exécrables instincts s'étaient épanouis, sa scélératesse s'était trempée d'une trempe plus solide, il s'était complété, en un mot.

Et pendant qu'il traînait la jambe sous le gourdin du garde-chiourme, il arrêtait et mûrissait pour l'avenir un plan dont il ne s'écarta pas.

Il rêvait au moyen de s'incarner dans un personnage nouveau, sous lequel jamais on n'irait chercher l'ancien.

Comment il s'y prit, je puis vous le dire:

Par son parrain le valet de chambre, mort avant sa condamnation, Justin Chevassat connaissait jusqu'en ses moindres détails l'histoire de la famille de Brévan.

C'était une histoire bien triste. Le vieux marquis était mort insolvable, après avoir perdu ses cinq fils, qui étaient allés chercher la fortune à l'étranger…

Cette noble famille étant éteinte, Justin se dit qu'il la continuerait.

Il savait que les Brévan étaient originaires du Maine, qu'ils avaient eu autrefois des propriétés immenses aux environs du Mans, et qu'ils n'y avaient pas paru depuis plus de vingt ans.

Se souviendrait-on encore d'eux dans un pays où ils avaient été tout-puissants? Assurément oui. Se serait-on assez inquiété d'eux pour savoir au juste ce qu'étaient devenus le marquis et ses fils? Evidemment non.

Tout le plan de Chevassat reposait sur ces calculs…

Libéré, il ne s'inquiéta que de faire perdre ses traces, et quand il se crut sûr d'y être parvenu, il se rendit au Mans, sous le nom de celui des fils du marquis dont l'âge se rapprochait le plus du sien.

Qu'il fût bien véritablement Maxime de Brévan, c'est ce dont personne ne douta une minute. Qui donc eût douté, en le voyant racheter, moyennant quatre-vingt mille francs, l'ancienne maison de Brévan, une sorte de ruine à peine habitable, et une petite métairie qui en dépendait?

Car il poussa jusqu'à ce point le soin de son rôle. Et il paya comptant, prouvant ainsi, pour moi, que le juge d'instruction ne s'était point trompé, et que les Chevassat étaient réellement les complices de leur fils.

Et il eut la constance d'habiter quatre ans sa petite propriété, s'exerçant à la vie de gentilhomme campagnard, reçu à bras ouverts par la noblesse des environs, se créant des amis, des relations, des appuis, s'incarnant de plus en plus en Maxime de Brévan…

Quel but poursuivait-il à cette époque? J'ai toujours supposé qu'il espérait se marier richement et consolider ainsi définitivement sa situation… Et cet espoir fut bien près de se réaliser…

Il était sur le point d'épouser une jeune fille du Mans, qui lui eût apporté cinq cent mille francs de dot, les bans allaient être publiés, quand tout à coup le mariage fut rompu… on n'a jamais bien su pourquoi.

Ce qui est certain, c'est qu'il en conçut un si vif dépit qu'il vendit sa propriété et quitta le pays…

Et il habitait Paris depuis trois ans… plus Maxime de Brévan que jamais, quand il rencontra Sarah Brandon.

Il y avait plus de trois heures que le père Ravinet parlait, sa lassitude devenait manifeste et les cordes de sa voix se détendaient.

Cependant, c'est en vain que Daniel, Mlle Henriette et Mme Bertolle elle-même, joignirent leurs instances pour le déterminer à se reposer un moment.

– Non, répondit-il, j'irai jusqu'au bout… Ne faut-il pas que, dès demain, c'est-à-dire aujourd'hui même, M. Champcey soit en mesure d'agir!..

Il se contenta donc d'avaler quelques gorgées de thé, que sa sœur venait de lui servir, et d'un accent plus ferme:

– C'est à un bal travesti, reprit-il, chez un ami de M. de Planix, que Sarah Brandon – elle n'était encore que Ernestine Bergot – et Justin Chevassat, devenu M. de Brévan, se virent pour la première fois.

Lui demeura béant, ébloui de la prestigieuse beauté de cette jeune femme, et elle fut, elle, singulièrement frappée de l'expression de la physionomie de Maxime.

Peut-être se devinèrent-ils en un regard, peut-être eurent-ils l'intuition soudaine de ce qu'ils étaient… Toujours est-il qu'ils se rapprochèrent vite, entraînés l'un vers l'autre par une instinctive et irrésistible attraction.

Ils dansèrent plusieurs fois ensemble; assis l'un près de l'autre pendant le souper, ils causèrent longuement; et quand le bal fut fini, ils s'étaient déjà promis de se revoir.

Ils se revirent, en effet, et, si ce n'était pas profaner ce mot sublime, je dirais qu'ils s'aimèrent.

N'étaient-ils pas faits pour se comprendre et créés en quelque sorte l'un pour l'autre, également corrompus qu'ils étaient jusqu'aux moëlles, dévorés de convoitises semblables, et pareillement dépouillés de tous ces préjugés – comme ils disaient – de justice, de morale et d'honneur qui enchaînent le vulgaire?

Comment l'idée d'associer leurs ambitions, leurs vices et leurs hontes ne leur serait-elle pas venue, quand ils eurent reconnu qu'ils se complétaient si merveilleusement!..

C'est qu'en ces premiers jours, sincères en leurs épanchements, ils n'eurent pas de secrets l'un pour l'autre; la passion leur avait arraché leur masque d'hypocrisie et chacun mettait une sorte de vanité à remuer devant l'autre toutes les boues de son passé.

Oui, c'est ainsi qu'ils agirent, et je n'en veux pour preuve que la constance de leur liaison, alors que depuis longtemps ils ont cessé de s'aimer…

Car maintenant ils se haïssent… mais ils se craignent. Dix fois ils ont essayé de rompre, dix fois ils ont été forcés de renouer, rivés l'un à l'autre par une chaîne bien autrement lourde et infrangible que celle de Maxime de Brévan au bagne, chaîne dont chaque anneau est un crime…

Cependant, ils durent d'abord dissimuler… l'argent leur manquait.

En ajoutant à ce qu'elle avait volé lors de la mort de son bienfaiteur tout ce qu'elle avait tiré de M. de Planix, Sarah ne réunissait pas plus d'une quarantaine de mille francs. Ce n'était pas seulement, disait-elle, de quoi couvrir les frais d'une installation passable.

Quant à M. de Brévan, si ménager qu'il eût été des sommes volées à son patron, il en avait vu la fin…

Depuis huit ou dix mois, il en était réduit, pour se soutenir, à toutes sortes d'expédients périlleux. Il roulait voiture… et plus d'une fois, cependant, il s'était estimé très-heureux d'extorquer une pièce de vingt francs à ses parents, qu'il visitait en secret depuis qu'ils avaient quitté leur gargote pour la loge du nº 23 de la rue de la Grange-Batelière.

Loin donc de pouvoir être utile à Sarah, c'est avec de véritables transports de joie qu'il accepta dix mille francs qu'elle lui apporta, dès qu'elle sut sa détresse.

« – Ah! lui disait-elle souvent, que n'avons-nous la fortune de cet imbécile de Planix!..»

De là à tenter de s'en emparer, de cette fortune tant convoitée, il n'y avait qu'un pas… ils le franchirent…

Pour commencer, Sarah décida M. de Planix à faire un testament par lequel il l'instituait sa légataire universelle.

Comment elle obtint cela de ce garçon, jeune, heureux, plein de santé, sans éveiller en lui le plus léger soupçon, on s'en étonnerait, si on ne savait que la passion explique ce qui semble le plus inexplicable.

Ce point obtenu, M. de Brévan se chargea de présenter dans le cercle que fréquentaient Sarah et M. de Planix, un de ses amis qu'on disait et qui était réellement la meilleure lame de Paris, brave garçon d'ailleurs, l'honneur même, plutôt endurant que querelleur, M. de Pont-Avar.

Sans se compromettre, et avec l'infernale adresse dont elle seule est capable, Sarah fut avec ce brave garçon tout juste assez coquette pour qu'il se crût autorisé à lui faire quelque peu la cour… Le soir même elle s'en plaignit amèrement à M. de Planix et sut si bien intéresser sa vanité et échauffer à blanc sa jalousie, qu'à trois jours de là il s'emportait jusqu'à souffleter M. de Pont-Avar, en présence de dix personnes.

Une rencontre devenait inévitable, et M. de Brévan, en paraissant vouloir l'empêcher, ne fit qu'animer les deux adversaires d'une colère furieuse.

 

Le combat eut donc lieu à l'épée, au bois de Vincennes, un samedi matin…

Et après moins d'une minute d'engagement, M. de Planix, atteint d'un coup droit en pleine poitrine, s'affaissa comme une masse.

On s'approcha… il était mort. Il n'avait pas encore vingt-sept ans…

Si délirante fut la joie de Sarah, que c'est à peine si elle, l'incomparable comédienne, elle parvint à verser, pour le monde, quelques larmes hypocrites sur le cadavre encore chaud de cet homme qui l'avait tant aimée, et qu'elle avait assassiné.

Pendant qu'agenouillée près du lit, elle cachait son visage dans ses mains, elle ne songeait qu'au testament, qu'elle savait enfermé dans le secrétaire, sous une grande enveloppe scellée d'un large cachet de cire rouge…

Le jour même, il fut ouvert et lu par le juge de paix qu'on était allé quérir pour apposer les scellés.

Et alors, véritablement désespérée, Sarah pleura des larmes de rage.

Pris d'une sorte de remords de sa faiblesse, et à un moment où une absence de Sarah le mettait hors de lui, M. de Planix avait ajouté deux lignes à ses dispositions.

Il disait bien toujours: «J'institue pour ma légataire universelle Mlle Ernestine Bergot,» mais il avait écrit plus bas: «A la condition de donner à chacune des deux demoiselles de Planix, mes sœurs, la somme de cent cinquante mille francs.» C'était cent mille écus à donner, et la fortune de M. de Planix s'élevait à peine à quatre cent mille francs…

Aussi, les premiers mots de Sarah, le soir, en arrivant chez M. de Brévan, furent:

« – Nous sommes volés!.. Planix n'est qu'un misérable… Il ne nous restera pas cent mille francs!..»

Ce fut Maxime qui, le premier, prit son parti de cette déception; la somme lui paraissait encore énorme pour un crime sans péril, et il n'en voulait pas moins, ainsi que c'était convenu avant, épouser Sarah.

Mais elle rejeta bien loin ses instances, disant que cent mille francs c'était à peine le revenu qu'elle rêvait, et qu'il fallait attendre.

C'est alors que chez M. de Brévan le joueur se révéla… Il croyait au jeu, ce misérable; il croyait aux fortunes gagnées par le jeu… Il avait des systèmes pour ne jamais perdre, qu'il disait infaillibles.

Il offrit à Sarah de risquer, pour les décupler, les cent mille francs, et elle accepta, séduite par la hardiesse de la proposition.

Ils décidèrent donc qu'ils ne cesseraient de jouer qu'après avoir gagné un million ou perdu tout ce que possédait Sarah, environ cent vingt-cinq mille francs… Et ils partirent pour Hombourg.

Là, pendant un mois, ils menèrent une existence enragée, passant dix heures au jeu, fiévreux, haletants, luttant contre la banque avec un acharnement, et il faut ajouter avec une habileté et un sang-froid incroyables.

J'ai retrouvé un vieux croupier qui se souvient encore d'eux. Par deux fois, ils en furent à jeter leur dernier billet de mille francs, et leur gain, un jour de veine, dépassa quatre cent mille francs…

Ce jour-là, Maxime voulut quitter Hombourg… Sarah, qui tenait la caisse, s'y opposa, répétant sa devise favorite: Tout ou rien.

Ce fut: Rien. La victoire, comme toujours, resta aux gros bataillons, et un soir les deux complices se retrouvèrent dans leur chambre d'hôtel, ruinés, décavés, sans un florin, ayant tout vendu, jusqu'à leurs montres et devant une certaine somme à leur hôtelier…

Ce soir-là, Maxime parlait de se brûler la cervelle… Jamais, au contraire, Sarah n'avait été plus gaie…

Et le lendemain, dès le matin, elle s'habilla et sortit, disant que c'était pour une idée qui lui avait passé par la tête, et qu'elle allait revenir…

Mais elle ne revint pas, et tout le jour, M. de Brévan, dévoré d'angoisses, attendit… A cinq heures, seulement, un commissionnaire lui apporta une lettre… Il l'ouvrit, trois billets de mille francs tombèrent à ses pieds…

La lettre disait:

«Quand tu recevras ce mot, je serai loin de Hombourg… Ne m'attends plus… Voici de quoi regagner Paris… Quand j'aurai fait notre fortune tu me reverras.

«SARAH.»

Maxime, tout d'abord, demeura stupide d'étonnement… Etre ainsi abandonné, être «lâché» sans plus de façons, lui, par Sarah!.. Il n'en pouvait revenir.

Mais la colère ne tarda pas à lui monter au cerveau, et en même temps un immense désir de vengeance… Seulement, pour se venger, il s'agissait de retrouver l'infidèle. Qu'était-elle devenue? Où s'était-elle réfugiée?..

A force de réfléchir et de chercher, M. de Brévan se rappela que deux ou trois fois, depuis que la déveine les poursuivait, il avait aperçu Sarah en grande conversation avec un long et maigre gentleman, d'une quarantaine d'années, qui promenait dans les salles de jeu ses favoris blonds en nageoires, sa distinction raide et son visage ennuyé.

Pas de doutes!.. Sarah, ruinée, devait s'être laissée facilement séduire par ce gentleman aux apparences de millionnaire.

Où demeurait-il?.. A l'hôtel des Trois-Rois. Maxime y courut…

Malheureusement il arrivait trop tard… Le gentleman était parti le matin même pour Francfort, par le train de dix heures quarante-cinq, avec une dame d'un certain âge et une jeune personne remarquablement jolie.

Sûr de ne s'être pas trompé, M. de Brévan partit sur l'heure pour Francfort, persuadé que la radieuse beauté de Sarah le guiderait comme une étoile. Mais il eut beau battre la ville, courir les hôtels, lasser tout le monde de ses questions, il ne retrouva pas la trace des fugitifs.

Et quand le soir, brisé de fatigue, il eut regagné sa chambre… il pleura.

Jamais, à aucun moment de sa vie, il ne s'était estimé si malheureux… Perdant Sarah, il lui semblait qu'il perdait tout… En cinq mois qu'avaient duré leurs relations, elle avait pris sur lui un empire si absolu que, livré à ses seules forces, il se trouvait comme un enfant égaré, sans idées, sans résolution…

Qu'allait-il devenir, maintenant qu'il n'aurait plus pour l'inspirer et le soutenir cette femme au génie fécond en intrigues, dont l'audace jamais ne se déconcertait, d'une énergie toute-puissante pour le mal?

Sarah, d'ailleurs, l'avait grisé de si magnifiques espoirs, elle avait ouvert à ses convoitises de si prestigieux horizons, qu'il souriait de pitié en songeant à ce qui jadis eût comblé ses vœux.

Avoir rêvé quelqu'une de ces scélératesses énormes qui enrichissent d'un coup, et retomber aux mesquines escroqueries d'autrefois… quelle misère!.. Son cœur s'en soulevait de dégoût, comme l'estomac de l'homme qui, après avoir flairé le fumet des cuisines transcendantes, en est réduit à revenir dîner à son infime gargote…

C'est qu'il savait quels embarras l'attendaient à sa rentrée à Paris. Ses créanciers, inquiétés par son absence, allaient l'assaillir… Comment les ferait-il patienter?.. Où prendrait-il de quoi leur verser quelques à-comptes?.. Comment trouverait-il sa vie de chaque jour?.. Toutes ses impostures allaient-elles donc être perdues?.. Sombrerait-il avant d'avoir saisi cette occasion rebelle de fortune qu'il guettait!..

N'importe, il revint à Paris, tint tête à l'orage, traversa la crise, et reprit son existence compliquée d'expédients, associé avec un chevalier d'industrie comme lui, un certain Fernand de Coralth, réussissant, à force d'adresse, à sauver les apparences et à préserver de tout soupçon le nom qu'il avait volé…

Ah! si les honnêtes gens savaient tout ce que cache de misères, d'humiliations et d'angoisses, certaines existences dont le faste menteur les offusque, ils s'estimeraient bien vengés.

Il est certain qu'à cette époque Maxime de Brévan passa par de tristes quarts d'heure, qu'il regretta plus d'une fois de n'être pas resté tout bêtement honnête homme; c'est si simple… et si habile!

C'est qu'aussi, après deux ans, il n'était pas encore consolé du départ de Sarah… Souvent, en ses jours de détresse, il se rappelait sa phrase d'adieu: «Quand j'aurai fait notre fortune, je reviendrai…» Certes, il la croyait bien de force à conquérir des millions, mais quand elle les tiendrait, se souviendrait-elle de ses promesses?.. Où était-elle, que devenait-elle?..

Sarah habitait alors l'Amérique.

Ce long gentleman blond, cette dame à l'air si respectable qui l'avaient enlevée, n'étaient autres que sir Thomas Elgin et mistress Brian.

Qui étaient ces gens?.. Le temps m'a manqué pour recueillir sur leur passé des renseignements complets. Ce que je sais, c'est qu'ils étaient de ces aventuriers qu'on rencontre dans les villes d'eaux et de jeux l'été, à Nice, à Monaco ou en Italie l'hiver. Escrocs de bon ton, qui joignant à une habileté consommée la plus excessive prudence, qu'on soupçonne parfois, qu'on ne surprend jamais, et qui doivent à leur entente de la vie, à l'art qu'ils ont d'être agréables ou utiles, au laisser-aller du voyage, enfin, des relations qui étonnent, et souvent même d'honorables amitiés.

Anglais l'un et l'autre, sir Thom et mistress Brian avaient jusqu'alors trouvé le secret de vivre largement. Mais la vieillesse venait, et ils commençaient à s'inquiéter de l'avenir, quand ils aperçurent Sarah.

Ils la devinèrent comme elle avait deviné Maxime de Brévan, et ils virent en elle un admirable instrument de fortune.

Si admirable, qu'ils n'hésitèrent pas à lui proposer de devenir leur associée, résolus à risquer sur elle tout ce qu'ils possédaient, soixante-dix ou quatre-vingt mille francs.

Tant qu'il lui était resté un florin à jouer, Sarah n'avait répondu ni oui ni non. Ayant tout perdu, elle s'était mise à la discrétion de mistress Brian et de sir Elgin moyennant les trois mille francs qu'elle avait envoyés à Maxime.

Ce que ce couple honorable comptait faire d'elle, vous l'avez vu… un piège à billets de mille francs. Ils savaient bien qu'à cette éblouissante beauté, les dupes se viendraient prendre comme les alouettes au miroir…

Et ne croyez pas cette idée neuve, monsieur Champcey, ni rare…

Dans toutes les capitales de l'Europe, vous trouverez à cette heure de ces créatures idéales que produisent, dans le plus grand monde, des aventuriers cosmopolites. Elles ont six ou sept ans, de dix-huit à vingt-cinq, pour enlever à la pointe de leurs œillades, leur fortune et celles de leurs cornacs… Et selon l'occasion, leur adresse et le caprice de la bêtise humaine, elles épousent un millionnaire ou finissent patronnes d'un tripot clandestin, ayant autant de chances pour tomber sur les coussins du carrosse d'un prince, que pour rouler, de chute en chute, au plus profond des cloaques sociaux.

Sir Elgin et mistress Brian s'étaient dit qu'ils exhiberaient Sarah à Paris, qu'elle épouserait un duc cinq ou six fois millionnaire, et qu'ils auraient pour leurs peines et soins une cinquantaine de mille francs de rente à se partager.

Mais pour tenter l'aventure avec de sérieuses chances de succès, il était indispensable de dépayser cette Parisienne, de lui constituer un état civil nouveau, de la styler, de la dresser, de l'exercer au métier qu'elle allait faire.

De là, ce voyage et ce long séjour en Amérique.

Le hasard servit bien ces misérables. A peine débarqués, ils réussirent à substituer leur protégée à la fille du général Brandon, exactement comme Justin Chevassat s'était substitué à Maxime de Brévan.

Si bien que pour la haute société de Philadelphie, Ernestine Bergot fut bien et dûment miss Sarah Brandon.

Non moins prévoyant que Brévan, sir Elgin, malgré l'exiguïté de ses ressources, acheta, au nom de sa protégée, moyennant un millier de dollars, d'assez vastes terrains où il n'y avait pas le moindre puits à pétrole, mais où il eût pu y en avoir…

Toutes choses dont j'ai des preuves, que je fournirai le moment venu…

Depuis un instant, Daniel et Mlle Henriette échangeaient des regards ébahis.

Ils étaient confondus de la somme prodigieuse de pénétration, de ruse, de patience, d'investigations laborieuses que représentait le récit du vieux brocanteur.

Lui, poursuivait:

– Il avait fallu peu de jours à sir Tom et à mistress Brian, pour reconnaître à quel point leur flair les avait bien servis… Six mois ne s'étaient pas écoulés que cette belle fille, dont ils avaient entrepris l'éducation, parlait l'anglais aussi purement qu'eux-mêmes, et était devenue leur maîtresse, les dominant de toute la hauteur de sa perversité. Du jour où mistress Brian lui eût montré son rôle, Sarah y entra si naturellement et si complétement que l'actrice disparut.

Elle avait compris les avantages immenses que lui présentait ce personnage de jeune vierge américaine, et quels effets irrésistibles elle tirerait d'une excentricité savante, de sa liberté d'allures, et d'une franchise effrontément naïve. Enfin, au bout de vingt-huit mois, sir Elgin décida que le moment d'entrer en scène était venu…

 

C'est donc vingt-huit mois après la séparation de Hombourg, que M. de Brévan reçut un jour un billet ainsi conçu:

«Présentez-vous ce soir, à 9 heures, rue du Cirque, chez sir Thomas Elgin, et… attendez-vous à une surprise.»

Il s'y présenta. Un long gentleman lui ouvrit la porte du salon, et à la vue d'une jeune femme assise près de la cheminée, ébloui, il ne put s'empêcher de s'écrier: «Ernestine… est-ce possible!..»

Mais elle, l'interrompant: «Vous vous trompez, dit-elle… Ernestine Bergot est morte et enterrée près de Justin Chevassat… cher monsieur de Brévan. Allons… quittez cet air ahuri, et embrassez la main de miss Sarah Brandon…»

C'était le ciel qui s'ouvrait, pour Maxime de Brévan.

Elle lui était donc enfin rendue, cette femme qui avait traversé sa vie comme un orage, et dont le souvenir lui était resté au cœur comme un poignard dans la blessure.

Elle lui revenait donc, plus que jamais parée de séductions irrésistibles, et c'était, pensait-il, la passion seule qui la lui ramenait.

Sa vanité le fourvoyait.

Il y avait longtemps déjà que Sarah Brandon avait cessé de l'admirer. Lancée dans le monde des aventuriers de la haute vie, elle n'avait pas tardé à apprécier Maxime à sa juste valeur. Elle le voyait tel qu'il était, lâche, cauteleux, mesquin, incapable de combinaisons hardies, à peine bon pour des gredineries de deux sous, ridicule enfin, comme l'est un coquin besoigneux.

Seulement, tout en le méprisant, Sarah le voulait près d'elle… Sur le point d'engager une partie décisive, elle sentait la nécessité d'un de ces complices à qui on peut se livrer sans restrictions. Elle avait bien mistress Brian et sir Tom, mais elle se défiait d'eux. Ils la tenaient et elle ne les tenait point. Tandis que M. de Brévan, il était bien à elle, celui-là, dépendant de son caprice, comme le bloc de glaise de la fantaisie du sculpteur.

Il est vrai que Maxime parut consterné quand elle lui eût appris que cette immense fortune dont elle avait enflammé ses convoitises était encore à faire, et qu'elle n'était pas plus avancée que le jour où elle l'avait quitté.

Elle eût pu dire qu'elle l'était moins.

Les vingt-huit mois qui venaient de s'écouler avaient fait de rudes brèches aux économies de sir Elgin et de mistress Brian. Et quand ils eurent soldé leur installation de la rue du Cirque, payé d'avance la location d'un coupé, d'une calèche et de deux chevaux de selle, c'est à peine s'il leur resta vingt mille francs.

Ils se trouvaient donc condamnés à réussir dans l'année ou à sombrer… Et ainsi acculés ils devenaient singulièrement redoutables.

Ils étaient résolus à se jeter furieusement sur la première proie qui passerait à leur portée, quand le hasard leur amena le malheureux caissier de la Société d'escompte mutuel… Malgat…