Za darmo

Victor, ou L'enfant de la forêt

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

CHAPITRE XII,
TRÈS-COURT, MAIS QUI PROMET

Madame Germain, que nous n'appellerons plus madame Wolf, jugea à propos de terminer là son récit; elle pouvait avoir encore quelques aventures à raconter; mais ces aventures lui étaient particulières; elles n'avaient plus le même intérêt pour ses auditeurs, puisqu'il n'était plus question que de ses voyages, jusqu'au moment où elle revint en Hongrie. Ce fut alors qu'elle se chargea de l'orphelin Hyacinthe, fils d'un bon fermier qui lui avait donné l'hospitalité, et qu'il lui arriva, dans un chemin de traverse, l'aventure qui lui valut un asyle dans le château de Fritzierne. Elle n'avait changé de nom que pour se soustraire aux recherches de Roger, qui avait juré de l'atteindre en quelque lieu qu'elle se retirât; et par un effet funeste de la bizarrerie du sort, tout ce qu'elle avait fait pour s'éloigner de son tyran, l'avait justement ramenée au point d'où elle était partie; elle se retrouvait près de Roger, occupée de Roger, du souvenir de son épouse, des intérêts de son fils; enfin, tout ce qui lui était arrivé depuis seize ans ne lui paraissait plus qu'un songe qui trouble vos sens pendant une nuit agitée, et vous rend, au réveil, aux coups du sort qui vous accablait la veille.

Madame Germain cessa donc de parler, et Victor attendri, se saisit encore une fois d'une de ses mains, qu'il couvrit de larmes et des baisers de la reconnaissance. Il appela cette femme généreuse sa seconde mère, et Clémence elle-même la remercia de lui avoir conservé son ami, et d'avoir soustrait ses premiers ans, au crime et au malheur qui assiégeaient son berceau. Madame Germain les embrassa tous deux, et les remercia de leur amitié, avec cette douce modestie que donne toujours l'assurance où l'on est que l'on n'a fait que son devoir.

Pour le baron, il garda quelque temps le silence, et le rompit enfin, pour faire quelques réflexions morales sur les événemens singuliers qui avaient fait le tourment de madame du Sézil, et celui de sa fille Adèle. Il appuya sur-tout, devant Clémence, sur les malheurs auxquels s'exposent les jeunes personnes qui, manquant de confiance envers leurs parens ou leurs amis, se livrent aveuglément au charme trompeur des passions, et ne calculent jamais les suites des fausses démarches auxquelles elles se laissent entraîner. L'amour, ajouta-t-il l'amour porte un bandeau sur ses yeux; c'est à la raison à le guider par la main c'est à la sagesse à régler ses pas et ses actions. Jeunes gens, jeunes gens! vous méprisez les sages conseils d'un père ou d'une mère tendre; mais vous aurez des enfans à votre tour, et vous serez obligés de leur dire ce que nous vous avons en vain répété mille fois; vos enfans ne vous écouteront peut-être pas plus que vous ne nous avez écoutés; car c'est le sort des ingrats de faire à leur tour des ingrats, et le ciel nous punit souvent dans nos enfans des chagrins que nous avons causés à notre vieux père…

Quand le baron eut prononcé ces mots, il se tourna vers Victor, qui devint tremblant comme un homme qui attend son arrêt. Le baron s'apperçut de son trouble, et se hâta de le faire cesser en lui prenant la main, et en lui disant avec le ton de la plus tendre affection: Mon cher Victor, mon cher fils, ne crains rien; ose lever les yeux sur un bienfaiteur, et non sur un juge rigide. Tes malheurs ne viennent point de toi, ta naissance n'est point ton crime; mais il est vrai qu'elle peut nuire à ton bonheur. Il est un moyen d'en réparer les torts: écoute-moi, je vais te dire le projet que j'ai formé, et dont je t'ai donné quelque idée avant que madame Germain commençât son intéressant récit. Écoute-moi bien; tu vas juger de toute ma tendresse pour toi, et du desir que j'éprouve de te voir l'époux de ma fille. – L'époux de Clémence, interrompit Victor! quoi! je pourrais espérer encore?.. – Oui, tu le peux, mon ami, reprend le baron; mais prête-moi toute ton attention.

Il se fait un grand silence, et le baron continue: J'ai vu Roger, je l'ai vu assez pour me former, sur son caractère, une façon de penser que le récit de madame Germain vient encore de confirmer. Roger a de rares qualités au milieu des vices affreux qui le poussent vers le crime; Roger est ferme, entreprenant, courageux, actif, et même capable de quelques procédés généreux. Cet homme s'est fait une habitude de son état, mais il n'est pas possible qu'au fond de son cœur il ne souffre, il ne gémisse des extrémités auxquelles lui et ses gens se livrent journellement; il doit être las du brigandage, et peut-être la tranquillité, l'aisance et la pratique des devoirs sociaux, ne lui seraient-elles pas étrangères après vingt ans d'une vie troublée, agitée par la crainte, par les remords, et que l'échafaud a réclamée cent fois. Je ne sais si je m'égare, mais il me semble tout simple de croire que Roger, fatigué du crime, peut y renoncer, pour le calme de sa conscience et la sûreté de sa vieillesse; et encore, ce que ne pourraient point faire la raison ni le remords, il est possible que la nature l'obtienne de lui. Madame Germain nous a dit qu'il brûlait de retrouver son fils, et qu'il était disposé à l'accabler de toute la tendresse d'un père; il est possible qu'en calculant les tourmens que son horrible état cause à ce fils chéri, il y renonce, à cet état vil et flétrissant; il est possible qu'il renonce au crime pour assurer le bonheur de la vertu… Va le trouver, Victor, rends-lui son fils pour un moment; dis-lui qu'il ne tient qu'à lui de se réunir pour sa vie au fils d'Adèle; dis-lui que tu adores ma fille, mais que tu n'obtiendras mon aveu pour l'unir à toi, que du moment où il aura quitté son infâme métier: j'oublierai ce qu'il fut en faveur de ce qu'il consentira à devenir; mais comme je sens qu'il me serait impossible de me lier avec un homme comme lui, ni de l'avoir sous mes yeux, je lui donnerai une terre que je possède à vingt lieues d'ici; il ira l'habiter sous un autre nom; et s'il tâche, par quelques vertus domestiques, de faire oublier Roger, je me ferai à mon tour illusion sur lui, sur ta naissance; et mon gendre, ainsi que son père, n'entendront jamais sortir de ma bouche le plus léger reproche. Qu'en penses-tu, Victor? puis-je faire davantage? En vérité, il me semble que c'est pousser un peu loin le mépris des préjugés, et même du point d'honneur qui doit présider à tous les établissemens des familles vertueuses. À mon âge, d'après ma conduite et mes principes, on tient un peu au respect humain, à tous les usages qui forment la bonne société, et qui lient entre eux tous les habitans d'une vaste contrée. Je te l'avais dit; que ton père fût indigent et sans naissance, peu m'importait; mais j'exigeais qu'il fût vertueux, et il ne l'est pas. Celui-là déroge vraiment qui s'allie au vice, et je ne puis… je ne pouvais du moins donner ma fille au fils du plus grand coupable. Je fais encore un effort sur moi-même, et je le fais pour toi, pour toi que j'aime, et que je ne puis abandonner au désespoir de renoncer à une passion que j'ai nourrie moi-même dans ton sein… Que ton père rentre dans la société dont il fut le fléau; qu'il change de nom et de mœurs; je ne le verrai point, mais je pourrai me dire: Roger n'est plus, et le père de Victor ne fait pas rougir mon front, ni celui de mes enfans. Va donc le trouver, Victor; aborde-le avec cette fermeté, ce noble orgueil, que doit conserver la vertu en présence du vice; attaque avec sensibilité son cœur paternel, si tu le trouves ouvert à tous les sentimens de la nature; ou bien, s'il est mort pour ces tendres sentimens, parle-lui comme un homme qui a le droit de reprocher à un autre homme de lui avoir fait un présent funeste en lui donnant la vie, puisqu'il a répandu sur cette existence malheureuse l'amertume, la honte et l'opprobre.

Le baron de Fritzierne se tait, et Victor se livre avec délices à l'espoir consolant qui vient tout-à-coup charmer ses souffrances. Ah! monsieur, s'écrie-t-il! que de bontés, que de tendresse! Quoi! vous voulez bien encore?.. Oui, monsieur, oui, je la soumettrai, cette ame fière et rebelle! Clémence, nous serons heureux!.. Je le verrai, il rougira, il me suivra; oh! oui, je réponds qu'il renoncera à tout pour moi, pour lui-même! Oui, Roger, ton fils te serrera dans ses bras, si tu réponds à ses vœux; ou, si tu lui résistes, il jure ici, par Clémence, qu'il deviendra ton plus cruel ennemi: tous les liens de la nature, il saura les rompre, si tu ne sais les resserrer! ces titres de père et de fils, si respectables quand ils sont liés par les mœurs, l'éducation et la reconnaissance, ne sont plus que de vains prestiges quand ils sont séparés par l'infamie! Tu me verras, Roger, et tu connaîtras la différence du sang qui coule dans nos veines; la voix du mien brûle de se faire entendre de toi, et j'en avouerai la source si je la trouve disposée à s'épurer.

Le baron, enchanté de cette exclamation de Victor, lui serre la main en le regardant avec tendresse. J'aime, mon fils, lui dit-il, j'aime cet élan généreux. Avec cette noble fierté, tu dois être sûr de ton succès; mais, je te l'avoue, je le veux tout entier, ce succès qui doit faire notre bonheur à tous. Point de capitulation avec les criminels; il faut qu'il te cède sur-le-champ, ou que tu renonces pour jamais à la main de Clémence. Le monstre pourrait temporiser, te garder près de lui, et… ciel! quelle horreur! s'il allait nourrir l'espoir de te plonger dans ses excès, de former en toi un complice ou un successeur!.. Tu détournes tes yeux indignés, ton ame se soulève à un pareil soupçon; pardon, cher Victor! tu me connais, tu sais quelle estime j'ai pour tes principes, pour ta probité: elle est sûre, ta probité! elle saura résistera tous les genres de séduction… Tu donneras quelques jours à un père, ou tu fuiras sur-le-champ un brigand; mais, je te le répète, et cette résolution de mon esprit est irrévocable, si tu ne réussis point, si Roger dédaigne mes offres et ton bonheur, tu ne reverras jamais ma fille. C'est à moi que tu viendras confier tes regrets, et c'est moi qui songerai alors à te faire une existence douce, mais loin de moi, loin de nous, et pour la vie!

 

Victor entend à peine ces derniers mots du baron, qui les prononce avec une fermeté froide, tranquille, et qui annonce un parti bien pris; Victor n'est occupé que des moyens qu'il prendra pour attaquer le cœur de Roger: il en trouve mille, dont le moindre est immanquable. Il est sûr de réussir, Victor; et Clémence, qui est intéressée autant que lui à cette importante négociation, partage son espoir, en voyant son air d'assurance. Pour madame Germain, elle se tait: elle ne peut deviner l'impression que fera sur Roger la vue de son fils, et craint de hasarder son jugement.

Ainsi, il est décidé que, demain, Victor ira trouver son père! quelle destinée l'attend dans le camp des brigands! quelles aventures le destin lui prépare-t-il dans ce repaire du crime et de la scélératesse! S'il n'obtient rien d'un vieillard inflexible, il est perdu, et ne retournera pas au château de Fritzierne pour en être banni; mais s'il parvient à changer le caractère de Roger, il devient heureux, et son roman finit… Voyons, attendons les événemens qui vont se multiplier dans le volume suivant, et laissons tous nos héros prendre un moment de repos, après une nuit et une journée si agitées. Moi-même, que leurs malheurs ont singulièrement attendri, en les retraçant sous les yeux de mes lecteurs, je sens le sommeil peser sur ma paupière: ma veille a été longue; trois heures sonnent, la nuit s'enfuit devant l'aurore qui déchire ses voiles sombres; le jour naissant éclaire le sommet des maisons qui entourent mon simple manoir; la clarté vacillante de ma lumière pâlit devant les rayons lumineux qui annoncent le retour du soleil. C'est l'heure où l'homme de lettres quitte son manuscrit pour se livrer au repos; mais les tableaux qu'il vient de tracer vont se peindre à son imagination pendant son sommeil; et s'il a chanté la vertu, il est doux pour lui qu'un songe favorable le reporte encore au milieu de ses héros!

fin du tome second

TOME TROISIÈME

CHAPITRE PREMIER.
PRÉSENT D'AMOUR QUI DOIT JOUER UN RÔLE

Ô vous! célèbres romanciers allemands et anglais! toi, chantre éloquent des passions de Werther; toi, Goëthe; toi, Schiller; vous tous, conteurs estimés qu'on recherche pour la nouveauté des idées, le merveilleux des situations, le dessin des caractères et la force de l'intérêt, venez, venez faire résonner ma faible lyre, venez me prêter vos pinceaux pour achever les tableaux qu'il me reste à retracer à mes lecteurs; c'est ici que j'ai besoin de votre plume brûlante, et de votre narration rapide; c'est ici que votre inspiration m'est nécessaire pour continuer les aventures singulières de mon Victor: il va entrer dans une nouvelle carrière; et sa vertu, ferme et constante au milieu des efforts qu'on va faire pour la corrompre, a besoin d'un peintre plus habile et plus exercé que moi… Mais que dis-je? vous, auteurs distingués que j'invoque, vous avez fait des romans, vous avez créé, inventé; il était facile à votre imagination riche et féconde d'amonceler des événemens, et de mettre par-tout l'illusion à la place de la réalité, le vraisemblable à côté du vrai… Moi, j'écris une histoire véritable; je suis obligé de me renfermer dans les bornes qui me sont prescrites; je ne puis rien changer, rien altérer à mon ouvrage, si je veux être cru de mon lecteur: quelque simples que soient mes récits, ils mériteront sa confiance, son indulgence; et j'aurai du moins le mérite d'avoir su tirer de l'oubli les vertus, la constance, la fermeté et la résignation d'un jeune homme que les coups les plus imprévus d'une fortune injuste et cruelle vont attaquer successivement.

Victor passa une nuit agitée par la crainte et l'espérance: il sentit que, de la démarche qu'il allait faire, dépendait le sort de sa vie entière; il s'agissait d'obtenir Clémence ou de la fuir pour jamais. La fuir! il en avait eu déjà l'intention; il avait même essayé de s'éloigner d'elle: il en aurait eu la force alors; c'était lui seul, c'était sa seule délicatesse qui s'opposait à son bonheur. Il avait d'ailleurs l'espoir de revenir, de la revoir un jour; mais à présent, c'est une fatalité invincible qui le poursuit: il est malheureux, non par lui, mais par le hasard de sa naissance: s'il fuit Clémence, il la fuit la honte et la rougeur sur le front… Il est le fils d'un vil criminel… il lui semble qu'il porte sur ses traits le sceau de l'infamie et de la réprobation.. Cependant il est possible qu'il triomphe de Roger, il est vraisemblable même qu'il le rendra, sinon à la vertu, du moins à l'expiation du crime, à l'obscurité du remords. Alors, il revient, il épouse Clémence, et tous ses malheurs sont terminés. C'est à cette dernière idée que Victor doit s'arrêter; elle est plus naturelle, elle rit mieux à son imagination: oui, Victor sera heureux, il le sera!..

Telles sont les réflexions qui agitent son esprit jusqu'au moment où Clémence demande à lui parler… Clémence n'a pu reposer de la nuit: elle a essayé de fermer les yeux; mais un songe affreux est venu glacer ses sens… Elle a vu Victor enchaîné comme un vil criminel. Roger le serrait dans ses bras; tous deux frappaient les voûtes sombres d'un cachot de leurs lugubres gémissemens: des torches funèbres venaient tout-à-coup éclairer ce lieu sinistre: elle entendait crier: Lequel des deux faut-il immoler? Des bourreaux s'emparaient de Roger, de son fils, et ce Victor, qu'elle chérissait, disparaissait dans les airs, entraîné par un monstre ailé qui semblait vouloir le dévorer…

Clémence, éperdue, s'était réveillée en poussant des cris affreux, et elle venait chez son bien-aimé pour chercher des consolations. Je n'essaierai point de peindre une scène de tendresse bien naturelle entre ces deux amans: Clémence fondait en larmes; il lui semblait qu'elle voyait Victor pour la dernière fois, et l'arrêt du baron de Fritzierne lui paraissait injuste et barbare. Clémence n'espérait pas que Victor gagnât le farouche Roger. Elle n'avait pas assez d'expérience, ni de connaissance du cœur humain, pour se rendre raison de sa crainte; mais les femmes ont une finesse de tact, une rectitude de jugement qui les trompent rarement sur les résultats d'une affaire qu'elles ne connaissent souvent que par apperçu, et sur laquelle des hommes éclairés s'égarent, même après l'avoir étudiée à fond. Clémence croyait ne plus revoir Victor, et lui prodiguait les adieux les plus tendres… Déjà Victor s'était chargé de quelques effets qui lui étaient nécessaires; Clémence y joignit son portrait et plusieurs pièces de linge qu'elle avait tissues ou brodées de sa main. Elle voulait engager son ami à différer son départ de quelques jours: il faut te reposer un peu, lui disait-elle, des fatigues du combat d'hier; d'ailleurs, les suites de ce combat funeste exigent ta présence ici: il y a beaucoup de dégât du côté de la tour du Nord; il faut réparer les fossés, remettre toutes les armes dans l'arsenal: veux-tu laisser tous ces embarras à mon vieux père, à ton bienfaiteur, et crois-tu que ton absence nous laissera le courage de penser à autre chose qu'à toi?..

Victor fut insensible aux larmes, aux prières de Clémence; il voulait savoir sur-le-champ le sort qui l'attendait, et ne pouvait rester plus long-temps dans une incertitude qui le désespérait. Quant aux soins à prendre pour les réparations du fort, il en avait chargé Valentin, qui devait très-bien le remplacer. Victor voulait partir, rien ne devait l'arrêter, et Clémence lui promettait qu'elle le suivrait par-tout, s'il arrivait que Roger fût insensible à ses instances. Victor tâchait de combattre cette résolution, qui blessait la tendresse filiale et la reconnaissance qu'elle devait à son père, Clémence insistait, et ces deux amans faisaient assaut de tendresse et de délicatesse, lorsque Valentin se présenta les larmes aux yeux: Quoi! mon bon maître! vous allez nous quitter? – Pour quelques jours, Valentin. – Pour long-temps, monsieur, pour toujours peut-être! – Qui te l'a dit? – Oh! je le crains! – On t'a donc appris les motifs de mon départ? – Oui, monsieur, on m'a tout dit; je sais tout, et c'est toujours d'un autre que de vous; en vérité c'est bien affreux! – Valentin?.. – Oh! je vous en veux beaucoup! – Mon ami?.. – Je ne suis point votre ami, monsieur: on n'a point de secret pour son ami, et je vois bien que je ne suis que votre domestique. – Enfin, que sais-tu? – Le malheur de votre naissance; oh! mon Dieu! comme c'est injuste ça! quoi! il faut que vous soyez la victime du hasard! est-ce votre faute à vous? avez-vous pu vous choisir un père? défunt le mien, qui était un brave homme pourtant, mais qui avait bien des petits défauts, à ce que disait ma mère, eh bien! il était riche, puis il avait tout mangé: sans son inconduite, voyez-vous, je serais à présent… qui sait ce que je serais? – Valentin, voulais-tu me dire quelque chose? – Vous ne le devinez pas, monsieur, ce que je veux vous dire? vous connaissez donc bien peu mon cœur? Quoi! vous me voyez là, tout prêt à partir avec vous, à vous accompagner par-tout, et vous ne devinez pas ça? – Valentin, il faut, cette fois-ci, il faut absolument que tu restes. – Non, monsieur, non, je ne resterai pas ici. Vous croyez que je vais vous laisser aller seul au milieu d'une troupe de brigands? ils n'ont qu'à vous tuer; moi, je me reprocherais votre mort. – Ils ne me tueront point, Valentin. – Mais s'ils veulent vous retenir de force? – Je ne crains point cette violence de leur part. – Eh bien! moi je la crains, et je vais vous suivre: à deux on peut se défendre au moins.

Le bon Valentin avait mis dans sa tête le projet de suivre son maître; il fallut, pour l'en détourner, que Victor eût l'air de se fâcher sérieusement, et que Clémence employât toute son éloquence, pour engager le fidèle serviteur à ne point abandonner son père, qui avait besoin de ses soins.

Valentin se résigna à rester, non sans verser quelques larmes de sensibilité; puis, comme il sortait de l'appartement, il revint sur ses pas: À propos, dit-il, j'oubliais, monsieur… Où était donc ma tête? Tenez, voilà un paquet cacheté que M. le baron m'a chargé de vous remettre. – Quoi! répond Victor, ne veut-il point recevoir mes adieux? – Non, monsieur, ce n'est pas qu'il vous en veuille; bien au contraire, il pleure comme un enfant, et ça me fait une peine!.. Mais comme il craint de s'attendrir trop, comme il redoute les effets d'une séparation qui lui coûte, il m'a chargé de vous prier de ménager sa sensibilité, en partant sans le voir.

Victor, frappé de ce coup imprévu, mit sa main sur ses yeux, et resta quelques momens accablé; mais bientôt Clémence et Valentin parvinrent à le calmer, à lui faire comprendre que le baron était âgé, sensible, et que ce n'était que par tendresse qu'il refusait ses adieux.

Victor, pénétré, décacheta le paquet que Valentin venait de lui remettre: il y trouva une très-forte somme d'argent, et, ce qui le flatta le plus, la boîte d'or qui renfermait le portrait de sa mère. Dedans cette boîte était une lettre ainsi conçue:

«N'aggrave point ma douleur, mon cher Victor, en me faisant des adieux trop touchans pour mon cœur. Pars, va mériter la main de ton amante, ou t'en éloigner pour jamais. En quelque lieu que tu sois, j'aurai soin de ta fortune, et tu retrouveras toujours en moi ou un père, ou un bienfaiteur. Adieu.

Alexandre Bolosqui,
baron de Fritzierne»

Victor mouilla cette lettre de ses larmes, puis il y répondit en ces termes:

«Par-tout, homme sensible et généreux, par-tout je me rendrai digne de votre tendresse qui m'honore; mais si je ne puis obtenir de Clémence, s'il me faut renoncer à cette amie de mon cœur, vous n'entendrez jamais parler de moi; le désespoir abrégera mes jours, et la mort viendra mettre un terme et à mes malheurs, et à ma reconnaissance pour vous.

Victor, l'enfant de la forêt»

Valentin, qui se chargeait d'aller porter cette lettre au baron, voulait revenir sur-le-champ, afin, disait-il, de faire la conduite à son cher maître; Victor exigea qu'il ne l'accompagnât point. Reste, lui dit-il, reste auprès de mon bienfaiteur; et toi aussi, Clémence, console cet homme dont ma fatale adoption trouble les vieux ans; il souffre, il pleure, et c'est moi, moi qui suis cause de tous ses maux. Va, Clémence, va le presser dans tes bras caressans; dis-lui bien que si je ne réussis point, mon départ d'aujourd'hui sera le seul chagrin que je lui causerai.

Clémence ne peut se séparer de son ami; elle pense qu'elle ne le reverra plus; elle entrevoit un avenir sinistre; elle tombe sur le bras de Victor, et forme les projets les plus extravagans pour le suivre sous des habits d'homme… Il n'a pas assez de sa douleur, Victor; il faut que son cœur, oppressé déjà, soit brisé par les gémissemens de celle qu'il aime; il faut qu'il ait du courage pour tout le monde: on ne le ménage point, ce pauvre Victor, on le tourmente de toutes les manières.

 

Clémence ne veut point s'arracher de ses bras; elle jure qu'elle y restera, ou qu'elle le suivra par-tout. Victor ne sait plus comment se débarrasser de l'excès de sa tendresse; il a épuisé toutes les ressources de la raison et des conseils… Quelqu'un vient à son secours, et c'est madame Germain. Madame Germain vient aussi pour embrasser le fils de son amie, ce jeune homme qu'elle a tenu, nouveau né, sur son sein; mais madame Germain a du courage, de la fermeté; son œil est sec, quoique son cœur batte violemment. Elle donne à Victor des avis sages pour se conduire auprès de Roger, dont le caractère lui est parfaitement connu; puis après l'avoir instruit parfaitement des moyens qu'elle juge à propos que Victor prenne pour réussir, elle entraîne Clémence en lui parlant de son père, d'un vieillard désolé, qui réclame sa tendresse et ses soins consolateurs… Clémence jette des cris, se débarrasse des bras de son amie, et revient à Victor; mais elle ne pleure plus; son œil est sec, son regard animé: elle arrache son voile tissu d'or et de soie écarlate: Tiens, Victor, dit-elle en le présentant à son amant, prends ce voile, qu'il te serve d'écharpe, mais sur ton cœur, et non sur tes vêtemens; qu'il te conduise par-tout au champ d'honneur, et qu'il te rappelle Clémence, et cette maison hospitalière où ton enfance trouva un asyle tranquille et doux. Je ne sais, Victor, je ne sais quel pressentiment me dit qu'un jour cette écharpe amoureuse nous servira à nous… reconnaître, à nous… réunir! Jure par Dieu, par l'honneur et par ta dame, qu'elle ne te quittera jamais, et que jamais sur-tout elle n'ornera la tête d'une rivale. – Je te le jure, s'écria Victor, transporté d'amour, de crainte, d'espoir et d'admiration!..

Victor mit un genou en terre et découvrit sa poitrine, sur laquelle Clémence fixa l'écharpe, don de l'amour et de la délicatesse. Cette cérémonie, faite en présence de l'amie d'Adèle et du bon Valentin, eut encore pour témoin l'auteur de la nature, qui reçut les vœux et les prières des deux amans. Ô mon Dieu! s'écrièrent ensemble et Victor et Clémence, ô mon Dieu! toi qui connais nos cœurs et la pureté de nos sermens, daigne les consacrer, ces sermens inviolables, par ton auguste protection; vois deux jeunes infortunés que le destin poursuit et sépare, fais qu'ils se réunissent un jour pour célébrer ta justice, tes bienfaits et les chastes plaisirs de l'hymen.

Quand l'homme a prié il est plus tranquille, a dit un grand homme. Nos deux amans éprouvèrent la vérité de cette maxime. Ils se relevèrent plus fermes et plus résignés. Clémence tendit la main à son ami, qui la serra; puis madame Germain, Clémence et Valentin, laissèrent Victor seul et libre de partir.

Victor, dès ce moment, sentit se ranimer son courage, et ne songea plus qu'à son grand projet, celui de joindre Roger, et d'obtenir de lui ou Clémence, ou la mort. Son léger bagage fut bientôt prêt; il le mit sous son bras, et descendit à pas lents les degrés qui conduisaient à la première cour, où il devait traverser le fossé du château. Le pont-levis s'abaissa bientôt; Victor le traversa, puis se retournant, il le vit se relever derrière lui, peut-être, hélas! pour la dernière fois!.. Son cœur se serra, un funeste pressentiment vint agiter son esprit; il fit quelques pas, puis s'arrêta, et se retourna encore pour revoir les murs du château qui reçut sa jeunesse. En les fixant bien, il apperçut, derrière une croisée, le vieux baron soutenu par madame Germain; à côté d'eux était Clémence, les coudes appuyés sur l'appui de la croisée, et la bouche collée sur les vitraux plombés et de diverses couleurs. Tous trois suivoient des yeux leur ami, cheminant tristement dans la plaine, et semblaient déterminés à ne quitter ce lieu qu'après qu'ils ne l'auraient plus distingué. Victor, ému, leur fit, en signe d'adieux, des gestes de bras, qu'ils remarquèrent, et auxquels ils répondirent de la même manière. Adieu! adieu! adieu! se disaient réciproquement ces êtres si intéressans, et leur langage muet dura jusqu'au moment où le baron, n'y pouvant plus résister, se retira de la croisée en entraînant sa fille, qui paraissait y être attachée.

Victor comprit que son protecteur voulait faire cesser cette scène touchante; il se retourna, et prit sur lui de marcher, et de suivre sa route sans s'arrêter une seconde fois.

Pauvre Victor! tu quittes des amis bien tendres il est vrai; mais tu vas trouver un père… un père! oui, Victor, un père qui peut devenir tendre aussi et sensible. Ne l'a-t-il pas fait mettre sur son portrait, cette légende consolante pour toi: Je sais aussi connaître la nature. Alors il regardait avec intérêt ta mère, qui te nourrissait de son lait; il l'adorait, cette mère infortunée; il t'aimait aussi, et ta perte a été pour lui le plus grand des malheurs. C'est dans l'espoir de te retrouver, qu'au bout de dix-huit années, il vient encore de persécuter madame Germain; s'il l'avait en son pouvoir, les premiers mots qu'il lui adresserait seraient ceux-ci: Madame, rendez-moi mon fils; vous savez où est mon fils, madame, rendez-le-moi.… Il peut donc encore être père; et quelque scélérat qu'on soit, il est rare qu'on ne se rende pas au cri touchant de la nature. Que vas-tu lui demander d'ailleurs, Victor? qu'il fasse son propre bonheur en faisant le tien. Tu veux qu'il abandonne le sentier dangereux du crime, pour prendre un état plus doux, plus estimable, plus sûr; une honnête aisance, quelque considération et les embrassemens d'un fils, voilà ce que tu vas lui proposer; peut-il refuser un sort qui fixe à-la-fois sa tranquillité et la tienne?.. Mais que dis-je? ai-je donc oublié que cet homme, qui sait connaître la nature, a massacré la femme qu'il avait trompée, séduite et déshonorée? Ai-je donc oublié que ce monstre fut l'effroi de son pays, comme il en est l'horreur? Puis-je lui pardonner d'avoir donné la vie à un être qu'il destinait peut-être à son infâme métier? Est-ce un bienfait que cette existence douloureuse qu'il a donnée à Victor, quand il la souille par la réflexion de ses crimes, quand la naissance de Victor le bannit, pour ainsi dire, d'une maison où les êtres les plus vertueux lui avaient tendu une main généreuse; quand cette naissance infamante le prive d'une épouse chérie, d'un bienfaiteur respectable, et répand peut-être le voile sinistre du malheur sur sa vie entière?.. Non, Roger n'est point un père! il ne peut être susceptible de tendresse ni de retour; il n'a pas même de droits sur le cœur d'un fils; il doit le voir, non comme un fils chéri, mais comme un homme jeté par hasard sur la terre; un homme!.. envers qui il est comptable, et de l'existence qu'il lui a donnée sans le vouloir, sans le savoir; et des malheurs qu'il a jetés avec la vie sur cet homme infortuné.

Telles sont les réflexions que Victor fait en marchant, réflexions qui redoublent son courage, son indignation pour Roger, et le déterminent à aborder ce chef de voleurs, ainsi qu'on le verra dans le chapitre suivant.