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Victor Hugo, son oeuvre poétique

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Par votre ange envolée ainsi qu'une colombe!
Par ce royal enfant, doux et frêle roseau!
Grâce encore une fois! grâce au nom de la tombe!
Grâce au nom du berceau!
 

Dans l'espoir de servir plus efficacement les misérables de tout ordre, Victor Hugo accepta d'être présenté à la cour; il eut des entrevues avec le roi; il reçut, sans l'avoir brigué, le titre de pair de France. Son action politique, servie par un grand talent oratoire, se marqua dans la Chambre haute par plusieurs discours restés fameux. De 1846 à 1848, Victor Hugo défendit les intérêts et l'indépendance des auteurs, en définissant les limites de la propriété littéraire que Voltaire avait tant contribué à établir; il éleva la voix en faveur de la Pologne opprimée; il soutint avec un patriotique bon sens le projet de défense du littoral français; il céda à un sentiment de dangereuse pitié, il obéit à une maxime de libéralisme maladroit dont, à vrai dire, il fit bientôt l'expiation, en demandant pour les Bonaparte le droit de rentrer dans la patrie française. Il justifia ce qu'il avait dit du sens prophétique des poètes en signalant le danger que faisait courir à l'ordre social l'oppression des classes laborieuses. Les sceptiques qui virent peu après les feux de l'émeute rayer les rues de Paris soulevé, durent regretter d'avoir souri et répété le mot de Charles X: «ô poète!» le jour où le poète en effet, avec sa puissance d'images, leur montrait ce fond d'humanité formé par les générations déshéritées ouvrant brusquement un abîme où tout ce qui semblait inébranlable courait risque de s'engloutir.

La dynastie des Orléans s'effondra au mois de février 1848. Elu représentant du peuple à Paris le 5 juin, Victor Hugo eut le courage de ne pas flatter la démagogie. Il combattit la mesure des ateliers nationaux, et, une fois de plus, il sembla prédire l'avenir en montrant le danger qu'il y aurait à transformer les ouvriers «en prétoriens de l'émeute au service de la dictature.» Après avoir, en quelque sorte, montré à la liberté ses bornes naturelles, il la défendit sous toutes les formes, et parla successivement pour la liberté de la presse, pour la levée de l'état de siège, pour l'abolition de la peine de mort, pour le maintien des subventions littéraires et artistiques, enfin pour le projet d'achèvement du palais du Louvre, qui était, selon lui, une demeure désignée pour l'Institut.

Les élections faites en mai 1849 envoyèrent Victor Hugo à l'Assemblée législative en qualité de représentant de Paris. Son libéralisme s'accentua davantage, et, à partir de ce moment, il fut le républicain qu'il est toujours resté. A partir de ce moment aussi, il tourna toute son attention vers le problème social, et affirma qu'on devait en chercher, qu'on pouvait en trouver la solution. «Je suis de ceux, disait-il, qui pensent et espèrent qu'on peut supprimer la misère.» Sa part dans les travaux de cette seconde Assemblée fut très active. Il prit la parole sur la question de la liberté de l'enseignement, sur celle du suffrage universel, sur celle de la révision de la Constitution. Il s'éleva contre le châtiment de la déportation avec la même éloquence qu'il avait mise à flétrir la peine de mort. Il dénonça aux représentants du pays les projets latents du prince Bonaparte, protesta contre la dotation qu'il réclamait, et prit déjà vis-à-vis du conspirateur une attitude de défiance que le coup d'État ne devait pas tarder à justifier.

Le 2 décembre, Victor Hugo dicta au député Baudin, qu'il retrouva mort le lendemain à la barricade du faubourg Saint-Antoine, la mise hors la loi du prince Louis Bonaparte. Il fut traqué, mais le dévouement de ses amis réussit à le soustraire aux poursuites. Il ne quitta Paris que quand la lutte fut consommée; il s'était montré à plusieurs barricades, rue Montorgueil, rue Mauconseil, rue Tiquetonne; il avait le droit de chercher dans l'exil un refuge contre de plus odieux châtiments. Il trouva un premier asile à Bruxelles, où il écrivit l'Histoire d'un crime. La publication de ce livre, retardée vingt-cinq ans, trouvera sa place naturelle le jour où une autre République sera minée par des conspirations dites d'ordre moral et menacée d'un nouveau coup d'État. La Belgique se fit un triste honneur de rejeter le proscrit: on imagina une loi, la loi Faider, pour expliquer ce regain de persécution. Le 5 août, après avoir traversé Anvers, et touché en Angleterre, Victor Hugo débarqua sur le roc des îles anglo-normandes.

Parti pour l'exil vers le milieu de décembre de l'année 1852, Victor Hugo ne rentrera en France qu'à la chute du régime impérial, le 4 septembre 1870, jour anniversaire de la mort de sa fille Léopoldine. En quittant son pays, Victor Hugo était l'un des trois ou quatre grands poètes de son temps; en y rentrant, il était l'un des trois ou quatre grands poètes de tous les âges. Ce n'est plus au-dessus des Lamartine, des Vigny, des Musset qu'il semblait s'élever; c'est à côté et au niveau d'Homère, de Dante, de Shakespeare.

Le bienfait de la solitude avait opéré cette transformation. Il est bon pour les hommes de pensée de se trouver, à un certain moment de l'existence, jetés, par les événements ou par leur propre volonté, en dehors des agitations de la foule. L'Américain Emerson, poète aussi, a rendu cette idée par une image expressive. Selon lui, ce qui par-dessus tout élève, agrandit l'esprit du penseur, c'est de s'asseoir à l'écart, comme le sphinx des sables, et de «regarder s'écouler un long lustre pythagoricien.» C'est dix-huit années, une grande partie de l'existence humaine, que Victor Hugo a passées en face de la mer inspiratrice, et pendant ce temps de paix, de contemplation, de loisirs studieux, il a produit ses plus admirables ouvrages.

L'année 1853 vit paraître les Châtiments. Le poète habitait alors à Jersey, dans cette maison de Marine-Terrace à toit plat, à balcons, protégée par un long mur, qu'à certains jours franchissait l'écume des vagues. Expulsé de Jersey, il se réfugia à Guernesey, où il s'installa dans Hauteville-House. Ce séjour a été bien souvent décrit. Au-dessus de la maison meublée curieusement, à l'antique, s'élevait le look-out, une chambre vitrée, sorte d'observatoire, de fenêtre ouverte sur les quatre points de l'horizon. C'est là que le poète venait s'exalter au spectacle toujours nouveau, toujours émouvant de l'océan et du ciel agités ou paisibles. C'est là que sont nés vingt chefs-d'œuvre. C'est là que l'idée de presque tous les écrits parus même après le retour en France est venue à Victor Hugo. Plus d'un intime a pu lire, au début de l'exil, sur les cahiers du grand écrivain, les titres d'œuvres publiées près de trente ans plus tard, comme les Quatre vents de l'esprit, comme Torquemada.

Aux Châtiments, chef-d'œuvre issu des circonstances, succédèrent les Contemplations, œuvre mûrie avec lenteur, et dont certaines parties remontaient à plus de vingt ans en arrière. Victor Hugo a donné des Contemplations cette définition qui dit tout: les Mémoires d'une âme.

L'amnistie offerte aux proscrits par le régime impérial fut repoussée par Victor Hugo. Tout le monde a répété son vers devenu proverbial:

 
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là!
 

Il a exprimé les raisons de son refus dans cette autre formule: «Quand la liberté rentrera, je rentrerai.» Sa pensée continuait à franchir le détroit qui le séparait de la terre natale. Il envoyait le meilleur de lui-même à ses compatriotes. Mais le public banal et la presse vénale, que les Châtiments venaient d'irriter, que les Contemplations n'avaient pu émouvoir, étaient incapables de s'émerveiller devant ce prodige de résurrection qui s'appelle la Légende des siècles.

Jeté en dehors de la patrie française, Victor Hugo se fit concitoyen de tous les pays, comme il s'était déjà fait contemporain de tous les âges. Par delà les mers, il tendait la main à Garibaldi et lui prêtait, à défaut d'épée, l'appui des souscriptions. Il élevait la voix en faveur de John Brown; il arrachait au gibet les condamnés de Charleroi; il répondait au Russe Herzen; il réconfortait les proscrits de toute nation, tournés vers lui, comme vers une étoile. Enfin il tirait de son cœur ému les Misérables, ce roman colossal qui devait exciter l'admiration de la France, de l'Europe et du monde.

Son fils François-Victor travaillait à une œuvre restée unique dans son genre, la traduction complète et littérale de Shakespeare. Un an avant que cette traduction parût, Victor Hugo donna, en guise de préface, tout un volume en prose, l'étude critique intitulée William Shakespeare. En 1865 parurent les Chansons des rues et des bois, recueil lyrique qu'on a défini heureusement «le printemps qui fait explosion.»

En 1866 parut le roman des Travailleurs de la mer, moins vaste, mais aussi puissant et plus parfait que les Misérables. Et au moment où l'auteur semblait le plus absorbé par les fantômes que créait, qu'animait son imagination, il ressentait l'émotion de toutes les grandes choses qui se faisaient en Europe au nom du droit et de la justice pour le bonheur ou l'honneur de l'humanité. Il était de la commission chargée d'élever une statue au philanthrope Beccaria; il envoyait l'hommage de ses vers au centenaire de Dante; il demandait au gouvernement britannique la grâce des rebelles d'Irlande ou fenians, et il était assez heureux pour l'obtenir; il demandait vainement aux Mexicains révoltés la grâce de leur roi détrôné, Maximilien.

La renommée littéraire de Victor Hugo était une renommée européenne, universelle. Quand la France convia l'univers entier à venir dans les murs de Paris, à l'occasion de l'exposition de 1867, elle s'adressa au proscrit pour écrire les premières pages d'un livre auquel une élite d'écrivains français collabora. Les Parisiens eurent la surprise de trouver au bas de la préface de Paris-Guide le nom de Victor Hugo. Il n'en fallut pas davantage aux directeurs de théâtre pour s'attacher aussitôt à remonter ses pièces. Un vent d'opposition à l'Empire commençait à s'élever. La reprise d'Hernani à la Comédie-Française, le 20 juin, provoqua des acclamations d'enthousiasme. L'Odéon préparait, de son côté, une reprise de Ruy Blas. Le gouvernement s'inquiéta. Il interdit la représentation de Ruy Blas, et fit retirer Hernani de l'affiche.

 

L'année suivante fut affligée par des deuils domestiques. Victor Hugo vit mourir son premier petit-fils, et il perdit sa femme.

En 1879, il envoyait un nouveau roman, l'Homme qui rit, pour servir de feuilleton à un journal nouveau, le Rappel, fondé par les deux fils du poète, avec la collaboration d'Henri Rochefort, d'Auguste Vacquerie, de Paul Meurice. Ce journal fut un des béliers qui ébranlèrent l'absolutisme impérial. L'année d'après, le plébiscite eut lieu. La guerre avec la Prusse fut déclarée; les défaites se succédèrent; la révolution du 4 septembre détrôna «l'homme de décembre,» et Victor Hugo vint réclamer sa place sur le sol de la patrie envahie. Il rentra dans la capitale assez tôt pour assister au siège. Le 20 octobre, une édition des Châtiments paraissait à Paris; les droits d'auteur du premier tirage furent offerts à la souscription pour les canons. Deux lectures publiques du livre eurent lieu aux théâtres de la Porte-Saint-Martin et de l'Opéra. Avec le produit des places on fit deux canons, le Victor Hugo et le Châtiment. «Usez de moi comme vous voudrez pour l'intérêt public, disait le poète; dispensez-moi comme l'eau.» Il s'est dépeint lui-même, dans cette page de l'Année terrible écrite le 1er janvier 1871:

 
Enfants, on vous dira plus tard que le grand-père
Vous adorait; qu'il fit de son mieux sur la terre,
Qu'il eut fort peu de joie et beaucoup d'envieux,
Qu'au temps où vous étiez petits il était vieux,
Qu'il n'avait pas de mots bourrus ni d'airs moroses,
Et qu'il vous a quittés dans la saison des roses;
Qu'il est mort, que c'était un bonhomme clément;
Que dans l'hiver fameux du grand bombardement,
Il traversait Paris tragique et plein d'épées,
Pour vous porter des tas de jouets, des poupées,
Et des pantins faisant mille gestes bouffons;
Et vous serez pensifs sous les arbres profonds.
 

Il faut relire aussi la pièce qui a pour titre: «Lettre à une femme. Par ballon monté, 10 janvier». Elle rend à la fois la physionomie du siège et l'état d'âme du poète, qui était venu communiquer aux assiégés sa flamme d'héroïsme.

 
Moi, je suis là, joyeux de ne voir rien plier.
Je dis à tous d'aimer, de lutter, d'oublier,
De n'avoir d'ennemi que l'ennemi; je crie:
«Je ne sais plus mon nom, je m'appelle Patrie!»
Quant aux femmes, soyez très fière, en ce moment
Où tout penche, elles sont sublimes simplement.
Ce qui fit la beauté des Romaines antiques,
C'étaient leurs humbles toits, leurs vertus domestiques,
Leurs doigts que l'âpre laine avait faits noirs et durs,
Leurs courts sommeils, leur calme, Annibal près des murs,
Et leurs maris debout sur la porte Colline.
Ces temps sont revenus. La géante féline,
La Prusse tient Paris, et, tigresse, elle mord
Ce grand cœur palpitant du monde à moitié mort.
Eh bien! dans ce Paris, sous l'étreinte inhumaine,
L'homme n'est que Français, et la femme est Romaine.
Elles acceptent tout, les femmes de Paris,
Leur âtre éteint, leurs pieds par le verglas meurtris,
Au seuil noir des bouchers les attentes nocturnes,
La neige et l'ouragan vidant leurs froides urnes,
La famine, l'horreur, le combat, sans rien voir
Que la grande patrie et que le grand devoir;
Et Juvénal2 au fond de l'ombre est content d'elles.
 

Après le siège, le Tyrtée de Paris vaincu fut envoyé à l'Assemblée nationale par plus de deux cent mille voix. Son attitude l'y rendit vite impopulaire. Il parla contre la paix; il demanda que les députés d'Alsace-Lorraine gardassent leur siège de représentants; il protesta contre le transfert du gouvernement hors de Paris. Il souleva de tels orages, que, le 8 mars, après avoir longtemps occupé la tribune au milieu du tumulte, il donna sa démission de député. Mais en renonçant à son mandat, il n'abandonnait pas la défense de ce qui lui semblait la vérité.

Un mois après la perte de son fils Charles, qui mourut à Bordeaux le 13 mars, d'une rupture d'anévrisme, Victor Hugo, retenu à Bruxelles par les intérêts de ses petits-enfants dont il fallait régler la succession, apprenait par les journaux les tragiques horreurs de la guerre civile, et une fois de plus il poussait son superbe appel à la concorde, à la clémence. Le 15 avril, dans la pièce intitulée Un cri, il disait:

 
Combattants! combattants! qu'est-ce que vous voulez?
Vous êtes comme un feu qui dévore les blés,
Et vous tuez l'honneur, la raison, l'espérance!
Quoi! d'un côté la France et de l'autre la France!
Arrêtez! c'est le deuil qui sort de vos succès.
Chaque coup de canon de Français à Français
Jette – car l'attentat à sa source remonte, —
Devant lui le trépas, derrière lui la honte.
Verser, mêler, après Septembre et Février,
Le sang du paysan, le sang de l'ouvrier,
Sans plus s'en soucier que de l'eau des fontaines!
Les Latins contre Rome et les Grecs contre Athènes!
Qui donc a décrété ce sombre égorgement?
 

Dans la pièce intitulée Pas de représailles, une semaine après, il protestait, avec une éloquence admirable, contre la loi du talion:

 
Non, je n'ai pas besoin, Dieu, que tu m'avertisses;
Pas plus que deux soleils je ne vois deux justices;
Nos ennemis tombés sont là; leur liberté
Et la nôtre, ô vainqueurs, c'est la même clarté.
 
 
Quoi! bannir celui-ci, jeter l'autre aux bastilles!
Jamais! Quoi! déclarer que les prisons, les grilles,
Les barreaux, les geôliers et l'exil ténébreux,
Ayant été mauvais pour nous, sont bons pour eux!
Non, je n'ôterai, moi, la patrie à personne;
Un reste d'ouragan dans mes cheveux frissonne.
On comprendra qu'ancien banni, je ne veux pas
Faire en dehors du juste et de l'honnête un pas;
J'ai payé de vingt ans d'exil ce droit austère
D'opposer aux fureurs un refus solitaire
Et de fermer mon âme aux aveugles courroux;
Si je vois les cachots sinistres, les verrous,
Les chaînes menacer mon ennemi, je l'aime,
Et je donne un asile à mon prescripteur même…
 

La même voix, qui cherchait à fléchir par avance les rigueurs des assiégeants, flétrit, le jour venu, le stupide vandalisme des assiégés qui renversaient la colonne Vendôme et mettaient le feu aux merveilleux monuments de Paris.

 
Si la Prusse à l'orgueil sauvage habituée,
Voyant ses noirs drapeaux enflés par l'aquilon,
Si la Prusse, tenant Paris sous son talon,
Nous eût crié: – Je veux que vos gloires s'enfuient.
Français, vous avez là deux restes qui m'ennuient,
Ce pilastre d'airain, cet arc de pierre; il faut
M'en délivrer; ici, dressez un échafaud,
Là, braquez des canons; ce soin sera le vôtre.
Vous démolirez l'un; vous mitraillerez l'autre.
Je l'ordonne. – O fureur! comme on eût dit: Souffrons!
Luttons! C'est trop! ceci passe tous les affronts!
Plutôt mourir cent fois! nos morts seront nos fêtes!
Comme on eût dit: Jamais! jamais! —
Et vous le faites!
 

Ces vers étaient écrits à la date du 6 mai dans la pièce qui a pour titre Les deux trophées. Dans Paris incendié éclataient d'autres reproches non moins indignés.

 
O torche misérable, abjecte, aveugle, ingrate!
Quoi! disperser la ville unique à tous les vents!
Ce Paris qui remplit de son cœur les vivants,
Et fait planer qui rampe et penser qui végète!
Jeter au feu Paris comme le pâtre y jette,
En le poussant du pied, un rameau de sapin!
 
 
Pour qui travaillez-vous? où va votre démence?
 

Mais, tout en répudiant le crime, le poète avait encore plus de pitié que de haine pour les criminels; il leur accordait le bénéfice des circonstances atténuantes, l'ignorance, la misère, l'inconscience.

Il fit plus que de solliciter la clémence pour les vaincus; il leur offrit un asile, pour protester contre l'attitude du gouvernement belge qui leur refusait le titre de réfugiés politiques. Lui-même fut expulsé, après avoir vu sa maison assaillie et ses fenêtres lapidées par la jeunesse réactionnaire. Il revint en France, et dès que le journal le Rappel reparut, il y écrivit un mot que personne n'osait encore prononcer: amnistie.

Victor Hugo atteignait ses soixante-dix ans. Chez la plupart des hommes, cet âge est celui du repos absolu et, trop souvent, de la caducité. Pour le grand poète, ce fut comme le début d'une renaissance, et pendant treize années encore il n'a cessé de produire, pareil à ces chênes plusieurs fois séculaires, dont le trône usé et dévoré menace ruine, mais dont la cime continue à verdir sous l'influence d'une sève circulant comme par miracle à travers les puissants rameaux.

L'Année terrible, qui avait été écrite au jour le jour entre le mois d'août 1870 et le mois de juillet 1871, parut au printemps de 1872. Certains vers, qui avaient été supprimés à cause de l'état de siège, furent rétablis dans les éditions ultérieures. En septembre 1873, Victor Hugo ajoutait à son livre une dernière page admirable d'émotion patriotique, et dont un seul vers ne saurait être retranché: la Libération du territoire. Aucune pièce ne justifie mieux ce que, l'ancien proscrit Eugène Despois écrivait de l'Année terrible à son apparition: «Et maintenant, ô nos vainqueurs, vous avez conquis des milliards, des provinces, et les fracas des triomphes; il ne vous manque parmi tout cela qu'un rien, une superfluité, un accessoire, je veux dire un poète qui chante vos victoires comme nous en avons un pour pleurer nos désastres.»

Le besoin d'oublier les tristesses et les hontes de l'heure présente poussa le poète à regarder, vers ce passé si glorieux où la France tenait tête à l'Europe coalisée; il se consola en remuant les souvenirs

 
De tous nos ouragans, de toutes nos aurores
Et des vastes efforts des Titans endormis.
 

A la fin de l'année 1874, le grand roman, ou, pour mieux dire, l'épopée en prose de Quatre-vingt-treize paraissait. Ce livre avait été écrit en cinq mois et vingt-sept jours.

Le 30 janvier 1875, Victor Hugo était repris par les occupations de la politique. Un siège de sénateur lui était offert par les électeurs de Paris. Ce fut pour lui l'occasion de réunir les écrits de la seconde et de la troisième série des Actes et paroles. Ces écrits furent publiés avec les sous-titres Pendant l'exil, Depuis l'exil.

Le 26 février 1877, Victor Hugo donnait les deux volumes de la Seconde légende des siècles, et, le 14 mai, l'Art d'être grand-père. Le poète achevait à peine de parler, que le politique reprenait la plume pour conjurer les périls du présent en achevant le récit toujours frémissant des attentats passés. Le 1er octobre, l'Histoire d'un crime sortait des presses, et contribuait à faire avorter une conspiration. La suite de l'ouvrage parut au printemps de l'année suivante.

D'avril 1878 à octobre 1880, Victor Hugo écrivit quatre poèmes qui forment comme les quatre parties d'un système philosophique dont nous donnerons ailleurs l'explication aisée. Ces poèmes ont pour titres le Pape, la Pitié suprême, Religions et Religion, l'Ane.

Il semblait que la source fût épuisée. Comme si le poète eût abdiqué, on fêta triomphalement l'anniversaire de sa 80e année. Vivant, on l'honora comme le plus illustre des morts. On avait déjà célébré la cinquantaine d'Hernani, et renouvelé à ce propos les ovations que Paris fit à Voltaire à l'occasion de la pièce d'Irène. On dépassa de beaucoup ces hommages le jour anniversaire de la 80e année du poète. Mais cette manifestation, si spontanée et si frappante qu'elle fût, le cède encore au spectacle inouï que, trois années plus tard, devaient offrir les funérailles. Pourtant ce ne fut pas une pompe vulgaire que cette démarche de la ville de Paris, venant, par la bouche du préfet de la Seine, Hérold, lire à Victor Hugo le double décret qui attribuait son nom à une rue et à une place de la capitale française.

 

Victor Hugo répondit à ces honneurs quasi posthumes en donnant une éclatante preuve de vitalité; le même mois de la même année (mai 1881), il publiait les Quatre vents de l'esprit, cet ouvrage dont la partie satirique rappelait les Châtiments, et par endroits les égalait sans les imiter, dont la partie tragique avait la fraîcheur des premiers drames et rayonnait de la même lumière idéale qu'Hernani ou Marion De Lorme, dont la partie lyrique semblait neuve après les Orientales, les Feuilles d'automne, les Chansons des rues et des bois, dont la partie épique apportait aux lecteurs et aux poètes à venir les éléments d'un merveilleux qui égalait, dans sa puissante nouveauté, celui des Milton et celui des Homère.

Un an plus tard, Torquemada paraissait, et inaugurait une nouvelle série d'œuvres dont les titres seuls furent connus du vivant de Hugo. Plusieurs de ces écrits posthumes ont été édités par les soins des fidèles compagnons d'exil du poète, Auguste Vacquerie et Paul Meurice. Le Théâtre en liberté, publié tout d'abord, n'a rien ôté, mais n'a rien ajouté à l'idée qu'on pouvait se faire des ressources du poète dans la fantaisie dramatique. Aucune pièce de ce volume ne surpasse le chef-d'œuvre dramatique des Quatre vents de l'esprit, la seconde trouvaille de Gallus. Quant à l'épopée Miltonienne qui s'appelle la Fin de Satan, c'est une superbe ébauche, rappelant, en certaines parties, pour l'exécution impeccable, la merveille des Châtiments.

Victor Hugo est mort à 83 ans deux mois vingt-six jours à la date du 23 mai 1885. Il s'en est allé, selon sa prophétie, «dans la saison des roses». Il repose au Panthéon, où tout un peuple l'a conduit; jamais triomphe d'empereur n'a égalé la majesté de ces obsèques de poète.

Dans cette étude détaillée de la longue et laborieuse vie de Victor Hugo nous n'avons pas tracé un seul portrait de lui. Mais quel lecteur ne se représente, au seul nom de Hugo, un beau vieillard aux cheveux blancs, droits et serrés, au large front bombé, et comme agrandi par l'effort de la réflexion! Ceux qui ont eu le bonheur d'approcher l'homme, n'oublieront jamais ses yeux, d'une couleur un peu insaisissable, mais singulièrement lumineux et vivants; ils entendent encore, dans leur mémoire, l'accent profond de sa voix au timbre très pur; ils resteront toujours sous le charme de sa bonté.

C'est là le Hugo des dernières années, celui du quatrième âge, semblable à quelque aède grec, qui se plaît dans les longs récits: c'est le Hugo des épopées.

Si nous remontions de vingt-cinq ans en arrière, jusqu'au milieu de la période d'exil, nous rencontrerions, sur la grève de Guernesey, un promeneur solitaire, dialoguant avec le vent, avec la houle de la mer, et, comme l'antique orateur, jetant aux flots en rumeur des lambeaux de satire.

Théophile Gautier compare le Hugo de cette époque à un lion. «Son front, coupé de plis augustes, secoue une crinière plus longue, plus épaisse et plus formidablement échevelée… Ses yeux jaunes sont comme des soleils dans des cavernes; et, s'il rugit, les autres animaux se taisent.»

Cette attitude farouche de l'exilé répond à l'accent des poèmes que lui soufflait alors l'indignation; il semblait que le charbon dont parle Isaïe eût brûlé ses lèvres, et à voir ses traits comme irréconciliables, on se souvenait des prophètes hébreux.

Trente ans plus tôt, Victor Hugo vient de remporter la grande victoire d'Hernani. Son chef-d'œuvre dramatique a soulevé les acclamations de tout ce qu'on nommait la jeune France. David d'Angers, le statuaire, va sculpter ce visage de poète triomphateur; il lui donnera la sereine beauté d'un marbre antique; mais les marbres antiques ne pensent pas; devant le buste moderne, on devine quel flot d'idées, d'images, de symboles bouillonne sous ce vaste front couronné de lauriers.

Dix ans auparavant, Lamartine, déjà tout rayonnant de gloire, allait visiter Hugo, dont il avait lu et apprécié les premiers vers. «Dans une maison obscure, au fond d'une cour, au rez-de-chaussée, une mère grave, triste, affairée, faisait réciter des devoirs à des enfants de différents âges: c'étaient ses fils. Elle nous ouvrit une salle basse, un peu isolée, au fond de laquelle un adolescent studieux, d'une belle tête lourde et sérieuse, écrivait ou lisait: c'était Victor Hugo, celui dont la plume aujourd'hui fait l'effroi ou le charme du monde.»

Ces quatre portraits, qui semblent différer si fort, offrent un trait commun qui domine les différences. Le front puissant, les yeux contemplateurs, se retrouvent aussi bien dans les rares lithographies représentant l'auteur des premières Odes, que dans les portraits répandus partout du «grand-père», du poète blanchi par les ans.

2Juvénal, poète satirique latin.