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Victor, ou L'enfant de la forêt

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CHAPITRE VII.

LES RUINES ET LES TOMBEAUX

V

ictor, tout troublé encore de la scène affreuse qu'il vient d'éprouver, consolé néanmoins par sa vertu qui le soutient toujours, marche donc avec son fidèle serviteur. La nuit approche, et menace d'être aussi orageuse que celle de la veille: ils se flattent de trouver un asyle chez le pasteur de l'église, et avancent toujours. Ils arrivent enfin à l'église, et bien à propos, car des torrens de grêle et de pluie tombent du firmament, et les éclairs semblent, en déchirant la nuit qui s'épaissit, rendre à la terre quelques rayons lumineux du soleil. Ils entrent; cette église est ouverte, elle est même en ruines, et des monceaux de pierres, de colonnes brisées, annoncent la dégradation la plus complète. Victor et Valentin, qui sont à couvert, examinent ensemble ces ravages du temps ou de l'inconstance humaine. Cette église ne leur paraît plus être une paroisse de village, ainsi qu'ils se l'étaient d'abord imaginé; elle fut sans doute une abbaye célèbre; l'ordonnance et la grandeur du bâtiment claustral, qu'on apperçoit à la faveur des éclairs, à travers les vitraux brisés de l'église, annoncent assez que cette abbaye antique fut habitée par un nombre considérable de cénobites. Victor ne se dit pas moins: Puisque ce lieu désert fut autrefois un temple destiné à la prière, que ses voûtes soient encore frappées de celles d'un mortel infortuné! Dieu entend, de tous les points de la terre, le cri du malheur; ces vœux monteront, aussi bien ici qu'ailleurs, au pied de son trône auguste.



Valentin, qui ne voit ni ciel ni terre, lorsqu'il n'éclaire point, serait assez d'avis que son maître quittât ce lieu effrayant, où perchent, près de lui, les oiseaux nocturnes et sinistres qu'il entend s'envoler, effrayés d'y voir deux personnes; mais Victor ne craint rien: il s'agenouille, engage son valet à en faire autant, et commence une prière mentale que Valentin est bien éloigné de partager, puisqu'il tremble au moindre bruit. À peine sont-ils dans cette position, que le chœur de l'église s'éclaire. Une religieuse, absolument voilée, paraît, tenant un flambeau dans sa main, s'approche de l'autel, tout brisé qu'il est, et s'agenouille en priant à son tour. Valentin veut faire un cri de surprise, Victor lui met sa main sur la bouche, et le contient dans une attitude silencieuse quoique étonnée. Tous deux respectant la pieuse occupation de cette vierge du Seigneur, retiennent pour ainsi dire leur respiration, et attendent qu'elle soit levée pour lui adresser la parole. Quelques instans après, la religieuse dépose le flambeau sur l'autel, et disparaît: Valentin, qui court après elle en l'appelant, remarque qu'elle s'est retirée par une petite porte cachée derrière l'autel, et qui est très-bien fermée. Valentin est au désespoir de n'avoir point interrogé la religieuse: il aurait su s'il était possible qu'elle donnât l'hospitalité à son maître et à lui. À présent, il a beau frapper, personne ne lui répond; voilà ce qu'a produit la discrétion de Victor. Ne t'alarme pas, mon cher Valentin, lui dit son maître; l'orage continue, il est vrai, nous ne pouvons nous exposer à reprendre notre route; mais cette maison est habitée, je suis sûr à présent qu'elle est habitée: cette sainte femme ne peut être seule ici; écoute-moi, prends ce flambeau, et cherchons quelque moyen de nous introduire dans la communauté. Je me trompe fort, si, derrière les débris de cette chapelle, je n'apperçois pas une porte entr'ouverte.



Valentin ne craignait point les hommes, quelque nombreux qu'ils fussent; il aurait bravé une armée, Valentin; mais, comme les plus grands caractères ont leurs faiblesses, Valentin croyait au diable, aux revenans; il avait peur des morts, on ne l'eût pas fait passer un quart-d'heure sans lumière dans une cave. Qu'on juge de son effroi, en voyant la ferme résolution où était Victor de parcourir ce vaste édifice: il ne fit pas semblant de craindre, de peur de passer pour poltron, et prit le flambeau qui brûlait sur l'autel. Il pria cependant Victor de marcher devant, comme le plus jeune et le plus alerte; puis il le suivit, en tremblant à son aise et de tous ses membres.



Une porte était en effet entr'ouverte: Victor la pousse, et les longs gémissemens qu'elle fait sur ses gonds retentissent au loin dans des souterrains qu'ils annoncent. N'allons pas là, monsieur, dit Valentin, ce ne sont que des caveaux où sans doute on enterre ici les morts. Il faut les voir, mon ami, répondit Victor; et Valentin se tut.



À l'entrée de ces voûtes sombres était une inscription, écrite en langue esclavonne, celle qu'on parlait alors dans la Bohême, et en lettres capitales qui paraissaient faites à la main:



«

Qui que vous soyez, ne cherchez point à pénétrer ces ruines funèbres: respectez l'amour malheureux qui vient d'y fixer son séjour

».



Qu'est-ce que cela veut dire?.. Un amant, infortuné comme Victor, serait-il caché dans les détours tortueux de ces souterrains? Victor sent redoubler sa curiosité, tandis que le peu de courage qui restait à Valentin, va l'abandonner tout-à-fait. Victor avance… Un tombeau frappe sa vue; on lit dessus la pierre qui le couvre:



«

Elle connut l'amour, et vint pleurer ici le séducteur qui la rendit mère, et l'abandonna ensuite lâchement. Roselle Déricé gît ici depuis l'an 1602

».



Comme cette inscription frappa Victor! Il allait la relire, lorsque son pied accrocha par mégarde un angle du tombeau: plusieurs pierres s'en détachèrent, et le bruit qu'elles firent en tombant effraya tellement Valentin, que son flambeau s'échappa de ses mains, et s'éteignit.



Valentin, qui croit que le bruit qu'il a entendu vient du fond du cercueil, a laissé tomber le flambeau, et le voilà, ainsi que son maître, dans la plus profonde obscurité. Imprudent, lui dit Victor, qu'as-tu fait? – Eh! monsieur, j'en suis plus fâché que vous! à présent que devenir! donnez-moi le bras, en grace, et tâchons de sortir de ce lieu maudit par le même chemin qui nous y a conduits.



Valentin ramasse le flambeau, auquel brûlent encore quelques flamèches, et saisit fortement le bras de Victor, qui consent à retourner sur ses pas. Ils marchent à tâtons; mais au lieu de reprendre leur première route, ils s'égarent sans y penser, et arrivent à une espèce d'oratoire creusé dans le roc, éclairé par une bougie qui brûle sur un prie-dieu. Sur le mur on lit:



«

Je l'adore, et c'est pour lui que je m'enterre, toute vivante, dans ces cavernes sombres

».



Plus loin, sur un autre mur:



«

Ici je viens penser à lui: ici je prie Dieu qu'il dirige un jour sa course vagabonde vers cet asyle du malheur

».



C'est quelque infortunée, s'écrie Victor, qui, comme moi, est séparée pour toujours de l'objet de sa tendresse. Ô sombre désespoir! quelle est donc la femme capable de tant d'amour!..



Victor rallume le flambeau de Valentin, et le lui rend; il s'empare lui-même de la bougie qui brûle sur le prie-dieu, et il poursuit son examen. Il ne sait pourquoi il s'intéresse à l'inconnue qui a tracé ces caractères: hélas! existe-t-elle encore, ou repose-t-elle à jamais dans quelques-uns de ces tombeaux!



Une espèce de caveau assez orné de sculptures s'offre à ses regards. Une tombe à moitié ouverte est placée dans un coin. À l'approche de Victor, il s'en échappe un oiseau sinistre qui fait une peur affreuse au pauvre Valentin. Victor lui reproche son peu de courage, s'approche du monument, et y lit ces mots:



«

Constance-Adélaïde de Munster, fille du duc de Mensterberg, prononça dans cette abbaye des vœux éternels, l'an 1582. Son père voulait la marier à un grand qu'elle n'aimait pas: son cœur s'était donné au beau page Hillerin, qui l'adorait. Le page mourut de désespoir, et la belle Constance de Mensterberg vint expier ici le malheur de son rang, qui l'avait privée de l'amant le plus tendre. Fuyez l'amour qui cause tant de peines, vous tous qui lirez cette épitaphe, et priez Dieu pour l'ame de celle qui repose sous cette pierre

».



Les rangs, l'orgueil et la fortune, s'écria Victor, ont donc été de tous les temps les tyrans de l'amour?.. Il fit une courte prière sur la tombe de l'infortunée Mensterberg, puis il continua sa route souterraine.



Ce fut une espèce de cellule qu'il rencontra ensuite: elle était peu ornée; on y distinguait seulement un méchant lit, une table, quelques siéges, et un squelette, qui fit reculer d'effroi le timide Valentin. On lisait sur les murs:



«

Ici, je me familiarise avec l'idée de la destruction. Le malheureux ne vit point, il meurt sans cesse; il faut qu'il apprenne à souffrir le moment heureux qui doit le conduire de cet engourdissement à la mort

».



Victor remarqua que quelqu'un était venu, peu de momens avant, dans cette cellule; car il trouva un mouchoir trempé de larmes. Quelle est donc cette infortunée, dit-il? car sans doute c'est celle qui s'est enterrée vivante, suivant ses propres expressions, dans ces cavernes sombres. Serait-ce la religieuse que nous avons vue dans l'église? serait-elle seule, seule ici? Une femme! ah Dieu! quel amour! quelle vertu!



Victor rencontra encore un tombeau, mais dont l'inscription le frappa plus que toutes celles qu'il avait déjà lues. Ce tombeau, simple et sans faste, taillé seulement dans le roc, était totalement découvert. On y voyait un cadavre, dont les traits n'étaient pas assez défigurés, pour qu'on ne remarquât point que c'était celui d'une jeune fille qui avait été belle. Un portrait était collé sur sa bouche, qui semblait encore le baiser; et tandis que l'une de ses mains tenait encore ce portrait entièrement décoloré, l'autre main supportait une planche de marbre sur laquelle on avait gravé:



«

Son cœur est là contre mon cœur; ses cheveux servent de coussin à mes cheveux. Léopold dort ici avec son Alexandrine. Tous deux constans, tous deux séparés et persécutés par un rival puissant et jaloux, n'ont pu se rejoindre que dans la tombe. Pleurez, amans, pleurez, et apprenez que l'espoir d'une telle réunion fut la plus douce consolation qu'ils eurent pendant leur courte vie.

 



»

Alexandrine gît ici depuis 1599, et Léopold, dont on n'a pu obtenir que le cœur et les cheveux, fut réuni à celle qu'il avait adorée, en 1608

».



Quittons cet asyle des morts, s'écria Victor; il me fait trop de mal. – Oui, quittons-le, monsieur, interrompit Valentin; il y a déjà plus de deux heures que je voulais vous le proposer: je n'aime pas cela, moi, ça m'attriste trop.



Valentin, enchanté de la résolution que vient de prendre son maître, le suit avec plus de fermeté. Tous deux apperçoivent enfin un escalier, le montent, croyant se retrouver dans l'église, et restent fort étonnés de voir un vaste jardin, semé de croix noires de tous les côtés. C'est le cimetière, monsieur, s'écrie Valentin: où diable nous sommes-nous encore fourrés?..



Comme tous les murs offrent des brèches, il est facile de sortir de ce lieu triste encore, et il est d'ailleurs instant de se réfugier dans la maison, car l'orage semble être redoublé, et les coups de tonnerre se succèdent avec une rapidité effrayante.



Victor et Valentin montent de vastes escaliers, et se trouvent enfin dans de longs corridors. Ici Valentin est plus tranquille, et Victor, qui ne trouve rien de curieux à voir dans ce bâtiment ruiné, ne cherche qu'une chambre où il puisse passer le reste de la nuit. Une cellule est ouverte; il y a même quelques meubles. Nos deux voyageurs la visitent bien par-tout, et s'y enferment dans le dessein d'attendre le jour et la fin de la pluie. Leur intention n'est pas de dormir, ce qui ne serait pas prudent dans un endroit ouvert de tous côtés, où ils n'ont encore apperçu qu'une femme, quelques recherches qu'ils aient faites. Il est probable, en effet, que cet antique monastère est inhabité: une seule femme s'y trouve, et sans doute c'est celle qui s'y est renfermée par désespoir.



Victor, accablé par la chaleur insupportable de l'air qu'il respire, dépose ses armes, une partie de ses vêtemens. Il examine tranquillement le tableau effrayant que lui offre la nature en feu, lorsqu'il croit entendre des soupirs assez près de lui. On parle même, on se plaint… et il est impossible de distinguer ni le son de la voix, ni les exclamations de la personne qui gémit… Victor écoute; c'est sans doute dans une cellule voisine, car en mettant l'oreille contre le mur à gauche, on entend plus distinctement que c'est la voix d'une femme. Je ne puis résister au desir de la trouver, s'écrie Victor; il faut que je la voie, que je la console. Viens avec moi, Valentin, ou reste là; je vais tâcher de pénétrer dans cette cellule, dont l'entrée est sans doute à côté de la nôtre. – Je vous suis, monsieur, répond Valentin, je ne suis pas fait pour vous abandonner.



Victor se rhabille à la hâte, reprend ses armes, et sort avec son valet. Ils croient entrer chez l'inconnue; ils se trompent. Point de porte à côté de la leur; un long mur de corridor, et voilà tout. Ils se mettent, en conséquence, à courir toute la maison, en haut, en bas, de tous les côtés. Ils entrent par-tout où l'on peut entrer, frappent à toutes les portes qui sont fermées, et qu'on n'ouvre pas. Rien, personne; le silence, et l'écho qui répète le bruit qu'ils font, voilà tout.



À la fin Victor commence à se lasser, lorsqu'une porte fragile qui n'est pas fermée, et qui cède à sa main qui la pousse, lui offre un tableau inattendu. Une femme, la religieuse sans doute qu'il a vue dans l'église, car elle est vêtue de même, est appuyée, la tête dans ses deux mains, sur une table; elle dort profondément, et Victor qui l'examine avec attention, sans pouvoir distinguer ses traits, cachés par ses mains, ne sait s'il doit se permettre d'interrompre son sommeil… Valentin est de cet avis; mais Victor connaît trop les règles de la décence et de la délicatesse pour se permettre une semblable importunité, qui peut d'ailleurs effrayer l'inconnue, et nuire à sa santé. Victor respecte donc son repos; mais il examine tout, il cherche s'il ne trouvera pas quelque indice qui puisse l'éclairer sur le sort de cette femme. Est-ce elle qu'il a entendue gémir, ou sont-elles plusieurs religieuses qui portent le même habit? cela doit être. Quelle apparence en effet qu'une femme reste seule dans des ruines, que n'habiterait pas l'homme le plus intrépide? celle qui pleurait d'ailleurs ne peut pas s'être si vîte endormie: elle était alors à l'autre bout du bâtiment, du moins il a fallu parcourir bien des détours pour venir retrouver celle-ci… Elles sont plusieurs, il n'y a pas de doute, et ce serait une inconséquence que d'en réveiller une pour s'informer du chagrin d'une autre. Attendons, dit Victor, attendons quelques momens, ou plutôt, crois-moi, l'orage se dissipe, le jour commence à renaître, reprenons notre route, et laissons-là cette aventure qui, dans le fond, m'est fort indifférente. Je ne pense qu'à Clémence, Valentin, toutes les autres femmes ne peuvent m'intéresser, et je n'ai pas besoin de m'affliger sur les malheurs des autres, quand j'ai bien de la peine à supporter les miens. Partons, Valentin. – Oui, partons, monsieur.



Victor et Valentin, avant de sortir de la chambre où dort l'inconnue, jettent encore sur elle un dernier regard. Un bijou chargé de diamans, et qui ressemble assez au bracelet d'un riche Bohémien, brille sur elle, où il est presque caché par les replis de son voile. Victor ne fait pas plus d'attention à ce bijou; et Valentin, qui brûle de sortir de ce lieu, ne l'a même pas remarqué. Tous deux descendent, traversent une grande cour dont les portes sont brisées, et se retrouvent enfin dans la campagne, où le temps, plus serein, leur permet de choisir une route. Ils en prennent une au hasard, et après quatre heures environ de marche, ils rencontrent enfin un lieu habité, qu'on leur dit être un petit village, voisin de la ville de Brinn.



Ils s'y reposèrent une partie du jour, et s'amusèrent à examiner la beauté du château de Spilberg, qui, placé sur une hauteur hors de la ville de Brinn, en fait la principale défense. Vers la fin du jour, Victor qui pensait sans cesse à Clémence, voulut revoir l'écharpe précieuse dont elle l'avait décoré. Je le couvrirai de baisers, se dit-il, ce voile chéri qui ne me quittera jamais, et je me rappellerai du devoir qu'il m'impose d'être fidèle à l'amour.



Victor découvre sa poitrine, où il croit retrouver l'objet qui lui est si cher. Ô surprise! il ne l'a plus! Où, quand et comment a-t-il perdu ce bijou précieux? qui le lui a pris? Ciel! s'écrie Victor, je me rappelle… là-bas, dans cette abbaye, j'ai ôté mes vêtemens, je les ai mis sur un siége, et tout-à-coup, frappé par des accens plaintifs, je les ai repris à la hâte. C'est-là, oui, c'est-là que j'ai oublié mon écharpe… Oh! courons, volons; je perds la vie, je meurs si je ne la retrouve! – Quoi! monsieur, reprit Valentin, nous allons encore revoir ce vilain séjour des morts? Peine inutile! quelqu'un aura pris votre écharpe, vous ne la reverrez plus. – Eh! qui veux-tu? il n'y a personne, qu'une femme ou deux tout au plus, dans cette maison abandonnée; personne ne va où nous avons été; c'est si haut, il y a tant de décombres à traverser, et le bâtiment est si peu fait pour piquer la curiosité! Retournons-y, Valentin; viens avec moi, mon ami. Oh! si tu savais l'étendue de mes regrets!..



Victor se lève, Valentin le suit tristement, et tous deux, après s'être munis en route de plusieurs flambeaux, car la nuit approche, reprennent le chemin de l'abbaye, qu'ils doivent retrouver après quatre heures de marche. Ils entrent dans le bâtiment, après avoir allumé des flambeaux à leur lanterne sourde… Ils ne rencontrent encore personne. Victor monte précipitamment à la cellule où il s'est reposé la nuit dernière: il la retrouve, la reconnaît bien; mais, hélas! son écharpe n'y est plus! Quelqu'un l'a prise; mais qui? Pendant que Victor se livre à ses regrets, Valentin, qui cherche autour de la cellule avec son flambeau, jette un cri de surprise. Oh, monsieur, monsieur! lisez, lisez donc ce qu'on a écrit là; votre nom, monsieur, votre nom!



Victor s'approche, et reste frappé d'étonnement en lisant ce qui suit:



»

Est-ce bien Victor qui est venu visiter, cette nuit, ces lieux déserts? ou bien est-ce quelque misérable qui lui a dérobé son bijou le plus précieux?.. Oh! qui que tu sois, si tu reviens ici, daigne dissiper ma mortelle inquiétude! Ou rends-moi mon ami, ou laisse-moi l'écharpe dont je le ceignis moi-même, comme un don de l'amour

.



Victor transporté de joie, comprend par ces mots que Clémence est dans cette maison abandonnée; c'est elle peut-être qu'il a vue sous l'habit de religieuse… Victor et Valentin courent de nouveau toute la maison: ils croient, à tout moment, qu'ils vont rencontrer Clémence: vain espoir! Clémence ne paraît point. Ils vont dans les souterrains, par-tout! personne, personne…



Laissons Victor occupé de cette recherche dont il commence à désespérer, et rentrons dans le village de Bodwits, où nous verrons ce que fit Clémence pour éviter son père, qui était venu loger justement dans une auberge en face de la maison où la bonne Berthe avait donné l'hospitalité à l'amante de Victor.



CHAPITRE VIII.

LE BEAU PÊCHEUR, nouvelle

L

e jour paraît, et Clémence se doute que le baron goûte quelques momens de repos; car il ne se montre plus à travers sa croisée, et le plus profond silence règne chez lui. Clémence, absorbée elle-même par le voyage de la veille et les inquiétudes de la nuit, s'endort insensiblement, mais bientôt on frappe à sa porte; elle se réveille en sursaut, et tremble sans savoir pourquoi. Qui est là, dit-elle en frémissant? – C'est moi, c'est Berthe votre hôtesse: venez donc, venez donc voir un beau carosse, des domestiques richement habillés, tout l'attirail d'un des plus grands seigneurs de l'Allemagne; sans doute qu'il est descendu cette nuit, à l'Épée couronnée? – Ma bonne hôtesse, je ne suis pas curieuse. – On dit qu'il va monter en voiture, nous le verrons. – Permettez-moi de reposer encore? – Dame, je l'ai vu tout-à-l'heure; c'est un beau vieillard! il m'a salué avec une bonté!.. moi, j'avais presque envie, si je n'avais craint de lui manquer, de l'engager à venir voir mon clos, que j'ai là derrière ma maison, et qui est tenu!.. Ah!.. je lui aurais donné du bon lait, et vous auriez déjeûné avec lui. Nous aurions eu tout le temps de le voir!



Clémence sent redoubler son trouble: elle craint que la bonne Berthe n'accomplisse son projet, ne rencontre le baron, et ne l'amène chez elle, ce qui serait très-possible. Le meilleur moyen d'arrêter ce malheur, c'est d'occuper cette femme… Clémence ouvre sa porte. Entrez, ma chère hôtesse, dit-elle à Berthe; asseyez-vous donc là? – Vous êtes-vous bien reposée, ma belle enfant? – Très-bien. – Je craignais hier soir en voyant votre air abattu, que vous tombassiez malade; mais vous ne l'auriez pas été long-temps chez moi, car j'ai un compère qui possède des secrets capables de ressusciter des morts? – Ah çà, pendant que nous sommes seules, et avant que je parte, car je ne tarderai pas à me mettre en route, contez-moi donc ces choses si effrayantes que vous n'avez pas voulu me dire hier au soir? – Fort bien, mais c'est que je voudrais le voir partir. – Qui donc? – Ce grand seigneur. – Eh laissez là votre grand seigneur: on dirait que vous n'en avez jamais vu. – Oh! il n'en passe pas beaucoup de ce train là par ici, et moi je suis rarement sortie de ce village, où je suis née. – Vous devez connaître en ce cas l'abbaye de Belverne qui n'est qu'à quatre lieues de cet endroit? – Si je la connais! j'y ai été plus de vingt fois. Défunt mon mari était même sur le point d'y être jardinier. – C'est une belle abbaye, n'est-ce pas? il y a beaucoup de religieuses? – Ah bien oui! des religieuses! vous ne savez donc pas, mon enfant? c'est justement cela que je voulais vous raconter hier soir: mais des histoires de diables, de revenans, dame ça peut faire peur aux jeunes filles, et troubler leur repos; c'est ce que j'ai craint. – Que parlez-vous de diables, de revenans? – Écoutez, écoutez, mon enfant: vous voulez aller à l'abbaye de Belverne? eh bien, vous n'irez pas, vous ne pouvez pas y aller: ce que je vais vous dire vous fera changer de résolution, j'en suis sûre.



La bonne femme, qui allait raconter une histoire, ne songeait plus à guetter le départ du baron de Fritzierne: c'était ce que demandait Clémence, qui s'inquiétait peu du conte qu'elle allait lui débiter. Clémence donc feignit de lui prêter la plus grande attention, et Berthe commença son récit naïf en ces termes.



«Il y avait une fois, il y a trois cents ans peut-être, une belle princesse, qu'on appelait Sigisbethe, si je ne me trompe; oui c'était Sigisbethe qu'elle se nommait. Elle était la fille du duc de Saxe, qui, je crois, alors était roi d'une partie de l'Allemagne; oui c'était le roi ou l'empereur de Saxe. Au surplus, cela est indifférent pour l'histoire de la princesse.

 



»Sigisbethe donc était belle, jeune et riche, c'était trop de perfection sans doute. Tous les seigneurs les plus galans de la cour de son père, s'empressaient de lui plaire; les souverains même, ses voisins, se faisaient un honneur de briguer sa main et son cœur. Sigisbethe était insensible à tous ces hommages.



»Elle n'aimait point encore, et bravait même l'amour qu'elle jurait, en riant, de ne jamais connaître. Il ne faut point badiner, voyez-vous, avec ce petit dieu, qui fait ses coups à la sourdine, et s'attache plus obstinément à ceux qui ont l'air de le fuir. Sigisbethe un jour était occupée à cultiver des fleurs dans le jardin de son palais, lorsqu'on vint lui annoncer que l'écuyer du prince de Souabe demandait l'honneur d'une audience. Sigisbethe se douta que cet écuyer venait de la part d'un nouvel aspirant à sa main; et, comme elle était, tous les jours, étourdie de semblables visites, elle refusa, pour le moment, de recevoir l'écuyer. Celui-ci insiste; et pour se débarrasser de cet importun, elle dit qu'on l'introduise dans les jardins, où sans façon elle l'écoutera et le congédiera. Elle était à sa volière lorsque l'écuyer se présenta, suivi d'un nombreux cortége de gens chargés de présens. L'aspect imprévu d'une campagne magnifique, au sortir d'une plaine aride, ne frappe pas plus agréablement l'œil du voyageur, que la vue de l'écuyer ne fit d'impression subite sur le cœur de la pauvre Sigisbethe. Le plus beau cavalier du monde se présente à ses regards, met un genou en terre, baisse un œil bleu plein de douceur, et lui dit: Belle princesse, frappé du bruit de votre beauté et de vos vertus, le prince mon maître, vous conjure par ma timide voix, d'agréer ses vœux, son respect, sa tendresse, et le desir qui l'anime de devenir votre époux. Permettez-moi de vous offrir son portrait, et de vous prier d'accepter ces présens, faibles témoignages de son estime pour une si grande princesse!..



»Sigisbethe, frappée soudain d'un trait qui lui perce le cœur de part en part, n'a pas la force de répondre à l'écuyer; elle le regarde, et ne lui dit mot. L'écuyer à son tour, étonné d'un silence qu'il prend pour du mépris, lève ses regards sur les beaux yeux de Sigisbethe, et le même trait que vient de lancer l'amour, blesse deux cœurs à la fois… Princesse, lui dit-il en balbutiant, que dirai-je au prince mon maître? – Loyal écuyer, reprend la princesse aussi troublée, je ne puis vous répondre en ce moment. Vos offres, le cœur que vous me… Pardonnez si… Revenez tantôt dans mon cabinet, mais seul… Nous parlerons, je vous parlerai du moins de votre maître, et vous saurez mes intentions.



»L'écuyer baise le pan de la robe de la princesse et se retire. Sigisbethe, restée seule avec ses oiseaux, continue de leur donner de la nourriture; mais elle est distraite, et ne sait plus ce qu'elle fait. Une tourterelle et son fidèle amant se becquetent dans un coin de la volière, Sigisbethe, qui ne les a jamais remarqués, y fait plus d'attention. Elle soupire en voyant les nids des tendres fauvettes, et regardant peu à peu le portrait du prince de Souabe qu'elle a pris des mains de l'écuyer, elle est effrayée de la laideur de ce prince qui ose prétendre à sa main. Elle compare les traits que lui offre le portrait, avec les traits si beaux de l'homme qui vient de lui parler, et regrette que ce charmant écuyer ne soit pas le prince lui-même. Dès le moment qu'elle a formé ce regret, Sigisbethe, qui a de l'esprit et du jugement, descend dans son cœur. Elle y remarque un amour naissant; et, loin de chercher à le combattre, elle brûle de s'y livrer, tant il est vrai qu'une première inclination est insurmontable. Sigisbethe attend avec impatience le moment qui doit lui ramener le bel écuyer; il arrive, ce moment fortuné. Huguenin est introduit; Huguenin et Sigisbethe s'entretiennent long-temps, d'abord du prince de Souabe; ensuite Sigisbethe lui fait des questions sur son état, sa fortune. Huguenin est sans bien; il n'a que sa naissance et les bontés de son maître. Restez à ma cour, lui dit Sigisbethe, et faites dire à votre maître qu'il vous faut du temps pour lui gagner mon cœur