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Le Peuple de la mer

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Le soir sous la lampe, la mère Bernard fit écrire à Florent par P’tit Pierre une longue lettre pleine de recommandations touchant l’obéissance au docteur, les soins, les imprudences: on l’attendrait pour la noce de son frère, mais qu’il guérit d’abord. Le brigadier n’eut pas la force de l’entendre jusqu’au bout, jusqu’aux demandes instantes de nouvelles, jusqu’aux gros baisers qu’elle envoyait de tout son cœur, et il sortit errer dans le village obscur.

La lettre fut brûlée en cachette. Surprise de ne pas avoir de réponse, avec le temps, la bonne femme s’inquiéta et proposa d’envoyer P’tit Pierre là-bas.

– S’il ’tait très mal tout de même! Il peut déjà point écrire! P’tit Pierre le ramènerait peut-être..

– Oui, dit Bernard, faut que le gars parte, il le ramènera…

Du moins, pensait-il, on aurait son corps à celui-là; on le mettrait au cimetière, là-haut, tout près de nous, avec une belle inscription et des fleurs sur sa tombe.

P’tit Pierre boucla son paquet sur le champ, en dissimulant mal la joie levée en lui, et dont il se sentait tout honteux. Les départs lui donnaient de l’émotion, non à cause de ceux qu’il laissait, de la rupture de quelques attaches de la vie, de l’incertitude des voyages, mais parce qu’ils étaient la porte de l’inconnu, de l’aventure. Il s’en allait, les yeux de sa jeunesse vers l’avenir, sans se retourner.

Et voici son premier grand voyage, jusque dans le nord, à Calais, dans les mers dont parlait Hourtin, différentes de la sienne. Bien sûr, c’était triste d’aller chercher le cadavre de son frère, Florent au col bleu, au pompon rouge, avec qui il faisait beau se montrer, mort maintenant, bêtement et sans gloire. Mais tout de même, il verrait du pays, des ports, des navires, des escadres… Et il ne pouvait refouler la joie qui montait par intervalle du fond de son cœur comme des bulles.

Il mit sa vareuse dans son ballot, ses économies dans sa poche, s’arrangea avec Perchais pour traverser à Pornic et s’en fut causer avec Cul-Cassé afin de jouir de sa tournée à l’avance.

– Ah! fit le boiteux, tu pars pour Calais… moi j’ai été jusqu’à Cherbourg.

– C’est beau par là?

– Oui, les ports. A Cherbourg la jetée fait ben une lieue!

– Ah! mince!

Ils suivirent chacun leurs pensées, sans parler, les regards fixes.

– Je faisais la côte, reprit Cul-Cassé, en travaillant à la chaussure; j’espérais un embarquement…

– T’as pas trouvé?

– Pus d’ cent fois, mais on voulait point de moi, à cause de ma patte folle… Ah! si j’avais été charpentier comme toi! mais cordonnier, bon Dieu!..

Le boiteux eut une grimace amère. P’tit Pierre demanda:

– C’est bon, charpentier à bord?

– J’ te crois! pas foulé, bonne paye…

Ils demeurèrent encore quelques instants silencieux; puis à son tour Cul-Cassé interrogea:

– Ça va ton bras?

– Oui, j’ai pus mal… Tiens, regarde un peu…

P’tit Pierre troussa la manche et découvrit un tatouage d’un beau bleu, l’inflammation disparue. La devise Quand même! se détachait nettement sous l’ancre, les drapeaux s’éployaient sur le gras du bras. Cul-Cassé le palpait d’un doigt connaisseur quand la mère Bernard surgit en appelant son gars.

– Tu penses seulement point à Cécile! elle est à pleurer chez nous!

P’tit Pierre protesta en rougissant et rentra derrière sa mère. A la maison Cécile frottait ses yeux humides à pleins poings devant la table où s’alignaient une miche, du beurre et du fromage. Elle sourit en voyant P’tit Pierre, lui sauta au cou et devint bavarde.

– Mon p’tit gars, dit la mère, faut casser la croûte, car tu sais point quand tu mangeras après?

Le ballot de P’tit Pierre, enveloppé d’un mouchoir à carreaux, attendait là sur une chaise. Lui avait ses souliers neufs et sa casquette propre. Il mangea silencieusement sous les regards des femmes attentives à le soigner. Le brigadier demeurait pensif, les bras croisés. A la fin, ils trinquèrent tous, sans dire leurs souhaits, ce qui les rendit plus unanimes et plus profonds.

Perchais poussa la porte, emplissant la baie de sa vaste carrure.

– Allons le gars, il est temps, dit-il?

La mère glissa le reste du fromage et du pain dans la poche de P’tit Pierre. Cécile l’attira dans un coin et lui tendit un foulard qu’elle tira de son corsage.

– C’est pour que tu m’oublies point, dit-elle.

– T’es bête, pour huit jours!

– Sait-on jamais! soupira-t-elle.

On s’embrassa, Perchais, gêné, sortit sur la route, et tout le monde le suivit.

Personne sur la jetée; pas de barques au port. Seul, le ravitailleur du Pilier qui démarre. Le temps était gris, et la mer, lourde, plus lumineuse que le ciel Izacar visitait ses viviers et jetait les crabes morts qui grossissaient à mesure de leur chute dans l’eau claire.

A bord du Laissez-les dire, P’tit Pierre se retrouva soudain. Il empoigna la gaffe, déborda le sloop et envoya le foc, tandis que la mère criait de la cale:

– Et pis ramène Florent!

– Sois tranquille, fit Bernard, il le ramènera…

La barque s’engagea dans le chenal de terre, entre les roches du Martroger. P’tit Pierre établit la trinquette, étarqua la grand’voile avec le matelot et para le flèche. La mer s’étalait comme un tapis, transparente. Des mouettes planaient, puis se laissaient tomber à l’eau, comme des balles pour pêcher. Au bout de la jetée, Cécile agitait son mouchoir sans discontinuer.

Les vieux attendaient depuis huit jours dans leur maisonnette aux peintures claires et guettaient le facteur du coin des fenêtres.

La Cécile avait porté chez eux les rideaux de «leur lit», comme elle disait du lit nuptial, sitôt leur achèvement. En cretonne jaune semée de fleurs rouges, ils fleuraient la cotonnade. Elle espérait que le brigadier les mettrait en place pour juger de l’effet. Mais il n’y prit pas plus garde que sa femme, et ils les abandonnèrent pliés sur une chaise.

Elle n’osa plus demander de nouvelles, parce qu’elle sentait combien il leur était douloureux de répondre qu’ils n’en avaient pas. Elle n’osa plus entrer dans la chambre de P’tit Pierre, qui sera leur chambre, et où elle aurait aimé déjà faire le ménage, parce qu’au seul bruit de la porte, la figure de la mère se crispait.

La bonne femme ne tricotait plus, ne bougeait plus, restait assise les mains sur le ventre, dans l’attente. A peine si elle faisait de la cuisine pour son Bernard: la soupe aux légumes et le pot au feu. Elle regardait indéfiniment la route blanche au travers des vitres, et connaissait si bien l’emplacement des cailloux qu’elle s’apercevait du moindre manquant. La sortie bruyante de l’usine lui rappelait l’heure, mais l’agaçait à cause de la joie des filles.

Bernard feignait de s’occuper beaucoup du jardin et annonçait chaque jour qu’il allait faire une tombe pour ses laitues ou tresser des oignons. Seulement, si sa bonne femme venait le rejoindre, elle le trouvait assis sur la brouette, les bras croisés ou se promenant parmi les carrés, les yeux à terre.

Il descendait encore chez Zacharie, consulter l’Echo de Paimbœuf qui suivait le sauvetage du Pluviôse. Il entrait par derrière, par l’atelier, et demeurait à la cuisine pour ne pas se montrer dans l’auberge, surtout aux amis.

Le Pluviôse était maintenant à sec, dans le port, et l’on commençait l’extraction des cadavres pourris dans ses flancs crevés. La plupart étaient méconnaissables. On les portait à terre et on les alignait en bière dans un hangar transformé en chapelle ardente, où sanglotaient tout le jour des épouses et des mères. Et le journal, après ces brèves indications, se répandait en louanges sur la conduite du Préfet maritime, de l’amiral, des médecins, «qui tous faisaient leur devoir avec un sublime dévouement», comme si le devoir accompli et l’exemple dû par les chefs étaient une rare curiosité. Puis ronflaient des tirades sur la grandeur du sacrifice, la beauté de la mort pour la patrie, en prologue à l’apothéose des funérailles nationales, avec les drapeaux, les baïonnettes, les panaches, les uniformes, au milieu de tout un peuple dont on sentait se lever les suffrages comme des palmes.

Bernard lisait cela jusqu’au bout, le relisait souvent, en s’exaltant à mesure. L’horreur de la catastrophe s’effaçait derrière la gloire qui remuait sa vieille âme de soldat et de français; et l’imagination dupait son cœur au point qu’il en oubliait la mort de son gars.

Mais au retour chez lui, devant sa bonne femme, tassée d’inquiétude, qui ne sait pas, mais qui se doute, il retombait de son haut à la simple douleur des mères et réentendait le cri tragique de la nature, par-dessus la clameur de la patrie reconnaissante. Toujours pas de nouvelles, P’tit Pierre n’avait même pas signalé son arrivée, ni à eux, ni à Cécile.

Ils attendaient.

L’automne hâtif chargeait la nue, rongeait les jours qui s’éteignaient maintenant en des crépuscules rouges au lieu de se prolonger en clair-obscur comme à l’été, longtemps après la chute du soleil. La mer et le vent s’alourdissaient, et les goélands tournoyaient sur le marais en criant comme des enfants.

Les barques poursuivaient les dernières sardines, pêchaient le maquereau, le thon, malgré les brouillards d’arrière-saison qui réveillent la cloche lugubre, le soir, au bout de la jetée. Les rhumatismes remontaient aux articulations de Clémotte dans les temps humides comme la salure sur les vareuses. Hourtin se cassait, mais sans perdre la mémoire de ses aventures qu’il contait aux jeunes gars en buvant la goutte.

Les veillées allongeaient les stations au cabaret. On parlait du Pluviôse, on lisait la feuille; Zacharie donnait des nouvelles du brigadier:

– Son gars qu’a seulement point écrit!

– Lui s’rait-il point arrivé malheur aussi, dit Perchais.

– On sait point, insinua Cul-Cassé, mais qui dit qu’il aurait point trouvé à s’embarquer!

 

Tout le monde protesta:

– La veille de son mariage!.. Il ’tait trop amoureux!.. Et qu’la Cécile le tenait bien!..

Cul-Cassé hocha la tête en grimaçant; Perchais resta pensif. Puis on passa aux plaintes sur la pêche.

La mère Bernard s’est mise à prier Dieu parce qu’il faut bien quelque chose à quoi s’accrocher quand tout vous manque à la fois sur terre. Elle a dit à son Bernard, sans pleurs, avec accablement:

– J’pense ben qu’on r’verra pus nos gars!

Il a essayé de rire; mais ils ont compris ensemble qu’il ne fallait plus se tromper, mais s’unir. Et le lendemain est arrivé un paquet avec une lettre qu’ils ont laissé Louchon déposer sur la table, sans y toucher d’abord, parce qu’ils sentent en eux la certitude du malheur et n’ont plus de hâte.

– J’ te l’avais ben dit, fait la bonne femme.

Bernard ouvre le paquet, sort un petit sac de marin avec ses rabans et ses chavillots de buis. Dedans il y a deux mouchoirs à carreaux, un tricot, des lettres gondolées et brouillées par l’eau, une pipe et la photographie d’une fille en cheveux qu’ils ne connaissent pas. Sur le sac une bouée de sauvetage est grossièrement peinte avec l’inscription: Honneur-Patrie.

C’est tout. Les vieux étalent ces objets sur la table d’une main tremblante. La mère a reconnu le dernier maillot qu’elle a tricoté pour Florent, le père lui avait acheté la pipe à la foire de Saint-Gilles. Ils ne disent rien. Mais quand Bernard veut lire la lettre de P’tit Pierre, ses yeux s’obscurcissent tellement qu’il doit y renoncer.

– J’ peux pas! soupire-t-il.

Et la vieille essaie à son tour, frotte ses lunettes, ses paupières, froisse le papier où deux gouttes tombent et font deux petites bosses, puis en désespoir le remet sur la table. A quoi bon puisqu’ils savent!

C’est la Cécile qui lit la lettre, le soir à la chandelle, et pousse un grand cri:

– Ah! ah! ah! il est parti! parti! parti!

Les vieux sont presque agacés par cette explosion douloureuse dans leur muet accablement. La fille sanglote, éperdue, en jetant au travers de ses hoquets:

– Il reviendra pus… il s’est embarqué… P’tit Pierre! j’ le r’verrai pus… il est parti, sur un navire… Oh! là là… pus jamais…

La mère Bernard pousse un gros soupir et son homme baisse la tête. Ce dernier coup ne les étourdit pas davantage. La Cécile à genoux, le front dans le tablier de la bonne femme, continue à gémir par intervalle dans le silence où l’on entend le vent d’automne secouer la porte au passage.

La chandelle se consume en crépitant, déplace des reflets sur la pipe, le maillot, la photographie et le sac où, par moment, ces deux mots brillent: Honneur – Patrie. Très tard, la Cécile s’en va, comme une enfant perdue dans la nuit.

Le bruit des sabots sur la route réveille le lendemain les vieux assoupis sur leurs chaises. Le temps a une clarté d’aube estivale; les pêcheurs descendent au port; des coqs chantent.

La mère Bernard prend le portrait de cette femme en cheveux, aux mauvaises allures, qu’ils ne connaissent pas, et l’installe sur la cheminée, près des gars, parce que c’est un peu du cœur de Florent sans doute. Les filles des usines passent dehors en riant et jacassant. Les cloches sonnent.

Dans le port, les vareuses bleues embarquent à pleins canots. Les sloops appareillent aux cris des poulies, doublent la jetée un à un et s’éloignent sur l’océan calme avec de la lumière dans leurs voilures multicolores.

Clémotte et Hourtin, appuyés sur des cannes, descendent voir la mer.

Mai 1910 – Octobre 1911.