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La maison d'un artiste, Tome 2

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De l'autre côté de la grande armoire aux porcelaines et aux bronzes, se trouve, faisant pendant à la vitrine aux netskés, une vitrine uniquement remplie de bols de Satzuma.

Une délicate pâte, composée de nombre de matières premières, passées au tamis de soie, jusqu'à ce qu'elles soient réduites en une poussière impalpable, merveilleusement concrétionnée; une couverte qui va du ton de l'ivoire à la nuance de la toile écrue, tantôt fendillée des craquelures du craquelé, tantôt du plus microscopique truité; là-dessus une décoration tendre et gaie exécutée avec des couleurs de verre pulvérisé, des bleus lapis, des verts cendre verte, des roses d'aquarelles, des violets pâles, des rouges cire à cacheter un peu briqué, – le rouge des anciens Satzuma, – le tout relevé d'un or, à l'épaisseur des reliefs, comme nous en trouvons seulement sur le bleu de Vincennes: c'est là la faïence de Satzuma, une faïence qui semble avoir été créée pour la joie des artistes, et qui apparaît dans sa libre exécution comme une riante et claire esquisse sur le fond non recouvert d'une toile. Elle a encore, cette faïence, une particularité charmante. Sa décoration semble exécutée sous l'influence de l'art arabe, de l'art turc, et l'on dirait que les potiers coréens, épris de ces petits coquetiers filigranes où l'Orient prend son café, ont voulu transporter sur leurs produits porcelaineux ces résilles d'or enrichies de cabochons. Et c'est vraiment miraculeux comme, sur ces faïences, l'épaisse petite gouttelette d'émail translucide, tombée du pinceau, joue dans les trèfles d'une bordure, le grenat, dans les pétales d'un chrysanthème, l'opale, et comme cette bise porcelaine est joliment scintillante d'une poussière de pierre précieuse!

Ces bols donnent à voir, sur leur tournant, des oiseaux bleu et or au milieu de fleurs roses, qu'on dirait modelées dans une couche de verre coloré, des médaillons formés de deux rameaux réunis en couronne et ressemblant aux rocailleuses armoiries du prince de Sagami, des carquois dorés de fleurs, dont le gaufrage de l'or imite le travail de la plus fine boîte de laque d'or, des dessins géométriques enchevêtrés les uns dans les autres et mosaïqués des émaux les plus éclatants. Sur ce bol, une vigne court qui se répand dans l'intérieur par le tortil le plus élégant; sur cet autre est une vraie broderie d'or comme incrustée de petites pierres vertes et rouges. Et voici un céladonné vert d'eau, tout parsemé de sauterelles, de crapauds, de crabes, imités dans leurs couleurs naturelles. Et dans l'ornementation de ces bols, toutes les imaginations! C'est ainsi que celui-ci est décoré de gardes de sabre de métaux divers, mêlées à des coquilles laquées. Le plus beau, le plus riche de tous représente, encore gaufré, l'animal fabuleux appelé Kirin, au milieu de fleurettes éclatant dans leur émail translucide comme un bouquet de feu d'artifice.

Au milieu de ces bols se rencontre une théière charmante, dont la couverte seulement, nuagée de quelques pointillages d'or, montre dans un coin deux petits cartouches accolés: l'un rempli d'une tige de chrysanthème, l'autre d'un bord de rivière fleuri d'iris d'eau.

Quelques bonbonnières auxquelles les faïenciers de Satzuma semblent apporter tous leurs soins, méritent d'être signalées. J'en décrirai une seule. Le pourtour vert clair de la petite boîte ronde et plate est semé de blanches fleurs de cerisiers, et sur le couvercle se dresse une haie feuillagée d'or et coupée par deux ou trois bambous verts du vert du pourtour. Rien de plus distingué que ce paysage d'or à moitié visible, à moitié perdu dans le craquelage de la couverte grise.

Dans l'étude que j'ai faite des faïences de Satzuma, je suis arrivé à croire que les Satzuma relativement anciens sont reconnaissables à une peinture fluide, où l'émail coulant prend l'aspect d'une larme débordant un peu le dessin; à la transparence du feuillage, colorié de tons rompus et très légèrement glacé d'émail et dont toute l'épaisseur est gardée pour les fleurs; à un certain vert qui n'est jamais une plaque de vert cendré opaque, mais un vert clair et irisé qui cherche le vert du nélumbo des porcelaines chinoises de la famille rose sur coquille d'œuf; à des blancs dont l'émail a, pour ainsi dire, la carie de la vieille nacre; à un emploi discret de l'or, dont les filets ont l'ambition d'imiter les fines arêtes d'un cloisonné, et enfin surtout à un truité presque imperceptible dans une pâte ivoréenne.

Terminons cette étude des Satzuma de la vitrine par la description de deux pièces hors ligne:

Caisse à quatre pans carrés au bord supérieur formé de quatre baguettes plates coupées, et faisant les petites saillies tronquées des cadres de bambous japonais. Sur le truité des quatre pans, dans lesquels sont gravés en creux des bâtons de roseaux sont peintes des tiges de chrysanthèmes roses et violets, avec des feuillages mi-vert tendre, mi-dorés, aux cœurs pointillés d'or en relief, aux vrilles jouant le filigrane d'or. Une large bordure intérieure faite de pivoines, et de ce vert tendre et de cet or épais du feuillé. Le vase est recouvert d'un couvercle laqué en dessous, et imitant en dessus le vieux bois pourri et fendillé, où une hirondelle, en shakudo, couchée à terre sur une aile et battant l'air de l'autre, guette, dans une fente, un crabe en fer microscopique. Cette pièce, connue au Japon, a été reconnue par les Japonais comme une des seules pièces anciennes existant à Paris.

Petite caisse à quatre pans carrés. Bordure supérieure formée de ronds rouges contenant des fleurettes d'or. Sur le truité presque imperceptible de la porcelaine d'un blanc d'émail, des pivoines roses. Petit couvercle de bois naturel laqué, au bouton de corne et de nacre. Cette pièce a été raccommodée au Japon, avec le filet d'or, qui est la signature des raccommodages de la faïence et de la porcelaine là-bas.

Ces deux pièces, aux roses pâles de l'azalée, aux colorations cherchant le ton effacé, délavé, un ton qui ressemble à une espèce d'embue de tendres couleurs, sont curieuses en ce que toutes deux semblent fabriquées, avec une autre matière que les bols, – d'une matière porcelaineuse qui ne se laisse pas entamer par l'acier.

Au retour de la vitrine commence le panneau du fond, où sur une table est posée une écritoire japonaise: le meuble à la fois de l'écrivain et du peintre de l'Extrême-Orient, et pour la fabrication duquel il est presque toujours fait un choix de belles matières, réunies dans une ornementation originale. Un pied en bois de fer, découpé en crêtes de vagues; là-dessus la pierre à user l'encre de Chine, avec sa petite cuvette intérieure formée d'un morceau de porphyre rouge, et dont la pittoresque taille donne à l'écritoire sur son pied l'aspect d'un rocher battu par la mer. Et le riche et décoratif objet est terminé par une plaque en bois noir, où, à travers les flots en colère, apparaît le dragon des typhons, en ivoire sculpté aux parties laquées du plus beau et du plus tourmenté travail. Cette écritoire me mène à en décrire une autre, dans la décoration de laquelle l'art chinois semble s'être associé à l'art japonais. Cette écritoire, qui a la forme d'un grand tamis, et est du plus beau bois brun à reflets de racine d'acajou, et tout sculpté de papillons sur son pourtour, a pour revêtement une plaque, où trois perruches blanche, verte, rouge, exécutées en pierre dure, sont perchées, au milieu de pivoines en nacre, et au feuillage d'or, d'écaille, d'ivoire colorié, d'un faire tout chinois. L'intérieur bien japonais est en laque moucheté d'aventurine, sur lequel se détachent de grands papillons en ors de tous les tons. Là se trouve réuni tout l'attirail pour l'écriture et le dessin: une pierre à encre de Chine faite d'une ronde pierre de touche, le réservoir à eau qui est un papillon d'argent, et dans deux petits étuis pas plus gros que les pailles au moyen desquelles on aspire les boissons américaines glacées, les pinceaux que les Japonais fabriquent en poils de loutre, de blaireau et surtout de renard, et que les Chinois préfèrent en poils de lapin et de lièvre blanc58. Il ne faut oublier non plus les vieux bâtons d'encre de Chine, pour lesquels il y a là-bas des collectionneurs, les bâtons d'encre de Chine à la perle, les beaux bâtons à cinq griffes, à l'usage de l'Empereur, avec l'inscription: Tien-tse-ouan-nien, qui est un souhait «de dix mille années au Fils du Ciel», enfin les grands pains entièrement dorés et décorés de dragons en relief et de caractères chinois tracés en creux et coloriés en bleu, semblables à celui qui s'est vendu à la vente de Guignes, en 1845, et dont la date de fabrication correspondait à l'année 1403 de notre ère.

Au-dessus de l'encrier japonais se déploie une panoplie de sabres.

Le Japonais Kachi (sic), se croyant au moment de mourir, d'après le récit de Ricord, remet à ses domestiques son sabre, le sabre paternel, ainsi qu'il l'appelle pour le porter à son fils. Au Japon, dans ce pays des samourais, des chevaliers aux deux sabres, le sabre, la lame du moins, est l'héritage le plus précieux du mort, l'objet transmissible de père en fils, et même, dit-on, un objet inaliénable. Le vice-daysanji, qui faisait les honneurs de Kioto au baron de Hübner, lui montrait, avec orgueil, un sabre appartenant à sa famille depuis le règne de Taiko-sama. Et, au Japon, offrir à quelqu'un ses deux sabres est la plus grande preuve d'estime et d'affection qu'un homme puisse donner, ainsi qu'on peut le voir dans l'histoire de Sibata, que raconte M. Titsingh.

 

C'est, parmi les choses précieuses, la chose par excellence pour ce peuple guerrier. Un samourai met un peu de sa fortune dans un beau sabre, et des documents anciens font mention «de lames nues» payées 500 ducats d'or. Il y a dans les «Mémoires des Djogouns,» une curieuse anecdote à propos du prix des sabres. Le prince Todo-isoumo-no-ka-mi achète 100 kobans (2,400 francs) un sabre merveilleux. Il court le montrer à son père, qui lui dit: «Je ne comprends pas de quel puits vous avez tiré ce sabre.» – C'est l'expression japonaise pour exprimer l'achat d'un objet à vil prix. «Mais vraiment sied-il au prince d'Izé qui jouit d'un revenu de trente-six-mille kokf (86,400 francs) de profiter ainsi du malheur d'autrui?» Et le ton des paroles du père fut si sévère, que le fils se mit de suite à la recherche de son vendeur et doubla la somme payée. Le sabre a une telle importance en ce pays, joue un si grand rôle dans toutes les affaires de la vie, que les biographies de là-bas sont pleines d'histoires de sabres, pareilles à celles du sabre de Toqui xiro (sic), que raconte «la Relation des guerres civiles du Japon» publiée par Pierre Witte en 1722. Le sabre prend enfin au Japon une espèce de caractère sacré59, devient un objet qui ne doit être touché par des mains étrangères qu'avec respect, et pour lequel, fait curieux, il y a un cérémonial à l'effet d'en débarrasser son maître, quand il franchit le seuil d'une maison de thé. La plus jeune des sommeillères, se gantant la main d'un mouchoir de soie, prend le sabre par l'extrémité du fourreau, et le porte ainsi dressé droit contre sa poitrine, jusqu'à ce qu'elle l'ait déposé sur le râtelier de laque du vestiaire.

Du reste, ces sabres seraient les armes blanches les mieux trempées de toute la terre, et dont l'aciérage surpasserait l'aciérage des lames de Tolède et des fameux damas. Ils coupent de gros clous sans que le tranchant soit ébréché. Ils pourfendent des hommes, s'il faut s'en rapporter aux albums d'impressions; et des missionnaires ont été jusqu'à affirmer avoir vu, dans l'Inde, un bœuf coupé en deux par un sabre japonais. De ces sabres japonais, il y en a qui avaient jusqu'à la longueur de neuf éventails (90 pouces). De très estimés anciennement étaient des sabres de 23 pouces, appelés bizen-kouni-miets, du nom du fabricant. Et les noms des célèbres armuriers et fourbisseurs de Kioto, de Yedo, d'Osaka sont dans la bouche de tous les samourais, et deviennent souvent entre eux le sujet de conférences, semblables aux conversations d'artistes s'entretenant religieusement de vieux maîtres.

Les sabres japonais, décorés avec de l'or, de l'argent, du bronze, du cuivre, une composition connue sous le nom de métal de Sawa, ont en général une poignée faite en peau de requin (de hay, dit Thunberg), sur laquelle s'entre-croise un treillis de cordonnet de soie. La poignée est arrêtée par une garde ou coquille de métal ouvragé. Les fourreaux sont en laque ou en bois, choisis parmi les essences les plus rares. Sur le plat extérieur est pratiquée une rainure où se glisse un petit couteau; sur le plat opposé, une seconde rainure contient une fiche se divisant en deux, destinée, disent les uns, à reconnaître, sur les champs de bataille, les têtes coupées par le possesseur du sabre qui y plante la moitié de sa fiche, destinée, disent les autres, à devenir tout bonnement les bâtonnets au moyen desquels le guerrier mange son riz. Un demi-anneau, enserrant la fiche, s'ouvre au passage et à l'attache d'une tresse de soie presque toujours jaune et verte ou noire.

Des deux sabres qu'un Japonais porte, le plus grand est son sabre d'office, le plus petit qui ressemble plus à un poignard qu'à un sabre, est son arme particulière, son waki-zashi.

Je n'ai fait que la collection des petits sabres et je donne la description de quelques-uns.

Petit sabre au manche en corne, imitant le tressage d'un cordonnet de soie, sur lequel se détache une pivoine d'or. Fourreau en bois noir aux méandres blancs. Garde, manche du couteau, fiche, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée et bout du fourreau, décorés de chrysanthèmes ciselés et argentés avec parties dorées. Tresse de soie bleu et jaune.

Petit sabre au manche en peau de requin, enveloppé dans un entre-croisement de cordonnet de soie, enfermant de chaque côté un petit cochon d'or en demi-relief. Fourreau en laque aventurine, sur lequel sont jetées des feuilles étoilées de momidi. Garde, manche du couteau, fiche, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée, bout du fourreau, décorés de feuilles de momidi, dorées sur fond bronzé. Cette ornementation d'un sabre, avec un seul motif répété par des matières différentes, est une décoration typique du goût japonais, et je me rappelle avoir vu un sabre à la garde représentant, ciselée dans le fer, une araignée dévorant une mouche, et dont la toile se continuait, perlée de rosée, tout le long du laque du fourreau. Tresse bleue et verte avec caractères japonais. Le manche du couteau au travail semblable à celui de l'ornementation en métal de tout le sabre, est signé: Yastsou gou.

Petit sabre au manche en bois brun imitant le cuir, sur lequel se détache une pivoine d'argent. Fourreau en laque, aux raies mordorées. Garde, manche du couteau, fiche, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée, bout du fourreau, en argent ciselé représentant des tiges de bambou. Tresse violette et blanche.

Petit sabre au manche en bois brun, imitant un tressage de cordonnet de soie sur un fond de galuchat. Fourreau en bois noir, garde en argent figurant des vagues sculptées. Manche de couteau et fiche avec flots et dragons en or. Pommeau de la poignée, demi-anneau d'attache, bout du fourreau en fer découpé, incrusté d'or et d'argent. Tresse violette.

Petit sabre au manche de corne imitant un tressage de soie, dont un cordon enserre un chien de Fô en argent. Fourreau en bois brunâtre et rugueux. Manche de couteau et fiche en argent ou en métal blanc de la Chine, et portant une tige de millet avec ses deux épis barbus en or, demi-anneau d'attache en argent. Pommeau de la poignée et bout du fourreau en argent évidé en cœur. Tresse noire.

Petit sabre à la poignée tressée de soie noire sur dessous de peau de requin, et enserrant d'un côté un petit Daikoku en bronze et en or, de l'autre un couple d'amoureux enlacés. Fourreau en bois noir strié. Garde, manche du couteau, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée en fer incrusté de petits émaux cloisonnés. Tresse blanche et violette.

Petit sabre à la poignée en bois couleur palissandre, sur lequel se détache, d'un côté, un tambourin en bronze, une tige de lotus en ivoire, une boîte en laque de Pékin, et de l'autre côté une minuscule anguille de bronze se tortillant sur une feuille d'ivoire colorié. Le fourreau, du même bois que la poignée, renferme dans une petite cavité, sculptée comme dans le creux d'une vague, une divinité à la draperie flottante et volante, frappant avec un marteau sur un tympanon, tandis que le revers du fourreau n'a pour décoration que trois petites coquilles verte, blanche, rouge. La garde, très délicatement ciselée, montre un Daikoku et un Yebis en gogaille, avec pour dessous une ligne d'or tombée sur un tay rose. Le manche du couteau en bois noir, ce qui n'est pas ordinaire, porte en relief un pinceau et une écritoire en pierre dure. Le demi-anneau d'attache, fait d'un monstre mordant une boule, est en laque d'or mat. Sur le pommeau en fer de la poignée se trouve sculpté, dans un médaillon grand comme un bouton de chemise, un terrible Bishamon, et sur le bout de fer bruni et chagriné du fourreau se soulèvent des tiges de roseau de l'or le plus fin.

Une arme de luxe qui n'a rien de voyant, de tirant l'œil, et où seulement, en la regardant de tout près, et de tous les côtés, et dans ses petits recoins cachés, apparaît une perfection qui se dissimule et semble ne vouloir se dévoiler qu'à son possesseur et manieur intime. Et, ma foi, je ne serais pas éloigné de croire que cette perfection discrète est un des buts que poursuivent, dans leurs œuvres, les parfaits artistes du pays. Ce sabre porte trois signatures: la garde du sabre est signée: Itchi jo Saï firo fisa; le manche du couteau: Le Kisaï; le bout du sabre: Goto mitru ioshi.

Ces délicieux petits sabres, qu'on pourrait appeler les bijoux du suicide, sont les sabres avec lesquels les Japonais s'ouvrent le ventre, font hara-kiri ou seppuku.

Le noble condamné ou simplement offensé, et dans l'impossibilité de tirer vengeance de l'offense, fait établir une estrade dans le jardin de son habitation, et, après l'avoir fait couvrir des plus riches tapis, monte sur l'estrade et s'accroupit sur les talons. Alors il adresse un petit discours d'adieu à ses kéraï, prend sur une petite table placée à côté de lui son waki-zashi, qui est entouré presque jusqu'à la pointe de papier, de manière à ne pouvoir faire qu'une entaille peu profonde60. Et aussitôt, du petit sabre, il se fait de gauche à droite, au-dessus du nombril, une blessure n'entamant guère que la peau, puis courbe la tête qu'il penche légèrement à droite. C'est le moment où son second, placé à sa gauche, et qui a fait ses études du code d'honneur du hara-kiri, lui fait sauter la tête, soucieux de ne pas laisser le temps à son ami de montrer un signe de défaillance61.

Mais le hara-kiri est presque de l'histoire ancienne, en ces jours, dans lesquels l'on voit, sur le théâtre japonais, une parodie de la terrible coutume, où le second, le daimio, la femme cause de la mort, et le suicidé même, tout barbouillé de sang, se livrent, dans le rire du public, à un vertigineux cancan.

Au milieu de ces sabres sont accrochées des gardes de sabre isolées, ces gardes que les nobles japonais font exécuter, aussitôt que se fonde la réputation d'un nouvel armurier, et que ces nobles ont comme rechange à la lame antique, imitant en cela un peu nos femmes, quand elles font changer la monture de leurs diamants.

Dans ces petits ouvrages de fer, – le métal, par parenthèse, le plus rare du Japon, – il y a des chefs-d'œuvre de ciselure, des tours de force d'amollissement de la dure et rebelle matière. Je voudrais là-dessus, pour le public, un livre fait par mon ami Burty qui possède la plus remarquable collection de gardes existant en Europe, et qui a fait sur le sujet des études plus complètes que les miennes. En attendant cette monographie qui ne peut tarder, voici la revue courante de quelques gardes qui ne sont pas des plus ordinaires:

 

Garde de sabre. – Fer. – Dans le rond de la coquille, trois éventails découpés et repercés dans la masse, montrant sur leurs feuilles à demi déployées des peintures niellées en or de divers tons.

Garde de sabre. – Bronze jaune. – La découpure dans le métal de l'échancrure de deux nuages, avec au-dessous la découpure de la silhouette d'un lapin, regardant la lune, les oreilles dressées. A côté, une touffe d'herbes à la tige d'or, aux grandes feuilles, émaillées rouge et noir. Cette originale garde de sabre est signée: Yassou Tika.

Garde de sabre. L'enroulement, la mêlée, le culbutis d'une centaine de petits singes, faisant autour du trou de la garde, comme un soleil de gambades et de grimaces. Cette garde de sabre en bronze jaune est signée: Mitsou Hiro né en la province de Hizen, et porte l'inscription suivante: Fait avec du bronze chinois.

Garde de sabre. – Bronze jaune. – Dans une rondelle de glace, évidée au milieu, un Japonais à la tête mobile, étendu à terre, sous une tige de bambou couverte de neige, figurée en argent, lit un livre, le coude accoté à une petite table. Un chef-d'œuvre d'agencement, et une étude pleine de naturel, donnant à voir, au revers, l'abandon souple d'un dos d'homme plongé dans une lecture attachante. Cette garde de sabre est signée: Sei Zoné. Le livre que le Japonais lit, ne contient que des caractères chinois sans signification.

Garde de sabre. – Acier. – Au pied d'un arbuste fleuri d'or et d'argent, un faisan émaillé en ses couleurs naturelles. Une garde d'un travail, d'un précieux, d'un coloris, si l'on peut dire, qui défie toute notre armurerie moderne. Cette garde est signée: Mikami Yashi Hidé.

Garde de sabre. – Bronze jaune. – De la fine vermicellure du fond se détache un roseau sur lequel pose un martin-pêcheur, à la tête d'argent, au bec d'or. Au revers, et sur le côté, et coupé par le trou trilobé du couteau, rien qu'une tige de roseau desséchée.

Garde de sabre. – Shakudo62, métal au ton bleuâtre violacé d'une prune de Monsieur, et dans la composition duquel il entre, dit-on, une quantité notable d'or et d'argent. – Un guerrier, la main sur la garde de son sabre, est prêt à frapper un diablotin qui, s'élançant par le trou du couteau, a déjà, dans son saut horizontal, la tête de l'autre côté. Cette composition se rapporte à une légende chinoise. Un empereur de la Chine avait toutes les nuits un cauchemar, dans lequel il était tourmenté par un diablotin. Une de ces nuits d'obsession, l'ombre d'un frère, mort depuis des années, apparut costumée en guerrier, et mit en fuite le petit diablotin qui ne revint plus. Et le dessin et la sculpture de cette légende sont considérés par les Japonais comme un excellent spécifique contre l'apparition des méchants esprits. Cette garde est signée: Lifou Dô Seï Zoni.

Garde de sabre. – Acier. – Sur cette garde, qui est carrée, se trouvent une grande feuille de nénuphar frottée d'or et un nélumbo à demi épanoui en argent. Au revers, trois grenouilles coassent, leurs yeux ronds au ciel.

Garde de sabre. – Acier. – Laizïn63, le Dieu du tonnerre, les cheveux hirsutes, les carnations couleur de cuivre, penché dans sa grande robe dorée sur le haut d'un rocher, au milieu de l'Océan, et lançant la foudre sur des flots qui ont des griffes de monstres. Au revers, des zigzags d'éclairs sur le ressac de la mer autour d'un écueil. Cette garde de sabre est signée: O o mori Yosi fide.

Garde de sabre. – Fer. – Un pêcheur, la plante d'un pied en l'air, et dansant, et sa ligne décrivant dans le ciel un joyeux paraphe, devant la venue à lui sur la plage molle, d'une tortue chevelue. Cette garde de sabre est signée: Tourneda Ito Kiu.

Garde de sabre. – Fer. – Au-dessous du vol d'un papillon, une pivoine épanouie à la fleur d'argent, aux boutons d'or, au feuillage émaillé, et qui se répète avec des différences au revers. Une petite merveille que cette fleur de métal avec sa déchiqueture, son effeuillement.

Garde de sabre. – Fer. – Un serpent d'argent se déroulant le long d'un arbre; au revers, une grenouille sautant à l'eau.

Garde de sabre. – Acier. – Un coq et une poule picorent dans une tige de bambous; au revers, un poussin. Cette garde de sabre est signée: Yoshi Kyo.

Garde de sabre. – Acier. – Sur le tronc d'un sapin entouré d'une vigne d'or, un faucon aplati, prêt à s'élancer sur sa proie. Un travail de la plus fine ciselure, et digne d'être mis à côté de la ciselure des plus délicats bijoux de l'Occident. Cette garde est signée: Jukakousei Ishigouro Koré Yashi.

Garde de sabre. – Bronze jaune. – Sur une rouelle de bois figurée au naturel, un couple de canards mandarins, au plumage doré et bronzé de différents tons, au milieu de plantes d'eau émaillées, éclairées par une lune d'argent.

Garde de sabre. – Bronze rouge. – Une cigogne dans l'eau, posée sur un seul pied, la tête penchée en avant, avec un bout de queue, et un bout de la patte relevée, retombant de chaque côté du trou de la lame du sabre. Une silhouette à peine entaillée dans le métal marron, et que ne relève aucune niellure, mais la plus heureuse adaptation d'un mouvement d'animal à l'ornementation.

Garde de sabre. – Fer. – Au-dessous d'une roche tapissée de plantes, un guerrier agenouillé retire des flots, par un pan de vêtement, un homme qui se noie, tandis que, sur une éminence, une petite divinité, un lotus à la main, regarde le sauvetage. C'est la légende japonaise, dans laquelle le messager de la divinité Foudo secourt Mongakou Shyo Nïn. Un travail de fer, exécuté avec une richesse d'or et d'argent, avec un relief, avec une profondeur d'entaille tout à fait extraordinaires. La garde porte, sur deux lamelles d'or et d'argent, la signature: Itsoupô Saï Massa yoshi.

Garde de sabre. – Fer. – Un motif également emprunté aux fables mythologiques du Nipon. Le dieu So san no o-no descendu du ciel sur la terre aux bords de la rivière Firo Kaiva, dans la province d'Idzoumo, rencontre un couple de vieilles gens désolées, entre lesquelles marchait une jeune fille, nommée Ina da fime. Le dieu demande au mari et à la femme, la cause de leur douleur. Ils lui répondent qu'ils avaient huit filles, dont sept ont été mangées par un terrible serpent, ayant huit têtes et huit queues, et que le même jour, ils craignent à chaque instant qu'il ne revienne pour dévorer la dernière de toutes. So san no o-no demande leur fille en mariage, et, sur le consentement des parents, il fait préparer huit grands vases de saki, élève une espèce d'échafaudage à huit ouvertures, dans chacune desquelles il place un vase, et se masque derrière, attendant le serpent, aux yeux rouges ainsi que du soya mêlé de vinaigre, au dos où croissent des pins et des cyprès, à la marche laissant, derrière lui, comme le lit de huit vallées entre huit rangées de collines64. Et debout, le corps effacé, le visage intrépide, le sabre levé, le jeune dieu, sur la garde de ma collection, attend le sommeil du monstre, qui a plongé chacune de ses têtes dans un vase de saki.

L'assouplissement du fer dépasse tout ce qu'on peut imaginer dans cette garde belle, comme les plus beaux travaux de ferronnerie du seizième siècle, et la noble petite silhouette du dieu guerrier, posé sur un pied, vous fait involontairement penser à une figurine de Médor, au moment de délivrer Angélique de son monstre. Cette garde est signée: Fetson Gendo O Ramoto fisa.

Garde de sabre. – Acier. – Deux noirs grillons s'échappant d'une cage au treillis brisé. Elle a pour revers, cette garde, un grand ciel triste, où brille l'argent d'un quartier de lune échancré par un nuage, et où volètent deux feuilles rouillées de l'automne, parmi l'espace vide.

Cette garde, ce revers, ne dirait-on pas un de ces poèmes de l'anthologie japonaise, une de ces imaginations poétiques tenant dans quelques vers, et les artistes de là-bas ne sont-ils pas, outre des ouvriers inimitables, des ciseleurs de quatrains dans le cuivre, le bronze, le fer. Cette garde de sabre est signée: Sën-Pô-Saï.

Pour en finir complètement avec les sabres, disons encore un mot des hosukas, détachés d'anciens sabres, dont les Japonais avec leur talent d'adapter l'ornementation à toutes les formes, et avec l'assemblage et l'opposition de tous les métaux, et avec le pointillage, le vermicellage, le chagrinage des surfaces, et avec la gravure et l'entaille, et avec la niellure en or et en argent, et encore avec l'émaillure de toutes les couleurs, ont fait des couteaux non pareils. Et ce sont, sur la surface étroite du manche de couteau, de petits paysages aux maisons de cuivre, aux arbres d'or, sur un fond de métal natté; des bienheureux, dont la contemplation renversée a pour dossier le ventre d'un tigre; des oiseaux en plein relief guettant, du haut d'une branche, un poisson qui n'est qu'une lueur argentée dans l'eau sombre de bronze. Celui-ci est signé: Date Shin Saï. Voici le jeune flûteur à califourchon sur le cou d'un bœuf, signé: Itino Miya Navo hide. Voilà une tige de chrysanthèmes aux fleurs d'or, signée: Tanagawa Massa Harou. Sur ce manche de couteau, c'est un Ainos, à l'anatomie macabre, regardant stupidement une boule de cristal entre son pouce et son index, et son manche est signé: Kama Moura Hisa Yoshi, et sa lame, où sont gravées deux grues: Massa Yoshi. Et ce manche représentant une grue d'argent volant à tire-d'aile, est signé: Hama no Kizoui, et sa lame, Tasima no Kani Kane Mitsou. Et encore ce manche, figurant, avec un art admirable, un coq de combat déplumé, est signé: Itchi, jo saï firo fisa, le nom de l'artiste qui a ciselé la garde de mon plus beau sabre, et sa lame porte le nom de: Sitsou Sabouro Minamoto no kane Utchi.

Enfin un dernier manche de couteau, qui montre un Japonais se désaltérant à une source avec une expression de bonheur indicible, offre une décoration du fer charmante et délicate, et où l'or rouge et l'or vert sont employés dans un pointillé discret. Il est signé Joi, avec la signature suivie d'un cachet d'or illisible.

L'espace du mur compris entre la panoplie de sabres et la glace est rempli par deux panneaux de laque. Le premier est un grand panneau de laque noir d'un poli admirable, et qui représente, sur le miroir de sa surface, un coffret à armure, surmonté d'une cuirasse dont le hakama, le rouge jupon, retombe sur le coffret, contre lequel s'appuie un long fauchard. Il est impossible, dans n'importe quelle matière, de réussir mieux un trompe-l'œil des travaux de ciselure et de damasquinure de la cuirasse, des revêtements de bronze des pieds du meuble avec leurs petits clous, de la bijouterie de fer doré dont est cerclée la hampe aventurinée du fauchard; et même, le dirai-je, du bleuâtre aciérage de sa tranchante lame.

58Voici la description des pièces d'une écritoire de mandarin, qui a passé à la vente de M. Salle, en 1826, et qui était considérée comme la pièce de ce genre la plus riche et la plus complète qui existât alors à Paris. Outre la pierre à encre, le pain d'encre et son chevalet, le réservoir d'eau, les pinceaux-plumes, l'écritoire contenait, posés sur un plateau peint en marbre avec galerie de bois, un py-tia ou arrête-pinceau en cristal de roche, une feuille avec insectes en porcelaine, servant à laver les pinceaux, un presse-papier figurant une femme endormie, un couteau à papier en écaille, un cachet en pierre de lard, et enfin un souan-pan imitant l'opale.
59Nous avons vu, il est vrai, ces années dernières, à Paris, l'héritier d'une illustre famille japonaise se servir du sabre paternel, pour couper les fils de fer des bouchons de bouteilles de Champagne.
60Le Japon de nos jours, par Georges Bousquet; Hachette, 1877.
61Le second, dans le hara-kiri, me semble une introduction moderne. Les annales des empereurs du Japon sont remplies de daimios et de samourais qui se coupent pour de bon le ventre et meurent sans le secours d'un intermédiaire. Il y a même l'anecdote de Nori-Sane, qui avait commencé à s'ouvrir le ventre, et dont le sabre lui est arraché des mains par ses gens, et qu'on panse et qui guérit.
62Est-ce le métal de Sawa dont parle Thunberg?
63Laizïn ou Raïden est le plus souvent représenté d'une manière grotesque, et battant d'un maillet, dans chaque main, une demi-douzaine de cymbales disposées en nimbe autour de sa tête.
64Aperçu de l'histoire mythologique des Japonais, par Klaproth.