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Aux glaces polaires

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Il a laissé quelques phrases sur son audacieux essai:

Cette partie du fleuve géant était décrite comme pleine de dangers et d’une navigation presque impossible. L’évêque de Saint-Boniface, devant se rendre au lac Athabaska, choisit cette route inconnue et réputée si dangereuse. Il eut le plaisir de constater qu’il y avait beaucoup d’exagération dans tous ces récits effrayants, et que cette rivière ressemble à tant d’autres sur lesquelles on navigue tous les jours. Après sept jours et deux nuits d’une marche heureuse, il arrivait à 2 heures du matin, pour donner le Benedicamus Domino aux missionnaires du lac Athabaska. C’était le 2 juillet, joli jour pour une visite! Les Pères Grollier et Grandin, et le Frère Alexis, réveillés en sursaut à la voix de leur évêque, versèrent des larmes de joie, en voyant leur supérieur plus tôt qu’ils ne l’attendaient, et échappé heureusement aux dangers prétendus, mais supposés réels, de cette navigation.

Mgr Taché parlait donc des plus grands «dangers» du Nord avec l’indifférence que mettent nos poilus à raconter leurs batailles. Il s’y était habitué. Puis, c’était un modeste. Enfin, il écrivait en 1865, date où il importait de ne pas décourager ses missionnaires.

Pendant onze ans, de 1856 à 1867, les rapides furent rendus à leur solitude et aux ébats des Peaux-Rouges, tandis que la mission de Notre-Dame des Victoires se développait dans le sens de son importance à venir.

En 1867, la première caravane blanche des rapides s’organisa. Elle comptait Mgr Faraud, devenu vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie depuis quatre ans, et cinq Sœurs de la Charité, dites Sœurs Grises de Montréal, qui allaient fonder leur premier établissement arctique, au fort Providence, sur le fleuve Mackenzie. Cette odyssée d’aventures et de bravoure, aussi gaiement et simplement racontée par les religieuses elles-mêmes qu’elle avait été accomplie, fut publiée cinquante ans plus tard, pour la première fois, au cours d’un livre qui tâche de résumer les travaux des Sœurs Grises dans l’Extrême-Nord, et que S. G. Mgr Breynat, vicaire apostolique du Mackenzie, a dédié, en «hommage jubilaire», à celles qui travaillèrent avec nous dans la diffusion de l’Evangile.11

Le lendemain de Noël 1869, après avoir veillé à l’installation des Sœurs Grises, au fort Providence, et pourvu aux premiers besoins de leur orphelinat-hôpital, Mgr Faraud «chaussa les raquettes» et s’achemina de nouveau vers le lac la Biche.

Il y arriva, en février 1870, et n’eut que le temps d’aviser aussitôt à l’expédition des colis que Mgr Taché, prévenu de la décision de la Compagnie, avait dirigés, dès 1869, de Saint-Boniface sur le lac la Biche.

Mgr Faraud demeura vingt ans au poste du lac la Biche. Ce fut le champ principal de sa vie d’évêque.

Vingt ans de calculs, de soucis, de correspondances, de travaux manuels exigés par l’arrivée, la mise en ordre et l’envoi des pièces, malgré les continuelles souffrances d’un organisme ruiné par la fatigue et les privations. Vingt ans de labeur qui suffirent à établir son vicariat sur des bases qui le supportent encore aujourd’hui, tout dédoublé qu’il soit en Athabaska et en Mackenzie.

Il eut pour l’assister, pendant ces vingt ans, des auxiliaires de tout dévouement, parmi lesquels les Pères Maisonneuve, Tissot, Grouard, Collignon, Leduc, Henri Grandin.

La première expédition, faite du lac la Biche pour Mac-Murray, consistait en une barge, contenant 80 pièces de 100 livres chacune. C’était peu; mais c’était beaucoup plus déjà que n’en avait jamais permis la route du Portage la Loche.

Bientôt le convoi se doubla, et les missions purent se doubler aussi. Les deux barges étaient frétées régulièrement, à la débâcle de mai, et partaient, poussées par 17 rameurs, sur les premières eaux.

Plusieurs fois elles échouèrent dans les rapides. Elles s’y brisèrent. L’une ou l’autre y laissa, en tout ou en partie, son précieux chargement. Il y eut des retards, des déceptions. Il arriva à des guides sans pitié d’y abandonner les voyageurs. Plusieurs y furent blessés. D’aucuns y furent réduits aux extrémités de la misère. Mgr Faraud lui-même faillit y mourir de faim. Mais, comme si la bénédiction de Mgr Taché eût lié les maléfices de ces rapides de l’Athabaska, nul missionnaire n’y périt, pas plus durant les vingt ans de Mgr Faraud, que durant les vingt-huit qui suivirent, sous Mgr Grouard et sous Mgr Breynat, tandis que des commerçants, explorateurs et touristes y trouvèrent la mort.

Tout en veillant à la marche ordinaire des affaires, Mgr Faraud tenta, dès 1870, la réalisation d’un projet, consistant à tailler en plein bois, du lac la Biche à Mac-Murray, un chemin continu et direct de voitures, qui brûlerait l’étape des rapides. Il y travailla à plusieurs reprises, mais en pure perte, car les moyens d’action trahirent sa volonté; et les 120 kilomètres apprêtés durent être abandonnés, sans avoir jamais servi.

Non découragé par cet échec, il tourna ses efforts contre la petite rivière la Biche, qu’il fallait descendre pour parvenir à la rivière Athabaska, et dont les propres rapides, quoique moins périlleux que ceux de l’Athabaska, ne laissaient pas d’être très incommodes par leurs crues capricieuses, leurs eaux souvent trop basses et les retards qui s’ensuivaient. Il envoya le Père Collignon et quelques ouvriers pratiquer dans la forêt une «trouée de 80 kilomètres de long sur 4 mètres de large». Ce chemin fut en usage de 1878 à 1889.

Voulez-vous avoir une idée du premier voyage effectué sur cette nouvelle voie? dit Mgr Grouard, qui conduisit les premières voitures. Le sol, que n’a encore pressé aucune roue, se défonce bientôt, et les mille souches des arbres abattus relèvent leurs têtes contre lesquelles, bon gré mal gré, conducteurs, bœufs et véhicules vont se heurter à chaque pas. Puis, se présente une lisière de terrain bas et marécageux. Le premier bœuf y laisse une profonde empreinte, le second enfonce jusqu’aux genoux, le troisième jusqu’au poitrail, et les charrettes à l’avenant. Le quatrième bœuf en aurait par-dessus les cornes, si l’on ne prenait la précaution de joncher le sol de branches et de fascines, à l’aide desquelles le passage peut s’effectuer. Or, cette succession de souches et de fondrières est presque ininterrompue. Aussi, mainte voiture se disloque ou se renverse, ou même reste hors de combat. Mais, peu nous importe, puisque nous arrivons enfin sur les bords de la rivière Athabaska, et que nos missionnaires recevront encore leurs approvisionnements.

Nous avons dit que le lac la Biche communiquait avec la Rivière-Rouge (Saint-Boniface) par la prairie. Ce n’était pas directement toutefois. Il y avait encore, au sud du lac, plus de 160 kilomètres boisés à ouvrir. Le Père Maisonneuve, durant les années de «préparation», défricha ce chemin, qu’il poursuivit jusqu’au fort Pitt, situé à 225 kilomètres au sud-est du lac la Biche, sur la branche nord de la rivière Saskatchewan et sur la grande route de la prairie.

La prairie, que de souvenirs évoque ce mot!

La prairie ne connaissait jadis que la voie tortueuse et très dure à la touée de la Saskatchewan12. Les barques de la Compagnie la remontaient, chaque printemps, pour alimenter les forts-de-traite du Nord-Ouest.

Le premier blanc, qui eut la hardiesse de s’engager à travers la prairie elle-même, fut le Père Albert Lacombe. C’est en 1860 qu’il partit du lac Sainte-Anne, à 64 kilomètres à l’ouest d’Edmonton, pour cette exploration. Il dirigea sa marche sur Saint-Boniface. Rien ne le déconcerta dans cette «traversée» de 1.500 kilomètres: ni les accidents de terrain qui coupaient en tous sens la grande plaine sauvage, ni les bandes de Cris, d’Assiniboines et de Sauteux qui la terrorisaient.

C’est sur ce chemin du large, découvert et jalonné par le Père Lacombe; c’est à sa suite et à la faveur de son prestige sur les brigands indiens – détails singulièrement oubliés par nombre d’auteurs qui se targuent d’exactitude et de justice – que toutes les caravanes du Nord, commerçantes, exploratrices et apostoliques, passèrent pendant trente ans.

Le voyage «par la prairie», relativement facile aux années favorables, devenait extrêmement pénible aux saisons pluvieuses, et deux mois n’y suffisaient plus alors:

Le trajet de Saint-Boniface au lac la Biche, raconte, en 1880, Mgr Clut, auxiliaire de Mgr Faraud, nous prit soixante-quinze jours. Nos animaux, ne pouvant s’arracher des bourbiers, des marais et des fondrières presque continuels, les missionnaires étaient obligés de marcher dans l’eau glacée et de patauger dans la boue pour leur venir en aide.

Vers le milieu du voyage, une épreuve nouvelle nous attendait. Nous vîmes apparaître des essaims nombreux de maringouins, moustiques et brûlots. L’air en était tout rempli. Aussi mes pauvres missionnaires eurent-ils bientôt les mains, le visage et le cou tout enflés de piqûres. Si, par avance, je ne leur eusse procuré des moustiquaires, ils n’auraient pu résister. Cependant, malgré les insectes, malgré la fatigue, malgré l’intempérie de la saison, tous étaient gais13.

 

Les bœufs, «au pas tranquille et lent», furent d’abord les seuls animaux de trait de la prairie. Attelés, chacun à sa charrette, ils ne remorquaient pas plus vite les brigades de l’Ouest canadien que leurs aïeux, par quatre attelés, ne promenaient dans Paris le monarque fainéant…

Les chevaux, essayés ensuite, perdaient à s’enfoncer dans les bourbiers, à casser leurs timons, ce qu’ils regagnaient quelquefois en vitesse. Dételés, il leur arrivait de «reprendre la venelle», et des journées se passaient à les retrouver.

Les charrettes sans ressorts, les charrettes criardes, les légendaires charrettes de la Rivière-Rouge, se fabriquaient toutes en bois, même les essieux. C’était afin d’être réparées à l’aide de n’importe quel morceau d’occasion que taillait la hache, afin aussi de devenir barques plus légères, lorsqu’il faudrait les démonter pour les lancer à travers les cours d’eau.

La patience était la première vertu de la prairie, et la joviale promptitude à se jeter dans les «mauvais pas», avec bœufs et véhicules, la seconde.

Il n’est soutanes noires ou violettes, il n’est robe grise de ce quart de siècle qui n’eurent à prendre et à reprendre leur bain de boue, du pied au genou toujours, du genou à l’épaule souvent, au-dessus quelquefois, selon les fondrières, et, un peu, selon le savoir-faire… En 1883, à la fin d’une traversée de la prairie, à laquelle avait pris part le R. P. Soullier, assistant du supérieur général des Oblats de Marie Immaculée, et visiteur des missions d’Amérique, Mgr Grandin faisait au supérieur général le compte rendu de l’expédition, lui disant, non sans une légère malice professionnelle:

Le Pauvre Père Visiteur, malgré toutes nos précautions pour lui rendre le voyage moins pénible, a cependant eu beaucoup à souffrir. Lui aussi a dû plusieurs fois pousser à la roue et suer, pour faire avancer sa voiture embourbée. Il vous racontera de vive voix sans doute ses mille aventures. Elles vous seront alors plus agréables qu’elles ne l’ont été pour lui. Bien des fois je l’ai entendu dire, dans nos campements: « – Oh! si nos Pères de Paris pouvaient nous voir ici!..» Le R. P. Soullier est certainement plus habile à conduire les hommes que les chevaux et les bœufs…

Ainsi cheminèrent longtemps les bohémiens de l’apostolat, tantôt cahin-caha sur leur roulotte, tantôt à petits pas, tout à côté, bravant le soleil et les orages, chassant le gibier des savanes, s’arrêtant pour les trois Angelus et les repas en plein air, boucanant les maringouins autour des lits d’herbage, étendus sous les étoiles. N’y eut-il pas, mêlée à leurs fatigues, un peu de poésie pastorale, à jamais évanouie? Nous le croirions, nous, les derniers venus, qui naissions à peine, lorsque ces patriarcales processions allaient finir, et qui, voyageant aujourd’hui dans la même prairie sans bornes, avec les vétérans d’alors, les voyons regarder mélancoliquement, par la vitre tremblante du wagon, le grand sahara de verdure, qui s’évade en deux jours à nos yeux, et qu’ils traversaient jadis en deux mois de misère et de liberté.

Dès 1882, tout en continuant à conduire les voyageurs par la prairie, les charrettes cédèrent le matériel à des bateaux à vapeur que la Compagnie mettait en opération sur la Saskatchewan. Ce fut une période de désarroi; et le vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie regretta un tel progrès. Ces steamers fonctionnaient au plus mal et débarquaient leurs chargements, à l’aveugle, on ne savait sur quels rivages.

Cependant les épreuves de Mgr Faraud vinrent à leur terme.

En 1889, vingtième année de son établissement au lac la Biche, il expédia les deux barges accoutumées, il remit la mission de Notre-Dame des Victoires au diocèse de Saint-Albert, qui l’avait fraternellement prêtée, et descendit à Saint-Boniface, où l’attendait l’heure de la récompense.

Le lac la Biche était donc abandonné par l’Athabaska-Mackenzie. Qu’était-il advenu?

Rassurés par l’exemple des missionnaires, de nombreux petits commerçants avaient fait leur apparition sur les rapides. Arrivés les premiers au fort Mac-Murray, avec leurs articles de traite, ils avaient le premier choix dans les fourrures des sauvages. La Compagnie de la Baie d’Hudson comprit alors que son obstination dans le Portage la Loche lui deviendrait funeste et se décida à suivre, comme les autres, le chemin direct de la rivière Athabaska, par les rapides.

Elle eut d’abord recours aux missionnaires. Mgr Faraud écrivait, en 1884:

Nous sommes organisés mieux que personne pour franchir ce difficile passage. La Compagnie elle-même n’a réussi depuis trois ans à transporter ses bagages qu’à l’aide de nos guides, de nos hommes et de nos barges.

Mais, en 1887, résolue à écraser toutes les concurrences, elle envoya dans l’Extrême-Nord, par les barges de la mission encore, les pièces d’un vapeur.

En même temps, elle ouvrait un chemin de 160 kilomètres, entre le coude le plus au sud de la rivière Athabaska, endroit dénommé Athabaska-Landing, et Edmonton, ville la plus septentrionale de la prairie, et dont le chemin de fer se rapprochait chaque jour.

Le chemin du fort Pitt au lac la Biche et celui du lac la Biche à la rivière Athabaska tombaient, du même coup, en désuétude.

C’est alors que la Compagnie offrit à Mgr Faraud de reprendre complètement ses transports et leur distribution dans tout le Nord, y compris le passage des rapides.

Mgr Faraud accepta d’autant plus volontiers que les guides formés par lui, mais sollicités par des offres rivales, lui devenaient de plus en plus onéreux, infidèles même; et que, d’autre part, ses infirmités, avec l’insuffisance de son personnel, lui causaient des inquiétudes sans cesse croissantes.

Il n’eut pas la douleur de savoir que sa bonne foi allait être trompée, car il mourut l’année suivante, 1890, et ce fut Mgr Grouard qui reçut, avec l’honneur de sa succession, le fardeau aggravé de ses charges.

La Compagnie, voyant tomber Mgr Faraud, crut-elle tenir de nouveau à ses pieds les missions du Nord? Sous de futiles prétextes, elle avertit Mgr Grouard qu’au lieu de la piastre (5 fr. 15) convenue pour le transport d’une pièce, d’un fort à l’autre, il aurait à en payer deux.

Se soumettre à pareille exaction, c’était en peu d’années saigner à blanc l’œuvre vitale. Mgr Grouard rompit en visière, et déclara qu’il se passerait de la Compagnie.

On était en 1891. Il se hâta de «sortir du Mackenzie», où ses bulles venaient de l’atteindre, se fit bâtir un hangar, à lui, à Athabaska-Landing, par les Pères Husson et Collignon, reçut, en passant à Saint-Boniface, la consécration épiscopale, et, la besace sur l’épaule, continua sa course à travers le Canada, les Etats-Unis et l’Europe, pour mendier de la charité chrétienne le salut de ses missions.

Il réussit.

En 1892, une scierie à vapeur, fruit de ces aumônes, s’installait au lac Athabaska et débitait les planches destinées à devenir la coque du steamer Saint-Joseph.

Le Saint-Joseph pouvait desservir le lac Athabaska, la rivière la Paix jusqu’aux chutes du Vermillon, et la rivière Athabaska du fort Mac-Murray au fort Smith.

Au fort Smith rugissaient les infranchissables rapides; mais par delà ces rapides s’ouvrait la navigation de 2.500 kilomètres, jusqu’à l’océan Glacial, comme nous l’avons dit.

Il fallait donc un deuxième steamer.

Mgr Grouard reprit la besace; et, en 1915, le fier petit Saint-Alphonse fit son «Voyage de noces» du fort Smith aux bouches du Mackenzie.14

La division du vicariat d’Athabaska-Mackenzie s’étant opérée en 1901, l’œuvre de progrès fut poursuivie dans l’Athabaska par Mgr Grouard, et dans le Mackenzie par Mgr Breynat.

Les deux vicaires, comme par une apostolique émulation, fondèrent de nouveaux postes, de nouveaux couvents, et mirent au service de ces développements des ressources nouvelles. Tandis que Mgr Grouard donnait à la rivière la Paix le Saint-Charles, premier vapeur à paraître en ces régions, Mgr Breynat lançait, sur la rivière des Esclaves, le Grand Lac des Esclaves et le fleuve Mackenzie, le Sainte-Marie, le mieux construit et le plus rapide des steamers qui aient encore parcouru les fleuves et les lacs de l’Extrême-Nord.

Cependant les rapides continuèrent à revoir, chaque printemps, la flotte des missionnaires. Elle partait d’Athabaska-Landing, depuis l’abandon du lac la Biche, se grossissant chaque année pour répondre au «tonnage» des petits vapeurs, qui l’attendaient au fort Mac-Murray et au fort Smith.

Les deux vieilles barges «courtes et ventrues» avaient fait place à des barges longues, larges, plates et rectangulaires, simplement recourbées à l’avant et à l’arrière, munies de rames énormes (des sapins entiers), et fabriquées, à l’embarcadère même, avec de rudes madriers, condamnés eux-mêmes à devenir pièces de bâtisses, au terme du voyage.

La capacité de cette barge était de huit à dix tonnes. Il y en eut deux d’abord, puis trois, puis quatre, et de plus en plus. En 1915, année du dernier convoi d’Athabaska-Landing à Mac-Murray, douze barges sautèrent ensemble les rapides.

Il serait long de raconter les déceptions éprouvées par les missionnaires, depuis 1848 jusqu’à la fin du siècle, à l’arrivée des lents bateaux aux rustres équipages. Si encore ces pièces, coûtant si cher, étaient toujours parvenues, et parvenues intactes! Mais combien se perdirent en route, ou se mutilèrent, se brisèrent, lancées par des mains brutales, à chacun des portages! Quelquefois, si c’était des vivres que le ballot contenait, les bateliers s’en régalaient, en riant du missionnaire «qui serait bien attrapé», disaient-ils.

La plus dure épreuve, dans la vie des missionnaires anciens, et, proportion gardée, dans la vie d’aujourd’hui encore, a été l’attente, la longue attente des objets dont ils avaient besoin.

L’est et l’ouest du Canada, admirablement développés maintenant, peuvent fournir le matériel des missions et le confier aux chemins de fer qui vont rejoindre la rivière Athabaska et la rivière la Paix. Mais, à l’époque du lac la Biche, laquelle marquait cependant une avance sur celle du Portage la Loche, époque où les achats se faisaient en Angleterre, parce que le Canada n’y pouvait pourvoir, et que la métropole réduisait considérablement les taux d’importation pour ses colonies, il s’écoulait quelque trois ans, entre la demande faite par le missionnaire et l’arrivée de la chose désirée, fût-elle de première nécessité.

Supposons-nous en 1870. Le missionnaire du fort Simpson ou du fort Norman écrit, par l’unique courrier d’hiver. Sa lettre atteindra le lac la Biche, au printemps 1871. Mgr Faraud la visera et la fera parvenir, pour l’automne, à Saint-Boniface. Mgr Taché, ainsi averti, enverra l’ordre immédiatement en Angleterre, et recevra le colis, au printemps 1872. Il le confiera aux charrettes de la prairie, qui le déposeront au fort Pitt, trop tard, bien entendu, pour l’expédition de la même année. Mgr Faraud ira l’y chercher, l’automne, le gardera durant l’hiver, et le tiendra prêt à prendre les premières eaux de 1873. De sorte que, tout allant au mieux, le missionnaire touchera son article l’été, ou l’automne 1873. Il avait écrit en 1870.

 

Le moindre retard de la lettre, ou du colis, pouvait ajouter à ces années une quatrième, et quelque malentendu une cinquième.

Certains des ballots, spécialement recommandés, restèrent en détresse, dans la prairie, ou sur une grève inconnue de la forêt sauvage, jusqu’à six ans. Heureux si, retrouvés enfin, ils n’étaient pas bonnement saisis, adjugés au premier venu, ou vendus comme bonum derelictum.

Pour la première fois, notait Mgr Faraud, en novembre 1877, pour la première fois, le bagage de toutes les missions est en bon ordre ici (au lac la Biche, à mi-chemin de sa destination).

Un exemple de ces lenteurs et de ces déceptions, qui nous laissera deviner ce qu’il en devait être lorsqu’il s’agissait de choses indispensables, comme outils de travail, vin du saint sacrifice, etc… nous a été rapporté, les derniers jours de sa vie, par le vénéré Père Ducot, à qui nous avions demandé de vouloir bien nous écrire ses «souvenirs». Nous résumons ses pages. L’exemple pourrait s’intituler: les vitres du Père Séguin.

Le pieux et doux Père Séguin fut le premier compagnon du Père Grollier, fondateur de la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance, au fort Good-Hope, sous le Cercle polaire. Le Père Grollier mourut bientôt, et le Père Séguin resta le chef de la mission, seul le plus souvent avec le bon Frère Kearney, parmi ses Indiens Peaux-de-Lièvres, pendant 41 ans. En 1901, comme il était presque aveugle, Mgr Grouard le fit conduire en France, son pays natal, qu’il n’avait jamais revu, dans l’espoir que les spécialistes lui rendraient un peu de lumière. Mais ce fut en vain. Le malade, tué par la «nostalgie de ses missions», mourut l’année suivante.

Cette cécité, graduellement venue, avait pour cause lointaine et principale la triste condition des moyens d’éclairage, en ces contrées de nuits si longues: la lampe à l’huile de poisson pour l’intérieur, et surtout le parchemin des misérables fenêtres pour les heures du jour.

Toutes nos missions du Nord ne connurent d’abord que ces carreaux de parchemin. C’étaient des morceaux de peaux de renne ou d’orignal, grossièrement raclés, et laissant passer à travers leur spongieuse épaisseur fort peu de clarté et beaucoup de froid. Peu à peu, des carreaux en vitres de petites dimensions les remplacèrent.

La maisonnette et l’église de Good-Hope ne connurent, durant dix-sept ans, que les parchemins.

Ce fut cependant la cinquième année de ce régime que le Père Séguin demanda qu’on lui achetât des vitres. Mais trois ans se passèrent, et rien n’arriva: ou la lettre, ou l’envoi s’étaient donc égarés. Il renouvela sa démarche, et attendit encore trois ans. Cette fois point de délai: la caisse fut débarquée, solidement clouée et en bon état apparent. On l’ouvrit, pour y trouver toutes les vitres «en miettes». Pas un fragment de verre ne pouvait servir. L’année suivante, le père n’osa plus écrire, attendu que le coût des vitres cassées avait fait un trop grand vide dans son allocation, et qu’il avait des articles plus importants à demander. Heureusement, Mgr Clut vint à passer, en route pour l’Alaska; et, touché de la misère du missionnaire, il lui promit qu’il lui apporterait, à son retour, des vitres qu’il comptait obtenir d’un brave Canadien-Français, M. Mercier, commis du fort Youkon. Mgr Clut repassa par Good-Hope, le printemps suivant, avec la nouvelle que les vitres, données en effet par M. Mercier, avaient été emportées très loin dans les montagnes Rocheuses, mais qu’un matin, au lever précipité du campement, on les avait oubliées, et que l’on n’avait remarqué leur absence que l’après-midi, après avoir sauté un grand nombre de rapides qu’il était impossible de remonter. Mgr Clut voulut réparer cette déconvenue en envoyant un ordre pressant au lac la Biche. Il gagna une année, car, deux ans après, Mgr Faraud remettait les vitres au Père Ducot, qui se rendait à Good-Hope, avec la prescription très appuyée de ne pas les perdre de vue une seule minute, et de les porter lui-même, de ses propres mains, à tous les lieux de déchargement et de rechargement.

La nuit du 14 septembre 1875, la brigade atterrissait au fort Good-Hope.

Les 300 sauvages, éveillés par les coups de fusil de l’équipage, rallument les feux des bivouacs et donnent la fusillade de bon accueil. Le Père Ducot, tout au bonheur de toucher enfin le rivage de son apostolat, bondit à terre et court, au milieu de cette foule qui acclame le «nouveau petit priant», vers la maison du missionnaire.

Malade, le Père Séguin n’avait pu sortir, mais il s’était levé. N’ayant point vu de prêtre depuis plus d’une année, il couvrit de larmes, en l’embrassant, son jeune confrère. Puis, aussitôt:

« – Et les vitres! Les avez-vous?

– Mais oui, mon Père; et j’ai veillé sur elles comme sur un trésor.

– Où sont-elles? Les avez-vous apportées ici?

– Oh! Je les ai laissées dans la barge.

«Pauvre Père Séguin, continue le Père Ducot que nous citons maintenant mot à mot, il en devint blême! Puis, après quelques instants: «C’est fini! C’est perdu! Ils les auront encore cassées, en les jetant sur la grève!..» Il en était désolé. Rien ne put le rassurer. J’étais stupéfait moi-même de sa désolation, presque scandalisé. Pour quelques vitres de cinq sous pièce, me disais-je! Je ne comprenais rien à sa tristesse, alors. Mais, après quarante années de mécomptes de ce genre mille fois renouvelés, je sais ce que c’est que pareilles déceptions. Elles sont pires que la privation elle-même. Celui qui n’a pas passé par là ne le comprendra jamais… Cette fois, Dieu merci, tout ne fut pas perdu. Le lendemain de bon matin, la caisse arriva parfaitement intacte. Le Père Séguin en était tout radieux de joie.»

Et le Père Ducot complète sa narration de 1916 par cette note marginale:

«Ceux qui n’ont jamais été obligés d’habiter des maisons n’ayant d’autres fenêtres que des châssis couverts de parchemin, dans un pays froid comme le nôtre, n’ont pas une idée de ce que l’on souffre d’être privé de vitres. Mais les missionnaires du Nord-Ouest, et du Mackenzie en particulier, le savent par expérience. Ils savent apprécier les nombreux avantages de châssis garnis de verre, dans une maison. Elle est mieux éclairée en tous temps, le soleil y pénètre à ses heures, elle est plus chaude en hiver et on y est à l’abri du vent, il faut moins d’huile pour s’y éclairer, moins de bois pour s’y chauffer, il y gèle moins la nuit, et quelquefois pas du tout, on y peut éviter les courants d’air, chose impossible avec des châssis en parchemin. La solitude y est aussi moins triste, le travail plus aisé, la dévotion plus facile, et l’âme plus joyeuse.»

Le bon père, qui excellait, comme on le voit, à énumérer les détails d’une situation, aurait pu ajouter que le missionnaire de l’âge de parchemin trouva plus d’une fois, en rentrant de ses voyages d’hiver, ses fenêtres dévorées par les loups, et sa cabane bourrée de neige par la tempête.

11V. Les Sœurs Grises dans l’Extrême-Nord du Canada, chap. v. Librairie Beauchemin, Montréal, et Œuvre des missions, 4, rue Antoinette, Paris – 18e.
12La Saskatchewan est la grande artère de la prairie. Elle en recueille toutes les rivières pour les conduire au lac Winnipeg, lequel s’épanche dans le fleuve Nelson, qui se jette dans la baie d’Hudson. La Saskatchewan n’unit ses deux branches qu’à l’est de Prince-Albert. La branche nord a sa source au mont Brown, à côté de celle de l’Athabaska. La branche sud jaillit des montagnes Rocheuses aussi, mais presque sur la ligne des Etats-Unis. La Saskatchewan, très sinueuse toujours, coule de l’ouest à l’est.
13Un des traits qui «égayèrent» ce voyage de 1880 dans la prairie eut pour acteur principal, dit-on, S. G. Mgr Joussard, coadjuteur actuel, avec future succession, de Mgr Grouard, vicaire apostolique d’Athabaska. Tout jeune missionnaire, plein d’une ardeur qui ne s’éteindra qu’avec sa vie, le Père Joussard avait caracolé, autour de la brigade, sur un branco, cheval demi-sauvage de l’Ouest. Le soir, il s’endormit, lassé, à sa place de la couche commune, occupée par une dizaine de missionnaires. Mais la chevauchée, faut-il penser, continua dans son rêve. Tout à coup, il crut sentir sous sa main une crinière. Il la saisit, en criant: – Hue donc! Un «Aïe!» formidable réveilla la prairie: C’était la barbe de S. G. Mgr Clut, son voisin, qu’il avait empoignée.
14Le nom de Saint-Alphonse avait été inspiré par la reconnaissance envers les Pères Rédemptoristes, qui avaient généreusement promis la moitié de la somme que coûterait le bateau.