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Victor, ou L'enfant de la forêt

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CHAPITRE X.
NUIT D'UNE VIEILLE FEMME; CE QUE CELA VEUT DIRE

«J'ouvre donc la porte de mon allée; et l'honnête inconnu me salue comme pour se retirer. Voulez-vous, monsieur, lui dis-je, vous donner la peine de monter chez moi, pour prendre quelque chose, et vous reposer un moment? – Volontiers, me dit-il, madame, si toutefois cela ne vous gêne point. – Nullement, monsieur: je suis seule, ma maîtresse, et sans domestique même, car ma fortune est très-bornée.

»En disant ces mots, je ferme l'allée, et nous montons ici, où je m'empresse de me procurer une lumière que je pose sur cette console. À peine mon inconnu voit-il de la lumière, qu'il se lève d'un air égaré, marche vers la porte de ma chambre, la ferme à double tour, et en met la clef dans sa poche. Étourdie de cette action d'un homme, qui, peu auparavant, me paraissait si honnête et si doux, je m'écrie en tremblant: Que faites-vous donc là, monsieur? – Rien, madame; gardez-vous de crier seulement, ou vous êtes morte!..

»Le malheureux tire deux pistolets de sa poche, et les pose sur la cheminée, en ajoutant: Ne craignez rien, madame, étouffez vos cris et calmez vos inquiétudes. Je ne suis point un voleur, ni un assassin, je ne veux vous faire aucun mal; mais il faut que je couche ici. – Il faut, dites-vous?.. – Oui, madame, il faut que je passe la nuit chez vous, dans cette chambre. Ne me soupçonnez point, de grace, de vouloir attaquer votre vertu! Je vous jure que vous pouvez vous mettre au lit tranquillement, et vous livrer au repos. Pour moi, ce fauteuil est excellent; je vais m'y asseoir, y passer cette nuit cruelle, et je vous promets de ne point troubler votre sommeil… – Mais, monsieur, cela est affreux! que voulez-vous que je pense?.. – Tout ce qu'il vous plaira, madame. – Ô ciel! et personne pour me secourir!.. – Je vous ai déjà priée de vous taire, madame, ou c'est fait de vos jours!..

»Le cruel me poursuit, le pistolet sur la gorge; et moi, saisie d'effroi, je tombe sur un siége, livrée au plus profond évanouissement… je ne recouvre la raison que pour remarquer tous les soins que l'inconnu me prodigue de la manière la plus affectueuse. Il a trouvé mon flacon, et me l'a fait respirer; il m'a même délacée, mais avec tous les ménagemens qu'exige la modestie. Quel est donc cet homme étonnant? Il me rassure un peu néanmoins. Ah! monsieur, lui dis-je, en versant un torrent de larmes, il est affreux d'abuser ainsi de ma confiance! Moi qui vous croyais si honnête! vous me rendez un service signalé, et c'est pour me livrer aux plus mortelles inquiétudes! Qui êtes-vous, de grace, qui êtes-vous? – Je vous le répète, madame, je suis un honnête homme, incapable de vous faire le moindre mal, au désespoir de vous causer ce déplaisir; mais il le faut, oui, madame, il faut que je reste ici jusqu'à demain matin. – Mais quelle raison?.. – C'est mon secret… Couchez-vous, madame, je vous en conjure, et cessez de craindre. – Non, monsieur, je resterai près de vous; oh! je vous promets que je veillerai aussi. – Faites ce qu'il vous plaira…

»Je ne vous peindrai point ma situation, mon cher voisin; vous devez vous en faire une idée. Je pris donc mon parti, quoique toujours tremblante. Je multipliai les lumières, et je m'assis, en fixant l'inconnu dont les moindres gestes me glaçaient d'effroi… Jamais femme s'est-elle trouvée dans une circonstance pareille!..

»L'inconnu ne me dit plus mot; il lut et relut plusieurs lettres sur lesquelles il parut verser quelques larmes; il en couvrit même une des baisers les plus tendres: ensuite, il écrivit; puis enfin il me demanda des ciseaux que je lui donnai. Alors, je le vis se couper tous les cheveux, jusqu'à la peau. Une fiole, qu'il avait dans sa poche, lui servit à teindre sa barbe, ses sourcils, et à se faire des rides: en un mot, il devint bientôt tellement méconnaissable, que moi-même je crus voir un vieillard vénérable, au lieu d'un homme beau et assez jeune encore, qui s'était offert à mes regards. Je le fixais en silence, et mon étonnement redoublait: il n'eut pas l'air de s'en appercevoir, et ne m'adressa pas une parole jusqu'au moment où, voyant paraître le jour, il entendit qu'on commençait à aller et venir dans la rue. Alors, il tira de sa poche une bourse pleine d'or qu'il répandit sur la cheminée. Madame, me dit-il du ton le plus doux et le plus reconnaissant, vous êtes la femme la plus respectable que je connaisse. Vous m'avez rendu un service signalé!.. Si vous en connaissiez toute l'étendue, vous sentiriez que je ne puis jamais en perdre le souvenir. Une affaire d'honneur me force à fuir mon pays. On me poursuivait moi-même, hier soir, au moment où ces deux misérables vous insultaient. Je n'ai pu voir une femme dans un tel embarras, sans lui prêter le secours de mon bras. Je ne sais comment moi-même je n'ai pas été arrêté, ayant eu l'imprudence de vous accompagner; mais enfin, vous m'avez offert de monter chez vous, et soudain j'ai pensé que cet asyle pourrait me soustraire à toutes les perquisitions. Si je vous avais dit mon secret, si je vous avais priée doucement de me donner l'hospitalité, vous ne l'auriez peut-être point fait, dans la crainte de vous trouver compromise dans mon infortune. J'ai préféré un moyen, brusque peut-être, qui a pu vous effrayer, ce dont je suis désespéré; mais il m'a servi au moins, et maintenant je ne cours plus aucun danger. Daignez accepter cet or, madame, comme une faible marque de ma reconnaissance, et permettez-moi de me retirer.

»En prononçant ces mots, qui me calment sans doute, mais qui redoublent ma surprise, il remet ma clef à ma porte, l'ouvre, et descend précipitamment en emportant ses pistolets, et laissant ici son épée, que vous voyez encore sur cette chaise. Eh bien! mon voisin, que dites-vous de cela»?

»La dame se tut, et tu penses bien, mon cher Victor, que je trouvai son aventure très-neuve et très-singulière. Elle ne m'intéressait pourtant que relativement à cette bonne dame qui était encore toute affectée de la grande frayeur qu'elle avait éprouvée. Eh quoi! madame, lui dis-je, vous n'avez pas pu faire parler cet homme, découvrir ce qu'il est, ce qu'il fait? – Non, mon voisin: cependant, le hasard m'a servie très-favorablement, et je crois tenir une partie de son secret. Ce matin, en m'occupant de mon ménage, que j'ai encore eu la force de faire, j'ai trouvé par terre ces deux lettres, qui sans doute sont tombées de la poche de l'inconnu, sans qu'il s'en apperçût: c'est pour cela, mon voisin, que j'ai pris la liberté de vous faire appeler; c'est pour que vous les lisiez, et que vous me disiez ensuite ce que je dois en faire.

»Je pris les lettres, et je les lus; la première paraissait être de l'inconnu: la voici, je l'ai toujours gardée, ainsi que la réponse. Je vais te les lire, mon fils, et tu vas connaître l'homme qui avait fait une si belle peur à ma bonne voisine».

«Lâche Dutervil! tu m'as ravi l'objet que j'adorais! tu as arraché Émilie des bras de son père, des miens! Homme sans honneur et sans délicatesse, dis-moi, dis-moi en quel lieu tu as caché cette beauté qui doit verser des torrens de larmes, puisqu'elle m'aime, et qu'elle te déteste! Son père, son amant, tout ce qui la chérit la réclame, et nous sommes tous prêts à implorer l'assistance des loix pour te forcer à nous la rendre. Ose descendre dans la plaine où je t'attends? ose venir franchement t'expliquer avec moi si tu ne crains ma juste vengeance? Viens, scélérat, viens, et rends la vie à l'infortuné Valsange».

Voici la réponse:

«Vous m'accusez à tort d'avoir enlevé la belle Émilie; je ne sais, comme vous, ce qu'elle est devenue, et je pleure, comme son père, comme Valsange, sur les égaremens de cette jeune imprudente, qui sans doute aura cédé aux vœux de quelque indiscret, en vous trompant, vous, qu'elle devait épouser, et moi qui l'adorais sans espoir. Voilà ma justification. Si elle ne vous satisfait pas, je suis prêt à vous donner toutes celles que vous exigerez de moi. Dutervil».

»Tout cela n'avait rien appris de positif à ma bonne voisine, et néanmoins ces lettres furent pour moi un trait de lumière; car la dernière était de la main de Verdier, oui de Verdier, notre capitaine, qui sans doute avait pris un faux nom pour réussir dans quelque intrigue amoureuse. Je savais d'ailleurs, de sa propre bouche, qu'il aimait la fille d'un conseiller au parlement, qui demeurait dans le marais; il m'avait appris qu'il jouait, auprès du père, le rôle d'un homme bien né et fort riche; qu'enfin, son Émilie était promise à un nommé Valsange, et que lui, Verdier, se promettait de la soustraire un jour à son père et à son amant. C'est sans doute, me dis-je, ce qu'il a fait: Valsange aura rejoint le prétendu Dutervil, et il l'aura fait tomber sous ses coups. Voilà ce qu'il est naturel de présumer dans une affaire aussi obscure. Je ne balançai point sur le parti que j'avais à prendre. Je priai ma voisine de me prêter ces deux lettres, l'assurant que j'allais faire toutes les informations possibles sur les deux personnes qui les avaient écrites, et lui promettant de l'instruire bientôt du succès de mes démarches.

»Tu sens bien, mon fils, que je promettais là ce que je n'avais pas intention de tenir. La lettre de Verdier était trop importante pour notre compagnie, pour que je la laissasse errer dans les mains d'une autre, au risque de la voir tomber entre les mains de la justice. Je sortis donc, et j'attendis avec impatience la nuit qui devait me réunir à mes camarades que je voulais instruire de tout. Elle arriva, cette nuit tant désirée, et je me hâtais de me rendre au bois de Boulogne, où je trouvai le conseil assemblé. Je comptais lui apprendre quelque chose, et c'était lui qui tenait déjà le fil de toute cette intrigue. À mon arrivée, on me remit un paquet à mon adresse et cacheté. Je l'ouvris, et reconnaissant encore l'écriture de Verdier, je lus à haute voix ce qu'il contenait: Voici ce que j'y trouvai.

 

«Je suis mourant, mon ami, et cependant les cruels qui m'entourent se font un jeu cruel de prolonger, de ranimer même ma triste vie, pour le livrer au supplice infamant et cruel qu'on destine à ceux qui suivent notre fatale carrière. Je n'ai qu'un moment pour écrire, qu'un geolier séduit par moi, pour vous faire parvenir ma lettre, je me hâte de la remplir, et de vous faire part, en peu de mots, du malheur qui me poursuit, et qui peut retomber sur vous tous, si vous ne vous hâtez de vous y soustraire. Voici les faits:

»J'adorais Émilie, fille de M. de Sélinvil. Je m'étais introduit dans la maison du père sous le nom du chevalier Dutervil. J'avais, à m'entendre, des terres, des châteaux, et sur-tout une charmante maison de campagne à Vincennes. J'avais en effet loué une maison dans ce village, où j'espérais attirer Émilie, et l'enlever ensuite pour la soustraire à tous les yeux. Je n'y ai que trop bien réussi!.. Émilie m'avait suivi, Émilie me préférait à un certain Valsange qui lui était promis en mariage. Ce Valsange, apprenant qu'Émilie a fui la maison de son père, se doute que j'ai pu contribuer à sa fuite. Il vient à Vincennes, me demande; on lui dit que je ne veux recevoir personne. Il s'arrête dans la plaine qui borde ma maison, m'écrit une lettre insultante, à laquelle je réponds par des subterfuges. Je n'entends plus parler de lui, je le crois bien loin, et sur le soir, je laisse Émilie seule pour me rendre au milieu de vous. Au détour d'une rue, un homme m'aborde, et tire l'épée sur moi; c'est Valsange! J'ai tout découvert, me dit-il, tu m'as ravi Émilie; prends donc ma vie que je ne puis plus supporter sans celle que j'aimais.

»Étourdi de cet abord imprévu, je me mets en défense; mais bientôt, je tombe baigné dans mon sang, et mon ennemi, qui me croit mort, cherche à se sauver. J'entends des cris, la garde accourt, je lui désigne mon assassin, et l'on se met à sa poursuite. J'ignore ce qu'il est devenu. Pour moi, les gens qui m'environnent, trop humains, hélas! m'enlèvent, me portent dans une maison où l'on appelle un commissaire qui m'interroge, me fouille, et découvre bientôt que je ne suis que ce Verdier, ce chef de voleurs, que la police cherche inutilement depuis si long-temps!.. Je suis transporté, mourant, dans une étroite prison, où l'on a la cruauté de prendre soin de mes jours… Voilà mon état, mes amis. J'attends maintenant la mort, et avant tout, les interrogatoires, les questions ordinaires, extraordinaires, toutes les tortures en un mot, que les hommes ont imaginées pour tourmenter leurs semblables. Je tiendrai ferme, je ne compromettrai personne; je vous le jure, mes amis, par les mânes de Walfein, mon patron, mon maître, qui m'a appris à mourir. Adieu: plaignez-moi, et sauvez-vous. Verdier Desgots».

»P.S. J'apprends à l'instant que Valsange, mon assassin, qui s'était coupé les cheveux, et se sauvait déguisé, dans la crainte d'être compromis pour avoir immolé un homme qu'il croyait gentilhomme, est revenu sur ses pas, quand il a su que je n'étais que le formidable Verdier. Il a aujourd'hui la lâcheté de se porter mon accusateur et de se joindre à ceux qui me poursuivent… Émilie, la malheureuse Émilie s'est poignardée en apprenant le véritable nom de celui à qui elle avait donné son cœur!..»

»Cette lettre fit sur nous l'effet de la grêle qui détruit l'espoir du laboureur. Nous convînmes tous qu'il n'y avait pas un moment à perdre, et qu'il fallait à l'instant quitter Paris. Nous partîmes donc à la hâte, emportant avec nous nos effets les plus précieux, et nous fûmes nous réfugier dans la forêt d'Anet, forêt épaisse, inexpugnable en quelque façon, et qui avait servi autrefois à la célébration occulte des sombres mystères des Druides.

»C'était-là, mon fils, où l'amour vrai, l'amour pur et sincère, devait, pour la première fois, toucher mon cœur farouche, et m'asservir à la femme la plus belle, la plus estimable et la plus infortunée. J'arrive à l'histoire de ta mère, mon cher Victor, et je ne te cacherai aucun des moyens que j'employai pour la séduire, dussé-je redoubler ta haine et ton mépris pour moi; mais non, tu me sauras gré de ma franchise, et tu excuseras l'amour qui seul a fait mon crime, l'amour à qui tu dois ta naissance, et qui m'a rendu le plus heureux, le plus tendre des pères.

»Nous nous étions établis, ainsi que je te l'ai dit, dans la forêt d'Anet, où nous commencions à travailler avec quelques succès, et sans craindre les poursuites de la justice, poursuites inutiles dans une forêt où l'art et la nature nous favorisaient. Plusieurs de nous allaient souvent dans les villes ou villages voisins pour y connaître l'opinion qu'on avait de nous, ou les moyens qu'on pouvait prendre pour nous faire tomber dans quelque piége. Mes camarades m'avaient donné, à moi, la surveillance de la ville de Dreux; j'y avais pris un logement à l'auberge du Paradis, où je me faisais passer pour un infortuné qui voyageait pour chercher des consolations.

»Je remarquai, dans la rue Parisis, une jeune personne charmante, qui logeait dans une maison simple, mais propre, avec une femme un peu plus âgée qu'elle, et qui paraissait être sa parente ou son amie. Dès que je vis Adèle, je l'adorai; mais ne sachant comment m'introduire chez elle, ayant besoin d'ailleurs d'inspirer un intérêt prompt, une passion vive, pour ne point perdre, en soupirs, un temps que je devais à mes camarades, je me décidai à prendre un parti violent pour me faire remarquer. Les femmes, me dis-je, s'intéressent aisément et avec force à tout ce qui a l'air du malheur ou du désespoir d'amour: jouons une comédie, et voyons si la petite voudra y prendre un rôle.

»Mon projet bien conçu, je l'exécutai. Je savais qu'Adèle et sa compagne allaient se promener souvent sur le Bléra; je m'y trouvai un soir, et feignant de vouloir m'arracher la vie, je sus les attirer vers moi. Alors je leur fis un conte; j'étais un amant malheureux qui avait outragé une mère respectable, &c. &c. je ne me rappelle même plus tout ce que je leur débitai. Elles me crurent, et dès ce moment je jouai l'amant passionné auprès de la jeune personne, qui me rendit bientôt tendresse pour tendresse.

»Je m'étais apperçu que madame Germain n'était pas ma dupe; je savais d'ailleurs qu'Adèle était la fille naturelle d'un riche seigneur, de qui je ne pouvais espérer d'obtenir sa main. Je résolus de me cacher de madame Germain et d'enlever Adèle. Michel, leur domestique, était un honnête garçon, incapable de se laisser séduire par les présens, ni d'entrer dans mes vues. Je me l'attachai par l'extérieur de la probité, et sur-tout par des marques de la plus douce affection. Tous les jours le bon Michel m'amenait sa jeune maîtresse à l'insu de la duègne, qui d'ailleurs était tombée malade, heureusement pour moi; et toutes les nuits j'allais retrouver dans la forêt mes camarades, qui me reprochaient assez souvent l'inaction dans laquelle l'amour me tenait. Eh bien! leur dis-je un jour, il n'y a qu'un moyen de me rendre à mes travaux; aidez-moi à enlever Adèle; prêtez-vous à tous les rôles que je vous distribuerai pour m'assurer la possession de cette beauté, sans laquelle je ne puis vivre, et je vous promets de vous seconder comme je faisais autrefois. Ils me chérissaient tous; ils me promirent donc de faire tout ce que j'exigerais de leur amitié.

»Une circonstance fâcheuse vint ensuite hâter l'exécution de mes projets, et presser notre départ de France, départ qui me mit à la tête de la troupe, et me permit d'exécuter les plans de réforme que je préméditais depuis long-temps».

CHAPITRE XI.
AVEUX QUI SERVENT À ÉCLAIRCIR QUELQUES TRAITS OBSCURS

«Depuis notre séjour dans la forêt d'Anet, la nuit la plus profonde couvrait à nos yeux le sort de notre capitaine Verdier, dont nous n'avions pas entendu parler. Un éclair affreux vint déchirer, cette nuit perfide, et nous annoncer la foudre qui, grondant sur nos têtes, était prête à nous frapper. J'apprends un jour, par un correspondant sûr, que Verdier venait de périr sur un échafaud, et, ce qui est le plus cruel, que ce lâche a eu la bassesse, avant de mourir, de nommer ses complices! Je suis le premier sur sa liste fatale, moi, le fils de son ancien ami; moi, son confident et son camarade le plus dévoué! On sait où je suis, et des satellites entourent déjà l'auberge du Paradis, au moment où j'apprends ces tristes nouvelles!.. J'ai le bonheur de me sauver assez à temps pour n'être point arrêté, et j'arrive tout essoufflé à la forêt, où je me hâte de rallier mes compagnons.

»Amis, leur dis-je d'une voix forte, nous sommes trahis par Verdier; on suit nos traces, et c'est par miracle, sans doute, que je viens d'échapper aux poursuites des gardes que ce monstre nous a envoyés avant de perdre, au milieu des supplices, une vie qu'il a souillée des plus grands forfaits. Il faut de la tête ici, mes amis, il faut agir, et sur-tout il faut nous réunir, nous serrer tous, afin d'opposer une résistance opiniâtre à ceux qui voudraient nous attaquer; mais on ne l'osera point, et nous avons tout le temps de prendre des mesures pour notre sûreté. Permettez-moi maintenant d'ouvrir un avis, un avis salutaire, le seul, je crois, qu'il nous reste à suivre. Je suis né en Allemagne près de la Bohême, dont je connais les vastes et sombres forêts. L'Allemagne, est un pays que nous n'avons pas encore visité; allons nous y établir; parcourons-la rapidement, amassons-y des trésors, et retournons ensuite dans les immenses forêts de la Bohême, où nous pourrons fonder une colonie, une ville même, comme fit jadis, en Italie, l'heureux Romulus, qui suivait notre profession. Laissons à des filoux, à des escrocs subalternes, les petits vols; voyons, agissons en grand, et prenons un nom distingué, noble, qui, mettant en repos notre conscience, nous rende intrépides, estimables même aux yeux du monde. Nous détestons les riches et les grands, parce que les riches et les grands sont les tyrans du pauvre et de l'homme obscur. Nous bravons l'empire des loix humaines, parce que les loix humaines sont toutes en faveur du puissant, et toutes contraires à la philosophie, à la religion naturelle. Que notre profession s'anoblisse; que notre titre pompeux, imposant, annonce nos principes et nos intentions; qu'on ne nous combatte plus comme de vils brigands, mais comme une formidable corporation; qu'on traite avec nous de puissance à puissance; en un mot, que nous soyons recommandables à nos propres yeux, et que le fils de famille ne rougisse plus d'entrer dans notre illustre corps. Je propose le nom d'Indépendans; est-il adopté?

»Oui, oui, s'écrient ensemble tous mes camarades! Je continue: Amis! que vous prouvez bien la pureté de vos intentions, la grandeur de votre ame! Oui, Indépendans, puisque ce nom vous plaît; vous êtes faits pour former une société à jamais célèbre. Je vous le prédis, vous vous trouverez grossis de tout ce qu'il y a d'hommes fiers, nés pour secouer le joug des préjugés et des tyrans de la terre; vous formerez une armée dont le plus grand d'entre vous sera le chef, et vous ferez pâlir, sur leurs trônes chancelans, les despotes de l'Europe. Indépendans, soyez justes maintenant, soyez magnanimes, et méritez le nom respectable que vous prenez. Ne persécutez pas le faible, le timide; donnez à celui qui n'a rien, prenez à celui qui possède trop; consolez l'infortuné, humiliez le superbe, écrasez le puissant, et vous serez bénis de toute la terre comme les amis, les défenseurs de l'humanité. Quel est celui qui ne voudrait partager vos travaux, cueillir vos lauriers et mériter votre estime? Quel est l'homme courageux qui ne brûlera entrer dans vos rangs, de combattre à vos côtés? Moi-même, je sens que mon ame s'élève: jusqu'à présent j'ai rougi de faire le plus vil des métiers; je n'ai travaillé qu'avec peine; je sentais là, là, dans mon cœur, ma conscience qui me reprochait une vie nuisible à la société; j'entendais sa voix me crier: Cesse de maltraiter ton semblable qui te repousse comme un brigand; sois généreux pour le faible; mais sois son vengeur, et tu n'auras plus de remords. Oh, mes amis! qu'il est beau d'abjurer une profession vile et dangereuse en soi, pour prendre le titre et les principes que dicte à l'homme fier la plus saine philosophie! Indépendans, choisissez-vous un chef maintenant, car il vous en faut un qui soit l'ame de vos pensées, et l'agent de vos moindres volontés: quel qu'il soit, ce chef que vous allez choisir, je baisse mon épée devant lui, et je lui jure respect et obéissance.

»Je savais, mon fils, l'effet que produisent sur des hommes assemblés ces sortes de déclamations; je me souvenais, ainsi qu'il arrive souvent, que celui qui fait des propositions de ce genre, est presque toujours nommé chef, et c'était mon espoir. Il ne fut pas déçu; à peine eus-je parlé, qu'une voix unanime me proclama à l'instant capitaine de la troupe des Indépendans. Je fis les remercîmens d'usage, après quoi je songeai à l'étendue des obligations que m'imposaient ce grade, et les principes philosophiques que j'avais toujours dans mon cœur. J'avais affaire à une troupe indisciplinée, habituée au vol, au meurtre même, et à tous les vices que donnent une mauvaise éducation et des passions honteuses; il me fallait assujettir des hommes déréglés à des loix, à une discipline, et c'était sans doute une tâche pénible et difficile à remplir; je la remis à un autre moment: pour l'instant je ne m'occupai que des précautions à prendre pour éviter les poursuites de la justice, et des préparatifs du départ de la troupe. Mon amour ensuite revint occuper ma pensée, et je me décidai à enlever sur-le-champ mon Adèle.

 

»Il était tard, je ne pouvais plus rentrer dans la ville; mais je savais qu'Adèle et son amie avaient prémédité, pour le lendemain, une partie de plaisir; c'était même moi qui l'avais engagée à voir le village d'Anet, dans l'espérance, comme elle devait passer par la forêt, de l'entraîner dans quelque piége. J'avais, heureusement pour moi, jeté cette, idée dans la tête d'Adèle, qui l'avait goûtée. Je savais en même temps que la jeune personne ne me céderait jamais, si le lien du mariage, vrai ou faux, ne levait ses scrupules; je m'arrangeai donc en conséquence, et pour assurer mon triomphe, et pour ménager ses préjugés.

»Tout arriva ainsi que je l'avais prévu. Adèle et madame Germain passèrent par la forêt, accompagnées de Michel. Je les fis attaquer par un gros de mes gens, qui séparèrent les deux amies. J'arrivai à point nommé, comme pour délivrer Adèle des mains de ceux qui tenaient. Un coup de pistolet, tiré par un des miens, nous débarrassa du sentimental Michel, et lorsque j'eus fait jeter madame Germain dans la cave d'un petit pavillon, je fis conduire Adèle dans une auberge prochaine dont l'hôte m'était dévoué.

»Ce fut là que j'eus besoin de toutes les ruses dont j'étais capable, pour faire consentir Adèle à m'épouser. Un de mes gens, que j'avais habillé en ecclésiastique, joua le caffard à merveille: une vieille servante de la troupe passa pour ma mère, et je feignis de vouloir me tuer, plutôt que d'être forcé de renoncer à une main qui m'était si chère.

»Que te dirai-je? la malheureuse Adèle fut tellement étourdie par tous ceux qui assiégeaient son lit de douleur, qu'elle consentit à m'épouser, et je fus heureux. Cependant elle n'avait qu'un cri pour me demander son amie madame Germain. Ceci m'embarrassait, et me contrariait le plus. J'avais fait jeter cette femme dans une espèce de cachot pour m'en débarrasser; j'espérais qu'elle y resterait jusqu'à ce que le hasard l'en fit sortir. Point du tout; il fallait l'aller chercher dans sa prison; il fallait me donner un surveillant importun que j'avais lieu de haïr, et qui pouvait à tous momens pénétrer mes secrets. Tu juges de mon embarras. Cependant j'adorais Adèle, je la voyais prête à mourir, si je lui refusais le bonheur d'embrasser son amie, et la mort d'Adèle eût été bientôt suivie de la mienne. J'étais le maître, d'ailleurs, de faire ce que je voulais; une femme de plus ne pouvait m'en imposer, quand même elle eût voulu contrarier mes projets; et puis j'allais partir avec ma troupe, et je pouvais garder encore long-temps le secret sur ma véritable profession. Une fois arrivé en Allemagne, à la tête de mes gens, je ne craignais plus de me découvrir; dans ce cas, une amie près d'Adèle pouvait être utile à cette infortunée, en cas qu'elle ne voulût écouter que son désespoir en apprenant que je l'avais trompée. Toutes ces considérations me déterminèrent à consentir à ce qu'elle exigeait de moi. Je fus chercher madame Germain, qu'il ne me fut pas difficile d'abuser sur le fond de l'événement qui l'avait séparée de sa jeune amie; et lorsque j'eus réuni ces deux femmes, que je laissai pleurer tant qu'elles voulurent, je ne m'occupai plus que des préparatifs du voyage de la troupe.

»Il était temps d'y songer, car les patrouilles et les brigades de cavalerie se multipliaient déjà autour de la forêt. Le soir même, quelques-uns des miens furent obligés de faire la petite guerre, et deux restèrent morts dans cette action. Ce malheur me décida à partir dans la même nuit: je le signifiai aux deux femmes, qui me firent mille objections; mais je ne les écoutai point, et lorsque j'eus bien pris mes dimensions, je les fis monter avec moi dans une voiture, et nous partîmes. Toute ma troupe s'était divisée, et prenait divers chemins, qui tous devaient la réunir à Prague. Les précautions étaient si bien prises, que tous mes gens eurent le bonheur de passer les frontières de France et d'entrer en Allemagne, où nos inquiétudes devaient cesser. Des correspondans sûrs m'avertissaient, de ville en ville, des progrès de leur marche, et tous mes vœux étaient comblés, puisqu'en fuyant un danger certain, j'emmenais avec moi une femme que j'adorais, et dont l'ame, bonne et douce, répondait à ma tendresse par la plus tendre confiance. Il n'en était pas de même de son amie: madame Germain n'était point ma dupe; je savais même qu'elle donnait de mauvais conseils à mon Adèle, et qu'elle cherchait à m'aliéner son cœur; mais elle n'y réussissait point, et c'était ce qui me rassurait.

»Je fus d'abord m'installer à Vienne en Autriche, où je fis beaucoup de recrues pour ma troupe. De là je me rendis à Prague, et bientôt enfin je vins m'établir dans ces vastes forêts, où je découvris tous mes secrets aux deux amies. Je ne te peindrai point leur surprise, leur douleur même, qui ne m'émut point, puisqu'elle était un effet de leurs préjuges. Je ne fis nulle attention à leurs gémissemens, et je ne songeai qu'à organiser la troupe des Indépendans, dont j'étais le capitaine.

»Ce fut alors que j'eus tout lieu de m'enorgueillir de ce titre pompeux. Jamais général d'armée ne vit des soldats plus soumis, jamais chef ne fut plus aimé de ses subalternes. À tous momens il me venait des sujets nouveaux, des hommes instruits, pleins de mérite et de talens divers; tous se rangeaient avec joie sous mes bannières, et tous me juraient obéissance et respect. Je rédigeai par écrit des statuts, que je te lirai si tu l'exiges, et dont les principales bases sont:

»Respect à la vieillesse et au malheur.

»Faites l'aumône: c'est le premier devoir de l'humanité.

»Protégez un sexe timide: que ce ne soit jamais en vain qu'il embrasse vos genoux.

»L'enfance a des droits sacrés à votre générosité: c'est l'espoir de la génération.

»Adorez un Être suprême, et ne vous mêlez d'aucune des jongleries des diverses religions de la terre.

»Vengez-vous toujours de vos ennemis; car, si vous les laissez vivre, ils se vengeront de vous.

»Sacrifiez-vous pour votre ami, si vous présumez qu'il soit capable de se sacrifier pour vous.

»Que le partage d'un trésor pris par tous, soit commun à tous: celui qui en détourne la plus légère part à son profit, est privé, pendant un an, de l'honneur de travailler avec ses compagnons.

»L'envie et la jalousie sont bannies de la troupe: le jaloux et l'envieux sont condamnés aux travaux de la servitude.

»Un jour d'ivresse est puni par une année de prison au pain et à l'eau.

»Chaque Indépendant jure, par le sang qui coule en ses veines, de ne jamais trahir ses camarades, s'il tombe entre les mains de ses ennemis, quelque supplice qu'on lui fasse souffrir.