Za darmo

Victor, ou L'enfant de la forêt

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Ils sont donc tous revenus à la grotte de Victor: notre jeune héros et son ami Fritz sont assis, et Roger, au milieu d'eux, commence sa narration en ces termes:

CHAPITRE VII.
HISTOIRE DE ROGER

Tel père, tel fils

«Dans l'histoire de ma vie que je vais te raconter, mon fils, je ne te cacherai rien des dérangemens de ma jeunesse, ni des excès auxquels les passions ardentes avec lesquelles je suis né ont pu me porter; dussé-je te donner des armes contre moi, tu sauras tout, et tu verras, ainsi que je te l'ai déjà dit, que ma jeunesse, mieux dirigée, aurait pu me lancer dans une autre carrière que celle où le hasard m'a poussé, sans que je pusse jamais m'en écarter: la mauvaise conduite des pères est souvent la règle de celle des enfans. Tu frémis!.. écoute-moi.

»Je suis né sur les bords du Danube, dans une vaste plaine couverte de bois, de hameaux, et qui s'étend depuis Chava jusqu'à Straubing. Mon père, le baron de Walfein, y occupait un château-fort très-antique, et qui avait servi jadis de maison de plaisance aux anciens rois de Bavière. Cet antique castel, baigné d'un côté par le fleuve, qui le rendait inexpugnable, était flanqué par-tout, sur la plaine, de tourelles, de contre-forts, et défendu par un fossé, autrefois plein d'eau, alors à sec, mais très-profond; plusieurs ponts-levis facilitaient l'entrée du fort, qui n'était pas grand, mais très-commode. Pour tenir une si belle habitation, il fallait plus que le titre de baron que portait mon père; il fallait être riche, et mon père ne l'était point. On ne savait comment ce château lui appartenait, ni par quels moyens il y soutenait sa famille, composée d'une femme, d'un fils, et de douze serviteurs. Je me rappelle très-bien que, dans ma tendre enfance, nous manquions presque des choses les plus nécessaires à la vie. Ma mère était faible et souffrante; elle mourut bientôt, et je m'apperçus que mon père en avait une vive satisfaction. Ces deux époux n'avaient pas été heureux ensemble; on ignorait le sujet de leurs éternelles querelles, et quand je l'appris par la suite, je ne pus que blâmer mon père, et regretter ma mère, vertueuse, délicate, et qui s'était toujours opposée aux coupables actions qu'il avait commises. À peine ma mère eut-elle fermé les yeux, que je remarquai beaucoup de mouvement dans le château. Une foule de figures, étrangères pour moi, y abondèrent, et lorsque j'en demandai les raisons à mon père, il se contenta, pour toute réponse, de m'enfermer dans un donjon étroit, dont les fenêtres étaient extrêmement élevées; J'avais huit ans, et je commençais à réfléchir: cette conduite me parut singulière, et je me promis bien d'en demander l'explication. Mon père vint sur le soir me délivrer de ma prison. Je me plaignis amèrement de son procédé; il me regarda d'un air furieux, et me déclara que si je me permettais encore la moindre question sur des choses que mon âge ne me permettait pas de savoir, il m'enfermerait pour ma vie dans le plus noir de ses souterrains.

»Cette menace me fit peur; je me contraignis, et me décidai à réprimer ma curiosité. Dès ce moment je m'apperçus d'une aisance extraordinaire dans la maison; on aurait dit que mon père avait trouvé un trésor; les plus beaux meubles, les plus beaux bijoux, tout fut prodigué; nos repas ne finissaient plus; mais les gens qui les partageaient avec nous, hôtes très-inconnus pour moi, avaient des figures et une conversation qui ne me plaisaient pas du tout. Mon père ne sortait pourtant jamais: il est vrai qu'il m'enfermait tous les soirs dans ma chambre pour m'en faire sortir le lendemain matin; et j'ignorais ce qu'il pouvait faire pendant la nuit. Une chose m'inquiétait aussi beaucoup, c'est que, pendant chaque nuit que je passais ainsi seul et sans dormir, j'entendais un bruit affreux qui me faisait des peurs épouvantables. Ce bruit sourd et prolongé se répandait souvent en éclats bruyans qui faisaient gémir les vastes voûtes des corridors du château. On eût dit que des gémissemens longs et plaintifs se répétaient de moment en moment avec la même précision et les mêmes nuances. Je n'étais point né avec la peur du diable ou des revenans, et cependant ce bruit singulier m'alarmait, et faisait involontairement dresser mes cheveux sur mon front.

»Je passai ainsi dans la terreur, et sans oser interroger mon père, deux années, pendant lesquelles je changeai à vue d'œil. Je profitais assez de l'éducation soignée qu'on me donnait; je participais à l'immense fortune que mon père paraissait avoir acquise, et dont il faisait un usage plus que permis. J'avais douze ans, et j'étais né avec des passions violentes qui m'avaient avancé plus que les enfans de mon âge. Je résolus de ne point rester plus long-temps dans une incertitude qui me désespérait. Questionner le baron de Walfein, homme dur, intraitable, c'eût été m'exposer à tous les excès de sa colère: je le connaissais, je n'avais d'autre parti à prendre, si je voulais découvrir ses secrets que celui de l'épier et de me servir de ruses: c'est ce que je fis.

»Tous les soirs, ainsi que je te l'ai déjà dit, mon père m'ordonnait de monter chez moi, de me déshabiller et de me coucher; j'exécutais ses ordres, et une demi-heure après, il montait même avec une lampe, regardait si j'étais couché, se retirait, et fermait sur lui ma porte avec des verroux qui étaient en dehors. Toutes ces remarques, que j'avais faites, m'inspirèrent un projet hardi, mais dont la réussite était sûre. J'ajustai un jour un gros paquet de linge en forme de poupée que je couchai dans mon lit, après l'avoir coiffée comme je l'étais la nuit pour reposer. Ma poupée semblait tourner la tête du côté du mur, et dormir profondément. Cela fait, je me dis: Je pourrai me cacher quelque part dans le château; mon père montera chez moi, me croira endormi, fermera ma porte aux verroux; je pourrai satisfaire à l'aise ma curiosité; et quand je me serai bien rendu compte du bruit effrayant qui se fait la nuit dans la maison, je remonterai chez moi, je tirerai les verroux; je rentrerai, me coucherai comme à mon ordinaire, et il n'y paraîtra pas.

»C'était bien là un projet d'enfant, qui ne prévoit jamais tout. D'abord il était possible que je fusse rencontré, dans ma perquisition nocturne, par mon père, ou par quelqu'un de ses gens: alors j'étais perdu. En second lieu, en rentrant chez moi le matin, je pouvais bien tirer les verroux qui étaient fixés à la porte en dehors; mais une fois entré, pouvais-je les remettre, ces verroux? et n'avais-je pas à craindre que mon père, en venant m'éveiller, ne se doutât de mon espiéglerie? Tout cela aurait arrêté un autre que moi; mais je trouvai mon projet excellent, et je l'exécutai. Le soir donc, au lieu de me retirer sur l'ordre de mon père, je fus me cacher dans un coin noir où personne n'allait jamais. Il faut que M. de Walfein ait été la dupe de ma poupée, car je l'entendis mettre les verroux à ma porte, et rentrer tranquillement chez lui; Dieu sait comme je m'applaudissais je mon heureux stratagême! C'est un bonheur pour les enfans de tromper ceux qui veillent sur toutes leurs démarches; ils se croient plus fins, plus adroits que ceux qu'ils abusent, et leur petit amour-propre jouit.

»Cependant j'étais toujours dans ma cachette et j'attendais que le bruit nocturne commençât, pour diriger mes pas du côté où je l'entendrais; mais j'étais destiné à éprouver une plus, grande frayeur… J'entends marcher et parler distinctement derrière moi, à travers une espèce de cloison que je n'ai pas remarquée dans mon coin. Au même instant, mon père descend précipitamment, muni d'une lanterne sourde, et s'avance droit vers moi. Quel moment! quel embarras pour moi! je ne sais que devenir, ni comment me cacher; je prends le parti de me prosterner à terre, et de me glisser, à plat ventre, de l'autre coté du mur. Cela me réussit, la sombre lumière que porte mon père ne lui permettant pas de distinguer les objets, et le bruit que font les gens qui causent plus loin, l'empêchant d'entendre celui que je fais. Le baron de Walfein ouvre une porte que je ne connais pas, et dans l'instant, une grande clarté fixe mes regards, et m'expose à être découvert. Je me relève, m'éloigne, et j'apperçois de loin une chambre très-bien éclairée: plusieurs personnes, les mêmes qui partagent notre table dans le jour, sont habillées en ouvriers; mon père leur parle un moment, et tout disparaît. Étonné de ne plus les voir, je me hasarde à entrer dans la chambre éclairée, que j'examine, sans pouvoir découvrir le côté par où tout le monde est sorti. Ma tête se trouble, je me crois dans le palais des fées dont j'ai lu les histoires, et je suis prêt à remonter chez moi, lorsque le bruit nocturne que j'attends se fait entendre de la manière la plus effroyable. Dans les momens difficiles mon courage, au lieu de s'abattre, se raffermit toujours; ma peur cède au desir de m'éclaircir; et j'examine de nouveau la chambre éclairée, qui ne m'offre toujours aucune issue. Une heure entière s'écoule dans ces perquisitions, et je commence à désespérer de réussir, lorsque, dans un coin de la salle, je sens tout-à-coup le plancher céder sous mes pas; une trappe fait la bascule sous mes pieds, et je roule quelques instans sans savoir où je suis. Je m'arrête enfin sans m'être blessé, et je m'apperçois que c'est un escalier que j'ai descendu si précipitamment. Je suis enfin dans un souterrain, éclairé de distance en distance par des lampes suspendues. C'est là que le bruit effrayant devient insupportable; mais il ne fait plus à mon oreille l'effet d'une suite de gémissemens; ce sont des coups violens qu'on frappe autour de moi, et sans que je puisse distinguer personne. J'avance toujours effrontément, et je remarque plusieurs rues dans ces longs et vastes souterrains. Enfin, une espèce de chambre taillée dans le roc s'offre à mes regards. Je n'y trouve personne: j'y entre. Qu'y vois-je? un trésor considérable! des monceaux de pièces d'or; ce sont des rixdallers, des florins, des souverains, demi-souverains, &c. &c. Comme cette vue me réjouit! Je ne doute pas que ce ne soit là la mine où mon père puise journellement pour faire des dépenses énormes. Né avec le même goût que lui pour ce métal si utile, je ne me fais aucun scrupule d'en remplir toutes mes poches, et je me promets bien de revenir souvent à la curée, attendu qu'il ne paraît seulement pas qu'ont y ait touché. Enchanté de cette importante découverte, je sors de cette riche chambre, et je dirige toujours mes pas du côté d'où vient le bruit. Enfin, au détour d'une espèce de rue souterraine, j'apperçois, dans le fond devant moi, une foule de gens occupés, les uns à limer, les autres à tourner une grande roue, celui-là à frapper de grands coups de marteau sur du métal, ceux-ci enfin à faire aller des espèces de presses… Qu'est-ce donc, me dis-je? est-ce ici la manufacture de toutes ces belles pièces d'or qui viennent de tant flatter ma vue?..

 

»Je crois qu'on me remarque, et je me sauve à toutes jambes, en regagnant le même chemin par où je suis venu; mais, ô malheur! je ne puis plus retrouver l'escalier de la chambre éclairée. La peur me saisit, je marche toujours, et plus j'avance, plus je me perds dans l'immensité des souterrains qui cessent d'être illuminés… Je ne sais plus ce que je fais, ni où je suis; je cours comme un fou, au risque de rencontrer des précipices, ou de me blesser contre les murs. Enfin, une lumière très-éloignée frappe ma vue: il semble qu'elle parte d'une espèce de caveau grillé que j'apperçois dans un fond. Je suis égaré, me dis-je, je suis perdu de toutes les manières, puisque mon père ne peut manquer de s'appercevoir de mon absence. Quand je devrais le rencontrer, ce père irrité, lui ou les siens, j'irai droit à cette lumière, et je demanderai aux gens qui sont dans cette grotte, qu'ils veuillent bien me ramener chez moi.

»Mon parti pris, je l'exécute avec fermeté: je m'avance, et crois rencontrer des persécuteurs; quelle est ma surprise d'appercevoir, à travers une grille, une espèce de cachot, éclairé par une seule lampe. Un vieillard vénérable, et étendu sur une paille fétide; il est presque nud, et paraît consumé par la douleur. Qui est là, s'écrie-t-il, en levant sa tête blanchie par les années? qui peut venir ici à cette heure? – Moi, lui répondis-je naïvement, comme s'il devait me connaître. – Qui, vous? un enfant, grand Dieu! serait-ce un ange tutélaire envoyé par le ciel, pour m'arracher à cette indigne prison? – Vous êtes en prison? Et qui vous y a mis? – Le baron Walfein! pour me dépouiller de tous mes biens, pour s'emparer de ce château qui m'appartenait. – Quoi! c'est mon père qui vous a… – Walfein est votre père? – Oui: mon Dieu! je ne le croyais pas si méchant! – Bon enfant! laisse-moi à ma douleur! – Non, je veux vous sauver, moi, vous retirer d'ici. – Toi, et comment? – D'abord, j'ai beaucoup d'or: en voulez-vous? – Eh! qu'en ferais-je dans ce lieu de douleur? – Il faut le donner à celui qui vous apporte votre nourriture, afin qu'il vous ouvre cette porte, et que vous puissiez vous sauver. – Eh! mon ami, mon geolier est un scélérat comme son maître. Ils ont de l'or, dis-tu; c'est depuis qu'ils se sont faits faux monnoyeurs. – Faux monnoyeurs, dites-vous? c'est de la fausse monnaie que j'ai là?.. Tenez, prenez tout, je n'en veux plus.

»Le vieillard admira ma candeur, et je causai si long-temps avec lui, que lorsque je voulus me retirer, je m'apperçus, par les jours des souterrains, que, depuis long-temps le soleil était levé. Je saluai le vieillard, en lui promettant de venir bientôt le délivrer (je n'en avais cependant aucun moyen), et je me mis à parcourir de nouveau les souterrains. J'étais accablé de fatigue; lorsqu'enfin, je remarquai que j'étais revenu précisément à l'atelier où, pendant la nuit, j'avais vu travailler tant de monde. Il n'y avait plus personne maintenant: il me vint dans l'idée de m'emparer de deux limes que je trouvai sous ma main. Je ne puis plus rentrer chez mon père, me dis-je, sacs m'exposer à toute sa colère: je veux fuir cette maison où l'on fait de la fausse monnaie. Allons délivrer le bon vieillard, et nous sauver avec lui.

»Je cherche le chemin de sa prison, et je le retrouve avec un peu d'attention. Bon prisonnier, lui dis-je, je viens vous sauver, et m'en aller avec vous. À ces mots, je lui donne une de mes limes, je prends l'autre, et tous deux, nous voilà occupés sans relâche à limer les barreaux de la porte. Je travaillais avec cœur, et lui aussi; mais je crois que nous n'en aurions jamais fini, tant il y avait d'ouvrage, s'il ne fut venu une idée unique au prisonnier: ce sont les gonds, me dit-il, et les serrures qu'il faut limer, nous aurons plutôt fait.

»En effet, au bout d'une heure, la porte s'ouvre sous nos efforts multipliés: j'entre, j'embrasse le vieillard et veux l'emmener avec moi. Par où, me dit-il? – Eh! par l'escalier du château; oh! je le retrouverai. – Y penses-tu, mon enfant! je serais reconnu, et tu serais puni avec moi, pour avoir voulu me délivrer.

»Cette réflexion me glaça d'effroi. Attendez, lui dis-je, en mesurant des yeux la hauteur d'une espèce de soupirail qui donnait du jour à son cachot, je trouve un excellent moyen.

»Je dis et je cours vers l'atelier où je prends autant de cordes que je puis en emporter. Je reviens à mon vieillard qui me prend sur ses épaules. Je m'élance dans le soupirail qui est étroit à-peu-près comme une cheminée; et je me trouve, tenant toujours un bout du cordage qui tombe dans le cachot, je me trouve, dis-je, dans une cour que je ne connais point, mais où je ne remarque personne qui puisse me gêner. J'attache fortement le bout de ma corde à un crochet placé là par hasard dans le mur, et mon vieillard, sec et maigre, heureusement pour lui, monte après la corde, passe dans le soupirail, et se trouve bientôt dans la cour à mes côtés.

»Tu vois, mon cher Victor, que je n'étais pas né méchant; car je rendais là à un homme que je ne connaissais point, et qui pouvait avoir des torts envers mon père, un service signalé qui pouvait me compromettre et perdre peut-être mon père; mais j'ai toujours été comme cela, moi, dans tout le cours de ma vie, je n'ai jamais réfléchi aux conséquences, avant d'entreprendre, et tout m'a réussi, excepté cependant cette première affaire à laquelle je reviens.

»Le vieillard et moi, nous étions dans la cour; mais il fallait en sortir. Une forte porte dont la clef est précisément de notre côté, nous donne quelque espoir: nous l'ouvrons: mais ô surprise! un bruit affreux se fait soudain entendre dans le château: on entend crier par-tout: sauvons-nous!.. Des gens en désordre courent de tous les côtés, sans paraître nous remarquer… Nous restons immobiles. Mon père lui-même, mon père, égaré, désespéré, se présente à nous. Ciel! s'écrie-t-il, en nous voyant; mon ennemi libre! il mourra. Un coup de pistolet étend à l'instant le vieillard sans vie à mes pieds. Je jette un cri, mon père me prend par la main: Suivez-moi, Roger, me dit-il, ou vous êtes perdu avec moi!

»Je le suis sans savoir où je vais: il me jette sur un cheval, y monte avec moi, le pont-levis se baisse devant nous, nous fuyons à toutes brides, et, le soir, nous sommes déjà loin du château.

»Pour l'intelligence de cette scène, je te dirai que mon père, noble d'extraction, mais sans mœurs et sans conduite, avait toujours eu recours à l'industrie pour vivre. Le comte de Morlack, propriétaire du château, était son ami, et l'avait engagé à venir vivre avec lui; mon père avait dépouillé de sa propriété ce vieillard qui gémissait depuis dix ans dans les cachots de sa propre maison. Un beau château ne donne point une existence, quand on n'a rien avec; mon père le sentit, et après avoir perdu sa femme, qui était morte de chagrin, il se fit faux monnoyeur avec quelques mauvais sujets comme lui. Ce petit métier avait été assez bien pendant deux ans; mais le duc de Bavière en avait eu connaissance; et, au moment même où je sauvais de sa prison le malheureux comte de Morlack, une troupe de soldats s'avançait vers le château pour y saisir mon père et ses complices. M. de Walfein qui s'en apperçut, sentit qu'il ne pouvait résister à une force aussi imposante, et prit le parti de rassembler ses effets, et de fuir à la hâte. C'est ce qui l'empêcha, ce matin-là, de venir tirer les verroux de ma chambre, qu'il aurait trouvée ouverte: il comptait ne m'emmener avec lui qu'au moment même où il aurait été prêt à partir; et par ce moyen, il ne s'était point apperçu de mon évasion nocturne. Qu'on juge de sa surprise en me rencontrant avec le comte de Morlack! Le cruel immole ce vieillard sans défense, sans demander quel est son libérateur! Les troupes du duc de Bavière sont aux portes du château; mon père n'a que le temps de me mettre en croupe sur son cheval, et de se sauver avec moi, tandis que ses complices cherchent à fuir aussi d'un autre côté.

»Nous voilà donc en voyage tous les deux, et c'est ici que va commencer ma carrière d'aventurier, qui bientôt va me porter vers de plus grandes entreprises, et me mener peu à peu à la connaissance que je fis de ta mère, ainsi qu'à mon établissement dans ces forêts. Prête-moi la plus grande attention, mon fils; et si tu as quelques reproches à faire à ma jeunesse, n'en accuse que mon père, dont les conseils pernicieux et l'exemple funeste ont pensé me perdre».

CHAPITRE VIII.
FORTE LEÇON QUI NE SERT À RIEN

«Mon père ne m'avait pas dit un mot pendant la route; ce ne fut que le soir, dans une auberge où nous nous arrêtâmes, qu'il me questionna sur mon absence nocturne, et sûr ma rencontre avec le vieux Morlack. Je lui contai naïvement mes aventures dans les souterrains, et les moyens que j'avais pris pour arracher le vieillard à sa prison où il me paraissait injustement renfermé. Walfein se contenta de me lancer un regard furieux, et de me dire ce peu de mots: Si vous avez le malheur de dire à qui que ce soit, un seul mot sur ce que vous avez pu voir cette nuit dans mon château, je vous brûle la cervelle. Je lui répondis avec aigreur, qu'il n'aurait pas cette peine-là, attendu que je comptais le quitter à la première occasion… Il me donna quelques coups de poing qui terminèrent l'explication.

»Le lendemain, nous nous remîmes en route, et nous en fîmes autant pendant dix jours, au bout duquel temps, mon père m'annonça que nous étions en France. Nous étions en effet à Strasbourg où mon père se proposait de mettre en œuvre toute son ancienne industrie pour duper le plus d'Alsaciens possible. Là, il se fit passer pour un riche seigneur qui voyageait pour l'instruction de son fils. Un de ses amis à qui il avait donné rendez-vous à Strasbourg, vint l'y rejoindre. On était occupé, dans cette ville, à se réjouir: les Français venaient de la prendre aux Impériaux; et c'était tous les jours des fêtes nouvelles; mon père et Verdier, son ami, louèrent un hôtel superbe, prirent des laquais, des chevaux, et reçurent compagnie. Le jeu fut d'abord l'aliment de nos dépenses, ensuite vinrent des gens confians qui prêtèrent des sommes d'argent pour s'intéresser dans de prétendus projets de canaux, de fourrages, etc. que nos deux fripons imaginèrent; quand ils eurent entre les mains une somme assez forte, ils décampèrent, et furent s'établir dans une autre ville, où, changeant de noms, ils firent les mêmes escroqueries; puis de cette ville dans une autre, et de cette autre dans une autre encore: il s'écoula ainsi six années pendant lesquelles il ne leur arriva aucun événement extraordinaire.

»Les instructions de mon père, son exemple, l'aisance dont il jouissait, et peut-être mes propres dispositions, tout m'avait donné du goût pour son genre de vie: je le servais très-bien, c'était moi, dont l'âge et la candeur n'étaient point suspects, qui allais à la découverte des dupes; et pour mon compte, je m'amusais souvent à leur dérober quelques bijoux, larcins dont on était bien éloigné de vouloir m'accuser. J'avais dix-huit ans enfin, et j'aurais fait par la suite, un très-mauvais sujet, si j'avais continué à suivre toujours l'exemple corrupteur d'un père coupable; mais le moment était venu où j'allais être séparé pour jamais de ce père imprudent. Nous étions à Paris, où nous faisions la plus grande figure: mon père s'était associé à une bande de fripons qui spéculaient sur les fournitures du gouvernement: à la tête de cette bande étaient, disait-on, les premières têtes du ministère. Le petit trafic de ces messieurs se divulgua; on en arrête une douzaine: mon père est de ce nombre, et je le vois, au milieu d'une belle nuit, arraché de nos bras pour être conduit à la Bastille. Verdier, lui comme fripon subalterne et sans naissance, fut jeté dans une autre prison. La peur d'être arrêté à mon tour, me détermina à fuir sur-le-champ l'hôtel superbe que nous habitions. Je pris mes habits les plus simples, sans oublier de me munir d'argent, et je fus m'établir dans un petit cabinet garni, sous le nom de Roger seulement, au fond d'un fauxbourg de Paris. La tendresse filiale parlait à mon cœur comme l'amour paternel parlait à celui de mon père; c'est-à-dire, que je ne l'aimais pas plus qu'il ne m'aimait, et que le sort qu'on pouvait lui réserver, m'était fort indifférent. D'ailleurs, Walfein était au secret à la Bastille; impossible de le voir, de lui parler, de lui faire même parvenir la moindre chose. Toute communication étant interrompue entre nous, je ne pensai plus à lui, et je ne m'occupai que de moi. J'avais très-bien fait de quitter notre hôtel; car, à peine en étais-je sorti, que tous nos effets, mis d'abord sous les scellés, avaient été distraits et pillés par les gens de justice. On s'était bien apperçu de ma fuite; mais je n'étais point suspect, on ne s'inquiétait pas du tout de ce que j'étais devenu. Quand je vis que le temps s'écoulait, et que mon argent diminuait, je songeai à faire quelque chose. Un riche orfèvre, mon voisin, me prit chez lui pour apprendre son état. Ce brave homme avait une fille jeune et jolie qui m'avait souvent examiné, lorsque je passais devant sa boutique. Le desir de la connaître m'avait poussé à entrer lui parler sous différens prétextes. Claire était vive et coquette, notre intelligence fut bientôt au dernier degré, et ce fut elle-même qui engagea son père à me prendre chez lui, afin que nous fussions moins gênés dans nos amours.

 

»Comblé d'amitié par le père et de tendresse par la fille, j'étais heureux; mais Claire ne l'était pas autant que moi. Son père la persécutait pour qu'elle épousât un homme âgé, de ses amis; Claire résistait; mais elle voyait venir le temps où il ne lui serait plus possible de reculer sans avouer son amour pour moi. Claire était entreprenante. Elle me propose de fuir, avec elle, la maison paternelle. Et des ressources, lui dis-je? – Nous en emporterons, il y en a ici.

»Je la compris, et dès ce moment, nous nous occupâmes des préparatifs de notre voyage. C'était Claire qui conduisait le commerce de son père; il lui était très-facile de détourner les effets les plus précieux; elle le fit. Son père avait une petite campagne à une lieue de Paris; son bonheur était d'y aller cultiver son jardin. Claire l'y envoya. Le jour fixé pour notre fuite, nous mîmes dans une malle tous les effets d'or et d'argent du magasin, et nous attendîmes la nuit pour partir. J'avais acheté une calèche très-légère et un cheval: le maquignon devait me livrer tout cela à minuit précis chez lui. La malle était déjà déposée dans un hôtel garni, où j'avais été louer une chambre le matin, comme un homme qui voyageait. Toutes nos précautions étaient bien prises; mais hélas! au moment de commettre l'action la plus coupable, le ciel me préparait une leçon terrible qui, si je l'avais écoutée, m'aurait épargné bien des maux!

»Minuit sonne; Claire est dans l'hôtel garni, où elle m'attend comme mon épouse. Il ne s'agit plus que d'aller chercher la voiture. Je sors seul, à pied, et mon chemin me forçant à traverser une place qu'on appelle à Paris, la Grève, je m'arrête un instant pour examiner cette place où la mort et l'infamie attendent journellement les hommes coupables, comme moi, de rapt et de vol… Mon cœur se serre, un funeste pressentiment me trouble, et je suis prêt à verser des larmes… Plusieurs flambeaux, qui s'avancent vers moi, frappent mes yeux étonnés: c'est un corps de soldats à cheval. Ils entourent une voiture bien fermée, que devance un charriot chargé de charpente. Surpris de ce singulier cortége, je le considère, moi troisième passant; mais la garde à cheval nous ordonne de nous retirer; la curiosité me porte à entrer dans une allée que je ferme sur moi; et, comme cette porte d'allée est surmontée de barreaux de fer à jour, je grimpe jusqu'à ces barreaux, où mon œil fixé sur la place, voit le spectacle le plus affreux et le plus déchirant.

»La place ne renferme plus aucun étranger curieux; le conducteur du charriot chargé de charpente, s'arrête en face de moi. À l'instant même un échafaud est dressé. La garde, chargée de flambeaux, entoure ce trône de la mort. On fait descendre de la voiture un homme pâle, défait, et que je crois reconnaître. Une espèce de rapporteur lit à haute voix sa sentence: Que deviens-je, grand Dieu!.. L'homme qu'on va immoler, est mon père! c'est le baron de Walfein! Il monte sur l'échafaud, et s'écrie avec l'accent de la douleur! Ô mon fils! que n'es-tu témoin de ma triste fin!.. elle t'apprendrait quelle est la juste punition du vice, du vice auquel je ne t'ai que trop entraîné; et tu reviendrais peut-être à la vertu.

»À ces mots, il se jette dans les bras d'un vénérable ecclésiastique; et moi, qui ne peux plus soutenir un si cruel tableau, je tombe de ma hauteur sur le pavé de l'allée dans laquelle je suis renfermé… Je n'eus pas le bonheur de perdre connaissance; un heureux évanouissement m'aurait empêché d'entendre le coup de la hache meurtrière qui abattait la tête coupable de l'auteur de mes jours; ce coup affreux frappa en même temps mon cœur, et il me sembla soudain qu'un songe funeste agitait tous mes sens!

»Je restai ainsi, sans force et sans mouvement pendant plus d'un quart-d'heure; enfin, revenu à moi-même, et n'entendant plus de bruit, je me hasardai à ouvrir doucement la porte de mon allée. Il n'y avait plus rien sur la place; je vis même de loin le funeste cortége, qui s'en retournait par l'arcade Saint-Jean, et qui semblait reporter à la Bastille les restes inanimés d'un homme qu'on venait d'en retirer, avant, plein de vie.

»Immobile encore, et saisi d'effroi, je voulus me persuader que tout ce qui venait de frapper mes yeux était le feu de mon imagination exaltée; mais bientôt la cruelle réalité vint convaincre ma raison, et ne suivant plus que le délire de mon esprit, je fus me précipiter à deux genoux sur la place même où mon père venait de perdre la vie: Dieu! les pavés étaient encore teints de ce sang où j'avais puisé le mien!.. Mon père, m'écriai-je, ô mon père! tes derniers avis ne seront pas perdus pour moi! je les suivrai, ces tristes conseils. Mon Dieu, je te le jure par le sang de mon père que j'inonde de mes larmes, oui, je vais me livrer tout-à-fait à la pratique des vertus sociales et privées. Je renonce à Claire, à tout ce qui pourrait me pousser au crime, et l'exemple de mon père sera toujours devant mes yeux, pour me faire éviter sa fin terrible.

»La prière, quand elle part d'un cœur repentant et sincère, est un baume consolateur qui rafraîchit le sang, ranime les forces et raffermit l'esprit; je l'éprouvai, car dès que je me levai, je sentis mes genoux moins faibles, ma raison était revenue, et je n'étais plus livré qu'au trouble qu'excitaient en moi mille réflexions auxquelles ce funeste événement devait donner lieu. En effet, pourquoi cette exécution nocturne, dans ce lieu, revêtue de toutes les formes de la publicité, quoiqu'on ait eu soin d'en éloigner les curieux? Quel crime assez grand avait commis le baron de Walfein? quels ménagemens un gouvernement qui lui était étranger, avait-il eu à garder avec lui, pour lui épargner la honte de subir de jour, aux yeux de la multitude, une mort infamante? Pourquoi, si l'on voulait s'en défaire, l'avoir conduit dans cette place, plutôt que de le faire périr dans sa prison même? En un mot, quelle était cette politique qui enfreignait les loix en paraissant les suivre? Qui pouvait m'éclaircir tous ces doutes? Personne. Je n'avais pas du tout envie d'aller m'informer des motifs qu'on avait eus de se conduire ainsi. Mon malheureux père était mort enfin: son roman venait de finir, tandis que le mien commençait. Jusques-là j'avais couru la même carrière que lui, et le même sort pouvait m'attendre au bout de cette carrière fatale qu'il avait mesurée en entier quand à peine j'y entrais… Qu'allais-je faire? quel parti devais-je prendre? Claire m'attendait; mais j'avais promis à Dieu, aux mânes de mon père, de renoncer à Claire, d'éviter le piége affreux qu'elle tendait à ma jeunesse… Claire n'était plus à mes yeux que ce qu'elle était en effet, c'est-à-dire, une fille dénaturée, une femme sans probité, sans mœurs et sans délicatesse: je devais la fuir; mais, hélas! quelle ressource me restait-il pour exister? Je ne pouvais plus rentrer chez son père, quelle que soit l'issue de la fuite nocturne de sa fille. Le bon vieillard devait revenir chez lui le lendemain matin: on n'aurait pas le temps de remettre tous les effets à leur place: Claire elle-même pouvait n'y pas consentir. Le plus sûr moyen de tenir le serment que je venais de faire, était de ne plus voir Claire ni son père, de ne plus même rester à Paris… Mais en étais-je moins suspect aux yeux du père de Claire? Sa fille, en supposant que, ne me voyant pas revenir, elle rentrât chez lui, sa fille elle-même, pour se venger de mon abandon, pouvait m'accuser, me noircir aux yeux du vieillard, et le crime que je n'avais pas commis pouvait m'être imputé. Quel embarras! qu'il en coûte, me disais-je, pour sortir du labyrinthe du crime quand une fois on s'y est engagé!..