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Victor, ou L'enfant de la forêt

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»La voiture devait aller coucher à Breteuil, pour réparer le temps qu'on avait perdu à la réparer. Il était près de neuf heures lorsqu'on arriva dans ce bourg: aussi n'y avait-il presque plus de chambres à donner à l'auberge de l'Ange couronné, la meilleure de l'endroit. Ce contre-temps désespéra madame du Sézil, qui vit bien qu'il lui faudrait partager son lit avec une des dames ses compagnes de voyage; ce qui la contrariait beaucoup. En effet, quand on eut soupé, il fallut faire le partage des chambres: il ne s'en trouva que trois; il fut décidé en conséquence que le vieux ménage en aurait une, que le militaire, le prêtre et le jeune inconnu coucheraient dans la seconde, et qu'enfin la troisième, où il n'y avait qu'un lit, serait donnée à madame du Sézil et à la compagne du militaire. Que faire? point de moyen de passer la nuit autrement, il fallut accepter cet arrangement.

»On avait soupé tous ensemble, et l'on avait même fait quelques excès excités par le militaire et l'abbé, qui s'entendaient à merveille, lorsqu'il s'agissait de boire. Madame du Sézil n'avait rien pris de plus qu'à son ordinaire; cependant elle se sentait la tête lourde; des bâillemens perpétuels annonçaient chez elle une extrême envie de dormir, et ses yeux se fermaient à tout moment malgré elle. Retirée dans sa chambre avec sa jeune compagne, elle voulut résister à cet assoupissement auquel elle n'était pas accoutumée. Elle prit donc une plume, de l'encre, du papier, et forma le projet d'écrire une lettre qu'elle pût laisser chez le marquis de Rosange, en cas qu'elle ne le trouvât pas chez lui à son arrivée à Paris. Cette lettre le préviendra, se dit-elle; elle épargnera beaucoup à ma timidité. Il y verra l'objet de ma visite, et je trouverai son front serein et ses bras ouverts, lorsque je me présenterai devant lui… Oui, écrivons…

»Elle écrit; mais à peine est-elle à la moitié de sa lettre, qu'il lui est impossible de continuer; ses yeux se ferment tout-à-fait, et elle va passer la nuit endormie sur son papier, si sa compagne, qui est déjà couchée ne la réveille en l'engageant à se mettre au lit.

»Madame du Sézil se lève, laisse sans y penser sa lettre telle qu'elle l'a commencée, et toute déployée sur la table; puis elle se couche en se plaignant d'une migraine affreuse et d'un élancement singulier dans la tête. Mais un profond sommeil vint bientôt engourdir ses sens.

»Comment vous raconterai-je maintenant l'événement singulier qui a décidé du sort de sa vie entière! Quelles expressions emploierai-je pour couvrir des détails… qu'une femme ne peut rapporter sans rougir: essayons cependant de vous faire entendre… Si vous me comprenez, j'en aurai dit assez.

»Le sommeil de madame du Sézil devint bientôt agité d'une manière extraordinaire; elle crut rêver qu'elle était dans les bras de son mari; et cette idée, embrasant son sang, elle perdit connaissance; mais elle ne la recouvra que pour faire la funeste découverte de quelque réalité dans son rêve… Un homme est dans ses bras; elle le repousse, vain effort! Le crime est consommé. Qui es-tu, s'écrie-t-elle, vil séducteur?.. – Ô la plus belle des femmes, je vous adore!.. – Quoi, vous!.. ciel! vous que j'ai cru si doux, si vertueux!.. Sortez, sortez…

»Madame du Sézil a reconnu la voix du jeune étranger, et l'indignation a succédé à la terreur, à la colère!.. Elle lui dit: sortez; mais d'une voix tremblante. Elle n'a plus la force de le repousser, elle ne peut que verser un torrent de larmes!.. L'étranger en est ému. Je ne suis point vicieux, lui dit-il, je ne suis qu'un jeune homme brûlant, ivre d'amour, et qui n'a pu résister au desir de vous posséder… Oh! daignez me pardonner!.. – Te pardonner, monstre, après m'avoir déshonorée!.. – Ma conduite vous prouvera mes remords et ma tendresse: oui, quelque part où vous soyez, j'en jure par l'amour, je ne vous abandonnerai point… et peut-être un jour… si un père n'exigeait pas de moi un sacrifice!.. Oui, oui, un jour nous nous reverrons, nous nous reverrons, j'en ai l'heureux pressentiment!..

»À ces mots, le suborneur se retire, et madame du Sézil n'a point le courage de lui adresser de nouveaux reproches; elle est tellement étourdie du crime dont elle vient d'être la victime, qu'elle est anéantie dans une mer de réflexions douloureuses!.. Quel est cet étranger, qui, même au milieu des violences les plus coupables, conserve encore l'accent et le langage du sentiment! L'amour seul aurait-il causé sa faute? L'amour! que ce motif l'excuse auprès de madame du Sézil! Non, il ne peut être vicieux, il n'est qu'égaré!.. Mais dieux! quelle fatale aventure!.. Si elle se répand, si cette femme perfide, instrument du crime, qui a livré à un suborneur sa place dans le lit de l'innocence, si elle parle, quelle honte! quel déshonneur! Madame du Sézil verse toujours des pleurs, qui, peu à peu la replongent dans un sommeil, dont les monstres, pour le troubler d'une manière aussi criminelle, ont sans doute doublé la force par quelque boisson.

»On la réveille enfin, et ce sont les cris du conducteur qui lui annoncent que la voiture va partir. Madame du Sézil ouvre les yeux et frémit… Son cœur se serre en se rappelant son malheur, et une rougeur subite couvre son front. C'est elle qui rougit, c'est elle qui éprouve de la honte, tandis que les vrais coupables ont sans doute le calme et la sérénité de la vertu… Madame du Sézil ne peut se décider à poursuivre sa route avec ceux qui l'ont déshonorée… Que fera-t-elle? Ira-t-elle se plaindre à l'hôte, à l'hôtesse? De quoi? D'une aventure dont le public est toujours disposé à rire, et dont le ridicule retombe souvent sur la femme qui en est l'héroïne! Non, il faut se taire, il faut cacher à jamais au fond de son cœur ce fatal secret; mais en même temps, il faut fuir la présence de ceux qui l'ont trompée; elle ne pourrait soutenir leur vue ni leur sourire malin: elle doit donc rester seule avec son déshonneur et ses regrets.

»Je ne sais, monsieur le baron, si cette aventure vous a paru singulière et peu commune; mais j'ai dû vous la raconter pour vous amener à l'histoire de ma tendre amie; car de cette nuit fatale, de ce crime affreux commis sur la vertueuse madame du Sézil, est née ma malheureuse compagne, la sensible Adèle, ta mère, ô mon cher Victor!.. Oui, mon Victor, ta mère a dû le jour à madame du Sézil, et à ce jeune inconnu, que nous retrouverons néanmoins par la suite; mais suivons le fi des événemens qui doivent nous le ramener».

CHAPITRE V.
TOUT LE MONDE LA TROMPE

«Madame du Sézil se lève aux cris du conducteur, et fait ensemble toutes les réflexions que je viens de vous communiquer. Elle met ses deux mains sur son front, et se détermine à cacher son malheur à tout le monde. Si M. de Rosange, se dit-elle, si ce respectable bienfaiteur connaissait ma faute!.. Je lui écrivais, à ce digne ami de mon époux; je lui marquais!..

»Elle va pour mettre la main sur sa lettre, elle ne la trouve plus! Ciel, s'écrie-t-elle, qui peut me l'avoir prise!.. Elle cherche encore cette lettre, où le secret de son voyage est renfermé; elle est disparue. À sa place est un autre billet conçu en ces termes:

«Je pars, j'emporte le regret d'avoir déshonoré la plus estimable des femmes! La raison a repris son empire sur mes sens trop impétueux!.. Je reconnais mon crime, et si je vis assez pour pouvoir le réparer, ô femme accomplie! aucun sacrifice ne me coûtera… Soyez tranquille sur votre lettre, je l'ai, elle m'a appris votre nom; c'est tout ce que je desirais savoir. Adieu. J'emporte à la fois, au fond de mon cœur, le remords et l'amour, qui ne me quitteront qu'au tombeau… Adieu! Il est possible que vous ne me revoyiez jamais, mais vous me retrouverez toujours près de vous. J. R.»

»Madame du Sézil relit plusieurs fois ce singulier billet; elle rougit de nouveau à ces mots: elle m'a appris votre nom; c'est tout ce que je desirais savoir… Mais c'est sur-tout à cet endroit de la lettre que sa pénétration l'abandonne: Il est possible que vous ne me revoyiez jamais; mais vous me retrouverez toujours près de vous… Que signifie cette phrase mystérieuse! Quoi! cet homme coupable va donc l'obséder sans cesse; il va donc jouir continuellement de son triomphe! Est-ce là ce qu'il veut dire? vous me retrouverez! Oui, sans doute, je ne te retrouverai que trop, homme sans honneur, sans délicatesse! Oui, à toute heure, chaque jour, toute la vie, tu seras présent à ma mémoire: tu seras toujours là, là, devant mes yeux, pour faire rougir mon front, et oppresser mon cœur que tu as lâchement trompé… Je te dois la perte de ma vertu, de mon innocence, de ma tranquillité: juge si je dois te retrouver sans cesse!

»L'infortunée descend dans la grande salle de l'auberge, dans l'intention de congédier le conducteur de la voiture, et d'attendre qu'il se présente une autre occasion de continuer sa route. Elle apprend par hasard que le jeune inconnu est parti seul, de grand matin. Quoiqu'elle ne dût plus le rencontrer dans la voiture, elle ne voulut pas y monter, pour ne plus revoir cette malheureuse femme qui l'avait trahie, en la livrant à son séducteur. En conséquence, le conducteur, prévenu par elle, fouette ses chevaux, et la voiture part avec deux voyageurs de moins. Je laisse le militaire et sa maîtresse, le vieux couple et l'abbé, s'entretenir peut-être de cette aventure, qui leur paraît sans doute plaisante. Ils ignorent jusqu'aux noms des acteurs de la scène, ainsi leur estime ou leur mépris doivent être fort indifférens pour nous. Je reviens à madame du Sézil, qui est restée dans l'auberge, seule, en proie à sa douleur, et en attendant qu'il se présente une place dans une autre voiture qui puisse la conduire à Paris, où elle a toujours dessein d'aller. La pâleur que lui avait causée le chagrin de la perte de son mari, s'était encore accrue par la douleur qu'elle éprouvait de son aventure: sa faiblesse était extrême, et sa raison paraissait même un peu aliénée. Dans cet état cruel, elle était si intéressante, que l'hôtesse s'empressa de lui prodiguer les soins les plus touchans. Dans l'après-midi, madame du Sézil se trouva mal; on fut obligé de la mettre au lit, et l'hôtesse eut la complaisance de passer elle-même la nuit dans sa chambre. Le lendemain matin, madame du Sézil se sentit mieux, elle se leva; l'hôtesse ouvrit sa valise, y prit ce qui était nécessaire, et l'habilla avec les marques de l'amitié la plus touchante. Tant de soins pénétrèrent de reconnaissance la sensible madame du Sézil, qui remercia l'hôtesse avec sensibilité; celle-ci lui répondit en l'embrassant, et en lui protestant que de tous les voyageurs qui étaient descendus chez elle, aucun ne lui avait encore inspiré tant d'intérêt. Sur le soir il arriva un carrosse d'Amiens, dans lequel il se trouva justement une place: madame du Sézil la retint pour le lendemain matin. Enchantée de cet heureux hasard, qui lui faisait quitter une maison triste par les souvenirs douloureux qu'elle lui rappelait, elle sentit renaître ses forces et son courage; elle passa même une bonne nuit. Éveillée de bonne heure, elle trouva l'hôtesse dans sa chambre, occupée à remettre tout en place dans sa valise: cette femme avait tellement mérité la confiance de madame du Sézil, que cette dernière ne craignait pas qu'elle détournât quelques-uns de ses effets. Quand elle eut fermé la valise, madame du Sézil lui dit: N'avez-vous rien oublié, ma chère hôtesse? – Rien, ma chère dame, rien: vous y trouverez tout, tout, et même plus que vous ne pensez. – Comment! que voulez-vous dire? Je veux dire que j'y ai mis plus d'ordre qu'il n'y en avait, plus que vous ne pensiez que j'étais capable d'en mettre apparemment. – Pardon, chère hôtesse, je n'ai pas entendu vous chagriner. Voulez-vous bien me dire combien je vous dois? – Rien, ma bonne dame, rien. – Comment, rien! – Non, je suis payée. – Payée! et par qui? – Oh! par qui, par qui? je suis payée, cela doit vous suffire. – Mais encore? Depuis deux jours que je suis ici, ma dépense… – Ne vous regarde pas, encore une fois… – Très-sérieusement, madame, je ne vous comprends pas, et je me fâche avec vous, si vous ne me dites sur-le-champ comment vous vous trouvez payée, quand je ne connais personne capable… – Personne! (en souriant) ah! personne! et ce beau cavalier qui s'en est allé l'avant-dernière nuit à cinq heures du matin, madame ne le connaît pas, non? (Madame du Sézil rougit.) Allons, il ne faut pas rougir pour cela; au surplus si vous ne le connaissez pas, il vous connaît bien, lui; car, en s'en allant, il m'a recommandé d'avoir pour vous les plus grands soins, les plus grandes attentions; eh puis, c'est qu'il m'a donné beaucoup d'argent pour cela. – Il vous a donné?.. – Enfin je suis contente. – Madame, je ne veux pas, je ne puis consentir… je vous en prie, ma chère hôtesse; des raisons particulières m'engagent à vous prier de distribuer à quelques infortunés la somme qu'il vous a remise: je veux payer ma dépense; elle me regarde, je crois; et ce monsieur si obligeant!.. – Oh! comme il m'a parlé de vous! il m'a demandé de l'encre et du papier; puis il a écrit une lettre qu'il a remise à cette jeune personne qui a couché dans votre chambre: elle a dû vous la rendre, cette lettre, car il le lui a bien recommandé; et puis, c'est qu'il pleurait, ce pauvre jeune homme!.. – Il… – Oui, madame, il pleurait, il sanglotait à nous fendre le cœur à tous; car mon mari, qui n'est pourtant pas bon, eh bien! il en avait la larme à l'œil.

 

»Madame du Sézil, honteuse à l'excès de se voir défrayée par l'étranger, veut répondre à cette femme; mais le fouet du cocher se fait entendre. Pierre, s'écrie l'hôtesse en appelant un de ses garçons, portez vîte la valise de madame à la voiture.

»Pierre emporte la valise, le cocher appelle madame du Sézil, elle est obligée de partir: l'hôtesse lui demande la permission de l'embrasser, madame du Sézil se prête au desir de cette bonne femme; puis, sans lui dire un mot, elle se précipite dans la voiture, qui a déjà fait une lieue, sans que notre voyageuse ait pensé à examiner les nouveaux individus avec lesquels elle se trouve.

»Elle y fut forcée cependant par une conversation assez vive qui se tenait à côté d'elle, et à laquelle elle n'avait pas fait encore la plus légère attention. Oui, monsieur, disait un gros homme à un jeune officier, je le poursuivrai par-tout, cet infâme ravisseur, je lui demanderai compte de sa conduite; il a déshonoré ma fille! – Mais, monsieur, répondait l'officier, êtes-vous sûr?.. – Sûr, oh! très-sûr, mon cher monsieur; et ma fille elle-même sera bien punie, je la rejette loin de mon sein paternel. Comment! elle se laisse… séduire par un homme qu'elle ne connaît pas, qu'elle voit pour la première fois, dont même elle ignore de nom? – Peut être la violence… – Il n'y a pas de violence, monsieur, qui puisse empêcher une femme de résister; quand elle veut se défendre, elle en trouve les moyens. On ne me persuadera jamais qu'on puisse prendre une femme de force: elle peut faire quelques façons d'abord; mais les sens s'en mêlent, et puis votre serviteur. – Et vous dites qu'elle est enceinte? – Oui, monsieur, elle l'est; vous voyez qu'elle est déshonorée à jamais.

»À cette conversation, qui avait quelque rapport avec sa situation, madame du Sézil fut frappée d'une terreur soudaine. Ce mot: elle est enceinte, lui fit craindre pour elle le même sort; elle n'avait pas encore prévu ce dernier malheur; un pressentiment funeste l'avertissait intérieurement qu'il était certain. Elle fit tous ses efforts pour retenir ses larmes et cacher sa honte; mais elle fut sur le point de perdre connaissance lorsque le vieillard fit à son ami le portrait du suborneur de sa fille. Ce portrait s'accordait parfaitement avec celui de l'audacieux étranger: même taille, mêmes traits, même douceur. Serait-ce lui, se dit-elle à elle-même? serait-ce ce perfide, qui se ferait un jeu cruel de tromper toutes les femmes qu'il rencontre?..

»Madame du Sézil crut n'avoir plus lieu de douter que ce fût lui; mais elle fut bientôt agréablement désabusée, lorsque le vieillard ajouta: Mais ce qui vous inspirera, monsieur, plus de mépris pour ce scélérat, c'est qu'il a quarante ans au moins; c'est qu'il est marié, et père de famille comme moi…

»Ces mots répandirent la consolation dans l'ame de notre voyageuse; elle sentit renaître sa fermeté, et ne pensa même plus aux funestes applications qu'elle pouvait se faire à elle-même dans la conversation qu'elle entendait, tant il est vrai que le jeune inconnu avait réellement touché le cœur de cette femme sensible, et qu'elle était disposée à lui pardonner moins, envers une autre, la conduite qu'il avait tenue envers elle. Quand il la conjurait de lui pardonner sa faute, le coupable avait, dans le cœur de sa victime, un défenseur plus puissant que lui, et qu'elle ne connaissait pas elle-même, l'amour, l'amour! qui fait excuser tous les torts de la jeunesse; mais cet amour, chez madame du Sézil, était subordonné à l'estime de soi-même, à la crainte du mépris, du déshonneur; à la honte enfin d'avoir été trompée.

»La voiture vint coucher le soir à Clermont à l'auberge du Cygne royal, où madame du Sézil obtint une chambre particulière pour elle seule. Vous jugez combien fut agitée la nuit qu'elle passa!.. Le lendemain, elle remonte tristement dans sa voiture qui se met en route; mais à peine les chevaux ont-ils fait quelques pas, qu'un petit garçon de l'auberge du Cygne court après: Arrête, arrête, crie-t-il au cocher? Le cocher arrête, le petit garçon monte à la portière, puis présentant un paquet à madame du Sézil: Voilà, madame, lui dit-il, ce qu'on m'a dit de vous remettre. – À moi? – À vous. – De quelle part?..

»Le petit garçon s'est déjà sauvé à toutes jambes, et la voiture s'est remise en marche. Madame du Sézil, interdite, sent que le paquet est un peu lourd; et n'osant pas l'ouvrir devant des étrangers, elle le met dans sa poche, en affectant un air d'indifférence qu'elle est bien éloignée d'éprouver. En effet, qui peut la connaître sur cette route? Quelle correspondance peut-elle avoir, puisqu'elle n'a ni amis, ni parens qui s'intéressent à sa triste existence! Elle a bien envie de jeter ses soupçons sur l'étranger; mais elle fait tous ses efforts pour réprimer ce desir, pour détourner sa pensée d'un homme qui lui fait horreur: du moins c'est ainsi qu'elle cherche à se faire illusion.

»Ce fut à la dînée, qui eut lieu à Luzarches, que madame du Sézil voulut examiner le paquet mystérieux; mais mille obstacles l'en empêchèrent. L'auberge était pleine de voyageurs curieux, qui, voyant une jeune veuve, qu'un air de tristesse rendait plus intéressante, l'obsédaient avec importunité, dans quelque lieu qu'elle se retirât… Il fallut donc que notre belle voyageuse réprimât sa curiosité, et attendît qu'elle fût arrivée à Paris, où elle devait descendre le même soir. Il lui en coûtait sans doute pour se contraindre ainsi; mais il le fallait.

»La nuit commençait à s'épaissir lorsque madame du Sézil se vit enfin au comble de ses vœux: un vaste fauxbourg se présente à ses regards, c'est le fauxbourg Saint-Denis, c'est une des entrées de Paris. Quel bonheur! elle va être libre, tranquille, et dégagée des importuns, dont les regards indiscrets l'ont assiégée pendant toute sa route. La voiture s'arrête à la porte d'un roulage: chacun descend, se salue, se fait les complimens d'usage. Madame du Sézil abrège les siens, fait charger sa valise sur les épaules du seul commissionnaire qui se trouve là, et part sans destination fixe, mais enchantée de se voir dans une ville l'objet de tous ses desirs. Où va madame, lui demande le commissionnaire? Madame du Sézil regarde cet homme, dont la physionomie ouverte et franche inspire de la confiance, et lui répond d'un air indécis: Mon ami, je n'en sais rien. – Madame ne va point chez des amis? – Hélas! mon cher, je n'en ai point. Une dame aussi respectable que madame, ne devrait point en manquer. – Je ne connais personne ici, j'y viens pour affaire… Sauriez-vous m'indiquer quelque endroit honnête où une femme pût loger décemment? je n'aime point les maisons garnies. – Vraiment, si madame y consentait… j'ai ma mère qui demeure avec moi; la mère Michel, tout le monde l'estime dans le quartier; elle a deux petites chambres très-propres que madame pourrait occuper… pour ce soir toujours, car il est tard. Madame verrait demain à prendre un autre logement, si le nôtre ne lui convenait pas. – J'accepte mon ami; tu me parais un honnête homme, et… – Oh! pour ça!.. – Où demeure ta mère? – C'est un peu loin d'ici, madame; mais le quartier est beau; si madame connaissait Paris, je lui dirais que c'est tout près du Luxembourg. – J'en ai entendu parler. – Quoi! de ma mère? De la mère Michel?

»Madame du Sézil ne put s'empêcher de sourire de la naïveté de ce bon garçon, naïveté qui prouvait au fond sa tendresse pour sa mère: elle le suivit sans crainte, et remercia même intérieurement la providence de lui envoyer un asyle plus sûr, plus décent, qu'une auberge, dont le nom seul la faisait frémir. Elle traverse donc tout Paris avec son zélé conducteur, qui paraît avoir déjà pour elle les plus grands soins, et qui même cherche à la distraire de ses sombres réflexions, soit en lui racontant quelque trait plaisant, soit en lui faisant remarquer les rues, les quais et les ponts qu'ils sont obligés de traverser. Notre belle voyageuse commençait à se fatiguer lorsque son guide s'arrêta à la porte d'une maison qui avait une apparence assez honnête. C'est ici, lui dit-il, nous demeurons au troisième: cette rue-ci est la rue de Vaugirard, voilà le Luxembourg, et ce beau jardin que vous voyez, à gauche, est le jardin de l'hôtel de Condé4. Madame du Sézil monte; elle est parfaitement reçue par une femme dont l'extérieur annonce la pauvreté, mais qui porte sur sa figure la douceur de la bonté, et l'air ouvert de la franchise. La mère Michel, mise au fait par son fils, le remercie de lui avoir amené une aussi belle étrangère; elle montre les deux chambres en question à madame du Sézil, qui en est très-contente; puis la bonne mère s'occupe de faire son soupé, qu'elle doit partager avec sa nouvelle pensionnaire. Madame du Sézil est enchantée des prévenances aimables de la mère et du fils; elle a voulu payer à ce dernier le port de sa valise. Laissez donc, madame, a-t-il répondu, cela viendra avec autre chose: nous allons avoir des comptes ensemble…

 

»Pendant que la mère Michel fait son petit ménage, madame du Sézil prend une lumière, et demande qu'on la laisse seule un moment dans sa chambre. Entrons-y avec elle, et voyons ce que renferme le paquet que lui a remis le petit garçon de l'auberge de Clermont; car ce ne peut être que pour satisfaire sa curiosité que notre héroïne a demandé à ses hôtes un moment de solitude».

4Le lecteur ne doit pas oublier qu'il y a plus de cent ans que cette histoire est arrivée.