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Pensive, Mlle Henriette baissait la tête.

– Peut-être avez-vous raison, monsieur, murmurait-elle.

– Maintenant, continuait M. de Brévan, examinons ce qui arriverait si on vous retrouvait… Vous n'êtes pas majeure, donc vous dépendez absolument du caprice de votre père… Inspiré par votre belle-mère, il attaquerait la tante de Daniel en détournement de mineure et vous ramènerait ici…

Elle parut réfléchir, puis brusquement:

– Je puis, proposa-t-elle, demander assistance à la duchesse de Champdoce…

– Malheureusement, mademoiselle, on vous a dit vrai; depuis près d'un an, le duc de Champdoce et sa femme voyagent en Italie…

Un geste désespéré trahit l'affreux découragement de Mlle Henriette.

– Que faire, mon Dieu!.. soupira-t-elle.

Un fugitif sourire glissa sur les lèvres de M. de Brévan, et de sa voix la plus persuasive:

– Voulez-vous me permettre un avis, mademoiselle, dit-il.

– Hélas! monsieur, je vous le demande à mains jointes…

– Alors, voici le seul plan qui me paraisse raisonnable… Dès demain, je loue dans une maison paisible un logement modeste, moins encore, une pauvre chambre, vous vous y installez et vous attendez votre majorité ou le retour de Daniel… Jamais un policier ne s'avisera de chercher Mlle de la Ville-Handry dans un logis d'ouvrière…

– Et je serai là, seule, isolée, perdue…

– C'est un sacrifice qui me paraît indispensable à votre sécurité, mademoiselle…

Elle se tut, évaluant ces deux alternatives terribles: rester ou accepter la proposition de M. de Brévan.

Enfin, après une minute:

– Je suivrai votre conseil, monsieur, déclara-t elle, seulement…

Son embarras était manifeste, elle était devenue plus rouge que le feu…

– C'est que, poursuivit-elle, tout cela va nécessiter certaines dépenses… Autrefois, j'avais toujours quelques centaines de louis dans mon petit trésor de jeune fille, tandis que maintenant…

– Mademoiselle!.. interrompit M. de Brévan, mademoiselle!.. ma fortune entière n'est-elle pas à votre disposition!..

– Il est vrai que j'ai mes bijoux, et ils ne sont pas sans valeur…

– Pour cette raison, précisément, gardez-vous de les emporter… Il faut tout prévoir… Nous pouvons échouer, il se peut qu'on découvre la part que je prends à votre évasion… Qui sait de quelles accusations on me flétrirait!..

Cette seule crainte trahissait le caractère de l'homme… Elle n'éclaira pourtant pas Mlle de la Ville-Handry.

– Préparez donc tout, monsieur, prononça-t-elle tristement, je m'abandonne à votre amitié, à votre dévouement, à votre honneur…

Une petite toux sèche empêcha d'abord M. de Brévan de répondre, puis vivement, l'évasion étant résolue, il s'inquiéta d'en trouver les moyens…

Mlle Henriette proposait d'attendre une nuit où son père conduirait la comtesse au bal. Elle se glisserait dans le jardin et franchirait le mur…

Mais l'expédient parut dangereux à M. de Brévan.

– Je crois que j'ai mieux, fit-il. M. de la Ville-Handry donne une fête, ces jours-ci?

– Après-demain, jeudi.

– Parfait… Jeudi donc, mademoiselle, dès le matin, vous vous plaindrez d'un violent mal de tête et vous enverrez chercher le médecin… Il vous ordonnera n'importe quoi, que vous ne ferez pas, mais on vous croira souffrante, on vous surveillera moins. Le soir venu, cependant, quelques minutes avant dix heures, vous descendrez et vous irez vous cacher à l'entrée de l'escalier de service qui est au fond de la cour… C'est possible, n'est-ce pas?..

– C'est facile, même, monsieur…

– En ce cas je réponds du succès… Moi, à dix heures précises, j'arriverai en voiture. Mon cocher à qui j'aurai fait le mot, au lieu de m'arrêter devant le perron, aura l'air de faire une fausse manœuvre, et m'arrêtera juste à l'entrée de l'escalier… Je sauterai à terre, et vous, lestement, vous vous élancerez dans la voiture.

– Oui, comme cela, en effet…

– Les mantelets étant relevés, personne ne vous verra… La voiture sortira et ira m'attendre devant l'esplanade, et dix minutes plus tard je serai près de vous…

Le plan adopté, et le succès dépendant de la précision des mouvements, M. de Brévan régla sa montre sur celle de Mlle Henriette.

Puis se levant:

– Déjà, mademoiselle, fit-il, nous avons causé plus longtemps que ne l'eût voulu la prudence; je ne vous reparlerai pas de la soirée… A jeudi!

Et d'une voix défaillante elle répéta:

– A jeudi!..

XVII

D'un mot, Mlle de la Ville-Handry venait de fixer irrévocablement sa destinée.

Et elle le savait… Elle avait conscience de l'effroyable témérité de sa détermination. Une voix s'était élevée, du plus profond d'elle-même, pour lui crier que son honneur, sa vie, toutes ses espérances ici-bas étaient l'enjeu de cette suprême partie…

Ce que dirait le monde au lendemain de sa fuite, elle le prévoyait.

Elle serait perdue, et elle n'aurait à attendre, à espérer de réhabilitation que de Daniel…

Si encore elle eût été, comme autrefois, sûre du cœur de cet élu de sa pensée!.. Mais les insinuations perfides de la comtesse Sarah, mais les impudentes affirmations de sir Tom avaient fait leur œuvre et altéré sa foi…

Depuis bientôt un an que Daniel était parti, elle lui avait écrit tous les mois, et elle n'avait reçu de lui que deux lettres, par l'intermédiaire de M. de Brévan… et quelles lettres!.. bien polies, bien froides et sans presque un mot d'espoir…

Si Daniel, à son retour, allait se détourner d'elle!..

Et cependant, plus elle réfléchissait, et avec cette lucidité étrange que donne l'approche d'un événement décisif, plus elle se pénétrait de l'inéluctable nécessité du parti qu'elle prenait.

Oui, elle allait affronter les périls de l'inconnu… mais c'était pour se dérober à des dangers qu'elle ne connaissait que trop.

Elle se confiait à un homme qui était presque un étranger pour elle… Mais n'était-ce pas l'unique moyen d'échapper aux outrages du misérable qui était devenu le commensal, l'ami et le conseiller de son père!..

Enfin, si elle sacrifiait sa réputation, c'est-à-dire l'apparence de l'honneur, elle sauvait la réalité… l'honneur même.

Ah! n'importe!.. Tant que dura la journée du mercredi, on put la voir errer, plus blanche qu'un spectre, à travers l'immense hôtel de la Ville-Handry.

Elle disait adieu à cette chère maison, toute peuplée des souvenirs de ses dix-huit ans, où elle avait joué enfant, où la voix de Daniel avait fait battre son cœur, où sa sainte mère était morte.

Et le soir, à table, de grosses larmes roulaient silencieuses le long de ses joues, pendant qu'elle contemplait la sérénité stupidement triomphante de M. de la Ville-Handry.

Le lendemain, cependant, le jeudi, dès le matin, ainsi qu'il avait été convenu, Mlle Henriette se plaignit de se sentir très-souffrante et le médecin fut appelé.

Il lui trouva une fièvre violente et lui ordonna de garder le lit.

C'était la liberté qu'il donnait à la pauvre jeune fille.

Aussi, dès qu'il fut parti, elle se leva, et telle qu'un mourant qui prend ses dispositions dernières, elle se hâta de tout mettre en ordre dans ses tiroirs, triant ce qu'elle désirait garder, brûlant tout ce qu'elle voulait dérober à la curiosité de la comtesse Sarah et de ses complices.

M. de Brévan lui ayant recommandé de ne pas emporter ses bijoux, elle les laissa – à l'exception de ceux qu'elle portait habituellement – très en vue sur son chiffonnier.

Le système d'évasion adopté lui défendait de s'embarrasser de bagages, et cependant un peu de linge lui devait être indispensable… Ayant réfléchi, elle ne vit pas d'inconvénient à se charger d'un léger sac de voyage, qui lui venait de sa mère, et qui renfermait un petit nécessaire de toilette en or, véritable chef-d'œuvre d'orfèvrerie…

Ses préparatifs terminés, elle écrivit à son père une longue lettre où elle lui expliquait les motifs de sa résolution désespérée.

Puis elle attendit…

La nuit depuis longtemps était venue, et les derniers apprêts d'une fête princière emplissaient l'hôtel de mouvement et de tapage… On entendait les pas affairés des valets, la voix des maîtres d'hôtel donnant des ordres, les coups de marteau des tapissiers clouant encore de ci et de là quelques tentures…

Bientôt retentit sur le sable de la cour le roulement sourd des voitures amenant les premiers invités…

Désormais, ce n'était plus pour Mlle Henriette qu'une question de minutes, et elle les comptait à sa montre avec d'effroyables battements de cœur…

Enfin les aiguilles marquèrent dix heures moins le quart.

D'un mouvement automatique, Mlle Henriette se dressa, elle jeta sur ses épaules un immense cachemire, et, prenant son petit sac de voyage, elle s'échappa de son appartement et se glissa le long des corridors jusqu'à l'escalier de service.

Elle allait sur la pointe du pied, retenant son haleine, l'œil et l'oreille au guet, prête à battre en retraite au moindre bruit suspect ou à se jeter dans la première chambre venue…

Ainsi, sans encombre, elle descendit, arriva à l'entrée obscure de l'escalier, et là, dans l'ombre, assise sur son petit sac, elle attendit, haletante, les cheveux trempés d'une sueur froide, les dents lui claquant dans la bouche de frayeur…

Enfin, dix heures sonnèrent, et les vibrations de l'horloge n'étaient pas encore éteintes, que le coupé de M. de Brévan parut…

Assurément son cocher était un habile homme… Feignant de n'être plus maître de son cheval, il le fit tourner sur place et le força de reculer avec une si adroite maladresse que la voiture alla donner contre le mur du fond, la portière de droite se trouvant juste en face de l'étroite entrée de l'escalier…

Plus prompt que l'éclair, M. de Brévan sauta à terre… Mlle Henriette s'élança d'un bond… personne ne vit rien…

 

Et l'instant d'après, la voiture sortait au petit pas de l'hôtel de la Ville-Handry, remontait la rue de Varennes et allait s'arrêter devant l'esplanade des Invalides…

C'en était fait… En quittant la maison paternelle, Mlle de la Ville-Handry venait de briser le cadre des conventions sociales… Elle était à la merci des événements, désormais, et selon qu'ils lui seraient favorables ou contraires, elle devait être sauvée ou perdue…

Mais elle ne songeait pas à cela… Avec le danger d'être surprise, l'exaltation fébrile qui l'avait soutenue était tombée, et elle gisait anéantie sur les coussins, quand la portière s'ouvrit brusquement, et un homme se montra: M. de Brévan…

– Eh bien!.. mademoiselle, s'écria-t-il d'une voix étrangement troublée, nous l'emportons!.. Je viens de présenter mes hommages à la comtesse Sarah et à ses dignes acolytes, j'ai serré la main de M. le comte de la Ville-Handry, personne n'a l'ombre d'un soupçon…

Et comme Mlle Henriette se taisait:

– Maintenant, ajouta-t-il, je suis d'avis de ne point perdre de temps, car il faut que je reparaisse le plus tôt possible au bal… Votre logis vous attend, mademoiselle, tout y est prêt, je vais, si vous le voulez bien, vous y conduire.

Elle se redressa, et avec un grand effort:

– Conduisez-moi, monsieur, dit-elle.

Déjà M. de Brévan s'était élancé dans la voiture qui partit au galop, et tant que dura le trajet, il expliquait à Mlle Henriette la façon dont elle aurait à se conduire dans la maison où il lui avait loué un logement.

Il l'avait annoncée, disait-il, comme une de ses parentes de province, qui avait éprouvé des revers de fortune et qui venait à Paris pour tâcher de trouver quelque petit emploi qui la fît vivre…

– Souvenez-vous de ce roman, mademoiselle, recommandait-il, pour y conformer vos actions et vos paroles. Et surtout, gardez-vous de jamais prononcer le nom de votre père et le mien… Souvenez-vous que vous êtes mineure, qu'on vous cherchera activement, et que la moindre indiscrétion peut mettre sur vos traces…

Puis, comme elle gardait le silence, pleurant, il voulut lui prendre la main, et c'est alors qu'il remarqua le petit sac dont elle s'était chargée.

– Qu'est-ce que cela?.. interrogea-t-il d'un ton qui, sous une douceur affectée, trahissait un vif mécontentement.

– Quelques objets de première nécessité.

– Emporteriez-vous donc vos bijoux, malgré mes conseils!..

– Non certainement, monsieur…

Cependant, cette persistante préoccupation de M. de Brévan finissait par la frapper et elle lui eût laissé voir sa surprise, si la voiture ne se fût brusquement arrêtée devant le numéro 23 de la rue de la Grange-Batelière.

– Nous voici arrivés, mademoiselle, dit M. de Brévan.

Et sautant lestement à terre, il alla sonner à la porte de la maison qui s'ouvrit aussitôt.

La loge des concierges était encore éclairée; M. de Brévan y marcha tout droit et l'ouvrit en homme qui connaît les êtres.

– C'est moi! prononça-t-il.

Un homme et une femme – le portier et son épouse – qui sommeillaient à demi, le nez sur un journal, se dressèrent en sursaut.

– Monsieur Maxime!.. firent-ils ensemble.

– J'amène, poursuivit M. de Brévan, la jeune parente que je vous avais annoncée: Mlle Henriette.

Si Mlle de la Ville-Handry eût eu la plus légère notion des mœurs parisiennes, rien qu'au salut du portier et à la révérence de son épouse, elle eût compris que sa bienvenue avait été largement payée.

– La chambre de mademoiselle est prête, dit l'homme…

– C'est mon mari qui l'a appropriée, interrompit la femme; ce qui n'était pas une petite affaire, après que les tapissiers ont été partis… Et moi, à cinq heures, j'ai allumé un grand feu, pour chasser l'humidité.

– Montons alors, fit M. de Brévan.

Mais les portiers du numéro 23 étaient gens économes, et depuis longtemps le gaz de l'escalier était éteint.

– Donne-moi un flambeau, Chevassat, dit la concierge à son mari.

Et sa chandelle allumée, elle passa en avant, éclairant M. de Brévan et Mlle Henriette, s'arrêtant à chaque étage pour vanter la tenue de la maison.

Enfin, au cinquième étage, à l'entrée d'un étroit corridor, elle ouvrit une porte en disant:

– Nous y sommes! Mademoiselle va voir comme c'est gentil…

Peut-être, en effet, était-ce gentil à ses yeux, mais Mlle Henriette, accoutumée aux splendeurs de l'hôtel de la Ville-Handry, ne put dissimuler un mouvement de stupeur… Cette chambre, plus que modeste, lui semblait un horrible taudis dont n'eût pas voulu la dernière de ses femmes de chambre.

N'importe!.. Elle entra bravement, déposant son sac de voyage sur une commode et se débarrassant de son châle comme pour prendre possession du logis.

Mais son impression première n'avait pas échappé à M. de Brévan. Il l'attira jusque dans le corridor, pendant que la concierge attisait le feu, et à voix basse:

– Cette chambre est affreuse, fit-il avec un singulier sourire, mais la prudence m'obligeait à la choisir ainsi…

– Telle qu'elle est, elle me plaît, monsieur…

– Beaucoup de choses vont vous manquer sans doute, mais demain nous aviserons… Pour ce soir, je suis obligé de vous quitter; vous le savez, il est important qu'on me voie cette nuit à l'hôtel de la Ville-Handry…

– Vous avez raison, monsieur, partez, partez vite!..

Cependant, il ne voulut pas s'éloigner sans avoir encore une fois recommandé chaudement «sa jeune parente» à la Chevassat.

Et c'est seulement quand elle lui eût affirmé à plusieurs reprises qu'elle n'avait besoin de rien, qu'il sortit, suivi de la digne portière…

Aux terribles convulsions qui depuis quarante-huit heures secouaient Mlle Henriette, un étonnement immense succédait, – stupeur du fait accompli et irrévocable.

Un événement était survenu dans sa vie, plus considérable, plus inouï qu'un déplacement de montagnes.

Et, debout devant la cheminée, elle considérait dans la petite glace son visage pâli, répétant à demi-voix:

– C'est moi, c'est bien moi!..

Oui, c'était bien elle, la fille unique du comte de la Ville-Handry, qui était là dans cette maison inconnue, dans cette chambre du cinquième étage devenue la sienne.

C'était bien elle, hier encore entourée des recherches d'un luxe princier, servie par une armée de valets, qui se trouvait là, dénuée des choses les plus indispensables, n'ayant de service à attendre que de cette vieille portière à qui M. de Brévan l'avait recommandée…

Etait-ce possible… Etait-ce seulement croyable!.. Elle-même avait peine à se convaincre de l'invraisemblable vérité.

Elle n'éprouvait d'ailleurs nul repentir de ce qu'elle avait fait.

Pouvait-elle demeurer plus longtemps près de son père, en butte aux outrageantes brutalités du plus vil des hommes?.. Evidemment, non.

– Mais à quoi bon revenir sur le passé, murmura-telle, secouant la torpeur qui l'engourdissait, je dois me défendre d'y penser…

Et pour occuper son esprit, elle se leva et se mit à reconnaître et à inventorier sa nouvelle demeure.

C'était un de ces logements dont jamais les propriétaires ne s'occupent, où la plus légère réparation leur semblerait ridicule, tant ils sont sûrs de les louer quand même et tels quels.

Le carreau, jadis mis en couleur, s'émiettait, et nombre de briques branlaient dans leur alvéole de ciment… Le plafond crevassé s'écaillait, tout maculé le long des murs de traces de chandelle… Le papier, d'un gris sale et gras, misérablement éraillé, gardait l'empreinte de tous les locataires qui s'étaient succédé depuis qu'il avait été posé.

Le mobilier était d'ailleurs digne du logis: un lit de noyer, drapé de rideaux de perse fanée, une commode, une table, deux chaises et un méchant fauteuil le constituaient…

Devant la fenêtre, un rideau, trop court pendait… Il y avait devant le lit un mauvais tapis, et sur la cheminée une pendule à sujet en zinc doré, entre deux vases de verre bleu…

Rien de plus…

Comment M. de Brévan avait-il pu choisir pour la recevoir, un pareil réduit, voilà ce que ne s'expliquait pas nettement Mlle Henriette.

Il lui avait dit, et elle le croyait, que les plus excessives précautions étaient nécessaires. Mais eût-elle été beaucoup plus compromise et bien plus en danger d'être retrouvée par la comtesse Sarah, si on eût arrangé le papier, caché le carreau sous un modeste tapis de feutre et emménagé des meubles un peu plus confortables!..

Cependant, elle ne concevait pour cela nul soupçon, pas plus qu'elle n'en avait conçu pendant la soirée qui venait de s'écouler, en remarquant les façons étranges de M. de Brévan.

Mais que lui importait ce logement? Elle ne devait faire qu'y passer, espérait-elle, et l'étroite cellule d'un couvent eût été, pensait-elle, plus triste encore. Et tout était préférable à la maison paternelle.

– Ici, du moins, se disait-elle, j'aurai le calme et le repos.

Repos moral, peut-être, car pour l'autre il ne devait pas tarder à être étrangement troublé.

Accoutumée au silence profond des vastes appartements de l'hôtel de la Ville-Handry, Mlle Henriette n'avait même pas idée du mouvement continuel de ces derniers étages des maisons de Paris, où s'entasse et s'agite la population d'un hameau, où les locataires, séparés par de minces cloisons, vivent, pour ainsi dire, les uns chez les autres…

Dormir dans de telles conditions exige une longue habitude, et l'apprentissage ne devait pas peu coûter à la pauvre jeune fille.

Il était plus de quatre heures, quand, brisée de lassitude, elle s'endormit d'un si pesant sommeil, qu'il ne fut pas troublé par le vacarme matineux de cette ruche humaine.

Il faisait grand jour quand elle s'éveilla, et un pâle rayon du soleil d'hiver glissait à travers ses rideaux… La pendule de zinc dédoré marquait midi…

Elle se leva et se hâta de s'habiller.

La veille encore, lorsqu'elle s'éveillait, elle sonnait, et sa femme de chambre accourait, qui s'empressait d'allumer le feu, de lui présenter ses pantoufles, de jeter sur ses épaules un peignoir bien chaud… Tandis que désormais…

Ce souvenir devait reporter sa pensée vers l'hôtel de la Ville-Handry…

Qu'y faisait-on à cette heure?.. Son évasion, certainement, était découverte… On avait dû dépêcher des domestiques dans toutes les directions… Son père, très-probablement était allé demander l'assistance de la police…

Elle eut un mouvement de joie, de se sentir si bien cachée, et promenant un regard autour de sa chambre, plus misérable encore au jour qu'à la lumière:

– Non, jamais on ne viendra me chercher ici, murmura-t-elle…

Cependant, elle avait trouvé un tas de bois près de la cheminée, et comme il faisait froid, elle s'occupait à allumer du feu, quand on frappa à sa porte. Elle ouvrit, et Mme Chevassat la portière apparut.

– C'est moi, ma jolie demoiselle, dit-elle dès le seuil; ne vous voyant pas descendre, je me suis dit: il faut que je monte voir… Et vous avez bien dormi?

– Très-bien, madame, je vous remercie.

– Allons, voilà qui est bon… Et cet appétit?.. car c'est pour cela aussi que je suis montée… Est-ce que vous ne songez pas à manger un morceau?..

Non seulement Mlle Henriette y songeait, mais elle avait faim… Car il n'est pas d'événements qui tiennent, d'aventures, d'émotions ni de chagrins, la tyrannie des besoins matériels est plus forte que tout.

– Je vous serais obligée, madame, dit-elle, si vous vouliez bien me monter à déjeuner…

– Si je le veux!.. plutôt deux fois qu'une, ma jolie demoiselle… Le temps de cuire un œuf et de griller une côtelette, et je suis à vous…

Revêche d'ordinaire et plus aigre que verjus, la Chevassat avait mis dehors tout ce qu'elle avait d'amabilités, se grimant d'une bonhomie douceâtre, voilant de sensibilité l'éclat inquiétant de ses petits yeux gris.

Hypocrisie bien inutile!.. L'effort qu'elle s'imposait était trop manifeste pour ne pas éveiller les pires défiances.

– Assurément, pensait Mlle Henriette, c'est là une méchante femme…

Ses soupçons ne firent que redoubler, quand la digne portière reparut, lui apportant son déjeuner qu'elle dressa sur la petite table, devant le feu, avec toutes sortes d'obséquiosités serviles.

– Vous allez voir comme tout ce que je vous ai préparé est bon, mademoiselle, disait-elle.

Puis, tandis que Mlle Henriette mangeait, elle s'établit sur une chaise, près de la porte, discourant avec une intarissable volubilité.

A l'entendre, la nouvelle locataire devait bénir son bon ange, qui l'avait conduite dans cette maison de la rue de la Grange-Batelière, servie par des concierges tels que son mari et elle: lui, la crème des hommes; elle, un véritable trésor pour l'obligeance, la douceur et la discrétion.

 

Maison exceptionnelle, ajoutait-t-elle, quant au choix des locataires, tous gens d'une honorabilité notoire, depuis les vieilles rentières du premier étage jusqu'au brocanteur du quatrième, le père Ravinet, sans en excepter les jeunes dames qui occupaient les petits appartements du fond de la cour.

Puis, ayant passé tout son monde en revue, elle entamait l'éloge de M. de Brévan, qu'elle appelait M. Maxime.

Il lui avait plu tout d'abord extraordinairement, déclarait-elle, quand il s'était présenté, l'avant-veille, pour arrêter un logement. Jamais elle n'avait encore rencontré un homme si comme il faut, si aimable, si poli et si généreux. Et expérimentée comme elle l'était, elle avait discerné tout de suite un de ces êtres charmants qui semblent créés et mis au monde pour inspirer les plus violentes passions.

Du reste, ajoutait-elle avec un équivoque sourire, sa sympathie pour sa jolie locataire n'était pas moins vive, à ce point qu'elle s'estimerait heureuse de se dévouer pour elle, sans espoir de récompense.

Ce qui n'empêche que Mlle Henriette ayant fini de déjeuner:

– C'est deux francs que vous me devez, mademoiselle, déclara-t-elle, et si cela peut vous être agréable, je me charge, moyennant cinq francs par jour, de vous nourrir très-bien.

Et vivement elle entreprit de prouver que ce serait de sa part pure obligeance, car, à ce prix, et vu la cherté de toutes choses, elle perdrait assurément…

Mais Mlle Henriette ne la laissa pas continuer… Ayant tiré de sa bourse une pièce de 20 francs:

– Payez-vous, madame, prononça-t-elle.

Evidemment, ce n'était pas là ce qu'attendait l'estimable portière, car elle recula d'un air offensé.

– Pour qui donc me prenez-vous, mademoiselle, protesta-t-elle, me croyez-vous capable de vous réclamer quelque chose!..

Et haussant les épaules:

– Est-ce que vos dépenses, d'ailleurs, ne regardent pas M. Maxime!..

Sur quoi, elle ramassa vivement le couvert et se retira.

Mlle Henriette ne savait que penser.

Qu'à travers toutes ces paroles oiseuses, cette louche mégère poursuivît un but, c'est ce dont elle ne pouvait douter, encore qu'elle ne discernât nullement lequel…

Et cependant, ce n'était pas là ce qui arrêtait sa pensée.

Ce qui l'épouvantait, c'était de se sentir si absolument à la merci de M. de Brévan. En tout et pour tout, elle possédait environ deux cents francs, et elle était dénuée de tout, et les objets les plus indispensables lui manquaient, et elle n'avait ni une robe, ni un jupon de rechange.

Comment M. de Brévan n'avait-il pas prévu cela? Attendait-il donc qu'elle lui exposât sa détresse, et qu'elle lui demandât de l'argent!..

Véritablement elle ne pouvait l'imaginer, et elle attribuait cet oubli à son trouble, se disant qu'il n'allait pas tarder à arriver sans doute, pour s'informer d'elle et se mettre à sa disposition…

Cependant, la journée s'écoula lentement, et la nuit vint sans qu'il parût.

Qu'est-ce que cela voulait dire!.. Quel événement extraordinaire était survenu, quel malheur l'avait frappé!..

Dévorée d'indicibles angoisses, Mlle Henriette fut dix fois sur le point de courir jusque chez lui.

Le lendemain seulement, sur les deux heures, il se présenta, affectant un ton dégagé, mais visiblement embarrassé…

S'il n'était pas venu la veille, déclara-t-il, c'est qu'il savait, à n'en pas douter, que la comtesse Sarah le faisait surveiller… La fuite de Mlle de la Ville-Handry était l'événement de Paris, et on le soupçonnait d'y être pour quelque chose, on ne le lui avait pas caché, disait-il, à son club.

Même, il ajouta que prolonger sa visite serait imprudent, et il se retira sans avoir rien dit à Mlle Henriette, sans paraître s'apercevoir de son dénûment…

Et ainsi, durant trois jours, il ne fit pour ainsi dire qu'apparaître.

Il arrivait profondément troublé, comme s'il eût quelque chose de très-important à dire, puis son front se rembrunissait, et il se retirait brusquement sans avoir rien dit.

Incapable de supporter davantage une si atroce incertitude, torturée de doutes épouvantables, Mlle Henriette était résolue à provoquer une explication, quand, le quatrième jour, M. de Brévan arriva, enflammé, ce n'était que trop aisé à voir, de quelque détermination terrible.

Sitôt entré, il donna un tour de clef à la porte, et d'une voix rauque:

– Il faut que je vous parle, mademoiselle, déclara-t-il, oui, il le faut absolument…

Il était livide, ses lèvres blanches tremblaient et ses yeux brillaient d'un éclat effrayant, comme ceux d'un homme qui eût demandé aux liqueurs fortes le courage qui lui manquait…

– Je vous écoute, monsieur, fit la jeune fille toute frissonnante.

Il eut un mouvement encore d'hésitation, puis surmontant d'un puissant effort toutes ses répugnances:

– Eh bien! donc, reprit-il, je vous demanderai si jamais vous n'avez soupçonné quelles raisons j'avais d'aider votre évasion.

– Je pense, monsieur, que vous n'avez consulté que votre pitié, et aussi le souvenir de votre amitié pour M. Daniel Champcey…

– Non, ce n'est pas cela…

Instinctivement, elle recula, en prononçant seulement:

– Ah!..

De blême qu'il était, M. de Brévan était devenu plus rouge que le feu.

– Vous n'avez donc rien vu, prononça-t-il, vous n'avez donc pas compris que je vous aime…

Elle pouvait tout concevoir, l'infortunée, excepté cela, excepté cette infamie inouïe, cette insulte suprême… M. de Brévan était-il donc ivre ou fou!..

– Retirez-vous, monsieur, commanda-t-elle, d'une voix vibrante d'indignation…

Mais il s'avançait les bras ouverts.

– Oui, je vous aime éperdûment, poursuivait-il, et depuis longtemps, depuis le premier jour que je vous ai vue…

Déjà, d'un mouvement rapide, Mlle Henriette avait ouvert la fenêtre.

– Un pas de plus, fit-elle, et je crie au secours…

Il s'arrêta et changeant de ton:

– Ainsi vous me repoussez, ajouta-t-il… Qu'espérez-vous donc?.. Le retour du Daniel?.. Ignorez-vous donc qu'il adore la comtesse Sarah…

– Ah! vous abusez impudemment de ma détresse! interrompit la jeune fille.

Et comme il insistait encore.

– Mais sortez donc, lâche, cria-t-elle, sortez donc, misérable, ou j'appelle…

Effrayé, il recula jusqu'à la porte qu'il ouvrit, mais avant de sortir:

– Vous me repoussez aujourd'hui, prononça-t-il en ricanant, mais avant un mois vous me rappellerez… Vous êtes perdue, et seul je puis vous sauver!