Za darmo

L'enfer et le paradis de l'autre monde

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VI. Un autre foyer – Nouveaux malheurs

Comme Borrowdale et ses amis passaient de Yonge street à travers une de ces ruelles qui courent au nord de Queen street, leur attention fut attirée sur un groupe de personnes qui se trouvaient de l’autre côté du trottoir.

Au milieu de ce groupe, plusieurs individus paraissaient se quereller. Borrowdale franchit rapidement la rue et se fraya un chemin à travers la foule.

Mais à peine eut-il jeté un coup d’œil sur les gens qui se disputaient que, remarquant que ses deux amis s’approchaient, il revint à ces derniers et, les prenant par le bras, les emmena en disant d’un ton négligent:

– Bah! ce n’est rien, une rixe!

– Un moment! arrêtons-nous! s’écria Squobb tirant son cahier de notes.

– Le temps d’écrire un mot, ajouta-t-il.

– Ce n’est rien, mon cher, répliqua Borrowdale avec une anxiété qu’un observateur n’eût pas manqué de remarquer.

Ses compagnons n’y prirent garde, et il les entraîna en bas de la ruelle.

Mais tout à coup Borrowdale parut se raviser.

– Voulez-vous avoir la bonté de m’attendre une minute? dit-il; j’ai quelque chose à dire à une personne que, par hasard, j’ai aperçus là-bas. Ce sera l’affaire d’une seconde.

Il se dirigea au pas de course vers le théâtre de l’altercation, après avoir laissé ses amis dans l’étonnement de sa brusque disparition.

– Je vous le répète, je ne sais, sur mon âme, ce qu’elle est devenue, disait au milieu du groupe une voix doucereuse. Je jure que je n’en sais rien.

– Tu mens, vilain freluquet, tu mens! hurlait une autre voix rude et exaspérée au dernier point. Et cela te le prouvera…

L’homme qui parlait leva son bras en l’air, comme pour frapper son adversaire avec la crosse d’un pistolet qu’il tenait par le canon.

Borrowdale se jeta sur le dernier.

– Où est-elle? Je veux savoir où elle est? disait l’autre.

À cet instant Borrowdale, prenant l’homme à la voix mielleuse, l’entraînait par le bras en lui soufflant quelques mots à l’oreille.

Le jeune homme tressaillit, puis il trembla, s’appuya contre le mur et se couvrit involontairement le visage avec les mains.

Borrowdale jeta un coup d’œil rapide sur la foule et s’aperçut de suite que l’individu au pistolet était pris d’un accès de rage qui devait avoir pour cause autre chose qu’une insulte ordinaire.

Cet individu était affublé de haillons.

Près de lui se tenait un personnage vêtu de même. Il était accoudé à la muraille et avait la tête dans la main. Il gémissait et, du pied, frappait furieusement le sol.

Le reste des assistants paraissait étranger à la dispute.

Borrowdale allait engager les trois acteurs à le suivre quand, se retournant, il vit ses deux amis qui revenaient à lui.

Un moment il resta indécis; mais reprenant bientôt son sang-froid, il dit vivement quelques mots au jeune homme que son aspect avait terrifié, puis, courant à Squobb et Fleesham, il les prit par le bras en s’écriant:

– C’est fini, fini-ni-ni, tout est fini! Pas besoin de votre cahier de notes, mon cher Squobb. J’ai apaisé ces êtres-là. Rien n’était sérieux, rien! Vous me connaissez, il faut que je me mêle un peu de tout, c’est mon défaut. C’est drôle, n’est-ce pas? Je suis un être singulier, mais c’est mon caractère, je n’y puis rien.

– Oh! sans doute, sans doute, Borrowdale, dit Fleesham d’un ton protecteur et en descendant la rue. Il faut toujours que vous patronniez quelqu’un. Le patronage est évidemment votre mot d’ordre, ha! ha! ha! Ça vous amuse, n’est-ce pas, de patronner les gens?

– Et vous pensez sans doute, cher monsieur Borrowdale, appuya Squobb, que c’est là le moyen de soutenir quelques fabriques croulantes aux dépens de tout le pays, n’est-ce pas?

– Ma foi, c’est là un pauvre moyen, pauvre moyen, très pauvre, fit Fleesham, à qui le grand air semblait avoir redonné la voix comme à son compagnon.

– Ah! oui, un moyen superlativement pauvre, reprit Squobb, riant immodérément et cherchant à faire tourner en plaisanterie la dernière discussion dans laquelle il avait perdu une grande partie de son prestige éditorial. En vérité, vous êtes fameux, mon cher monsieur, fameux! ha! ha! ha! vous êtes fameux. Il faut vous connaître pour vous apprécier! En vérité, parlons de vous, l’homme public, le champion du peuple, le père nourricier des pauvres, ha! ha! c’est charmant, délicieux, sur ma parole!

– Allons, Borrowdale, poursuivit Fleesham, convenez que vous plaisantiez! Imposer tout le pays pour obliger quelques milliers d’individus à faire fortune, c’est trop fort! ça ne passe pas, ça, mon cher Borrowdale. Décidément, je veux vous croire plus fin.

– Non, je ne badine pas, et ne badine jamais avec des sujets aussi graves, dit Borrowdale.

– Mais enfin vous avouerez qu’il serait ridicule de taxer tout le monde pour quelques milliers…

– Combien dites-vous?

– Combien?

– Oh! fit Squobb d’un ton négligent, six ou sept mille.

– Qu’est-ce à dire? Vous parlez des manufacturiers, n’est-ce pas?

Squobb, devant un personnage qui semblait si bien ferré sur la question, ne pensa pas qu’il fût prudent de se trop exposer. Aussi répondit-il avec légèreté.

– Les manufacturiers proprement dits, ou la classe manufacturière, qu’est-ce que ça fait?

– Soit, alors, nous les appellerons les sept mille manufacturiers, dit Borrowdale, et ça me paraît à peu près le chiffre. Eh bien, quel est le moyen d’élever la condition de ces manufacturiers? Comment leur procurer des bénéfices? N’est-ce pas en les mettant en position d’agrandir et d’augmenter leurs opérations ou, en d’autres termes, d’employer plus de bras? Supposons qu’ainsi on donne assez de confiance et de ressources à ces sept mille manufacturiers pour que, en moyenne, ils puissent employer vingt hommes de plus. Cela procure aussitôt de l’emploi à 140 000 personnes qui, peut-être en ce moment-ci, sont oisives. Allez-vous me dire que ces 140 000 personnes ne reçoivent pas un bénéfice direct? Admettons qu’elles reçoivent une livre sterling de salaire par semaine; me direz-vous que, lorsque ces 140 000 livres seront dépensées chaque semaine chez le boulanger, le boucher, l’épicier, le marchand de marchandises sèches, ceux-ci ne s’en trouveront pas mieux? De plus, quand le boulanger, le boucher, auront porté cet argent au fermier pour acheter ses grains et sa farine, ses moutons, bœufs, légumes, et l’auront délivré de l’inconvénient d’envoyer ce qu’il peut de ses produits à trois mille milles de distance, pour baisser de valeur en voyage, me direz-vous que l’agriculteur et, par conséquent, l’agriculture n’auront pas leur compte dans ce procédé? Puis, quand le manufacturier viendra trouver ce même fermier pour lui acheter ses peaux, ses laines et son chanvre à un bon prix, au lieu d’être forcé, comme maintenant, de les livrer à des spéculateurs américains pour les deux tiers de leur valeur, n’aura-t-il pas du profit? De fait, pouvez-vous me citer une classe individuelle qui ne recevra sa proportion du profit?

– Profit! s’écria Fleesham d’un ton voisin du désespoir, mais le premier effet du profit serait de détruire tout ce qui ressemble à la confiance. Imposez demain de lourds droits de protection, que résultera-t-il? La confiance s’en ira. Où, je vous le demande, où serait, par exemple, la confiance de mon banquier en moi à ce moment? – Partie!

– Excusez-moi, reprit Borrowdale, mais c’est là, Fleesham, ce que demande le pays. Non pas que nous ayons du mauvais vouloir pour vous, au contraire; mais le plus grand service que l’on puisse rendre au pays serait d’abolir entièrement les deux tiers des affaires de cette nature. Je vais vous montrer comment. Vos banquiers ont, n’est-ce pas? parfaite confiance en vous et ils vous escomptent aisément un montant de 20 000 livres, par exemple. Très bien. Que faites-vous de cette somme? Elle vous sert à passer quelque grand marché avec un négociant américain ou anglais. Vous envoyez des lettres de change pour payer, ce qui est la même chose que si vous envoyiez des espèces, puisqu’elles doivent suivre immédiatement l’expédition des lettres de change. Très bien. Vous avez les marchandises, mais les 20 000 livres sont parties. Nous ne voyons plus ces dernières, il n’y a pas de danger. Elles sont parties pour soutenir ces grands établissements qui fleurissent si bien, et ce n’est pas étonnant, en Angleterre et dans les États, et pour alimenter les classes manufacturières de ce pays. Voyons à présent l’autre côté de la médaille et supposons que lesdits banquiers aient perdu confiance en vous et accordé cette confiance à un manufacturier de votre ville. Ce dernier obtient les 20 000 livres au lieu que ce soit vous. Et d’abord vous remarquerez qu’il fait usage de papier et pas d’espèces sonnantes. Il prend une partie pour payer au fermier sa laine, une autre pour payer au marchand de guenilles ses chiffons, ou au boucher ses cuirs. Le reste, il le distribue entre ses hommes. Ceux-ci payent le marchand de nouveautés et le marchand de provisions. Ceux-là reçoivent l’argent et le reportent au banquier; les fermiers, les bouchers et marchands de chiffons font de même, et en très peu de temps la somme est revenue à la source d’où elle était sortie. On peut de nouveau en disposer dans le même but. De la sorte, cette somme roule par tout le pays, et, après avoir augmenté et multiplié son commerce, elle revient à la même place, mais il n’en sort pas un denier pour l’étranger. Eh bien, monsieur, qui est-ce que le pays et le banquier devraient soutenir? Vous, qui les épuisez en leur enlevant l’or par des dizaines de mille louis, sans leur donner aucune compensation, ou le manufacturier qui, avec le même argent, donne de l’emploi à nos artisans, encourage nos fermiers, soutient nos marchands et aide à la prospérité publique de mille manières, et tout cela sans envoyer un sou hors du pays?

 

– Ah! ah! ah! fit en riant Fleesham, très bon encore, très bon!

– Mon cher Fleesham, reprit Borrowdale avec un sourire un peu moqueur, je suis charmé de voir que vous approuvez cela. Non pas, comme je le disais auparavant, que je vous désire mal à l’aise; je sais très bien que, quoi qu’il arrive, vous saurez vous tirer d’embarras; car aussitôt que vous verrez que les importations cessent de payer, vous tournerez votre attention ailleurs. Peut-être deviendrez-vous un manufacturier et un ami de votre pays et de vos propres intérêts au lieu de n’être qu’un canal de transport pour expédier nos ressources à l’étranger. J’espère, Fleesham, qu’avant longtemps il me sera possible de vous féliciter de votre changement.

Ils approchaient de Park Lane.

Borrowdale s’arrêta et regarda autour de lui. Il ne paraissait pas sûr du lieu qu’il cherchait.

Il venait de tirer le billet qu’on lui avait remis et le relisait à la lueur d’un bec de gaz, quand le son d’une voix d’homme se fit entendre derrière lui.

– Vous venir, massa! vous venir! tant mieux! ben content. Suivre moi, massa, suivre moi.

– C’est bien, allez, dit Borrowdale au nègre qui venait de l’apostropher.

Cet homme les conduisit dans une des huttes qui abondent dans la localité, et les pria de descendre avec lui l’escalier d’un basement souterrain.

– Pas bel endroit, massa, disait-il; pauvres, tous ben pauvres, massa!

Bien ne paraissait plus vrai que leur pauvreté.

Cinq ou six négrillons à demi nus grouillaient sur le plancher, sans lit ou couverture; car non seulement l’appartement ne possédait ni lit ni couchette, mais, à l’exception d’une couple de chaises boiteuses et privées de fond, dont les membres absents servaient peut-être à réchauffer le misérable réduit, et des deux derniers côtés d’un coffre et d’une marmite en fer battu, la chambre était aussi dépourvue d’ustensiles de ménage que les rues que nos personnages venaient de quitter.

Au bout de la pièce, une femme était agenouillée à côté d’un objet étendu sur un peu de paille.

Elle se leva au moment où les étrangers entrèrent et, faisant une respectueuse révérence, montra l’objet gisant dans le coin.

– Voici elle, massa; voici, dit le nègre prenant une petite lampe qui brûlait sur le plancher et l’avançant vers l’angle. Elle ben malade, ben, ben! Et pleurer…

– Seigneur mon Dieu! est-ce possible? s’écria Borrowdale, remarquant que c’était une jeune fille blanche d’une grande beauté. Pauvre enfant, pauvre chère enfant! Voyez comme elle a l’air malade! Ma bonne fille, ajouta-t-il en tombant à genoux près d’elle et lui prenant la main dans les siennes, qu’avez-vous? comment vous trouvez-vous?

Madeleine, – car c’était elle, – ouvrit faiblement les yeux, secoua douloureusement la tête et laissa tomber quelques paroles à demi articulées.

– Ma mère! ma mère!

– Elle pas dire autre chose, fit le nègre d’une voix émue; elle ben malade.

– Bon Dieu, qui est-elle? demanda Borrowdale embrassant d’un regard la misère qui régnait dans le taudis. Qui est-elle? Ce lieu est meurtrier. Dites-moi, brave homme, est-ce que vous restez ici?

– Oui, nous ben obligés, massa, dit le nègre; nous autres gens de couleur on est ben pauvres. Rien savoir de cette fille, massa; mais li…

– N’importe, vous me direz cela une autre fois, interrompit Borrowdale. Nous allons emmener cette enfant. Allez chercher un traîneau, mon garçon, un traîneau couvert, et aussi vite que possible.

– Vous l’avoir de suite, répliqua le noir, qui partit sur-le-champ.

– Fleesham, Squobb, dit Borrowdale se levant et prenant ses amis à l’écart, voyez ça. C’est bien la misère hideuse, atroce, n’est-ce pas?

– Oui, mais les gens de cette classe y sont habitués, vous savez.

– Par malheur ça n’est pas vrai, répliqua Borrowdale. Le lieu où nous sommes abonde en scènes de ce genre. Un jour ou l’autre, je vous parlerai au sujet des gens de couleur. Nous les arrachons à l’esclavage par lequel ils sont au moins abrités et nourris, et nous leur donnons la liberté, c’est vrai, mais voici à quel prix! Liberté de mendier, mourir de faim ou devenir criminels. Non, non, ils ne sont pas habitués à ce genre de vie, si on peut appeler ça une vie. On ne s’habitue pas à vivre de rien! Je reviendrai là-dessus. Squobb, ne pensez-vous pas que ça vaille la peine d’une note? ajouta-t-il en remarquant que l’éditeur[7] avait oublié de tirer son carnet.

– Oh! dit indifféremment Squobb, c’est là une chose commune. Les gens dans ma position n’y suffiraient pas, s’il leur fallait s’occuper de toutes ces bagatelles. Il y a sans doute une cause pour ça. Voyez, le lieu a l’air assez suspect.

– Oui, reprit Borrowdale, la pauvreté a d’habitude cet air, je le sais; mais…

– Ah! c’est vous! c’est vous! s’écria Fleesham à ce moment.

Borrowdale se retourna et ne fut pas médiocrement surpris en voyant Fleesham agenouillé devant la jeune fille, et lui tenant rudement la main à la hauteur de la lampe:

– Ah! c’est ça! Bon, bon! Juste ce que je soupçonnais. Une caverne de voleurs. Où est la police? Ah! ah! Borrowdale, voici quelque chose au service de votre philanthropie. Ma foi, voilà qui arrive à propos. Voyez-vous ça, mon cher, c’est du diamant. Votre innocence porte des bagues en diamant, plus que ça de genre! Mais ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est que cette bague ressemble un peu bien fort à un anneau qui a disparu de l’écrin de ma femme depuis une semaine environ.

– Impossible! cria Borrowdale se baissant en proie à une vive agitation et se mettant à examiner la bague.

– Oh! non, non, non! supplia la jeune fille faisant un effort pour se lever et retirant convulsivement la main pour s’arracher à l’étreinte de Fleesham.

Mais les forces lui manquèrent, elle retomba sur le dos et, regardant pitoyablement son adversaire en face, se prit à sangloter.

– Quoi que ce soit, dit Borrowdale non moins désolé que la pauvre fille elle-même, il y a sûrement quelque méprise, Fleesham. Voyons encore.

– Méprise! s’écria l’importateur reprenant la main de Madeleine et montrant l’anneau. Croyez-vous qu’on se puisse méprendre à ça? surtout quand on a acheté et payé ça? Je le reconnaîtrais, monsieur, au milieu de cinquante mille.

– Arrêtez! c’est une remarquable coïncidence, cria Squobb, tenant son cahier de notes à la main. Si vous le permettez, je vais coucher quelques lignes. C’est un sujet rare.

– Ma bonne femme, dit Borrowdale se détournant avec dégoût de l’officieux éditeur pour interpeller la maîtresse du logis, pouvez-vous nous renseigner là-dessus? Qui est cette malheureuse fille? D’où lui vient cette bague?

La pauvre négresse, fort alarmée, répliqua que la jeune fille avait été amenée par son mari il y avait une heure environ, et qu’elle ne savait rien à propos de la bague et de ce qui concernait la malade.

– Mon Dieu! c’est singulier, dit Borrowdale arpentant la pièce à grands pas; c’est singulier. Pauvre enfant, elle ne paraît pas… Ah! voilà le traîneau qui arrive.

– Voiture à vous, massa, dit le nègre en sautant dans la chambre.

– Bien, mon brave homme, répliqua Borrowdale. Mais venez ici un moment; et dites-moi votre nom.

– Sam White être mon nom, dit le nègre sans hésiter.

– Ah! je me rappelle. Vous avez scié du bois pour moi, n’est-ce pas?

– Oui, massa.

– Bien! Que savez-vous sur cette pauvre petite? Comment est-elle venue ici?

– Oh! ben étrange histoire, massa, dit White. Mais moé dire à vous tout ce que moé connaître. Dernière nuit, jeune homme s’arrêter devant station et demander de mener traîneau ou li dire et li ben payer moé. Alors li commander moé aller chercher jeune fille près Cruikshank Lane, moé aller et trouver elle dans maison vide; prendre jeune fille, charrier elle à King street. Jeune homme là sauter dans traîneau à moé et dire aller vite, vite! Et jeune fille vouloir arrêter et pas vouloir rester avec li. Moé vouloir aider pauvre fille. Li donner coup de poing à moé, faire tomber du traîneau et partir avec pauvre fille. Alors autre traîneau arriver avec autre gentilhomme et li dire à moé que li jeune homme pour avoir volé li. Moé monter avec li et chasser, chasser jeune homme loin, loin, et pas pouvoir attraper li. Pis jeune fille sauter du traîneau de li, tomber dans neige, pas sensible, pas parler. Autre gentilhomme pas vouloir arrêter pour ramasser fille, moé descendre et ramener pauvre fille ici, comme moé pouvoir. Elle être ben malade!

– Oh! c’est cela, c’est cela, dit Fleesham quand le nègre eut fini. Fort jolie histoire, en vérité, n’est-ce pas, Squobb? Ce brave jeune homme dont il parle était le coquin de Morland, et voilà sa gentille complice, sans doute. Sans doute! Un vrai roman. Je pensais bien que nous n’étions pas au bout de ses aventures. Voilà donc, mon très cher Borrowdale, les charmants objets de votre bienveillance. Non contents de se perdre, ils entraînent une foule de fripons à leur suite. Oh! une ravissante main pour les diamants. Bien, nous allons voir!

Après ces mots, Fleesham, transporté de colère et frissonnant d’horreur à la vue de la coupable, s’écria:

– Allons, monsieur White ou Black, ou quel que soit votre nom, venez! Vous ne désirez pas beaucoup, je pense, conserver votre prise ici, quoiqu’elle soit assez précieuse. Elle pourrait aussi être dangereuse. Nous allons la mener à l’hôpital. On s’en chargera là de façon à arranger tout le monde, m’est avis.

– Non, Fleesham, ne vous pressez pas, agissez comme un homme de bien, dit Borrowdale dont les yeux restaient, depuis quelques moments, fixés sur le visage de la jeune fille. Je jurerais qu’il y a là-dedans une méprise. Savez-vous quelque chose au sujet de cette bague, White?

– Moé jamais avoir vu, répondit le nègre après avoir examiné le chaton; moi rien savoir, massa, rien en tout.

Borrowdale s’était d’abord proposé de faire transporter la jeune fille chez lui, chose qu’il avait faite plus d’une fois en de semblables cas; mais, comme les circonstances étaient de nature à soulever des soupçons sérieux, pour ne rien dire de plus, il se vit forcé de céder aux rigoureuses suggestions de son ami, et la malheureuse jeune fille fut en conséquence conduite sur-le-champ à l’hôpital, et là confiée à la double vigilance de la faculté et de la loi.

Pauvre Madeleine! Ainsi le faux pas de la précipitation, l’erreur d’un moment d’égarement, nous entraîne à notre ruine et détruit d’une main sans pitié la paix et le bonheur de bien des jours.

C’est avec l’esprit pénétré de douleur que nous te suivons, Madeleine, à travers ce dédale de malheurs, car au bout nous apercevons le gouffre où peuvent aboutir tes misères.

C’est un exemple pris entre des milliers du même genre, hélas!

Que de femmes n’ont pas succombé ainsi? Où est le talisman qui les peut préserver de l’abîme, la main qui peut les en arracher? La vertu, dira-t-on. Oui, la vertu; mais combien sont sincèrement vertueux; combien ont la force de l’être au milieu de ce monde cruel, impitoyable, toujours prêt à battre des mains au succès et à siffler les défaites!

Cependant, Madeleine, tu n’es pas encore oubliée.

Quoique loin et s’avançant vers la terre étrangère, tes amis pleurent encore pour toi; et puis un amant et un frère, le cœur déchiré, te cherchent partout.

Oui, et nous aussi, Madeleine, pouvons pleurer pour toi, car tu étais aussi innocente que pure, et les lis n’étaient pas plus blancs que toi, avant que tes mains ne fussent forcées à l’indolence, sœur aînée du mal, et avant que la pauvreté n’eût soufflé la folie dans ton oreille.