Je ne sais si les expressions de cette conversation ne paraîtront pas un peu forcée; elles sont copiées textuellement, et on les trouvera toutes dans les mémoires du temps, dans ceux de Mme d'Epinay, du baron de Bezenval, du duc de Lauzun; dans les lettres de Mme de Graffigny, etc., etc.; monuments mémorables d'une époque où le vice était tellement entré dans les moeurs d'une portion de la société qu'on peut dire qu'il s'y était établi comme un ami dont la présence ne dérange plus rien dans la maison. Dans ces moeurs-là, on était bon, généreux, brave, indulgent et vicieux. A côté des modèles les plus admirables de l'intégrité de la vie, la corruption se montrait sans voile et semblait faire gloire d'elle-même; la perversité était devenue telle que, dans ce monde nouveau, le vice n'était plus qu'un sujet de plaisanterie; l'esprit, abusé par de fausses doctrines, niait presque également le bien et le mal, et ne reconnaissait d'autre culte que le plaisir. Une seule chose avait survécu à ce naufrage de la morale. Cette chose était un mot indéfinissable dans sa puissance, et qui n'avait peut-être échappé à la ruine de toutes les vertus que par son vague même: c'était l'honneur. Il a été pour nous la planche dans le naufrage, car il est remarquable que, dans la Révolution, c'est par l'honneur qu'on est rentré dans la morale; c'est l'honneur qui a fait l'émigration; c'est l'honneur qui a ramené aux idées religieuses. Dès que le mépris s'est attaché à la puissance, on a voulu être opprimé; dès que le déshonneur s'est attaché à l'impiété, on a voulu être homme de bien: tant il est vrai que les vertus se tiennent comme les vices, et que, tant qu'on en conserve une, il ne faut pas désespérer de toutes les autres.