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Victor, ou L'enfant de la forêt

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IVe NUIT DE LA FORÊT

«Je vous laisse à penser, mes amis, quelle foule de réflexions m'assiégea pendant toute la journée du lendemain. Le rôle que la mère inconnue me faisait jouer, était si bizarre, si dangereux même, que malgré mon goût pour les aventures extraordinaires, celle-ci commençait à me déplaire singulièrement; non que je me détachasse de l'enfant; hélas! cet innocent nouveau-né était-il cause des inquiétudes que j'éprouvais, des courses qu'on me faisait faire? devait-il souffrir des malheurs ou de la bizarrerie de ses parens? fallait-il que je l'exposasse de nouveau aux dangers que paraissait courir sa mère infortunée, à la mort même que cette mère égarée par le malheur sans doute, pouvait lui donner dans un moment de désespoir, ainsi que me l'avait fait entendre le guide de la forêt! Devais-je m'exposer moi-même à la cruelle incertitude d'en être privé, à la crainte de me le voir enlever par sa mère, plus calme ou moins malheureuse? Je l'aimais déjà ce pauvre enfant, oui, je sentais déjà que son existence était nécessaire à la mienne, et que si je devais le perdre, il fallait me résoudre à perdre la paix et le bonheur. Charme inconnu qu'on éprouve à la vue de l'enfance abandonnée, qu'êtes-vous? par quel talisman pénétrez-vous l'homme sensible!.. Oh! quel empire vous aviez sur mon ame! comme vous faisiez palpiter mon cœur! combien de larmes, combien de soupirs vous m'arrachiez en fixant le petit Victor, ce fils du crime ou du malheur!.. J'étais père, j'avais reçu Clémence dans mes bras, je lui avais donné le premier baiser de la paternité, et jamais je n'avais éprouvé, à la vue de ma fille naissante, les sensations délicieuses que me faisait éprouver le petit Victor qui m'était point mon fils!.. Qui n'était point mon fils, que dis-je! il l'était dès ce moment, tout autre homme l'aurait adopté pour moi: eh! les émotions de la commisération sont-elles autre chose que les douces étreintes de la tendresse paternelle!..

»Je chérissais donc davantage l'enfant abandonné; mais je ne voulais plus m'exposer aux dangers qu'on me faisait courir pour lui. Trois courses nocturnes m'avaient fatigué, je me proposais de garder Victor, de le faire sévrer chez moi, et de ne plus le conduire à une mère assez peu confiante en ma probité pour me cacher ses traits, son nom et ses aventures. D'après ce que je faisais pour son fils, que craignait-elle de m'ouvrir son cœur? Son secret eût-il été moins sacré pour moi que son enfant? Non, me dis-je, je ne le lui porterai plus; elle m'inspire trop peu d'estime: elle peut être infortunée, mais, à coup sûr, elle a la tête égarée, romanesque; elle a une ame qui n'est pas faite pour s'épancher dans le sein d'un homme sensible et généreux, elle ne reverra plus son fils!..

(Ici madame Wolf, qui paraissait émue, fit un mouvement pour interrompre le baron. Celui-ci, qui s'en apperçut, se tut comme pour lui laisser la faculté de parler… Madame Wolf se contenta, après une pause qui étonna singulièrement son bienfaiteur, de soupirer, de lever les yeux au ciel, et de lui dire, d'une voix étouffée: Je vous demande pardon, monsieur, je n'avais rien à dire… J'ose vous prier de continuer!.. Fritzierne fut le seul de sa famille qui fit attention à cette espèce de réticence de madame Wolf. Il parut s'inquiéter; mais bientôt il se remit, et reprit ainsi son intéressante narration.)

»Fort de ces réflexions, je formai d'abord le projet de ne plus retourner à la forêt… Cependant je changeai d'avis… Je veux absolument connaître cette femme singulière, me dis-je… J'irai la trouver cette nuit; mais j'irai seul, sans son fils; je la questionnerai, je la supplierai de m'accorder sa confiance, de me raconter ses malheurs: si elle s'y refuse, si elle s'obstine à me cacher son sort, son nom, celui du père de Victor, alors je la fuirai, je l'abandonnerai pour toujours; et dussé-je cacher son fils dans le coin le plus obscur de l'univers, jamais elle ne découvrira son asyle ni le mien!

»Ce parti, j'en conviens aujourd'hui, ce parti était peu réfléchi; il prouvait le désordre de ma raison et de mon cœur; car allant seul voir cette femme, en mettant la vue de son fils à des conditions que la nécessité pouvait la contraindre de rejeter, je m'exposais à tout son ressentiment, je m'exposais à perdre ma vie, ma liberté, ou à voir cette mère désolée s'attacher à mes pas, me suivre, ou me faire suivre par-tout par ses gens, peut-être par le guide vigoureux qui m'avait déjà entraîné dans la caverne, et cela dans l'espoir de découvrir mon nom, ma retraite, celle de son fils… Toutes ces conjectures, que je ne fis pas alors, pouvaient être fausses; mais enfin il était possible aussi qu'elles se vérifiassent: j'ignorais à qui j'avais affaire: servais-je le crime, l'imprudence ou le malheur, je n'en savais rien! et mon Victor, que je vois sourire sans doute de la peur à laquelle il suppose que je cédai, ne peut pas me taxer de faiblesse, s'il se rappelle que pendant trois nuits j'avais couru les aventures les plus extraordinaires, des aventures que mille autres, à ma place, auraient abandonnées dès la première.

»Je pris donc le parti de retourner seul à la forêt, et j'y fus à mon heure accoutumée, je le répète, sans le petit Victor, que j'avais confié à sa fidelle nourrice; mais il était écrit que mon projet serait renversé cette nuit-là, et que la fortune, cruelle me préparait un événement terrible autant qu'inattendu. Prêtez-moi toute votre attention.

»La nuit la plus sombre couvrait la nature; le ciel n'était éclairé que par des milliers d'étoiles, qui, par leur scintillation, ne donnaient pas assez de clarté pour distinguer les objets, mais en jetaient cependant assez encore pour me faire reconnaître la route tortueuse qui devait me conduire à mon souterrain… Je marchais absorbé dans mes réflexions, et méditant dans mon esprit les moyens qu'il me fallait prendre pour m'insinuer dans la confiance de la mère inconnue… Déjà j'en avais trouvé un que je croyais excellent, lorsqu'un coup de sifflet, parti à mes côtés, me réveille de ma méditation, et me rappelle à la prudence, au courage. Je m'élance contre un arbre, et je me jette sur mes armes; mais soin inutile!.. Une corde, que je n'avais pas remarquée à mes pieds, se dresse soudain; je me sens garrotter les jambes, l'estomac et les bras, après l'arbre que j'avais embrassé comme un abri. Tout cela se fait sans que j'aie le temps de me défendre, et par des gens que je ne puis voir, car j'ai le dos tourné contre l'arbre, et l'arbre me sépare de mes bourreaux, qui, dans le moment, s'élancent sur mon sabre, sur mes pistolets, et me désarment avec une agilité qui prouve leur long exercice dans ce genre de travail.

»Vous dépeindre ma situation est une chose impossible. Je vous dirai seulement que ma première idée fut que j'étais trahi par les inconnus à qui appartenait l'enfant, ou surpris par leurs ennemis. La suite me prouva que mon malheur ne provenait d'aucune de ces deux causes. Heureusement que je ne l'avais pas avec moi, cet aimable enfant, heureusement… (Ô bonheur inoui! s'écrie ici madame Wolf, avec un accent plus fort que celui qui naît du simple intérêt qu'excite un récit… M. de Fritzierne, étonné de nouveau de cette exclamation, fixe un moment l'étonnante madame Wolf, et continue) Heureusement que ce pauvre enfant n'était pas dans mes bras, car je l'en aurais vu tomber, et peut-être se briser la tête à mes pieds…

Après que les brigands m'eurent ainsi garrotté, l'un d'eux m'adressa la parole, et nous eûmes ensemble la singulière conversation que je vais vous rapporter: Qui es-tu, me dit-il? – Qui es-tu toi-même, répondis-je? – Tu le sauras; mais réponds, ou tu es mort. Qui es-tu? – Militaire. – Comment t'appelles-tu? – Mon nom est un secret pour les scélérats de ton espèce. – Imprudent!.. que faisais-tu à cette heure dans cette forêt? – J'y cherchais ma route… – Un moment, reprend un autre brigand, je connais cette voix; je me trompe fort, ou c'est celle du fameux baron de Fritzierne. – Je le suis, répondis-je. – Tu es Fritzierne, je te reconnais, j'ai servi sous toi: je suis déserteur d'un de tes régimens. – Lâche!.. – C'est toi qui, dans la dernière guerre, as trouvé le secret de simplifier le travail des mines, et de faire sauter une plus grande étendue de terrain avec moins de bras et moins de poudre. – Eh bien! que me veux tu? – Camarades, c'est un des plus grands savans de l'Europe. Il faut le ménager et le conduire à notre capitaine. Quelle bonne prise!.. Comme Roger, qui aime l'art de la guerre, va s'instruire avec un homme comme ça! – Quel est ce Roger? (Madame Wolf frémit.) – Un grand homme, que tu aimeras, car tu deviendras son ami, si tu veux lui prouver de la confiance et de la franchise. – Un brigand qui vous commande aurait ma confiance! Jamais, jamais… – Nous pardonnons aux injures d'un homme dont le nom nous commande le respect. Notre capitaine nous a cent fois raconté tes exploits; il t'estime; et si nous t'estimons à son exemple, c'est te prouver assez que nous ne sommes pas des brigands. – Avez vous bientôt décidé de mon sort? – Ton sort? il est entre les mains de notre capitaine: c'est à lui que nous allons te présenter: seul il est maître de tes jours, de ta liberté. Viens avec nous, Fritzierne; nous te promettons d'avoir pour toi les plus grands égards.

»Ces égards, que ces messieurs me promirent, furent de me garrotter fortement les bras, de me faire descendre un long bâton entre les jambes, pour m'empêcher de courir, et de m'entraîner au milieu d'eux, après m'avoir détaché de l'arbre où ils m'avaient lié d'abord.

»Je marchais en silence, absorbé sous le poids du malheur qui m'accablait, formant mille réflexions plus douloureuses les unes que les autres, et ne m'arrêtant qu'à celle de l'abandon où le destin condamnait mon petit Victor, s'il me fallait rencontrer la mort parmi les monstres dont j'étais l'esclave. Ma vie, je ne la regrettais pas; mais mon fils adoptif, mon cher fils!..

 

»Après une heure de marche, nous entrâmes dans une espèce de chaumière, dont la porte se referma sur nous. Elle conduisait à un souterrain dans lequel mes bourreaux s'enfoncèrent. Trois d'entre eux m'attachèrent à une forte chaîne qui était scellée dans le roc. Ils me laissèrent un flambeau, qui brûlait à quelque distance; puis ils me dirent en riant: Bonne nuit, baron de Fritzierne; demain matin, tu verras Roger notre chef, notre père et notre ami.

«Bonne nuit!.. Les monstres!.. Ils partent, et bientôt je ne vois plus autour de moi qu'une affreuse solitude, des fers, toute l'horreur, de la plus dure captivité!..».

Ve NUIT DE LA FORÊT

«Vous n'exigerez pas de moi, mes amis, que je vous détaille les cruelles réflexions qui m'assiégèrent, ni que je vous fasse un tableau déchirant de la douleur à laquelle je fus en proie pendant toute cette nuit, plus affreuse, plus longue que celle qui couvrait la forêt; car le jour ne pénétrait pas dans mon cachot, et quand on vint m'en tirer, je crus voir l'aurore naître, tandis que le soleil avait déjà parcouru près de la moitié de sa carrière… Il était onze heures à-peu-près. J'étais accablé par la fatigue et le désespoir, lorsque je crus entendre les pas de plusieurs hommes. Je ne me trompais pas. Je prêtai l'oreille, et bientôt j'apperçus huit à dix brigands, chargés de flambeaux, qui venaient vers moi. L'un d'entre eux, qui paraissait supérieur aux autres par sa taille, la richesse de ses vêtemens et la fierté de son maintien, s'écria: Eh quoi! vous avez laissé M. le baron de Fritzierne dans ce caveau, chargé de fers comme un vil criminel! Qui sont ceux qui ont commis cette faute?.. – (Un brigand répond:) C'est Morgan qui l'a ordonné. – Eh bien! reprend le chef, je condamne Morgan aux arrêts pendant huit jours. (Il s'approche de moi:) Baron de Fritzierne, tu vois que ce n'est point par mon ordre qu'on t'a fait éprouver un traitement indigne de toi et de moi… Qu'on détache ses fers. (On me rend ma liberté; Roger continue:) Baron de Fritzierne, me connais-tu? – Non. – Tu ne me connais pas? tu n'as jamais entendu parler de Roger, chef des indépendans? – J'ai entendu parler de Roger, chef d'une troupe de brigands. – (Roger sourit avec amertume.) Baron de Fritzierne, épargne-moi les injures. Je suis digne de ton estime, et je veux la mériter. – Tu le peux, en me rendant la liberté. – Tu n'es point mon prisonnier; tu seras aussi libre ici que dans le sein de ta famille; mais je te prie d'y passer quelques jours, de m'aider de tes conseils, et de me donner ton amitié. – Mes conseils, mon amitié, à toi! – Écoute, baron, dépose ta fierté; elle est déplacée avec moi, et dans cette occasion. Reste ici quelque temps; c'est une prière que j'adresse à l'homme que j'estime: mais s'il me refuse, s'il me hait, tu sais que je puis le traiter en ennemi.

»Roger, à ces mots, me lance un regard furieux, se calme un peu, me prend la main, et m'engage, du ton le plus affectueux, à le suivre dans sa caverne… Que pouvais-je faire, le braver? J'étais seul, sans armes, en sa puissance: c'eût été le comble de l'imprudence. Je me déterminai à me contraindre, à le suivre, à attendre enfin le sort que le ciel me réservait.

»Il me conduisit dans une espèce de souterrain, à-peu-près pareil à ceux que j'avais déjà parcourus depuis quatre nuits; mais celui-ci était orné de meubles précieux, de sabres, de pistolets, et d'une quantité considérable de caisses, qui paraissaient contenir des effets. Là, Roger me fit servir des rafraîchissemens, et me quitta en me disant qu'il reviendrait passer la soirée avec moi. Deux de ses gens furent mis en sentinelle à ma porte, avec ordre de me traiter avec tous les égards possibles, mais de ne me point laisser sortir, quelque prétexte que je prisse.

»Seul, livré à moi-même, je ne pus que gémir sur ma fatale destinée, sans pouvoir toucher à aucuns des mets qu'on avait servis devant moi. Tout ce qui m'arrivait me paraissait un rêve, et j'en fus tellement abattu, que, vers le soir, lorsque Roger revint, il me trouva à la même place et dans la même position où il m'avait laissé le matin.

»Roger, précédé d'une douzaine de flambeaux, et de deux ou trois de ses affidés, entra donc dans mon cachot, et s'appercevant que je n'avais pris aucune espèce de nourriture, il s'assit près de moi, et me dit avec sensibilité: Vous voulez donc vous faire mourir, baron?.. Songez que j'ai besoin que vous viviez; oui, j'en ai besoin: mon cœur veut s'épancher dans le vôtre; et, vous le dirai-je, ma propre sûreté dépend de vous. – De moi, Roger? – De toi, mon ami!

»Je frémis involontairement à ce nom d'ami qu'il me donne; et Roger qui s'en apperçoit reste un moment troublé… Il se remet… Je n'étais pas né pour le crime, me dit-il, non, je n'étais pas fait pour l'état que je professe; mais je l'ai honoré; oui, baron, je l'ai honoré, ce titre de chef qu'ils m'ont décerné, et que tu traites de chef de brigands… Si tu savais qui je suis… Si je te racontais mes malheurs, si je te faisais part des loix que je leur ai prescrites, de la discipline que mes troupes observent, de la subordination, de toutes les vertus militaires qu'on pratique ici, tu m'estimerais, baron; oui, tu m'estimerais, et tu me dirais: Roger, tu étais né pour être général d'armée, pour être un grand homme!

»Il m'intéressait!.. Je le fixai avec moins d'indignation; il cacha son visage dans ses deux mains; puis il fit retirer son monde, excepté les deux surveillans qui gardaient l'entrée du souterrain; ensuite il me tint cet étrange discours. Baron de Fritzierne, il faut que tu me sauves la vie; tu le peux. – Moi; et comment? – Écoute-moi avec la plus grande attention?.. L'empereur a résolu ma mort, il la veut; il connaît mes projets, ma puissance, il veut se débarrasser d'un ennemi qui ravage ses états, et dont les succès multipliés accroissent de jour en jour et la force et l'audace… Je ne crains point ses armées; mais je crains la trahison… C'est l'arme du lâche et la terreur du brave… Tu ne connais point ces routes tortueuses et souterraines, ces voûtes ténébreuses où tu es, et que j'habite depuis que j'occupe la forêt de Kingratz? Ici le cruel Boleslas eut autrefois un château-fort; ici des cavernes profondes furent creusées par lui, et prolongées jusqu'aux montagnes de Tabor: celle-ci va se perdre sur la rive gauche du Muldau, au pied des hautes fortifications de Pizeck. C'est par ces souterrains que l'on a résolu de m'investir et de me massacrer; j'en suis averti, je le sais, et déjà je suis certain que les bouches de ces affreuses cavernes sont occupées par les espions de mon ennemi. Mes gens ont entendu, sous ces voûtes sombres, des signaux effrayans; ils ont voulu pénétrer les endroits les plus reculés, un bruit singulier d'armes et de trompettes leur a toujours inspiré une terreur involontaire: ce n'est point en pleine campagne qu'on veut m'attaquer; on sait trop à quel point je suis redoutable! c'est dans des défilés obscurs et tortueux, c'est par la ruse et par la perfidie qu'on veut me soumettre… Baron, tu peux me tirer de cet embarras. Tu connais le jeu des mines, tu sais l'art d'enfermer le bitume, et de lui donner ensuite une explosion qui porte la mort en déchirant les entrailles, de la terre; donne-moi ton secret, donne-le-moi: Je fais sauter cette caverne, et avec elle les espions qu'elle renferme: ensuite je quitte le pays, et la moitié de mes trésors est à toi.

»Étonné de cette odieuse proposition, je voulus d'abord faire éclater mon indignation; mais, réfléchissant qu'en m'insinuant davantage dans la confiance de Roger, je pourrais adoucir mon sort, trouver peut-être les moyens de m'échapper de ses mains, je feignis d'entrer dans ses vues. Il est tard, lui dis-je; le secret que tu me demandes, et que je consens à te confier, exige des leçons, des dessins, et par conséquent du temps; demain je te le communiquerai, non pour les trésors que tu me proposes, je rougirais de les accepter, mais pour ton instruction, pour ta sûreté. Il est cependant essentiel, avant que de commencer ce travail, que je connaisse les détours de tes souterrains, afin de mieux établir mes plans; consens à m'y conduire sur l'heure, cela me guidera dans mes opérations, et demain mes projets te seront soumis.

»Roger, ravi de la complaisance que je lui témoigne, me serre la main, se lève, et m'engage à le suivre… Nous partons, accompagnés de quelques brigands armés et munis de flambeaux, et nous commençons l'examen des souterrains, dont Roger m'indique les issues, et les relations qu'ils ont avec le sol qui les couvre. Mon but, en lui demandant de visiter ces cavernes, était de m'éclairer moi-même sur les moyens de me sauver. Je ne sais quel pressentiment même me disait que j'allais recouvrer ma liberté, et j'écoutais avec avidité toutes les explications que me donnait Roger.

»Nous avions déjà mis plus de deux heures à cet examen, et nous n'avions rien découvert encore qui pût nous inspirer de l'effroi, et justifier les alarmes du chef des brigands, lorsqu'au fond d'une caverne sombre, un bruit affreux de trompettes vint frapper nos oreilles, et nous forcer à suspendre notre marche… Roger pâlit, et j'avoue que moi-même je sentis mes cheveux se dresser sur ma tête, non que je dusse appréhender rien de fâcheux de la part de ceux qui en voulaient à Roger; au contraire, c'était d'eux seuls que je devais attendre ma liberté; mais je ne fus pas maître d'un premier mouvement de terreur… Entends-tu, me dit Roger? ce sont eux… Nous nous sommes trop avancés… Retournons, il serait imprudent de les chercher, de les attaquer; il vaut mieux les engloutir tous sous les débris de ces souterrains qui les dérobent à mes regards: cher baron, c'est de toi que j'attends ce service signalé…

»Il dit, et m'engage, ainsi que sa troupe, à rétrograder; mais il n'est plus temps; nous nous sommes en effet trop avancés… Les soldats envoyés par l'empereur, avaient épié depuis deux jours toutes les démarches de Roger; ce brigand venait de tomber, sans y penser, dans une embuscade; la trompette avait rallié ses ennemis; ils nous entouraient de toutes parts, nous ne pouvions leur échapper… À peine avions-nous fait quelques pas vers notre première habitation, que nous nous trouvons enveloppés par plus de deux cents soldats qui fondent sur nous de toutes les ouvertures des souterrains… Je frémis soudain, dans la crainte d'être confondu avec les brigands; et, pour éviter le sort qui les attend, je saute sur le sabre de Roger, je le lui arrache, et me rangeant du côté de ses aggresseurs; Scélérat, lui dis-je, combats un ennemi de plus…

»Les soldats, étonnés, n'osent pas s'en fier à mon exclamation: on m'arrête; et pendant qu'il se livre un combat, dont je dois ignorer l'issue, quatre soldats m'entraînent avec eux. Le bruit des armes à feu et du choc des sabres me suit assez loin dans les souterrains que j'avais encore à parcourir. Bientôt je n'entendis plus rien, et je me trouvai, au bout des cavernes, dans la forêt au milieu d'une troupe armée qui me conduisit à son commandant. Je n'étais pas embarrassé de me justifier; je reconnus d'ailleurs ce commandant qui avait servi autrefois sous moi. Il me fit des excuses de la manière dont on m'avait traîné vers lui, et me fit reconduire, sous une bonne escorte, à mon château, où je me hâtais de rassurer mes gens, et d'embrasser mon petit Victor. J'avais besoin de repos, je m'y livrais long-temps, et me promis bien de ne plus aller, la nuit, à la forêt, d'abandonner la mère inconnue, et de ne plus exposer l'enfant, ni moi, aux dangers des courses nocturnes, dans un lieu où ma vie et ma liberté venaient de courir de si grands dangers».

fin de l'aventure de la forêt

Ici, M. de Fritzierne se reposa un moment, puis il continua ainsi son intéressant récit. «Vous êtes sans doute curieux, mes amis, de savoir ce que devint Roger au milieu de la troupe qui l'investit, et s'il succomba sous les efforts des soldats envoyés par le gouvernement? J'ai ignoré moi-même les détails du combat que j'avais vu commencer; j'ai su seulement que Roger s'était défendu avec une intrépidité vraiment héroïque, que ses gens étaient venus le secourir, et que ces scélérats, après avoir perdu des leurs, et fait mordre la poussière à plusieurs de leurs aggresseurs, avaient remporté la victoire et s'étaient évadés. Quelques jours après, on envoya contre eux des forces plus considérables; mais on apprit que la troupe des brigands avait quitté tout-à-fait la forêt de Kingratz, et qu'ils s'étaient répandus, dans l'Allemagne, qu'ils infestaient, sans qu'on pût parvenir à s'en emparer. Depuis seize ans on n'en avait plus entendu parler dans nos contrées, et il n'y a pas plus de deux mois que Roger est revenu dans les forêts qui nous avoisinent: il est aujourd'hui plus redoutable que jamais; car sa troupe s'est considérablement augmentée, depuis que la paix qui a suivi la dernière guerre a fait rentrer dans nos foyers une foule de déserteurs, de gens habitués à piller, à voler, à incendier des villes entières: tous les mauvais sujets se sont rangés sous les drapeaux sanglans de ce chef redoutable, et c'est vraiment aujourd'hui une troupe formidable, faite pour effrayer le prince, qui ne peut la détruire que par une espèce de guerre civile. Mais laissons l'infâme Roger, que je n'ai vu qu'une seule fois, et revenons à toi, mon cher Victor, à toi dont l'adoption m'a coûté tant de peines, tant d'inquiétudes.

 

»Je n'entendis plus parler de la mère inconnue, ni de tout le mystère qui avait entouré ton berceau. Je pensai que cette femme, dont je n'avais pu pénétrer les secrets, était morte ou passée dans d'autres contrées. (Ici madame Wolf lève les yeux au ciel, et laisse échapper un soupir, que le baron remarque avec inquiétude.) Qu'avez vous, madame Wolf? – Rien, monsieur le baron; daignez continuer… Cet enfant vous fut donc laissé sans aucune réclamation… sans qu'aucun signe, aucun effet ait pu vous… faire… soupçonner?.. – Pardonnez-moi… vous me rappelez… j'oubliais de vous dire qu'au fond de la barcelonnette dans laquelle il était couché la première fois qu'il me fut confié, il y avait un portrait, un portrait de femme, je crois; oui, c'était un portrait de femme… Eh! comment ai-je pu oublier si long-temps… Je l'ai mis dans ce secrétaire, et depuis seize ans, je n'ai pas eu la curiosité de le regarder… Tu vas le voir, Victor, je vais vous le montrer, mes amis; ce sont sans doute les traits de sa mère; oh! oui, oui, ce sont ses traits, je n'en puis douter! Le voici! le voici».

Le baron, étonné de n'avoir pas pensé plutôt à ce portrait, qu'il avait oublié dans son secrétaire, courut le chercher. C'était en effet un portrait de femme. Autour du cercle d'or qui l'encadrait, en voyait trois lettres initiales, A. D. L. et derrière, on lisait ces mots: Dreux, rue Parisis, 32. Victor et Clémence baisaient ce portrait précieux en versant des larmes, et cherchaient à y retrouver quelques traits qui pussent leur persuader qu'il retraçait la figure d'une mère infortunée. Pendant que nos deux amans se livraient à cette recherche intéressante, le baron de Fritzierne, qui venait aussi d'examiner le portrait, tomba tout-à-coup dans une profonde rêverie. Il regarda ensuite fixement madame Wolf, qui pâlit, et laissa échapper de ses yeux quelques larmes. Madame Wolf, lui dit le baron très-ému, vous avez une boîte sur laquelle… (madame Wolf se trouble) oui, sur laquelle il y a un portrait de femme… Je ne l'ai vu qu'une fois, ce portrait qui vous est si cher… je ne sais; mais il me semble que je vois ici les mêmes traits que vous possédez!.. Quel soupçon me fait naître cette ressemblance! Je ne sais pourquoi je frémis!.. Madame Wolf, ah! madame Wolf, de grace, daignez… ayez la complaisance de me montrer cette boîte, qui ne vous quitte jamais… – Monsieur!.. – Mais voyez, voyez donc, madame Wolf, si ce n'est pas là la copie exacte de la femme…

Le baron, ému, prend le portrait des mains de Victor, et le met dans celles de madame Wolf, qui y jette un coup-d'œil, et s'écrie avec l'accent le plus douloureux: Oui, c'est elle, oh! c'est bien elle, l'infortunée!..

Cette exclamation plonge tout le monde dans le plus grand trouble. Vous l'avez connue! c'est le seul cri que jettent ensemble le baron, Victor et Clémence. Madame Wolf est presque évanouie; des soupirs gonflent sa poitrine; elle pleure, et l'état douloureux auquel elle est livrée, arrache des larmes de tous les yeux… On attend d'elle une explication, elle la doit, elle ne peut plus cacher ses malheurs puisqu'ils sont liés à ceux de ses bienfaiteurs: elle va parler!..

Elle s'y dispose en effet; mais un incident nouveau, imprévu, vient ajouter au trouble de tous les personnages, et reculer une explication, dont néanmoins il va abréger la moitié. C'est dans le livre suivant que je vais tracer les événemens les plus singuliers et les plus touchans. Amis de l'enfance, amis de l'infortune, venez vous attendrir à mes tableaux; et vous; ames froides, vous qui ne croyez pas à la fatalité, aux malheurs inévitables, dont le hasard fait souvent dépendre notre destinée; vous qui ne savez pas que la vertu peut être grande et sublime au milieu des persécutions qu'elle n'a pu s'attirer ni éviter, ne lisez point mon livre, ne lisez point sur-tout mon dernier volume, vous n'y verriez que les défauts d'un roman, tandis que le lecteur philanthrope et sensible y trouvera, j'ose le croire, l'histoire de l'homme et la morale des êtres malheureux.

fin du tome premier