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Victor Hugo, son oeuvre poétique

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L'ART D'ÊTRE GRAND'PÈRE

Dans la série des œuvres de Hugo, l'Art d'être grand-père peut être indiqué comme un écrit caractéristique de sa dernière manière.

L'idée dominante du livre est originale et touchante: s'il y a une réponse aux objections tirées du mal moral contre la Providence, c'est l'enfant. Cette idée se résume dans des vers comme celui-ci:

 
La souveraineté des choses innocentes,
 

ou au contraire se développe, avec une pleine clarté, par exemple dans cette fin de pièce très expressive:

 
Certe, il est salutaire et bon pour la pensée,
Sous l'entre-croisement de tant de noirs rameaux,
De contempler parfois, à travers tous nos maux,
Qui sont entre le ciel et nous comme des voiles,
Une profonde paix toute faite d'étoiles;
C'est à cela que Dieu songeait quand il a mis
Les poètes auprès des berceaux endormis.
 

Pour ce poète aïeul, le sommeil de l'enfance est comme un retour momentané de l'âme dans l'azur céleste. Il se penche donc sur le berceau de Jeanne, et il tire de cette contemplation toutes les espérances d'avenir que lui donnait jadis la méditation sur le bord de la tombe.

Le titre «Jeanne endormie» revient quatre fois dans l'Art d'être grand-père. Dans la première pièce, c'est la grâce étrange de ce repos obstiné «d'une rose» qui préoccupe le poète, et l'explication qu'il en donne est celle-ci: l'enfant, qui vient du ciel, à besoin de le revoir en rêve:

 
Oh! comme nous serions surpris si nous voyions,
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons,
Ces paradis ouverts dans l'ombre, et ces passages
D'étoiles qui font signe aux enfants d'être sages,
Ces apparitions, ces éblouissements!
 

Dans la seconde pièce, Jeanne endormie retient dans sa petite main le doigt du grand-père, qui parcourt un journal et lit les attaques dont il est l'objet.

 
Cependant l'enfant dort, et comme si son rêve
Me disait: Sois tranquille, ô père, et sois clément!
Je sens sa main presser la mienne doucement.
 

Ce contact de l'enfant est pour le poète aussi révélateur que la conscience.

Un troisième tableau nous montre le sourire de Jeanne qui rêve, et l'on nous explique une fois de plus le secret de sa douce extase:

 
Jeanne au fond du sommeil médite et se compose
Je ne sais quoi de plus céleste que le ciel.
 

Ce sourire, l'aïeul l'entend, et il devine, en le voyant, tout ce que «l'ombre» recèle de clarté, tout ce qu'il doit en apparaître à la jeune âme.

Enfin ce berceau, où l'enfant s'enivre de songes, n'est que l'emblème d'un autre berceau où l'homme s'assouvira de la réalité: les promesses de Dieu au nouveau-né s'acquitteront, après la mort, dans le tombeau. Ces quatre pièces marquent en quelque sorte le chemin parcouru par la pensée du poète à travers les développements divers de son ouvrage.

 
Rose, elle est là qui dort sous les branches fleuries,
Dans son berceau tremblant comme un nid d'alcyon,
Douce, les yeux fermés sans faire attention
Au glissement de l'ombre et du soleil sur elle.
Elle est toute petite! elle est surnaturelle.
O suprême beauté de l'enfant innocent,
Moi je pense, elle rêve; et sur son front descend
Un entrelacement de visions sereines;
Des femmes de l'azur qu'on prendrait pour des reines,
Des anges, des lions, ayant des airs bénins,
De pauvres bons géants protégés par des nains,
Des triomphes de fleurs dans les bois, des trophées
D'arbres célestes, pleins de la lueur des fées,
Un nuage où l'éden apparaît à demi,
Voilà ce qui s'abat sur l'enfant endormi.
Le berceau des enfants est le palais des songes;
Dieu se met à leur faire un tas de doux mensonges;
De là leur frais sourire et leur profonde paix.
Plus d'un dira plus tard: Bon Dieu, tu me trompais.
Mais le bon Dieu répond dans la profondeur sombre;
– Non. Ton rêve est le ciel. Je t'en ai donné l'ombre.
Mais ce ciel, tu l'auras. Attends l'autre berceau,
La tombe. – Ainsi je songe. O printemps! Chante, oiseau!
 

Ce n'était pas la première fois que le poète s'extasiait devant l'enfance. La tendresse du père s'était exprimée dans les premiers recueils avec un charme qui ne contribua pas peu à les populariser. Que de gens n'ont connu de Hugo que des vers de la nature de ceux-ci:

 
Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie,
Et sa bouche aux baisers.
 

Ce chant de gloire en l'honneur de l'enfance, le lyrique l'a répété sous toutes les formes. Quant aux figures d'enfant qui traversent sa grande épopée, on a vu à quel point elles sont délicates, touchantes, et combien cette imagination vigoureuse s'est attendrie pour nous parler d'Angus ou d'Isora.

On s'explique aisément les enchantements du grand-père. Hugo lui-même a défini, avec son sourire de sage, ce délire, à la fois involontaire et conscient:

 
L'adorable hasard d'être aïeul est tombé
Sur ma tête, et m'a fait une douce fêlure.
 

L'amour de Hugo pour ses deux petits-enfants ne s'exprime pas de la même manière à l'égard de l'un et de l'autre. Il y a plus d'orgueil et peut-être plus d'emportement passionné dans les cris que lui a inspirés le petit-fils, Georges, l'héritier du nom, le prince présomptif:

 
Viens, mon George. Ah! les fils de nos fils nous enchantent!
 

Il y a plus de tendresse émue, et je ne sais quelle abdication touchante de tout autre sentiment que l'admiration dans les paroles de l'aïeul tenant la main de Jeanne, ou l'écoutant jaser, ou la regardant marcher, rire, dormir. Le poète a pour cette frêle créature aux yeux de «myosotis» la même dévotion qu'un courtisan d'Aranjuez pour son Infante, et il ne passe pas devant le frais berceau sans y laisser tomber un madrigal:

 
Car on se lasse même à servir une rose.
 

Entre ces deux apparitions lumineuses, une ombre arrive à se glisser: c'est celle d'un autre enfant qui n'a guère fait que naître, briller un moment, et mourir. La pièce exquise intitulée «Un manque» nous révèle discrètement ce qui peut se mêler de tristesse et de deuil à la gaîté du grand-père, même alors que son rire éclate et se mêle aux «divins vacarmes.»

Le poète note ces cris, ces rires, ces propos ingénus où il croit découvrir par instants le dernier mot de la sagesse:

 
C'est le langage vague et lumineux des êtres
Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres,
Et qui devant Avril éperdus, hésitants,
Bourdonnent à la vitre immense du printemps.
 

Mais, quelque poésie qu'il mette dans la définition de ce langage, Hugo se garde bien de le dénaturer, de l'embellir par l'expression. Il le reproduit avec une franchise de réalisme dont le vers semblait incapable. Le dialogue de Jeanne et du Grand-Père, la minuscule comédie du Jardin des Plantes intitulée Ce que dit le public, avec ses trois personnages qui ont pour noms Cinq Ans, Six ans, Sept Ans, sont, par le ton, par la nature des idées, aussi loin que possible des formules placées dans la bouche d'Eliacin: il ne faut pas le regretter.

La contemplation de cette génération qui bégaye à peine suggère au vieillard des réminiscences du passé, des mouvements de colère ou des cris de fierté au sujet du présent, des visions de l'avenir.

Dans le passé, ce qu'il revoit d'abord, c'est le fils qu'il a perdu, et il entend encore le bruit de source que faisait la voix de Charles tout enfant, lorsqu'il parlait «à la tante Dédé.»

Sa mémoire remonte plus loin. Il se retrouve à Rome, au grand soleil, avec ses frères, au temps où Léopold Hugo, jeune officier, regardait tous ses fils jouer dans la caserne,

 
A cheval sur sa grande épée, et tout petits.
 

La préoccupation du temps présent se marque par des retours satiriques pareils aux grondements affaiblis d'une fin d'orage. (A propos de la loi dite liberté de l'Enseignement.) Elle se fait jour aussi dans quelques odes, comme la Chanson d'Ancêtre.

 
Parlons de nos aïeux sous la verte feuillée.
Parlons des pères, fils! – Ils ont rompu leurs fers
Et vaincu; leur armure est aujourd'hui rouillée.
Comme il tombe de l'eau d'une éponge mouillée,
De leur âme dans l'ombre il tombait des éclairs,
Comme si dans la foudre on les avait trempées.
Frappez, écoliers,
Avec les épées,
Sur les boucliers.
 
 
Quand une ligue était par les princes construite,
Ils grondaient, et, pour peu que la chose en valût
La peine, et que leur chef leur criât: Tout de suite!
Ils accouraient: alors les rois prenaient la fuite
En hâte, et les chansons d'un vil joueur de luth
Ne sont pas dans les airs plus vite dissipées.
Frappez, écoliers,
Avec les épées,
Sur les boucliers.
 
 
Lutteurs du gouffre, ils ont découronné le crime,
Brisé les autels noirs, détruit les dieux brigands;
C'est pourquoi, moi vieillard, penché sur leur abîme,
Je les déclare grands; car rien n'est plus sublime
Que l'océan avec les profonds ouragans,
Si ce n'est l'homme avec ses sombres épopées.
Frappez, écoliers,
Avec les épées,
Sur les boucliers.
 
 
Levez vos fronts; voyez ce pur sommet, la gloire.
Ils étaient là: voyez cette cime, l'honneur,
Ils étaient là: voyez ce hautain promontoire,
La liberté: mourir libres fut leur victoire.
Il faudra, car l'orgie est un lâche bonheur,
Se remettre à gravir ces pentes escarpées.
Frappez, chevaliers,
Avec les épées,
Sur les boucliers.
 

Quant à l'avenir, il remplit toute la dernière partie de l'Art d'être grand-père, celle qui porte le titre: «Que les petits liront quand ils seront grands.» Nous y retrouvons le rêve généreux du progrès absolu, et la marche en avant vers ce but déjà visible, qui est l'évènement de la loi de justice. Jamais Hugo ne s'est peut-être élevé à une plus pure expression de ces nobles idées.

 

On ne peut pas parler avec quelque détail de l'Art d'être grand-père, et négliger les cadres divers dans lesquels le poète a placé les visages de ses petits-enfants. C'est la chambre où le berceau semble rayonner; c'est la salle dont le parquet sera jonché, en un jour de malheur, par les débris du vase merveilleux qui racontait «toute la Chine;» c'est le jardin, où Jeanne, assise sur le gazon, s'avise tout à coup d'exiger qu'on lui donne la lune à croquer comme une friandise. C'est le bois, où courent les faons, les biches, les chevreuils et les cerfs, effrayés par le seul mouvement des branches:

 
Car les fauves sont pleins d'une telle vapeur
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur.
 

C'est la vallée, où la perdrix, court lestement «le long des berges.»

 
Petit Georges? veux-tu? nous allons tous les deux
Nous en aller jouer là-bas sous le vieux saule?
 

C'est la grève de Guernesey et sa rumeur vivante.

 
J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière.
Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre.
Cris des baigneurs. Plus près! plus loin! non, par ici!
Non, par là! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi.
Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle
Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle.
Grincement d'une faulx qui coupe le gazon.
Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison.
Bruits du port. Sifflements des machines chauffées.
Musique militaire arrivant par bouffées.
Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci.
Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici
Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge.
Vacarme de marteaux lointains dans une forge.
L'eau clapote. On entend haleter un steamer.
Une mouche entre. Souffle immense de la mer.
 

En regard des cadres fournis par la nature libre, voici la nature artificielle, le jardin de M. de Buffon, avec ses marbres alignés, son parterre au cordeau, son chêne classique et son cèdre qui se «résigne.» Les enfants y cherchent «la vision des bois;» ils y trouvent «un raccourci» de l'immense univers. Mais pendant que les bambins contemplent, «les yeux grands ouverts,» les monstres des contrées les plus lointaines, l'imagination du poète franchit la clôture de ce jardin, et elle parcourt d'un vol d'aigle les terres mystérieuses d'où cette faune aux formes effrayantes a jailli.

En lisant les vers qui composent ce recueil, on ne peut pas croire que la faculté poétique de Hugo se soit affaiblie. Elle s'est accommodée, d'une part aux nécessités du sujet, de l'autre aux sollicitations de l'âge. Le vers, d'une souplesse infinie, serait capable, à l'occasion, des effets de vigueur: le poète ne les recherche plus. Il a laissé l'épée, le harnais, le cheval de combat; il s'en tient à l'allure pédestre. Mais dans les sentiers où il mène ses petits-enfants, que de fleurs inaperçues son clair regard découvre; que d'impressions fraîches et inédites il ressent! Et qu'il nous suggère de visions vives, inoubliables, depuis ces «paysages de lune où rôde la chimère» jusqu'à ce bouquet qui jaillit du rocher, et frissonne au «baiser» de l'air, jusqu'à cette fête des ajoncs dorant les ravins, jusqu'à cette folle foison «du petit peuple des fougères!»

Si le sujet comportait les grandes images, les symboles puissants, on peut s'assurer que la source n'en est pas tarie. Qu'une idée comme celle de l'immortalité traverse un moment ce cerveau attentif à de moindres objets, elle en sort transfigurée, éblouissante. Le poète écrit ce drame de l'oiseau, fuyant, à travers sa prison, la main du géant qui ne vient le saisir que pour le rendre au bois natal, à l'espace et à la lumière:

 
Tout rayonne; et j'ai dit, ouvrant la main: Sois libre!
L'oiseau s'est évadé dans les rameaux flottants,
Et dans l'immensité splendide du printemps;
Et j'ai vu s'en aller au loin la petite âme
Dans cette clarté rose où se mêle une flamme,
Dans l'air profond, parmi les arbres infinis,
Volant au vague appel des amours et des nids,
Planant éperdument vers d'autres ailes blanches,
Ne sachant quel palais choisir, courant aux branches,
Aux fleurs, aux flots, aux bois fraîchement reverdis,
Avec l'effarement d'entrer au paradis.
 
 
Alors, dans la lumière et dans la transparence,
Regardant cette fuite et cette délivrance,
Et ce pauvre être ainsi disparu dans le port,
Pensif, je me suis dit: Je viens d'être la mort.
 

LE PAPE. – RELIGIONS ET RELIGION. – L'ANE. – LA PITIÉ SUPRÊME

On ne peut pas séparer les quatre ouvrages qui ont pour titres: Le Pape. Religions et Religion. L'Ane. La Pitié suprême. C'est tout le système philosophique de Hugo vieillissant, qui s'exprime dans cette tétralogie. Je renvoie les jeunes lecteurs curieux d'approfondir cette partie abstruse de l'œuvre poétique de Hugo, et capables de l'effort d'esprit que cette étude exige, à l'analyse que j'en ai donnée ailleurs5. Je me bornerai ici à indiquer le trait dominant de chacun de ces quatre poèmes.

Dans Religions et Religion, Hugo s'est attaché surtout à réfuter la superstition religieuse, et à montrer qu'il n'y a pas de pire athéisme qu'une religion étroite, obscure, édifiée avec les préjugés humains.

Dans l'Ane il fait la guerre à la fausse science, cet auxiliaire redoutable de la fausse religion; il voit en elle un instrument de dégradation des âmes au service de la tyrannie:

En forgeant des pédants, vous créez des valets

Dans la Pitié suprême, il développe cette idée que du bourreau et de la victime, celui qui est le plus malheureux, le plus à plaindre, c'est le bourreau. On a remarqué avec raison que cette théorie étrangement haute revient à ce mot de Danton: «J'aime mieux être guillotiné que guillotineur.»

Le Pape est de ces quatre ouvrages le plus accessible; c'est en quelque sorte la traduction figurée, symbolique, ou, comme disaient les philosophes grecs, le mythe du système philosophique de Hugo. Le poète a imaginé là une figure dans laquelle il a rassemblé tous les traits de la vertu idéale dont Dieu ou la conscience éternelle est la parfaite expression. Dans ce livre, le Pape commence par répudier toute la grandeur usurpée dont les autres hommes l'ont revêtu; il abdique son trône; il sort de Rome pour rentrer dans l'humanité; il pénètre dans le synode d'Orient pour reprocher au patriarche et aux évêques d'avoir doré l'autel, trahi le peuple et fait aux souverains le sacrifice de la loi; il s'introduit dans la mansarde où l'enfant du pauvre meurt de froid et de faim, et il rend la foi au père désespéré en lui donnant la moitié de son pain.

UN GRENIER
L'hiver. Un grabat
UN PAUVRE. Sa famille près de lui
LE PAUVRE
 
Je ne crois pas en Dieu.
 
LE PAPE, entrant
 
Tu dois avoir faim. Mange.
 
Il partage son pain et en donne la moitié au pauvre
LE PAUVRE
 
Et mon enfant?
 
LE PAPE
Prends tout
Il donne à l'enfant le reste de son pain
L'ENFANT, mangeant
 
C'est bon.
 
LE PAPE, au pauvre
 
L'enfant, c'est l'ange.
Laisse-moi le bénir.
 
LE PAUVRE
 
Fais ce que tu voudras.
 
LE PAPE, vidant une bourse sur le grabat
 
Tiens, voici de l'argent pour t'acheter des draps.
 
LE PAUVRE
 
Et du bois.
 
LE PAPE
 
Et de quoi vêtir l'enfant, la mère,
Et toi, mon frère. Hélas! cette vie est amère.
Je te procurerai du travail. Ces grands froids
Sont durs. Et maintenant parlons de Dieu.
 
LE PAUVRE
 
J'y crois.
 

Ce père des peuples parcourt les foules, et il y cherche, comme d'autres un trésor, les misères, les maladies, les lèpres de toute sorte; il se fait un cortège de toutes ces infirmités; il a sa légion, sa cour de misérables. Il frissonne de sympathie à la vue du troupeau des hommes grelottant comme un parc de brebis dont le tondeur a fait tomber la laine; il implore pour eux la grâce des vents sans merci. Il veut que dans l'église, ce

 
Large espace, enclos
De bons murs, préservé des vents et des tempêtes,
 

on range «des lits pour les pauvres.» Il se jette entre deux armées qui vont s'entre-tuer pour obéir aux caprices des rois, entre deux ennemis qui vont s'entr'égorger, quoique fils de la même France. Il proclame le droit du pauvre à la bonté du riche, le droit du riche à la clémence, à la pitié du pauvre. Il nie le droit du talion. Il proscrit le code barbare qui fait de la mort la sanction des lois. Amour, pitié, paix à tous, voilà le dernier mot de ce credo sublime.

LA FIN DE L'ŒUVRE POÉTIQUE

ET LES ÉCRITS POSTHUMES

I

Le livre des Quatre vents de l'esprit présente en raccourci l'œuvre poétique de Hugo, ou tout au moins nous en résume les aspects, satire, drame, ode, épopée.

Dans la partie du livre consacrée à la satire, Hugo définit la satire même. Il montre quel rôle social a pris, de notre temps, cette forme de la poésie.

Du temps que le poète était écolier, le genre satirique en vigueur n'était guère qu'une façon de critique littéraire agressive et mesquine, l'art de découvrir des défauts et de ne pas entendre les beautés inusitées:

 
Dévidant sa leçon et filant sa quenouille,
Le petit Andrieux, à face de grenouille,
Mordait Shakspeare, Hamlet, Macbeth, Lear, Othello,
Avec ses fausses dents prises au vieux Boileau.
 

Dans la pensée de Hugo, la satire de ce siècle-ci ne peut s'en tenir à ces gloses superficielles. Il ne lui suffit même plus de s'attaquer à un métier, à une caste, et de s'égayer aux dépens des marquis ou des médecins. Elle a pour mission de condamner et de flétrir les oppresseurs, elle doit sa pitié aux vaincus, son aide aux misérables, son admiration exaltée aux grands esprits persécutés ou méconnus; il faut qu'elle surgisse, à la façon du spectre de Shakespeare, à l'heure du banquet, et qu'au milieu du triomphe immoral,

 
Elle apporte cynique un rire d'Euménide,
 

Mais son devoir le plus impérieux, c'est d'arracher le peuple à sa torpeur, de l'éveiller de son sommeil, de rallumer en lui l'indignation éteinte.

 

Le poète est donc une sorte de champion du droit; il ressemble à ces chevaliers, à ces preux de la légende; sa destinée est de lutter comme eux pour la justice.

 
Lorsque j'étais encore un tout jeune homme pâle,
Et que j'allais entrer dans la lice fatale,
Sombre arène où plus d'un avant moi se perdit,
L'âpre Muse aux regards mystérieux m'a dit:
– Tu pars; mais, quand le Cid se mettait en campagne,
Pour son Dieu, pour son droit et pour sa chère Espagne,
Il était bien armé; ce vaillant Cid avait
Deux casques, deux estocs, sa lance de chevet,
Deux boucliers: il faut des armes de rechange;
Puis il tirait l'épée et devenait archange.
As-tu ta dague au flanc? voyons, soldat martyr,
Quelle armure vas-tu choisir et revêtir?
Quels glaives va-t-on voir luire à ton bras robuste?
– J'ai la haine du mal et j'ai l'amour du juste,
Muse; et je suis armé mieux que le paladin.
– Et tes deux boucliers? –  J'ai mépris et dédain.
 

Une comédie de salon et une tragédie de paravent remplissent tout le livre dramatique. La comédie, Margarita, n'est guère qu'une idylle où la galanterie la moins naïve vient émousser toutes ses armes contre le charme et la candeur de l'amour vrai. Le drame, Esca, est quelque chose comme un proverbe à dénouement tragique. Le sujet se résumerait dans un titre comme celui-ci: Plus que femme ne peut, ou encore: Qui tue l'amour, l'amour le tue.

Des quatre parties du livre, la plus originale (il ne faut pas s'en étonner) est encore la partie lyrique. Les premières pièces de ce suprême recueil d'odes ne donnent pas précisément cette impression de nouveauté. On les rattacherait très justement aux Châtiments: elles en constituent comme le revers élégiaque. Mais voici que la nature entre en scène, et tout change.

D'abord le poète ne semble la voir que par les plus sombres aspects. Du haut de la falaise, il jette sur la mer le même regard navré que sur un immense sépulcre. S'il nous parle du bois, c'est pour nous traduire l'impression de deuil qui s'en dégage aux heures troubles de la nuit:

 
On entend passer un coche,
Le lourd coche de la mort.
Il vient, il roule, il approche,
L'eau hurle et la bise mord.
 
 
Il emporte beauté, gloire,
Joie, amours, plaisirs bruyants;
La voiture est toute noire,
Les chevaux sont effrayants.
 
 
L'air sanglote et le vent râle,
Et sous l'obscur firmament
La nuit sombre et la mort pâle
Se regardent fixement.
 

A cette vue pessimiste de la nature succède une interprétation tout opposée des choses: elles prennent soudain comme un aspect réconfortant, réparateur; elles ne sont plus que l'expression enveloppée, mais irréfutable de l'absolue Bonté, de l'absolue Justice. C'est ce sentiment qui donne tant de profondeur et de puissance aux quatre méditations intitulées Promenades dans les Rochers.

PREMIÈRE PROMENADE
 
Un tourbillon d'écume, au centre de la baie
Formé par de secrets et profonds entonnoirs,
Se berce mollement sur l'onde qu'il égaie,
Vasque immense d'albâtre au milieu des flots noirs.
 
 
Seigneur! que faites-vous de cette urne de neige?
Qu'y versez-vous dès l'aube et qu'en sort-il la nuit?
La mer lui jette en vain sa vague qui l'assiège,
Le nuage sa brume et l'ouragan son bruit.
 
 
L'orage avec son bruit, le flot avec sa fange,
Passent; le tourbillon vénéré du pêcheur,
Reparaît, conservant, dans l'abîme où tout change,
Toujours la même place et la même blancheur.
 
 
Le pêcheur dit: – C'est là qu'en une onde bénie,
Les petits enfants morts, chaque nuit de Noël,
Viennent blanchir leur aile au souffle humain ternie,
Avant de s'enrôler pour être anges au ciel.
 
 
Moi je dis: – Dieu mit là cette coupe si pure,
Blanche en dépit des flots et des rochers penchants,
Pour être, dans le sein de la grande nature,
La figure du juste au milieu des méchants.
 
DEUXIÈME PROMENADE
 
La mer donne l'écume et la terre le sable.
L'or se mêle à l'argent dans les plis du flot vert.
J'entends le bruit que fait l'éther infranchissable,
Bruit immense et lointain, de silence couvert.
 
 
Un enfant chante auprès de la mer qui murmure,
Rien n'est grand, ni petit. Vous avez mis, mon Dieu,
Sur la création et sur la créature
Les mêmes astres d'or et le même ciel bleu.
 
 
Notre sort est chétif; nos visions sont belles.
L'esprit saisit le corps et l'enlève au grand jour.
L'homme est un point qui vole avec deux grandes ailes,
Dont l'une est la pensée et dont l'autre est l'amour.
 
 
Sérénité de tout! majesté! force et grâce!
La voile rentre au port et les oiseaux aux nids.
Tout va se reposer, et j'entends dans l'espace
Palpiter vaguement des baisers infinis.
 
 
Le vent courbe les joncs sur le rocher superbe
Et de l'enfant qui chante il emporte la voix.
O vent! que vous courbez à la fois de brins d'herbe,
Et que vous emportez de chansons à la fois!
 
 
Qu'importe! Ici tout berce, et rassure, et caresse.
Plus d'ombre dans le cœur! plus de soucis amers!
Une ineffable paix monte et descend sans cesse
Du plus profond de l'âme au plus profond des mers.
 

On voudrait tout citer; mais il faut se borner à résumer les deux autres pièces. La Troisième promenade met en présence du soleil qui descend, le vieillard déclinant vers la tombe. L'homme sait bien que le soleil meurt pour renaître, et le soleil pourrait dire si l'homme est né seulement pour mourir. N'est-ce pas ce secret que l'astre et le vieillard se confient en silence et par l'échange d'un regard?

 
O moment solennel! les monts, la mer farouche,
Les vents faisaient silence et cessaient leur clameur.
Le vieillard regardait le soleil qui se couche;
Le soleil regardait le vieillard qui se meurt.
 

Enfin la Quatrième promenade est comme l'expression de cette loi d'amour qui est la vraie formule du Très-Haut. Cette loi, la nature la balbutie. Le poète, assemblant tous les sons que l'univers bégaye, la proclame.

 
Tous les objets créés, feu qui luit, mer qui tremble,
Ne savent qu'à demi le grand nom du Très-Haut.
Ils jettent vaguement les sons que seul j'assemble;
Chacun dit sa syllabe, et moi je dis le mot.
 
 
Ma voix s'élève aux cieux, comme la tienne, abîme!
Mer, je rêve avec toi! monts, je prie avec vous!
La nature est l'encens, pur, éternel, sublime;
Moi je suis l'encensoir intelligent et doux.
 

Le livre épique est rempli par un seul poème, la Révolution. Hugo s'empare de ce lieu commun historique: les fautes des rois ont condamné la royauté, et il le traduit puissamment par la chevauchée des Statues.

Du terre-plein du Pont-Neuf, au milieu d'une noire nuit, le cavalier d'airain, qui fut Henri de France et de Navarre, se détache. Il s'achemine à travers les rues de l'antique Paris. Il arrive à la grande place «aux arcades de pierre» où se dresse un cavalier de marbre blanc couronné de lauriers. Le lourd fantôme de Louis XIII s'ébranle à son tour. Le roi batailleur, bardé de fer, et le pâle roi justicier vont éveiller, dans son carrefour, l'ombre du roi soleil, du roi divin, et les trois souverains s'en vont chercher «celui que ces sujets appelaient Bien-Aimé.»

Avec ce marbre et ces bronzes en marche, toute une face du passé, la royauté, terrible et triomphante, se dresse devant nous. Voici l'autre face, le peuple. Sur la route des «quais noirs» que suivent les statues, apparaît le Pont-Neuf avec ses mascarons étranges. Toutes ces «gueules douloureuses,» ouvrage d'un «rude ouvrier,» figurent la foule sans nom des «souffrants» et des «lamentables…» Dans le regard de ces masques tordus par les sanglots ou convulsés par les ricanements s'allume une lueur vengeresse, et l'un de ces visages de damnés prend une voix pour dire au troupeau des manants ce que furent ces rois qui passent. Avec ce réquisitoire brûlant, la satire, une fois de plus, enflamme l'épopée.

Et voici l'élément tragique. Les rois sont arrivés au bout de leur course nocturne. Sur la place déserte, au lieu où le regard de ces aïeux cherche le descendant, se dressent deux poteaux noirs surmontant un triangle livide:

 
L'œil qui dans ce moment suprême eût observé
Ces figures, de glace et de calme vêtues,
Eût vu distinctement pâlir les trois statues.
 
 
Ils se taisaient; et tout se taisait autour d'eux:
Si la mort eût tourné son tablier hideux,
On en eût entendu glisser le grain de sable.
 
 
Une tête passa dans l'ombre formidable;
Cette tête était blême; il en tombait du sang,
 
 
Et les trois cavaliers frémirent; et, froissant
Vaguement le pommeau de sa lugubre épée,
L'aïeul de bronze dit à la tête coupée
(Dialogue funèbre et du gouffre écouté):
 
 
– Ah! l'expiation, dans ce lieu redouté,
Règne sans doute avec quelque ange pour ministre?
Quel est ton crime, ô toi qui vas, tête sinistre,
Plus pâle que le Christ sur son noir crucifix?
– Je suis le petit-fils de votre petit-fils.
– Et d'où viens-tu?
 
 
– Du trône. O rois, l'aube est terrible!
– Spectre, quelle est là-bas cette machine horrible?
– C'est la fin, dit la tête au regard sombre et doux.
– Et qui donc l'a construite?
 
 
– O mes pères, c'est vous,
 
II

Un lien assez étroit relie ce livre épique des Quatre Vents de l'esprit à l'ouvrage posthume qui a pour titre La Fin de Satan. C'est encore la Révolution qui devait occuper la place d'honneur dans ce vaste poème: on en peut juger par les titres: Les Squelettes, Camille et Lucile, La Prise de la Bastille, qui nous disent assez clairement le dessein du poète dans ce chant tout moderne de la prison resté malheureusement à l'état de projet.

La Prison est avec le Gibet et le Glaive, le legs terrible de Caïn:

 
Lorsque Caïn, l'aïeul des noires créatures,
Eut terrassé son frère, Abel au front serein,
Il le frappa d'abord avec un clou d'airain,
Puis avec un bâton, puis avec une pierre;
Puis il cacha ses trois complices sous la terre
Où ma main qui s'ouvrait dans l'ombre les a pris.
Je les ai.
 

Ainsi parle Isis, fils de l'Esprit du mal, que la Bible a flétri du nom de Satan.

 
Et comme s'il parlait à quelqu'un sous l'abîme:
– O père, j'ai sauvé les trois germes du crime!
Sous la terre profonde un bruit sourd répondit.
Il reprit: – Clou d'airain qui servis au bandit,
Tu t'appelleras Glaive et tu seras la guerre;
Toi, bois hideux, ton nom sera Gibet; toi, pierre,
Vis, creuse-toi, grandis, monte sur l'horizon,
Et le pâle avenir te nommera Prison.
 

L'Esprit du mal, qui hait le Créateur divin, ne peut le frapper que dans la création; il s'acharne donc après elle.

 
Je défigurerai la face universelle,
 

s'écrie Lucifer, du fond de l'abîme sombre où Dieu le retient enchaîné.

Mais du débris de ses ailes consumées une plume blanche, une plume animée s'est détachée, et est restée sur le seuil de l'abîme; un rayon de l'œil divin, qui crée le monde, s'est arrêté sur elle, et ce débris est devenu un être, un ange éblouissant, la Liberté. C'est la Liberté qui descendra dans le gouffre des ténèbres, écartera Isis, arrivera jusqu'aux pieds de Satan, fondra sa haine et son orgueil à la chaleur d'une incantation suppliante et divinement tendre, et lui arrachera le cri de clémence qui doit délivrer l'Humanité.

 
«Permets que, grâce à moi, dans l'azur baptismal
Le monde rentre, afin que l'éden reparaisse!
Hélas! sens-tu mon cœur tremblant qui te caresse?
M'entends-tu sangloter dans ton cachot? Consens,
Que je sauve les bons, les purs, les innocents;
Laisse s'envoler l'âme et finir la souffrance.
Dieu me fit Liberté; toi, fais-moi Délivrance!
 
 
«Oh! ne me défends pas de jeter, dans les cieux
Et les enfers, le cri de l'amour factieux;
Laisse-moi prodiguer à la terrestre sphère
L'air vaste, le ciel bleu, l'espoir sans borne, et faire
Sortir du front de l'homme un rayon d'infini.
Laisse-moi sauver tout, moi, ton côté béni!
Consens! Oh! moi qui viens de toi, permets que j'aille
Chez ces vivants, afin d'achever la bataille
Entre leur ignorance, hélas! et leur raison,
Pour mettre une rougeur sacrée à l'horizon,
Pour que l'affreux passé dans les ténèbres roule,
Pour que la terre tremble et que la prison croule,
Pour que l'éruption se fasse, et pour qu'enfin
L'homme voie, au-dessus des douleurs, de la faim,
De la guerre, des rois, des dieux, de la démence,
Le volcan de la joie enfler sa lave immense!»
 
 
Tandis que cette vierge adorable parlait,
Pareille au sein versant goutte à goutte le lait
A l'enfant nouveau-né qui dort, la bouche ouverte,
Satan, toujours flottant comme une herbe en l'eau verte,
Remuait dans le gouffre, et semblait par moment
A travers son sommeil frémir éperdûment;
Ainsi qu'en un brouillard l'aube éclôt, puis s'efface,
Le démon s'éclairait, puis pâlissait; sa face
Etait comme le champ d'un combat ténébreux;
Le bien, le mal, luttaient sur son visage entre eux
Avec tous les reflux de deux sombres armées;
Ses lèvres se crispaient, sinistrement fermées;
Ses poings s'entre-heurtaient, monstrueux et noircis;
Il n'ouvrait pas les yeux, mais sous ses noirs sourcils
On voyait les lueurs de cette âme inconnue;
Tel le tonnerre fait des pourpres sur la nue.
L'ange le regardait les mains jointes.
 
 
Enfin
Une clarté, qu'eût pu jeter un séraphin,
Sortit de ce grand front tout brûlé par les fièvres.
Ainsi que deux rochers qui se fendent, ses lèvres
S'écartèrent, un souffle orageux souleva
Son flanc terrible; et l'ange entendit ce mot:
– Va!
 

On devine quelle est la mission de l'ange: il va briser les portes de la prison symbolique; la Bastille rend au jour ses squelettes et ses captifs; l'aurore de la liberté éclaire les amours de Camille et de Lucile; à l'affranchissement de l'homme sur la terre succède l'affranchissement de Lucifer, le pardon de Satan.

5Voir: VICTOR HUGO: L'HOMME ET LE POÈTE. Les quatre cultes. (Librairie Lecène et Oudin.)