Za darmo

Victor, ou L'enfant de la forêt

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Ils vont donc être heureux, mes héros! ils vont donc jouir du repos après tant de traverses! tout est terminé pour eux; il ne peut plus leur arriver d'événemens fâcheux, le malheur ne peut plus les atteindre!.. Doucement, doucement, hélas!.. C'est au faîte du bonheur que l'infortune se plaît à vous saisir!.. Ils vont éprouver cette triste vérité. Ils touchent à l'accident le plus affreux!.. Ô mon esprit, comment auras-tu la force de dicter à ma plume l'horrible catastrophe que je dois retracer à mon lecteur!..

CHAPITRE XI,
QU'IL NE FAUT PAS LIRE SI L'ON EST SENSIBLE

Ômon cher lecteur!.. réunissez toutes les forces de votre ame pour supporter le coup affreux que je vais vous porter!.. Vous allez voir votre ami Victor en proie aux traits les plus aigus du malheur; et, s'il vous a intéressé dans le cours de cet ouvrage, vous ne pourrez lire, sans verser des larmes, la cruelle aventure à laquelle il va sans doute succomber… Reprenons nous-mêmes notre fermeté qui chancèle, et poursuivons.

M. d'Ermancé avait loué, à Bolendith, un appartement garni dans lequel, ainsi que je l'ai déjà dit, il avait caché Victor et Clémence, qu'il croyait poursuivis par un père irrité: ce père venait de pardonner, lui disait-on; Victor et Clémence allaient se jeter dans son sein, et M. d'Ermancé, qui souffrait beaucoup de se voir séparé de ces jeunes gens, auxquels il s'était attaché, ne songeait plus qu'à poursuivre le cours de ses voyages. Tandis que Valentin fait les préparatifs nécessaires pour se procurer une voiture, M. d'Ermancé fait ses adieux à ses jeunes amis. Valentin a trouvé une calèche; il revient, et engage ses maîtres à y monter. Victor embrasse encore M. d'Ermancé, qui compte avec son hôte. Cet hôte de la maison garnie était un de ces babillards qui ont toujours quelques histoires à raconter. Monsieur et madame, dit-il à Victor et à Clémence, qu'il croit prêts à faire un voyage de long cours, si j'ai un conseil à vous donner, c'est de ne pas passer par des chemins détournés, car la bande du fameux Roger, qui est dispersée, comme vous le savez, s'est jetée dans nos campagnes, où elle fait les plus grands ravages: on les poursuit cependant, et l'on ne peut manquer de détruire entièrement ces scélérats, puisqu'ils ont perdu l'esprit depuis l'arrestation de leur chef. – Ciel, s'écrie Victor, entraîné par un mouvement involontaire, Roger est arrêté! – Oui, arrêté, heureusement pour toute l'Allemagne; ce monstre a été conduit dans les prisons de Vienne, d'où l'on dit qu'il sera tiré, sous trois ou quatre jours, pour marcher au supplice… – Ah! mon Dieu, s'écrie Victor en tombant de sa hauteur!..

Ce cri douloureux et l'évanouissement subit du malheureux jeune homme, tout fixe les regards attentifs de l'hôte, qui s'écrie à son tour avec effroi: Ciel! je reconnais ce misérable! je l'ai vu chez le vieux Frédérik, mon ami, d'où on l'a chassé avec ignominie. Tremblez tous, c'est le fils de Roger! – Lui, reprend M. d'Ermancé avec le plus grand trouble!.. Infortuné, interrompt Clémence en versant un torrent de larmes! veux-tu mourir, veux-tu rejoindre ta mère, la malheureuse Adèle!.. – Adèle, reprend M. d'Ermancé en se jetant sur Victor, qu'il relève et serre dans ses bras! tu serais le fils d'Adèle de Rosange!..

Victor est inanimé, Clémence et d'Ermancé lui prodiguent mille soins, et Valentin cherche à réprimer les éclats de l'hôte, qui crie par la fenêtre: À moi, à moi! arrêtez! un brigand! le fils de Roger! ils vont me tuer si vous ne venez me secourir.

En un instant la maison est cernée, la porte enfoncée, et Victor et Valentin sont au milieu d'une troupe de furieux qui cherchent à les arracher des bras de leurs amis. En vain M. d'Ermancé s'écrie: Ce sont mes enfans, ce sont mes enfans, vous dis-je, j'en réponds!..

On les entraîne…

La troupe est bientôt grossie d'une foule d'archers qui veulent aussi enlever Clémence. M. d'Ermancé s'y oppose. C'est ma fille, leur dit-il, entendez-vous que c'est ma fille avec laquelle je voyage? Voilà mes papiers, je suis connu, je crois, et je n'ai rien à démêler avec vous.

Au moins vous serez témoin dans cette affaire, lui crie-t-on. Oui, certes, je le serai; je serai plus même!.. Hélas! ranime tes sens, ma pauvre enfant, et attends tout de ma protection! – Ils l'entraînent, digne vieillard, s'écrie Clémence, et vous ne voulez point que je suive mon époux!.. – Imprudente! taisez-vous, lui répond M. d'Ermancé! nous le suivrons. Croyez-vous que je l'abandonne! puis-je abandonner mon fils! – Votre fils! – Oui, voilà mon secret! Je suis Rosange, et le père d'Adèle qui lui donna le jour!.. – Vous, ô bonheur! vous le protégerez, mon père, vous le consolerez, vous prouverez son innocence! – Il est donc innocent? – S'il l'est! son cœur est plus pur que le jour qui nous éclaire. – Viens, ma fille, viens, et espère…

Nous saurons dans un autre moment par quel effet du hasard le marquis de Rosange se rencontre là sous un nom supposé: nous apprendrons comment il a su que sa fille Adèle avait été la victime de la séduction de l'infâme Roger, ce qui lui fait découvrir ici que Victor est son petit-fils: tous ces détails nous les retrouverons ailleurs; mais, pour le moment, nous suivrons tous les infortunés, et nous entrerons avec Victor dans l'affreux cachot où l'on va le plonger. Vous frémissez, lecteur!.. laissez là ce livre, il vous fera trop de mal!..

Il n'est plus question de Fritzierne, d'hymen, ni de bonheur. Clémence ne suit plus que son amant. Elle est montée avec Rosange dans la voiture, amenée par Valentin pour une toute autre destination. Cette voiture devait la conduire aux autels, elle la mène peut-être à la mort… Ô fatalité! qu'on ose donc nier encore ton cruel empire sur les destinées des mortels!..

Clémence voit de loin le terrible cortége au milieu duquel Victor, lié comme un vil criminel, est en butte aux injures d'une multitude grossière et trompée, qui fait même des efforts pour assouvir sa vengeance, pour déchirer sa victime… Le nom du fils de Roger circule de bouche en bouche, et la foule qui se grossit veut arracher l'infortuné des mains des archers qui l'entourent, et le sauvent heureusement des fureurs populaires… Valentin est garrotté aussi, il est derrière son maître, le pauvre Valentin! tous deux ont recouvré leur tranquillité: le calme de leur conscience les soutient; ils savent bien d'ailleurs qu'il leur est très-facile de prouver leur innocence, et ils marchent les yeux baissés, fermes et disposés à se roidir contre les coups du sort; mais quelle marche pénible! comme elle est humiliante! comme elle est douloureuse pour la vertu!

M. de Rosange et Clémence suivaient tristement dans leur calèche, et cette troupe arrive en deux jours à Vienne, où elle s'arrête devant la porte de la grande prison, remarquable par un tableau frappant de la mort de Jésus et de celle des deux larrons sur le Calvaire. Victor et Valentin furent jetés dans des cachots séparés, et M. de Rosange prit, avec Clémence, un logement près de la promenade du Prater. Essayons maintenant de décrire la prison de Victor. Un caveau long de treize pieds, large de six à huit, haut de six pieds au plus; une porte de quatre pieds et demi, épaisse de cinq pouces, formée de planches, ayant entre elles des plaques de fer, et surmontée d'une grille de fer très-étroite: une ouverture de quatorze pouces de long sur neuf de large, et qui sert de fenêtre à ce cachot, voilà le réduit de Victor. L'infortuné y est enchaîné comme un grand criminel: sa chaîne pesante tient par une extrémité au mur, et de l'autre aux pieds de l'amant de Clémence: une autre chaîne lie encore ses poignets, qui sont écartés par une barre de fer de la longueur de deux pieds!.. Quel supplice vous font déjà souffrir les hommes avant de s'informer si vous l'avez mérité!.. Il est là, Victor, dans cette cruelle position, et ne sait plus penser, ne peut plus réfléchir. On lui crie à travers sa porte que, dans deux heures, il sera interrogé. Cette nouvelle lui donne un rayon d'espoir; mais bientôt un nouveau sujet de terreur vient accroître ses inquiétudes… Son cachot est voisin de la chambre appelée des tortures; c'est dans cette chambre, frappée depuis des siècles des cris de douleur des malheureux, qu'on met les criminels à ce que nous appelons en France la question. Tandis que Victor gémit dans son cachot, il entend les cris violens d'un infortuné qu'on torture: le bruit des tenailles, des étaux, des divers instrumens avec lesquels on le martyrise, frappe les oreilles du sensible Victor, qui ne peut que s'écrier: Ô mon Dieu! soutiens mon courage, s'il me faut passer par cette cruelle épreuve!.. Les cris du malheureux redoublent; Victor reconnaît sa voix, c'est celle de son père!.. Victor est abattu, n'est plus soutenu sur la terre que par sa chaîne qui le retient…

Au bout d'un moment on vient le chercher: c'est pour être interrogé. Les Allemands sont prompts à interroger et juger les coupables après leur incarcération. Victor se raffermit; on le fait monter dans une espèce de greffe, tourelle vitrée de tous les côtés, et dont la vue donne sur la grande place. Là, deux juges, un magistrat et trois officiers, lui font mille questions, auxquelles il répond en racontant l'histoire de sa naissance et de son adoption. Comme cette histoire paraît trop longue aux magistrats, qui l'écoutent à peine, on parle de le confronter avec son père. Victor frémit, et bientôt il voit entrer Roger, pâle, défait et chargé de chaînes. Qu'avez-vous fait, barbares, s'écrie Roger? qu'avez-vous fait en arrêtant ce jeune homme, qui n'est point complice de mes excès? Cruels! est-ce pour redoubler les maux que vous me faites souffrir, que vous chargez de fers, sous mes yeux, un fils que m'avait donné l'amour, un fils qui m'a été ravi à l'âge d'un an, que je n'ai revu depuis qu'une seule fois, et pour l'entendre me reprocher mes crimes? Ce fils est moins le mien que celui de l'honnête homme qui l'a adopté, l'a élevé, a formé son cœur à la vertu. Il est vertueux, Victor, et vous le traitez comme un vil criminel. Allez, hommes féroces et plus inhumains que moi, vous avez bien l'art de me délivrer de mes remords; oui, vous me rendez fier de vous avoir persécutés.

 

Le magistrat veut faire retirer Roger, Roger veut parler à Victor, qui, tremblant, humilié, n'a pas la force de le regarder. On entraîne Roger, qui s'écrie de loin: Tu vois, Victor, la triste fin de mes jours; on n'a pu me vaincre, on a employé la trahison pour me faire tomber dans un piége infâme.

Roger est parti, et le magistrat fait encore quelques questions à Victor, qui y satisfait; puis on le ramène dans son lugubre cachot, où il passe la nuit la plus cruelle.

Le lendemain matin on le fait monter de nouveau au greffe: Dieu! qu'y rencontre-t-il avec les juges de la veille? Clémence, Clémence son amante, et M. de Rosange, qu'il ne connaît pas encore pour son aïeul. Clémence, s'écrie Victor, as-tu pu t'exposer à revoir un malheureux?.. – Victor, répond Clémence, espère, mon ami: tiens, tu vois ce respectable vieillard, qui ne m'a pas quittée?.. – Digne d'Ermancé!.. – Ce n'est point d'Ermancé, mon ami, c'est le père d'Adèle, M. de Rosange. – M. de Rosange! – Oui, mon fils, interrompt Rosange, je suis cet infortuné dont Roger séduisit, enleva la fille… Juges, juges intègres qui m'écoutez, savez-vous qu'au lieu de charger de chaînes ce jeune homme, vous lui devriez justice, vengeance de la séduction qu'un scélérat a employée envers sa mère? Juges qui m'entendez, brisez, brisez soudain ces fers qu'il n'a point mérités, ou je vous appelle tous au tribunal de Dieu, qui doit vous juger un jour à votre tour, et suivant vos actions. La fatalité de sa naissance a seule causé l'erreur du peuple qui vous l'a dénoncé; on a cru que le fils de Roger ne pouvait qu'être un affreux brigand: vain jugement des hommes! Cet enfant n'a rien de commun avec son père, pas même l'éducation, qu'il a reçue d'un autre, d'un autre bien différent de Roger, et qui a donné à Victor son ame et ses vertus. Prononcez maintenant; retiendrez-vous encore injustement l'innocence dans les fers, ou la ferez-vous triompher par une justification prompte, éclatante et solemnelle?

Les juges restent un moment touchés de cette courte harangue; puis ils se consultent tout bas, et ordonnent ensuite qu'on reconduise Victor dans sa prison. M. de Rosange et Clémence sont au désespoir: on est obligé de les arracher des bras de Victor, où ils vont laisser leur ame et leur existence. On les éloigne enfin, et Victor rentre dans son cachot. Le soir M. de Rosange, qui ne cessait de faire des démarches et de solliciter, apprit qu'il était question de faire venir au tribunal le baron de Fritzierne pour être entendu en témoignage. Cette nouvelle pénétra de terreur la sensible Clémence, qui craignit que la nouvelle du malheur de Victor n'abrégeât les jours de son père. Heureusement pour ce vieillard mourant, M. de Rosange obtint qu'on ne lui porterait pas ce coup mortel.

Le lendemain de ce jour de douleur, Victor fut confronté avec son fidèle Valentin, qui, interrogé séparément, avait confirmé les dépositions de son maître. Victor accabla de tendresse et de consolations ce digne serviteur qui ne souffrait que pour lui. Victor lui protesta de ses regrets éternels, et l'assura que les mêmes démarches que son aïeul faisait pour le maître, serviraient à prouver en même temps l'innocence de son estimable ami.

On les sépara bientôt, et tous deux furent rendus à leur triste solitude.

Une nuit s'écoule encore, nuit d'horreur et de deuil qui précédait un jour plus affreux!.. Dès la pointe du jour, le bruit sourd d'un tambour voilé se fait entendre dans la prison; la cloche lugubre du beffroi sonne le lent et triste tintement de la mort. On entend crier: il va mourir; et déjà la fatale voiture, la dernière qu'on donne aux coupables, fait gémir le pavé de la cour sous le poids énorme de ses roues de fer. L'ange exterminateur plane sur la forteresse, et chacun des détenus attend qu'on vienne lui dire si c'est pour lui qu'on fait ces barbares préparatifs.

Victor, que la mort ne peut plus effrayer après avoir supporté l'opprobre et l'infamie, Victor entend passer l'homme sinistre à qui la loi remet son glaive pour frapper les criminels. Victor l'entend demander tout près de sa porte: Dans quel cachot est-il? – Là, lui répond-on; et Victor frémit.

Il frémit, non pour lui, je le répète; mais s'il meurt, le coup qui va l'atteindre va frapper Clémence, sa sensible amie; Clémence ne pourra supporter le jour; Rosange, Fritzierne, et le bon Valentin lui-même, tous ses amis vont le suivre au tombeau. Dieu, s'écrie-t-il, Dieu créateur de tout! m'as-tu donc destiné à une mort si honteuse! as-tu réservé à mes amis des regrets si longs, si cuisans! Non, il n'est pas possible que l'innocent périsse, ou l'ordre de la nature serait renversé: ta justice est pure comme l'azur des cieux que tu as formés! Tu connais mon cœur, tu sais s'il t'adore, s'il a jamais manqué de confiance en ta divine providence: ô mon Dieu! tu ne me laisseras point périr! tu, ne causeras point une douleur si déchirante à ceux qui me sont chers! tu prouveras ta grandeur, ta bienfaisance, et tu ne porteras pas au dernier degré la rigueur que tes décrets ineffables te font exercer souvent sur la vertu malheureuse!.. Ô mon Dieu! pardonne, pardonne, je n'ose point murmurer, je ne puis que me plaindre et te prier!..

Victor est accablé par la terreur, la fatigue, la fièvre et tous les maux du corps et de l'esprit. Ses sens sont troublés: il croit que la mort l'appelle, que c'est pour lui qu'on dresse l'échafaud: il entend, de sa prison, les coups de maillet du charpentier qui travaille à cette machine effroyable… La voix de l'exécuteur a frappé son oreille, le tambour drapé s'approche, le tintement du beffroi redouble, les cris de la multitude nombreuse qui attend la victime, cris tumultueux et semblables au bruit des vagues de la mer, sont plus aigus; tout annonce qu'il approche, le terrible moment de la destruction d'un homme…

Victor respire à peine… Dieu! on ouvre sa prison, ses cheveux se dressent sur son front. Un geolier détache ses chaînes, seulement au pied droit; ce geolier est suivi de plusieurs hommes d'une figure sinistre. Il suit. On le fait monter… où? dans ce même greffe, dont la vue donne sur la place. Il voit cette place couverte d'une foule innombrable. Cette foule curieuse et avide de supplices entoure un échafaud, revêtu d'un drap noir semé de larmes blanches… Pour qui, grand Dieu! quel sang va couler!..

On entre dans le greffe: c'est Roger, suivi des magistrats, et accompagné d'un ecclésiastique. Je t'ai mandé, mon fils, dit-il à Victor, qui est presque insensible; oui, j'ai voulu te voir à mes derniers momens: j'ai voulu te faire un aveu sincère de mes crimes, que j'ai déguisés en vain sous les systêmes les plus faux et les plus dangereux! Je vais mourir, mon fils; et, si ta douleur te rappelle celle que j'éprouvai jadis en voyant le supplice de mon père, que la leçon qu'elle te donne soit plus forte, plus utile que celle que je reçus alors, et dont je ne profitai point. Tu vas être libre, Victor, tu vas recommencer la carrière de la vie, dans laquelle tu es à peine entré; n'oublie jamais mon exemple, mes remords, et que ce triste moment soit sans cesse devant tes yeux: il te rappellera qu'il est une heure suprême où le coupable ne peut plus se faire illusion sur ses crimes; il te dira enfin combien tu fus heureux de ne pas vivre sous mes yeux, de ne pas céder ensuite à mes perfides conseils, et que si la vertu est quelquefois persécutée, elle est forte, consolée par elle-même au milieu des peines de la vie, tandis que le criminel meurt faible, timide, et rongé par ses remords déchirans… Adieu, Victor; embrasse-moi, et pardonne-moi ta triste existence!..

Victor ne voit rien, et entend à peine ce que lui dit le coupable Roger. Celui-ci s'approche de son fils, colle sur ses joues ses lèvres dévorées par le feu des douleurs; puis il se retourne, et disparaît avec ceux gui l'accompagnent. Victor est resté seul, et le barbare geolier qui l'a amené a la cruauté, pour n'être pas privé du spectacle de la mort de Roger, de laisser son fils dans ce greffe, ouvert de tous les côtés sur la place, en face de l'échafaud. Victor demande à fuir ce lieu; le geolier ne l'écoute pas, et se met tranquillement à une croisée. Bientôt les cris du peuple annoncent que le coupable est monté sur l'échafaud, la hache meurtrière brille, et la tête de Roger tombe au milieu des applaudissemens d'un peuple dont il était l'horreur et l'effroi.

Soudain des cris nouveaux se font entendre. Une foule immense se précipite vers la prison; on entend cette foule répéter: Le fils de Roger! le fils de ce monstre!… Victor, anéanti, persuadé que le peuple demande sa tête, n'a pas la force d'adresser une question au geolier inhumain qui va le reconduire dans son cachot. On ouvre précipitamment la porte du greffe; c'est le duc d'Autriche qui se présente lui-même aux yeux de Victor: le duc va droit à ce jeune homme et l'embrasse. Infortuné, lui dit le duc, il n'y a qu'un moment que je sais vos malheurs: on m'a appris votre injuste détention, et je m'empresse de la faire cesser. Venez, venez, et pardonnez-moi, si la curiosité de voir tomber sous le glaive des loix un scélérat qui a ravagé mes états, a retardé de quelques momens l'heure de votre liberté. Vous ne pouvez regretter un homme que vous n'avez point connu, et à qui votre ame est bien éloignée de ressembler: le préjugé du sang ne peut avoir d'empire sur un cœur aussi grand que le vôtre: suivez-moi, jusqu'à mon palais, et que mes bienfaits vous fassent oublier, s'il est possible, la fatalité de votre naissance, et les maux qu'elle vous a causés.

Victor ne sait s'il rêve, ou s'il est éveillé: il ne peut que s'écrier: Et mon fidèle Valentin? – Il est déjà libre, lui dit une voix qu'il croit reconnaître; cette voix, c'est celle même de Valentin, qui presse son maître dans ses bras. D'un autre côté, Clémence et M. de Rosange l'accablent de leur vive amitié; Victor est trop pressé: il a trop de sensations à-la-fois… Il tombe sans connaissance, cet intéressant jeune homme, et les gens du duc le portent jusqu'à la voiture de ce seigneur, qui y monte aussi avec Rosange, Clémence et le pauvre Valentin dont les malheurs ont fait oublier l'état.

Rosange supplie le duc de permettre que Victor soit transporté chez lui, près de Clémence. Le duc y consent, et la fille de Fritzierne est au comble de la joie: c'est Clémence qui a sauvé Victor, c'est Clémence, qui, ce matin même, en apprenant la condamnation de Roger, a frémi d'horreur, s'est transportée jusqu'au palais du duc, à qui elle a raconté l'histoire de Victor, avec cette touchante éloquence de l'amour et de la candeur qui est peinte sur son jeune front. Le duc s'est attendri, et lui a promis de délivrer son ami, soudain après la mort de l'infâme Roger. Il a tenu parole, cet estimable seigneur, Victor est libre maintenant; mais, hélas! Victor est privé de sentiment: il est plongé dans le sommeil de la mort. Ô Dieu! ses amis vont-ils le perdre au moment où ils le retrouvent!..

Arrivé chez Rosange, Victor est mis au lit, et le duc se retire, après avoir promis à ces tendres amis de venir souvent lui-même s'informer de la santé de son jeune protégé: c'est ainsi qu'il appelle Victor.

Cependant le fils d'Adèle a recouvré ses sens; mais un transport furieux agite son cerveau, une fièvre brûlante dévore son sang: des gens de l'art sont appelés: ils se consultent; mais bientôt ils apprennent à Rosange et à Clémence, que leur ami n'a plus que quelques jours à vivre… Ciel! quelle affreuse nouvelle!..

Les plus grands soins sont prodigués au malade, et Clémence, malgré toutes ses occupations, prend le temps encore d'écrire à son père, de qui elle n'a point eu de nouvelles, et qu'elle appréhende de perdre, s'il apprend les affreux événemens qui viennent de se succéder si inopinément.

Je vais laisser parler Clémence et ses correspondans dans le chapitre suivant: heureux d'être parvenu à tracer celui-ci, avec le plus de rapidité qu'il m'a été possible, pour ne point retenir trop long-temps l'attention de mon lecteur sur des cachots, des échafauds, des supplices, que je n'aurai plus à retracer, heureusement pour mon cœur, que ces tableaux affreux ont brisé.