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Pauline, ou la liberté de l'amour

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V

– Je servirai le thé aujourd'hui, chère amie, si vous voulez bien me confier ces délicates fonctions, dit Julienne, qui était arrivée la première, pimpante, à la réception de Pauline. Qui comptez-vous avoir?

– Peu de monde, les habitués. Je rétrécis de plus en plus le cercle de mes relations.

– Les miennes s'étendent: je ne sais comment cela se fait.

– C'est que vous aimez la société, et que la société vous le rend.

– La société est bien polie.

– Aurons-nous M. Chandivier?

– Mon mari est très occupé; il viendra cependant, un peu tard: il m'a priée de l'attendre. Mais je puis vous annoncer la visite de Paul.

– Paul? demanda Pauline.

– Oui, Paul Réderic: il se nomme Paul.

– Ah! Et celle de Sénéchal probablement?

– Méchante! Sénéchal ne va dans le monde que flanqué de sa femme, la Sénéchale, ainsi qu'on l'appelle, cette grosse dame confite dans ses prétentions. Avec elle, ce cher sénateur devient assommant; il pontifie comme dans la vénérable assemblée dont il est d'ailleurs un des pavots les plus hauts en fleur.

– Puis, deux ou trois «bonnes amies», je pense.

– Mme d'Orgely, Mme Sermais, la baronne Citre?

– Oui. Peut-être les Béhutin: et voilà.

– En fait d'hommes, c'est tout?

– Le vicomte, Sénéchal, Réderic, votre mari, le mien… mon Dieu, oui! à moins que l'une de ces dames n'amène aussi le sien, ce qui est peu probable, ces messieurs ne se montrant guère avant le dîner et ces dames étant charmées d'avoir un prétexte pour sortir sans leurs époux. Sous l'œil marital, elles sont moins libres de médire.

– Elles sont bien bonnes de se gêner! Avec ça que les messieurs s'en privent!

– Oui, mais avec les femmes des autres.

– Ou entre eux, ce qui est effrayant. Essayez un peu, comme je me suis quelquefois amusée à le faire, d'écouter à leur insu la conversation des hommes. Elle est épouvantable. Ils nous traitent comme de simples filles.

– Cela ne tire pas à conséquence: ils n'en disent pas plus avec leurs termes crus que nous par nos sous-entendus. Quelque opinion d'ailleurs qu'ils aient sur nous, ils ne s'en prévalent jamais pour nous nuire. Tant qu'une femme n'est maltraitée que par les hommes, elle peut dormir tranquille. Qu'elle tombe, au contraire, entre les mains des femmes, elle est perdue. Comme ce sont celles-ci qui font la société, elles se voient toutes puissantes pour en expulser qui elles veulent; et les hommes laissent faire, sûrs de retrouver ailleurs la malheureuse qu'ils n'ont pas su ou pas voulu défendre.

– Celles qui se laissent prendre manquent vraiment d'habileté, dit Julienne. Il est si facile d'exciter à la fois l'amour des hommes et le respect des femmes.

– Ce n'est pas si facile: il y a des femmes qui font causer les hommes et des hommes qui ne craignent pas de livrer aux femmes les choses qui se disent entre hommes. Ces femmes-là, ces hommes-là surtout sont dangereux.

– En connaissez-vous?

– Il y en a partout. Les femmes y mettent toujours quelque scélératesse; les hommes, soit l'amour du scandale, soit de la bêtise, soit seulement de la faiblesse: mais le résultat est acquis.

– Vous faites les gens plus mauvais qu'ils ne sont, ma chère Pauline.

– Les gens sont mauvais sans s'en douter. C'est si simple d'exécuter son prochain en riant!

– Serait-ce, par hasard, moi le prochain? fit Réderic qui entrait.

– Vous le mériteriez, monsieur, dit Julienne en lui tendant la main.

Après avoir salué Pauline et baisé le bout des doigts qui lui étaient présentés:

– Pourquoi donc? demanda-t-il.

– Il y a tant de choses à vous reprocher, et qui ne seraient pas de la calomnie! D'abord, vous êtes sceptique: vous ne croyez ni à l'amour, ni à Dieu. Ensuite, vous êtes froid: rien ne vous enthousiasme, et il faut vous forcer jusque dans vos retranchements pour obtenir de vous quelque signe, peut-être factice, de sensibilité. Enfin, vous êtes abominablement mystérieux! Voyez Sénéchal: le plein jour. Avec lui, on est à l'aise: on sait toujours ce qu'il veut et ce qu'il pense.

– Quelle éternelle coquette vous faites, observa Réderic avec un sourire forcé: mais ses sourcils se froncèrent de colère.

– C'est mal, la coquetterie? demanda Julienne du ton le plus innocent. Qu'en dites-vous, Pauline?

Pauline dédaignait la coquetterie. Elle la jugeait peu digne lorsqu'il s'agissait de séduire, odieuse quand elle devait servir à attiser la jalousie. Agir franchement et simplement, aussi bien envers ceux qu'on aime qu'envers ceux qu'on n'aime pas, lui paraissait à la fois plus noble et plus sûr. Le mouvement d'humeur de Réderic ne lui échappa pas. Elle comprit qu'il était malheureux des continuelles piqûres faites à son amour-propre, à ses sentiments, à son caractère par la coquetterie de Julienne. Son extérieur de sceptique cachait une âme sujette aux susceptibilités.

– Eh bien, vous n'exprimez pas votre avis? fit Julienne. Je vois que vous êtes l'ennemie de la coquetterie.

– C'est vrai, me sentant à la fois incapable d'être coquette par grâce et trop hautaine pour l'être par méchanceté.

– Dites plutôt, madame, reprit Réderic, que les coquettes font tout coquettement, le bien et le mal.

– Et le mal plutôt que le bien? interrogea finement Julienne.

– Cela dépend, dit Réderic: il y a des hommes qui ne peuvent supporter la coquetterie; pour eux une femme coquette est un démon. Moi qui suis persuadé qu'une femme est toujours un démon, j'aime autant un démon coquet qu'un autre.

– Merci du compliment! s'écria Julienne. Démon coquet! quelle impertinence!

Attiré par les voix, Facial arriva d'une chambre voisine.

– Bonjour, mesdames, tous mes respects.

Et serrant la main de Réderic:

– Mon cher monsieur, vous êtes le bienvenu. J'aime beaucoup qu'il y ait des hommes aux réceptions de ma femme. J'ai même pris mes mesures pour leur être agréable. Voyez donc!

Facial souleva une portière et découvrit une pièce arrangée en fumoir, au milieu de laquelle se trouvait un guéridon chargé de boîtes de cigares, de cigarettes et d'une cave à liqueurs.

– Comment, vous allez nous enlever ces messieurs? protesta Julienne.

– N'ayez pas peur, dit Facial: ces messieurs ne négligeront pas de vous présenter leurs hommages, et ce n'est qu'après avoir rempli ce devoir qu'ils passeront chez moi pour causer un peu entre hommes.

– Est-ce assez perfide! Ils ne resteront auprès de nous que le strict quart d'heure de politesse.

– Pour commencer, je profite de l'invitation, dit Réderic. Vous permettez, Madame? ajouta-t-il en s'adressant à Pauline.

– Vous voyez, déjà une désertion! fit Julienne.

– Oui, dit Facial, mais voici des recrues pour nous remplacer.

Et il s'élança sur les talons de Réderic en lui criant:

– Les cigarettes russes sont dans la boîte en argent.

Pauline se leva pour recevoir. Mme d'Orgely, très élégante, la baronne Citre, très complimenteuse, Mme Sermais, très bavarde, arrivèrent successivement, emplissant bientôt le salon de paroles et d'attitudes.

Mais que devint Pauline, lorsqu'elle vit entrer chez elle la vicomtesse de Béhutin accompagnée d'Odon de Rocrange? Son cœur palpita avec violence. Elle eut néanmoins la force de dissimuler une grande partie de son émotion, mais pas tellement qu'Odon ne s'aperçût avec bonheur de l'effet que son apparition imprévue venait de produire.

La vicomtesse se chargea d'expliquer cette présence, qui, du reste, aux yeux des indifférents, ne pouvait rien avoir d'insolite.

– Chère madame, dit-elle après s'être assise et avoir reçu une tasse de thé des mains de Julienne, le vicomte m'a priée de l'excuser auprès de vous, un rhume le retient à la maison. Moi-même, j'aurais peut-être été privée du plaisir de vous rendre visite, si M. de Rocrange, mon frère, lequel avait d'ailleurs de son côté l'intention de se présenter chez vous, n'avait bien voulu prendre la place de mon mari. Vous savez que je n'aime pas à sortir seule.

Pauline reprit possession d'elle-même. Une joie exquise coulait dans ses veines. Si Odon avait tenu à la revoir, n'était-ce point qu'il s'était passé entre eux quelque chose qu'il n'oubliait pas plus qu'elle? Et maintenant, rien qu'à surprendre dans ses yeux de ces regards qui ne trompent pas, au milieu des paroles quelconques qui voltigeaient autour d'eux et qu'eux-mêmes prononçaient, elle sentait à n'en pas douter l'intérêt excité par elle chez l'homme dont elle éprouvait le charme. Odon était semblablement heureux. Il leur semblait à tous deux, sans s'être encore rien dit, qu'ils venaient de se comprendre.

Mais ils s'observèrent scrupuleusement. Exposés aux malveillances, un signe eût pu les trahir. Pauline n'avait pas l'astuce et l'aisance de Julienne, qui permettaient à celle-ci de mener plusieurs intrigues de front, en plein salon, et avec un tel sans-gêne que chacun, admirant son esprit et sa grâce, oubliait de se demander ce qu'il y avait de sérieux sous sa comédie et affectait de considérer comme de brillantes plaisanteries ses plus impudentes audaces. Pauline était trop sincère, et surtout faisait trop l'effet de l'être, pour que chacune de ses manifestations ne fût pas grosse de conséquences. Elle obviait à ce défaut par une prudence et un tact parfaits. Elle avait si bien réussi jusqu'ici que, comme Réderic l'avait dit à Odon, il ne courait pas sur elle le moindre bruit ayant quelque consistance. Julienne ne laissait cependant pas de l'épier. La sachant discrète et la seule femme dont elle n'eût pas à craindre l'hostilité, elle prenait plaisir à ne lui rien cacher de sa vie. Mais elle eût voulu que Pauline lui rendît la pareille, sans songer qu'elle-même était incapable d'inspirer à son amie une semblable confiance; et quoique celle-ci lui assurât toujours qu'elle n'avait aucune confidence à faire, Julienne n'en était que plus disposée à croire qu'il y avait quelque chose et à chercher ce que pouvait bien être ce quelque chose.

 

Odon avait un grand usage du monde. Rompu à toutes ses roueries, il n'en craignait ni les chausse-trappes, ni les pipées. Il savait se mouvoir sans risques au milieu des réseaux tendus de tous côtés. Il se riait des dangers de cette sorte et s'amusait à les braver. Il faut dire aussi qu'il prenait peu de soin de sa réputation, ou plutôt qu'il n'ignorait pas que pour un homme la meilleure des réputations consiste à n'en pas avoir. Se faire passer pour suffisamment amateur de femmes, dissimuler aux jugements mondains la noblesse de son caractère, la philosophie de son esprit et la sentimentalité de son cœur, était son unique conduite. Il ne s'ouvrait guère qu'à de rares amis et aux femmes qu'il aimait. C'était à se ménager ces affections secrètes que toute son habileté était déployée. A la limite de son cœur devait s'arrêter l'intrusion du monde.

Se sentant surveillé, Odon s'abandonna à toute la fantaisie de son imagination pour dérouter les conjectures. Lui qui avait fui Paris, altéré de solitude et d'accalmie, il parla en termes émus de cette nostalgie du boulevard qui atteint le Parisien aussitôt qu'il a franchi les fortifications; il exécuta des dithyrambes sur la joie du retour, le plaisir de retrouver les petits theâtres et les restaurants de nuit; il s'excusa d'avoir perdu le goût du terroir, de s'être rouillé, et demanda plaisamment des explications sur certains mots forgés pendant son absence et qu'il prétendait ne pas comprendre. Ces dames étaient ravies, et Pauline, trompée elle-même, ne reconnaissait pas l'homme qui, peu de jours auparavant, lui avait parlé de l'amour avec tant d'élévation.

La conversation continuait, et Odon en était à des récits humoristiques sur divers traits de mœurs étranges observés dans le cours de ses voyages, lorsque la porte du salon s'ouvrit de nouveau pour livrer passage à Sénéchal et à son épouse. A la vue de la Sénéchale, Julienne ne retint pas une moue caractéristique. Complètement transformé aux côtés de sa plantureuse moitié, le sémillant sénateur se révélait grave et plein de componction. Sa langue n'en restait pas inactive pour cela, mais au lieu de compliments musqués et de galanteries obséquieuses, c'était une série de cancans qu'elle affilait.

– Eh bien, commença-t-il à peine assis, vous savez la nouvelle?

On se disposa à écouter, tandis que la Sénéchale, qui probablement la savait, la nouvelle, roulait des yeux effarés.

– Une nouvelle, c'est peu dire, reprit Sénéchal: un scandale!

– Vraiment, contez-nous ça! s'écria-t-on, alléché.

– C'est toute une aventure: une femme du monde ayant les meilleures relations, une femme que tous ici connaissent, que nous avons tous reçue, vient de compromettre gravement sa réputation et l'honneur de son mari. Le fait est public, et si je suis le premier à le divulguer, c'est que je suis mieux informé que les autres: mais demain, certainement, tout Paris en parlera. En attendant, mesdames, je ne vous en recommande pas moins une grande discrétion. Qu'il ne soit pas dit que le scandale éclate par notre faute.

– Je vous en prie, Monsieur, dit Pauline inquiète de cet exorde, s'il s'agit d'une de nos amies, réfléchissez à deux fois avant de causer peut-être un mal irréparable.

– En effet, vous feriez mieux de vous taire, accentua Odon avec sévérité.

– Mais non, mais non, protestèrent une ou deux voix féminines.

Sénéchal s'arrêta, un instant interloqué. Puis il reprit avec un sourire presque railleur à l'adresse des interrupteurs:

– Quand je vous dis que demain tout Paris le saura: il y a eu trois témoins. Vous en avez la primeur, voilà tout.

– Une primeur, quelle chance! susurra Mme Sermais.

– Je remarque, Sénéchal, que vous nous tenez le bec dans l'eau, s'écria cavalièrement Julienne. Exhibez votre phénomène, et nous apprécierons s'il valait la peine d'un pareil boniment.

Sénéchal jeta un coup d'œil circulaire, s'assura que les esprits étaient à point et débuta:

– Une dame, appelons-la madame Z… si vous voulez…

– Oh! pas d'énigmes, mon cher, fit Julienne.

– Des noms, je vous en conjure! supplia la baronne Citre.

– Vous y tenez? Eh bien, cette dame, c'est Mme de Saint-Géry.

Tous la connaissaient, et Sénéchal était certain de son effet.

– Madame de Saint-Géry! s'exclama-t-on. Comment est-ce possible? Que s'est-il passé? Qui aurait pu penser à elle? De grâce, mettez-nous au courant!

La Sénéchale soupirait avec confusion:

– Et dire qu'il y a huit jours à peine j'embrassais cette créature!

– Vous auriez juré comme moi, mesdames, poursuivit Sénéchal, que Mme de Saint-Géry était la femme la plus irréprochable du monde. Nul de nous ne se serait avisé de la soupçonner. On la trouvait même, je crois, un peu austère. A la voir, à la fréquenter, qui se serait douté que Mme de Saint-Géry avait depuis plusieurs années une liaison?

– Et quel était l'heureux mortel? demanda Julienne.

– L'amant, un de nos officiers les plus distingués…

– Son nom, par pitié! gloussa la baronne pâmée d'aise.

– Le comte Victor des Urgettes.

Il y eut un bruissement de curiosité satisfaite.

– Et comment a-t-on découvert? interrogea Mme d'Orgely en s'éventant avec vivacité,

– Je passais hier rue de Provence, lorsque je m'entendis héler par une voix connue partant d'un fiacre qui venait de me distancer. «Venez avec moi, mon cher sénateur, vous me serez peut-être utile.» C'était Saint-Géry. Je montai dans sa voiture, et, tout en roulant, il m'expliqua qu'ayant acquis la certitude que sa femme le trompait, il allait la surprendre. «Je n'ai pas prévenu le commissaire, me dit-il: mêler la police à ces affaires-là est assez mal porté; mais je veux des témoins, pour être maître de la situation.» Le fiacre s'arrêta rue des Martyrs. Nous fûmes reçus par le concierge. «J'ai acheté cet homme,» me dit Saint-Géry. Effectivement, ce fut le concierge qui nous montra le chemin et nous ouvrit la porte d'un petit appartement. Saint-Géry s'avança très calme, il traversa une première pièce vide et frappa à la porte d'une seconde, qui devait être une chambre à coucher ou un petit salon. Ce fut des Urgettes lui-même qui vint ouvrir. Il eut un geste d'étonnement en voyant Saint-Géry. Celui-ci pénétra dans cette seconde pièce, tandis que nous restions dans la première, le concierge et moi. Nous entendîmes une violente dispute entre trois voix irritées: et la troisième était une voix de femme, que je reconnus bien évidemment pour la voix de Mme de Saint-Géry. Enfin Saint-Géry ressortit. «Je vous remercie, messieurs, dit-il; je sais ce que je voulais savoir: vous pourrez en témoigner à l'occasion.» – «Vous laissez Madame ici?» lui demandai-je quelque peu étonné. – «Pourquoi pas? répondit-il. Elle est chez monsieur des Urgettes, où elle se plaît apparemment mieux que chez moi. Mon seul but est d'obtenir une séparation à l'amiable, qui sera au mieux pour mon plaisir et pour mes intérêts. Après ce petit esclandre, elle ne s'y refusera pas.» Voici, mesdames, le récit exact de ce qui s'est passé.

La baronne et Mme Sermais haletaient; Mme d'Orgely s'éventait toujours plus rapidement; la vicomtesse de Béhutin avait écouté l'histoire d'un air de suprême dégoût; la Sénéchale, très prude, levait au ciel ses gros yeux indignés; Julienne riait.

– Alors, dit la baronne, vous n'avez pas vu Mme de Saint-Géry?

– Je n'ai fait qu'entendre sa voix. Cela suffit.

– Était-ce, au moins, la voix d'une femme surprise en flagrant délit?

– Tout à fait.

– Mais vous avez vu son amant, le comte… Dans quel costume était-il? demanda Mme Sermais.

– La vérité m'oblige à dire qu'il était fort correctement vêtu. Je le regrette.

– C'est dommage, en effet. Mais l'adultère est prouvé?

– Tout ce qu'il y a de plus prouvé.

Facial et Réderic, sur ces entrefaites, étaient rentrés au salon.

– Ma chère amie, dit Facial en se tournant vers sa femme, vous me ferez le plaisir de n'avoir plus aucune espèce de relations avec cette dame.

– C'est évident, dit Julienne, nous ne pouvons plus la recevoir.

Pauline regarda son amie avec stupéfaction; mais elle ne fit aucune remarque.

– J'espère bien, dit la baronne, qu'après une histoire pareille, cette femme n'aura pas le front de se présenter quelque part.

– Il ne lui reste qu'à disparaître, conclut la vicomtesse.

– Et le comte, que va-t-il devenir? demanda étourdiment Mme Sermais.

– Il va devenir le héros des salons, répondit Réderic, qui n'avait pas encore ouvert la bouche.

– A moins, compléta Odon, qu'il ne lui passe par la tête l'absurde idée de rester fidèle à celle qui s'est perdue pour lui. Dans ce cas, il est coulé comme elle. Mais vous parliez d'un troisième témoin, Monsieur, continua-t-il en s'adressant à Sénéchal: quel était-il?

– Le domestique du comte des Urgettes, qui était accouru de l'office trop tard pour nous arrêter.

– De ces trois témoins, il n'y en a qu'un seul qui compte, vous: et vous avez le courage de vous faire par vos récits l'auteur de la ruine d'une pauvre femme qui n'eut que le seul tort de se laisser prendre. Je ne vous félicite pas.

– Vraiment, Monsieur?.. commença Sénéchal d'un ton rogue.

Mais il retint la riposte blessante qu'il se préparait à lancer, se souvenant à propos que Rocrange était une fine lame et ne supporterait peut-être pas des paroles qui lui déplairaient. Il se borna à prétexter qu'une affaire comme celle-là était fatalement destinée à s'ébruiter, qu'il ne savait par conséquent pas pourquoi il se priverait du plaisir d'en informer quelques personnes intimes sur la discrétion desquelles on pouvait compter, que d'ailleurs il croyait rendre un signalé service au mari en lui ôtant toute possibilité de réconciliation factice avec l'épouse coupable, et que quand une femme se conduisait comme Mme de Saint-Géry, elle n'avait vraiment le droit de prétendre à aucun ménagement.

Chose curieuse, les dames, y compris Julienne, approuvèrent complètement les paroles du sénateur. Pauline seule resta silencieuse.

– Les points de vue diffèrent, Monsieur, termina Odon.

Lui aussi sentait qu'il devait s'arrêter. N'eût été la présence de Pauline, qui excitait sa générosité de gentleman, il ne se fût pas laissé emporter ainsi. Ne connaissait-il pas le monde? Il eût imité la réserve sceptique de Réderic, et sans participer aux médisances, il ne s'en fût point formalisé.

Quelques minutes plus tard, satisfait de son triomphe, Sénéchal battit en retraite, non toutefois sans avoir trouvé l'occasion, pendant que la Sénéchale prenait congé, de glisser à Julienne:

– Quand vous reverrai-je? J'attends un petit bleu de vous.

La baronne, Mme d'Orgely, Mme Sermais partirent aussi, pressées d'aller colporter à droite et à gauche la nouvelle à sensation. Sénéchal avait raison: demain tout Paris le saurait.

Réderic avait voulu s'éclipser. Julienne l'avait retenu:

– Attendez. Je ne sais si mon mari viendra; j'aurai peut-être besoin de vous pour me reconduire.

Et elle avait accompagné cette phrase d'un de ses plus engageants sourires.

Mais, à ce moment même, Chandivier arriva.

– Suis-je libre maintenant? demanda Réderic.

– Oui, dit Julienne.

Elle ajouta à voix basse:

– Venez dîner ce soir.

Chandivier se trouvait dans un état d'excitation assez anormal.

– Ah! mon ami, mon ami! gémit-il en serrant la main de Facial.

Celui-ci, pressentant d'orageuses confidences, se hâta de le faire passer dans son fumoir.

– Qu'y a-t-il?

– Ah! mon ami, je sors de chez Rébecca. Quelle scène, mon Dieu! quelle scène! Elle prétend qu'elle n'a pas de succès à la Comédie, elle veut un grand rôle, elle jalouse ses camarades, elle se plaint des sociétaires, elle dit qu'elle n'a pas d'argent pour se faire des toilettes… et Dieu sait si je lui en donne de l'argent! Bref, mon cher, tout ce que le génie infernal d'une femme capricieuse peut assembler de projectiles m'a été pendant une heure déchargé sur le dos: car je tournais le dos comme sous une tempête de grêlons. Enfin, elle s'est calmée; j'en ai été quitte pour la peur. Mais une peur!.. Car si elle me lâchait, cette petite Rébecca, j'en ferais une maladie. Que voulez-vous? Je suis fou d'elle. J'ai dû lui promettre de régler à la fin du mois la note de sa couturière. Et puis, elle veut une seconde paire de chevaux.

Chandivier continua à exposer longuement ses doléances, ses faiblesses et ses petites voluptés, complaisamment écouté par Facial, pour lequel ces amours avec une actrice avaient un fumet de plat défendu.

 

Au salon, Odon et Pauline, assis dans une causeuse, mettaient à profit un instant de tête-à-tête, tandis que la vicomtesse et Julienne, occupées à feuilleter un album de modes, semblaient plongées dans des considérations absorbantes.

– Connaissez-vous cette pauvre Mme de Saint-Géry? demanda Pauline.

– Personnellement, non: mais j'ai quelque idée de son mari, un homme cynique, incapable de comprendre une femme qui cherche à être aimée. J'ignore si les deux amants sont intéressants: j'affirme que le mari ne l'est pas. Et le fût-il, une femme n'a-t-elle pas besoin d'amour, tout comme un homme; et lorsqu'elle croit le trouver dans une de ces liaisons que le monde taxe d'irrégulières, avons-nous le droit de la juger et de la condamner? Ah! si l'on pouvait pénétrer les cœurs, on verrait d'étranges choses! Partout cet éternel désir d'amour, plus ou moins violent suivant les âmes, enfoui ici sous des couches de pusillanimité, déguisé là de profondes draperies d'hypocrisie, écrasé ailleurs par les nécessités lourdes de la vie, parfois faisant explosion comme une force mal contenue, parfois rongeant sourdement sa prison et s'épuisant à ce travail souterrain. Mais nous ne connaissons personne d'autre que nous, et, malveillants par nature, nous ne voulons pas admettre chez autrui ces sentiments que nous sentons s'agiter au fond de nos cœurs et qui forment, nous en avons conscience, la meilleure partie de nous-mêmes. Et puis, faut-il le dire? nous jalousons l'amour. L'aspect de deux amants inspire une haine féroce, surtout s'ils se permettent d'être heureux sans passer sous les fourches caudines des lois.

– Vous avez aimé?

– Beaucoup. J'aime encore, et peut-être plus que je ne l'ai jamais fait.

– Vous êtes heureux!

– Si le bonheur est en proportion de l'amour qu'on éprouve, oui; s'il dépend de celui qu'on inspire, je n'ai pas le droit encore de me dire heureux: mais l'espérance étant déjà une joie, je suis heureux.

– Selon vous, on n'est heureux que par l'amour?

– Le véritable bonheur me semble difficilement réalisable autrement. Certaines personnes pensent que la quiétude du cœur est le bien suprême; elles craignent les émotions et ne sont pas loin de prendre pour de la folie les plus nobles passions humaines. Mais observez-les: les plus sages ne sont pas réellement heureuses, elles ne sont que calmes.

– N'est-ce point, en effet, une folie que d'abandonner le calme que l'on a péniblement conquis pour s'aventurer sur cette mer orageuse des passions, si fertile en naufrages?

– Ah! Madame, mieux vaut être malheureux par l'amour que vivre sans amour. Aimer est le salut des âmes. Pour quelques-unes, c'est le calvaire; mais même pour celles-là, les pures joies du sacrifice compensent encore les douleurs du supplice. Qu'avons-nous à faire sur la terre, sinon de faire passer notre âme par ces divines flammes qui l'épurent et la rendent apte aux plus hautes fonctions? Sommes-nous des animaux pour borner notre activité à paître, boire et dormir? Sommes-nous des machines pour exécuter quotidiennement le travail nécessaire et rester inertes une fois cet infime labeur accompli? Non, nous sommes des créatures morales, destinées à acquérir par le moyen de la vie une conscience toujours plus complète de nous-mêmes; nous avons une individualité psychique à dégager des tourbes de la matière par l'emploi des puissances spirituelles et sensibles de notre être; nous devons nous créer, comme pour un avenir incommensurable, une vitalité supérieure et féconde, source éternelle de possibilités merveilleuses. Que toutes nos facultés soient mises en œuvre pour cela, la pensée, la volonté, notre sens du beau et du bien, mais surtout l'amour, qui les confond dans une sphère souveraine. Car aimer, c'est à la fois penser, vouloir, comprendre ce qui est beau et ce qui est bien: c'est vibrer à l'unisson de l'univers, c'est tendre à Dieu.

– Considéré de si haut, l'amour devient une vertu.

– C'est plus qu'une vertu, c'est une loi. Que dis-je? c'est la loi. Et la vertu ne consiste-t-elle pas justement à découvrir la loi et à s'y conformer?

– A s'y conformer librement.

– Ou, si la liberté absolue n'existe pas, avec toute l'indépendance possible vis-à-vis des lois inférieures, et en particulier de ces absurdes lois humaines qui sont bien moins des lois qu'une étiquette. Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, a dit Jésus: à Dieu, c'est-à-dire à tout ce que nous reconnaissons dans la nature comme la véritable et essentielle destinée de notre être. Ne sentez-vous pas qu'aimer librement vous rendrait meilleure?

– C'est mon sentiment intime; et je crois que tout ce qui contrarie le libre épanchement de nos désirs est la vraie cause de nos mauvaises pensées et de nos bassesses.

– Et le christianisme, cette religion que l'on invoque si souvent contre les principes éternels du cœur humain, n'a-t-il pas mis, en réalité, l'amour si haut, que le mot qui revient le plus souvent dans ses enseignements est: Aimez! Aimez! Aimez!

– Sans doute, mais l'on se plaît à faire une distinction entre l'amour dont parle l'Évangile et l'amour tel que nous l'entendons, pauvres créatures de chair.

– Eh! Madame, cette distinction est bien superficielle. Il n'y a pas plusieurs espèces d'amours: il n'y a que l'amour. N'est-ce pas toujours une seule cause qui agit, quel que soit celui qui aime et quel que soit l'objet de l'amour? Cette cause, que les savants ont définie par l'hypothèse de l'attraction universelle, est la même qui fait graviter les uns vers les autres les astres dans les cieux et les cœurs sur la terre. Que ce phénomène, chez les êtres vivants, se complique d'une infinité de sensations d'ordre d'autant plus élevé que leur constitution est plus complexe, cela ne change rien à sa nature. Et pour ce qui concerne nos amours humaines, où voit-on qu'il y ait une différence d'origine entre l'amour d'un père pour ses enfants, celui du citoyen pour sa patrie, celui du chrétien pour le fondateur de sa religion, celui du poète pour l'idéal? Partout, c'est cette puissante et mystérieuse attraction qui sollicite les êtres et les pousse irrésistiblement, sans qu'ils puissent, le plus souvent, donner à leur enthousiasme d'autre raison, sinon qu'ils aiment. Et si nous voulons faire des différences de degré, ne mettrons-nous pas le plus haut l'amour de l'homme pour la femme et celui de la femme pour l'homme, amour qui met en jeu l'ensemble complet de nos sensibilités? La femme que j'aime est à la fois pour moi ma famille, ma patrie, ma divinité, mon idéal; elle me fait éprouver toutes les sensations réunies de toutes les amours possibles; je ne saurais plus rien faire, plus rien penser, plus rien désirer qu'elle n'illumine de sa présence; elle est ma vie; elle est la vie. Et voyez comme cet amour est vaste: le corps lui-même y participe. Car loin de vouloir honnir les élans de la chair, je les considère comme le complément des ardeurs de l'âme; j'admire que notre misérable guenille physique se trouve embrasée elle aussi de la même brûlante passion; j'y vois l'ennoblissement du monde physique qui se monte, là seulement, à la hauteur du monde psychique. D'ailleurs, le corps et l'âme sont-ils si distincts l'un de l'autre? Pour ceux qui, comme moi, sont épris de la belle doctrine de l'incarnation, le corps n'est autre chose que la figure matérielle de l'âme; c'est l'âme qui a en quelque sorte cristallisé autour d'elle les éléments nécessaires à sa vie terrestre et leur a donné sa forme. De telle sorte qu'en aimant le corps, c'est encore l'âme que nous aimons, ou plutôt que nous ne pouvons aimer l'un sans l'autre, et qu'aimer spirituellement implique nécessairement aimer charnellement. Je ne sais, Madame, si je vais trop loin, mais je crois avoir deviné en vous une femme bien différente des poupées hypocrites et perverses que nous voyons frétiller autour de nous; il me semble que vous devez mépriser les conversations ridicules en usage dans notre société, et qu'on ne peut que vous plaire à se montrer à vous le cœur à découvert.

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