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Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second

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Entré dans la troupe du Marais en 1610, l'année de la naissance de Scarron, Geoffrin s'y fit bientôt remarquer par la naïveté de son jeu, l'expression comique de sa figure et de ses gestes. En 1634, par ordre de Louis XIII, il passa à l'hôtel de Bourgogne, où son talent prit de nouvelles proportions. Plusieurs auteurs firent des pièces en vue de cet acteur célèbre; mais Scarron fut celui qui mit le mieux ses talents en relief. Jodelet joua ses rôles de valet original avec un succès toujours croissant. Il est vrai de dire que sa figure avait quelque chose de si plaisant, qu'à son entrée en scène, les spectateurs ne pouvaient le regarder sans rire. Il feignait alors une surprise qui redoublait la bonne humeur du public. Il parlait du nez, et ce défaut n'en était pas un dans son jeu. De nos jours, que d'imperfections physiques, sur nos petits théâtres, font la fortune de certains acteurs? On le représente, dans les gravures du temps, avec une grande barbe et de longues moustaches noires, le reste du visage enfariné. Il mourut en 1660. Mais revenons à Scarron.

En 1646, ce poëte fit jouer les Boutades du capitan Matamore, espèce de pochade en un acte et en vers, très-bouffonne et qui amusa beaucoup. En 1649, ce fut l'Héritier ridicule, comédie en cinq actes, qui plut si fort à Louis XIV, que ce prince, alors encore fort jeune, se la fit jouer, dit-on, trois fois de suite dans le même jour, ce qui prouve qu'à cette époque le grand roi avait du temps à donner à ses plaisirs et le goût encore assez peu épuré. En 1653, Scarron dédia à son souverain une comédie burlesque intitulée Don Japhet d'Arménie, par une épître non moins burlesque que sa comédie elle-même. Voici l'épître:

AU ROI

«Sire,

«Quelque bel esprit qui aurait, aussi bien que moi, à dédier un livre à Votre Majesté, dirait en beaux termes que vous êtes le plus grand Roi du monde; qu'à l'âge de quatorze à quinze ans, vous êtes plus savant en l'art de régner qu'un roi barbon; que vous êtes le mieux fait des hommes, pour ne pas dire des Rois, qui sont en petit nombre, et enfin que vous portez vos armes jusque au Mont Liban et au delà. Tout cela est beau à dire, mais je ne m'en servirai point ici: cela va sans dire. Je tâcherai seulement de persuader à Votre Majesté qu'Elle ne se ferait pas grand tort si Elle me faisait un peu de bien; si elle me faisait un peu de bien, je serais plus gai que je ne suis; si j'étais plus gai que je ne suis, je ferais des comédies enjouées; si je faisais des comédies enjouées, Votre Majesté en serait divertie; si Elle en était divertie, son argent ne serait pas perdu. Tout cela conclut si nécessairement, qu'il me semble que j'en serais persuadé si j'étais aussi bien un grand Roi comme je ne suis qu'un pauvre malheureux, mais pourtant,

«De Votre Majesté, etc.»

La pièce de Don Japhet d'Arménie, réduite en trois actes, fut représentée en 1721, avec intermèdes de chant et de danse, devant l'ambassadeur ottoman Mehemet Effendi, dont elle excita la gaieté.

Une autre des comédies de Scarron, l'Écolier de Salamanque (1654), fit du bruit à l'époque où il la donna, parce que le sujet lui en avait été dérobé par l'abbé Bois-Robert, qui avait composé avec le plan ses Généreux ennemis qu'il fit représenter à l'hôtel de Bourgogne. L'abbé eut en outre l'impudence de critiquer la pièce de Scarron. Ce dernier, qui avait la bonhomie de lire ses élucubrations dramatiques à ses amis avant de les mettre au théâtre, ne pardonna jamais cet indigne larcin et, pour s'en venger, il lança contre l'abbé le sarcasme le plus sanglant. «Quand on pense, disait-il, que j'étais né assez bien fait pour avoir mérité les respects des Bois-Robert de mon temps.»

 
Vous savez bien que ce prélat bouffon
De beaucoup d'impudence et de peu de mérite.
Est par dessus Fabri, l'archifripon,
Un très-grand s…te.
 

Le Gardien de soi-même (1655), le Marquis ridicule (1656), le Faux Alexandre, tragi-comédie laissée inachevée, et enfin celle du Prince Corsaire, complètent le burlesque bagage dramatique du premier mari de madame de Maintenon.

Boileau ne pouvait le souffrir. Un jour, Louis XIV se bottait pour aller à la chasse. A côté de lui se trouvaient plusieurs seigneurs de la cour et Despréaux. Il demande à ce dernier quels auteurs, à son avis, avaient le mieux réussi dans la comédie. – «Sire, je n'en connais qu'un, répond Boileau, c'est Molière, tous les autres n'ont fait que des farces proprement dites, comme ces vilaines pièces de Scarron.» A ces mots, échappés par mégarde de la bouche du satirique et qu'il eût bien voulu reprendre, le successeur du poëte burlesque auprès de sa veuve devint fort pensif. Au bout d'un instant, il reprit: – «Si bien donc que Despréaux n'estime que le seul Molière. – Il n'y a que lui, Sire, qui soit estimable dans son genre d'écrire,» se borna à répondre le critique qui ne se souciait pas de remettre Scarron sur le tapis.

Le duc de Chevreuse, tirant Boileau à part: – «Oh! pour le coup, mon cher, lui dit-il, votre prudence était endormie. – Et où est l'homme, répondit Despréaux, à qui il n'échappe jamais une sottise?» A notre avis, Boileau avait bien raison de parler de Scarron et de ses compositions dramatiques comme il le faisait. On ne peut comprendre qu'un prince dont le règne fut celui des arts, ait jamais pris quelque plaisir aux rapsodies du poëte burlesque. Aujourd'hui ses élucubrations ne supporteraient pas la scène, pas plus qu'elles ne supportent la lecture. En 1645, bien peu d'années avant l'Étourdi de Molière, la cour et la ville battaient des mains et riaient à gorge déployée de cette tirade de Jodelet à Béatrix:

 
Vous ne m'aimez donc pas, madame la traîtresse!
Et vous me desservez auprès de ma maîtresse?
Ah! louve! ah! porque! ah! chienne! ah! braque! ah! loup!
Puisses-tu te briser bras, main, pied, chef, cul, cou!
Que toujours quelque chien contre ta jupe pisse!
Qu'avec ses trois gosiers Cerbérus t'engloutisse!
Le grand chien Cerbérus, Cerbérus le grand chien,
Plus beau que toi cent fois, et plus homme de bien.
 

En 1653, alors que Molière se faisait déjà applaudir en province, on applaudissait à Paris des tirades comme celle-ci de don Japhet:

 
Gare l'eau! bon Dieu! la pourriture!
Ce dernier accident ne promet rien de bon:
Ah! chienne de duègne, ou servante ou démon,
Tu m'as tout compissé, pissante abominable!
Sépulchre d'os vivants, habitacle du diable,
Gouvernante d'enfer, épouvantail plâtré,
Dents et crins empruntés, et face de châtré!
 
LA DUÈGNE
 
Gare l'eau…
 
DON JAPHET
 
La diablesse a redoublé la dose.
Exécrable guenon! si c'était de l'eau rose,
On la pourrait souffrir par le grand froid qu'il fait;
Mais je suis tout couvert de ton déluge infect, etc., etc.
 

Or, Jodelet et Don Japhet sont les deux meilleurs produits littéraires et dramatiques du poëte Scarron, et on peut ajouter que ces comédies sont aussi pitoyables par le fond que par la forme. Empruntées à la mauvaise école espagnole, elles eurent cependant, nous devons le dire, jusqu'à la venue de Molière, un grand succès non-seulement près des bons habitants de la ville de Paris, mais auprès du Grand Roi et de sa cour. Nous avouerons même encore qu'en 1763, on les reprit et que Don Japhet fut très-suivi; l'auteur des Mémoires secrets en fait le plus grand éloge, il le préfère à beaucoup des pièces de cette époque qui sont cependant, à notre avis, infiniment plus supportables.

Avant de parler du père véritable de la bonne et saine comédie en France, de l'immortel Molière, qu'on nous permette une anecdote à propos du Menteur de Corneille. Cette charmante pièce, représentée en 1642, était restée classique à la scène, et beaucoup de vers qu'on y trouvait avaient passé en proverbe. Un grand seigneur contait un jour à table des anecdotes peu véridiques. Un homme d'esprit, se tournant vers le laquais de ce personnage et l'apostrophant du nom du laquais du Menteur: – «Clisson, lui dit-il, donnez à boire à votre maître.»

XIV
MOLIÈRE

Molière, de 1620 à 1673. – Son voyage dans le Midi (1641). – Son entrée dans la troupe de la Béjart (1652). —La comédie de l'Étourdi.– Son succès. – L'Illustre Théâtre, débuts de la troupe à Paris (24 octobre 1658). – La troupe de Monsieur. – Ouverture de la salle du Petit-Bourbon (3 novembre 1658). – Rivalité avec la troupe de l'hôtel de Bourgogne. —Le Dépit amoureux (1658). —Les Précieuses ridicules (1659). – Anecdotes. – L'hôtel Rambouillet. – Bon mot de Ménage. – Influence de la comédie des Précieuses sur les mœurs de l'époque. —Le Cocu imaginaire.– Anecdotes. – La troupe de Molière au Palais-Royal (4 novembre 1660). —Don Garcie de Navarre (1661). – Chute de cette comédie héroïque. —L'École des maris (1661). —Les Fâcheux (1661). – Anecdotes. —Le Fâcheux Chasseur.L'École des femmes (1662). —La Critique de l'École des femmes (1663). – Anecdotes. – Citations. – Tarte à la crème du duc de la Feuillade. —Le Portrait du peintre, de Boursault, et l'Impromptu de Versailles, de Molière. – Double utilité de cette dernière comédie. – Déchaînement des ennemis de Molière contre le grand auteur. – Louis XIV le venge par ses bienfaits. —La Princesse d'Élide (1664). – Les trois premiers actes du Tartuffe aux fêtes de Versailles. —Psyché.Le Festin de pierre ou la Statue du Commandeur (1665). – Anecdote. —L'Amour médecin (1665). —Le Misanthrope (1666). – Anecdote. – La comédie du Misanthrope devant les acteurs du Théâtre-Français. – La troupe de Molière troupe du Roi (août 1665). – Le Tartuffe (1667). – Anecdotes. – Plaisanterie de l'acteur Armand. —Le Sicilien (1667). —Amphitryon (1668). —Georges Dandin (1668). —L'Avare (1668). – Dernières pièces de Molière, de 1668 à 1673. – Anecdotes. – Anecdotes relatives à l'Avare. —Monsieur de Pourceaugnac (1669). —Le Bourgeois gentilhomme (1670). —Les Femmes savantes (1672). —Le Malade imaginaire (1673). – Lully en Pourceaugnac. – Anecdote relative à la comédie de la Comtesse d'Escarbagnas. – Jugement sur Molière.

 

Jean-Baptiste Poquelin, qui prit plus tard le nom illustre de Molière, naquit à Paris en 1620 et y mourut en 1673. Tout le monde sait que cet homme célèbre, fils et petit-fils de valet de chambre, tapissier du Roi, montra dès son enfance une véritable passion pour l'étude et une grande vocation pour le théâtre; que son grand-père l'encourageait dans ses instincts naturels, et que son père, au contraire, le retenait; que le jeune enfant n'obtint qu'avec peine de faire quelques études à Paris au collége de Clermont1, où il se lia avec plusieurs hommes qui acquirent par la suite un nom dans les lettres. Nous ne nous arrêterons donc pas à Poquelin enfant, tapissier du roi par charge héréditaire, studieux élève des Jésuites, non moins studieux élève de Gassendi, dans les leçons duquel il puisa les principes de justesse et les préceptes de philosophie qui lui servirent de guide dans ses ouvrages. Nous prendrons Molière fait homme, quoique bien jeune encore, et forcé, en 1641, de remplacer dans sa charge de tapissier son père tombé malade; nous le prendrons contraint de suivre le roi Louis XIII à Narbonne, interrompant ainsi des études qui faisaient toute sa joie pour se livrer à des fonctions diamétralement opposées à ses goûts.

Ce voyage en Languedoc ne fut cependant pas inutile au jeune Poquelin. Lorsqu'on veut étudier, on le peut toujours, surtout si la nature est le sujet de l'étude, car la nature se trouve partout. Or, dès cette époque, l'objet des méditations de Molière, c'était la nature humaine. Certes, il avait autour de lui, à la cour de Louis XIII, assez d'originaux à observer, assez de types à graver dans son esprit, assez de passions à critiquer, pour trouver un aliment à sa naissante philosophie. Que de portraits ne devait pas puiser dans l'entourage du prince un aussi grand peintre de mœurs?

A son retour à Paris, en 1652, l'apprenti tapissier ne put résister plus longtemps à la voix secrète qui le poussait au théâtre. A cette époque, et depuis que le Cardinal de Richelieu avait régné de fait sur la France, le goût des spectacles s'était généralisé dans le royaume. Plusieurs troupes de comédiens ou sociétés donnaient des représentations, couraient même la province. Le jeune Poquelin se fit recevoir dans l'une d'elles au grand désespoir de sa famille, et changea son nom en celui de Molière.

La troupe dans laquelle il fut affilié, était exploitée par une comédienne, la Béjart, qui ne tarda pas à comprendre tout le parti qu'elle pouvait tirer pour elle de son association avec un jeune homme aussi intelligent que paraissait l'être sa nouvelle recrue. On était en 1645; les comédiens de la Béjart n'ayant pas eu de succès à Paris sur les tréteaux aux fossés de la porte de Nesle (aujourd'hui rue Mazarine) ni au port Saint-Paul, s'établirent au jeu de paume de la Croix-Blanche (faubourg Saint-Germain). Là ils réussirent quelque temps, et fiers de voir la foule se presser chez eux, ils baptisèrent leur théâtre du nom un peu ambitieux d'Illustre Théâtre.

Pendant quelque temps, tout parut assez bien marcher; mais la politique ne tarda pas à se jeter à la traverse de leur entreprise. La régence d'Anne d'Autriche était devenue orageuse. La guerre civile, les troubles de la Fronde tournaient les esprits vers des sujets tout autres que les spectacles; la salle de la Béjart devint déserte. Molière proposa alors à ses compagnons de tenter le sort en province. Ils se rendirent à Bordeaux où le fameux duc d'Épernon, gouverneur de la Guyenne, leur fit bon accueil. Molière, qui se sentait non-seulement le talent nécessaire pour représenter, mais encore celui de composer de bonnes pièces, essaya de donner une tragédie de sa façon, la Thébaïde. Cette pièce ayant été froidement écoutée, l'auteur en conclut que le genre tragique pouvait bien n'être pas son fait. Alors il tenta d'écrire l'Étourdi, qui commença réellement sa réputation.

La troupe de l'Illustre Théâtre quitta Bordeaux pour se rendre à Lyon où elle donna cette pièce, l'Étourdi, première comédie régulière du tapissier devenu auteur dramatique. La troupe et la pièce eurent un immense succès. Le prince de Conti, qui tenait alors avec faste à Béziers les États de la province du Languedoc, qui avait connu Poquelin chez les Jésuites au collége de Clermont, et s'était, depuis, souvent intéressé aux représentations des comédiens de la Béjart, manda Molière et sa troupe, voulant qu'ils servissent à l'ornement de ses fêtes. L'Étourdi parut à Béziers avec un nouvel éclat, fut suivi du Dépit amoureux et de quelques petites pièces ou farces, le Docteur amoureux, les Trois docteurs rivaux, disparus depuis du répertoire.

Le prince de Conti fut tellement satisfait de l'esprit de son ancien condisciple, qu'il voulut se l'attacher en qualité de secrétaire particulier. Heureusement pour la France, la vocation de Molière l'emporta sur les offres séduisantes de son protecteur. Molière persévéra dans son projet de vouer son existence à la carrière théâtrale et refusa le prince. Toutefois, sentant bien que ce n'était pas à courir la province qu'il pourrait acquérir la réputation à laquelle il se sentait la force et le talent d'aspirer et devenir chef de l'association, il tenta quelques démarches pour se fixer à Paris. Soutenu par le prince de Conti, admis auprès de Monsieur, il obtint enfin de jouer en présence du roi et de la reine.

Le 24 octobre 1658, un théâtre fut construit dans la salle des gardes du Louvre, et la troupe de l'Illustre Théâtre, depuis plusieurs années comme exilée en province, eut l'honneur de paraître devant la Cour. Elle joua d'abord la tragédie de Nicomède de Corneille, pièce choisie par Louis XIV lui-même, et à laquelle le Grand Roi avait voulu que vinssent assister les comédiens de l'hôtel de Bourgogne. De nombreux applaudissements récompensèrent les nouveau-venus de leurs efforts. Néanmoins Molière, ne se faisant pas illusion sur l'infériorité de ses camarades, relativement aux acteurs de la grande troupe, dans la tragédie, voulut donner à Leurs Majestés une idée du genre dans lequel les siens montraient quelque talent. S'avançant donc vers la rampe, il remercia le roi d'avoir daigné excuser les défauts d'acteurs qui n'avaient paru qu'en tremblant devant une assemblée aussi auguste, puis il demanda la permission de jouer un de ces petits divertissements qui leur avaient acquis une certaine réputation en province.

Le roi ayant agréé l'offre de Molière, on représenta le Docteur amoureux. Louis XIV, très-amusé et par conséquent très-satisfait, permit à l'Illustre Théâtre de s'établir sous le nom de Troupe de Monsieur, au Petit-Bourbon, pour y donner des représentations alternativement et de deux jours l'un avec les Italiens.

La troupe de Molière était alors composée des deux frères Béjart, de Duparc, de Dufresne, de Desbries, de Croisal, des demoiselles Béjart, Duparc, Debrie et Hervé. Elle prit possession, dix jours après la représentation du 24 octobre 1658, du nouveau théâtre que Sa Majesté lui avait octroyé si gracieusement.

Ainsi donc, après une jeunesse toute de souci et de travail, dans laquelle Poquelin lutta courageusement pour conquérir le droit de s'instruire et de suivre sa vocation, il parvint à l'âge de vingt-huit ans à se créer une position à Paris, auprès du roi, devenu son protecteur.

A partir de ce moment, le goût de la saine comédie commence à régner sur la scène française, et c'est à 1658 que l'on doit fixer les représentations, à Paris, des comédies de Molière.

Les pièces de Molière, dignes du nom de Comédies et restées au répertoire, sont au nombre de trente. Il créa en outre une douzaine de farces qui n'ont pas eu les honneurs de l'impression.

L'Étourdi, qui avait eu un grand succès en province, à Lyon d'abord, à Béziers ensuite, parut sur la scène du Petit-Bourbon, le jour de l'ouverture du théâtre, le 3 novembre 1658, et y fut fort applaudi. Tout Paris, c'est-à-dire la Cour et la bourgeoisie, aurait voulu assister à la première représentation qui fut des plus brillantes. La troupe de l'hôtel de Bourgogne s'en montra sottement fort courroucée, et la guerre éclata bientôt entre les deux théâtres, guerre d'intrigues qui dégénéra en une guerre d'injures, et cependant la grande ville était déjà bien assez vaste pour contenir deux théâtres, deux troupes qui d'ailleurs différaient essentiellement entre elles par le genre, puisque l'une ne jouait guère que la tragédie, l'autre la comédie.

Molière eut à souffrir de cette ridicule rivalité; car, comme chef de la troupe du Petit-Bourbon, c'est à lui que s'adressaient toutes les tracasseries dont on cherchait à l'accabler de l'hôtel de Bourgogne.

Que les temps sont changés! pourrait-on dire avec Racine. Aujourd'hui ce ne sont plus deux troupes vivant en mauvaise intelligence qui se partagent la capitale du monde civilisé, mais vingt troupes au moins, dont directeurs et artistes vivent dans l'entente la plus cordiale, se faisant sans cesse mille politesses au travers desquelles on entrevoit à peine de loin en loin, à l'époque des revues, par exemple, quelques coups de patte, quelque trait plus ou moins spirituel contre telle ou telle pièce, contre tel ou tel acteur ou actrice du théâtre voisin. Mais qu'est-ce que ces piqûres d'épingles à côté des coups de massue que se portaient les deux théâtres du dix-septième siècle?.. La civilisation marche, les guerres s'en vont, les guerres de théâtre, s'entend; mais revenons à Molière.

C'est lui qui joua dans l'Étourdi le rôle du valet Mascarille, rôle resté type à la scène. Cette pièce, avec des défauts, est cependant supérieure à tout ce que l'on avait joué jusqu'alors; bien loin surtout du genre adopté (le Menteur, de Corneille, qui l'avait précédée s'en rapproche); aussi ne doit-on pas s'étonner qu'elle ait fait en quelque sorte école.

Un mois après l'ouverture de son théâtre à Paris, Molière donna le Dépit amoureux, dont le sujet lui avait été fourni par la pièce italienne la Filia creduta Maschio. Déjà sa troupe l'avait joué aux États de Languedoc. Cette comédie n'est pas sans défauts, on y retrouve ceux de la scène espagnole et même de l'ancien théâtre français: l'intrigue y est absurde; on y remarque, surtout dans les scènes entre le valet et la suivante, des expressions d'une trivialité presque cynique, mais elle offre une peinture vraie des folies de l'amour. L'auteur dessinait encore d'après de mauvais modèles; il ne tarda pas à prendre son essor, à peindre d'après nature et à devenir dès lors un peintre inimitable.

La troisième pièce de Molière, les Précieuses ridicules, dut le jour à un travers de l'époque. Il existait à Paris, au milieu du dix-septième siècle, une femme d'un aimable caractère, qui avait épousé le marquis de Rambouillet, et dont l'hôtel était ouvert à tout ce qui prétendait à l'esprit. Il arriva que les beaux esprits dont s'entoura la charmante marquise ne tardèrent pas à faire de sa maison le séjour non des grâces, mais de l'afféterie la plus exagérée, la plus ridicule, la plus insoutenable. Rien n'était absurde comme ce qui se passait parmi les habitués de l'hôtel de Rambouillet. Les initiés devaient y connaître la Carte du Tendre; pour se faire aimer, un homme ne pouvait se dispenser d'emporter d'assaut le village des Billets galants, le hameau des Billets doux et le château des Petits soins. Les femmes se désignaient entre elles sous la qualification de chères. Une précieuse, une chère se mettait au lit pour recevoir ses visites. Sa ruelle était décorée avec coquetterie. Pour avoir le bonheur d'être admis en sa présence, il fallait être initié par un grand introducteur des ruelles, au fin des choses, au grand fin, au fin du fin2. Près d'elle se trouvait aussi l'alcôviste, espèce de cavalier servant dans le genre de ceux dont quelques parties de l'Italie ont conservé si longtemps l'usage. C'était sur l'heureux mortel chargé de ces hautes et importantes fonctions, que reposait le soin de faire les honneurs de la chambre de la chère et de veiller à l'ordonnance des conversations. Il était l'introducteur, le metteur en scène de cette stupide comédie journalière. Chose bizarre, et qui prouve du reste combien les mœurs, au siècle du Grand Roi, étaient différentes des nôtres, jamais un alcôviste ne faisait naître le moindre soupçon contre la vertu des chères. Ces dames, dit Saint-Évremond, faisaient consister leur principal mérite à aimer tendrement leurs amants sans jouissance, et à jouir solidement de leurs maris avec aversion.

 

Comme ce qui est mode a toujours réussi et réussira toujours en France, ne fût-ce que quelque temps, la vogue était à l'hôtel Rambouillet. On finit par pousser les choses si loin dans cette réunion frivole, qu'on y voulut modifier le langage. Mais au lieu de le simplifier, on se servit de périphrases inintelligibles pour rendre la pensée. La pensée fut bientôt travestie à tel point qu'elle ne pouvait plus être comprise que par les habitués du lieu, ayant la clef de cet absurde fatras. On y discutait sur le mot d'une énigme, on s'envoyait un rondeau, une pièce de vers boursouflés. L'affectation devint si fort à la mode, qu'elle commençait à gagner toutes les classes de la société. Molière saisit le travers et essaya de l'arrêter par le sarcasme; il y parvint en faisant jouer, le 8 novembre 1659, sa comédie des Précieuses ridicules.

La pièce, charmante et spirituelle critique du travers que nous venons de signaler, eut le plus incroyable succès, incroyable est le mot, lorsqu'on pense que tout l'hôtel de Rambouillet se trouvait à la première représentation et applaudit à la critique de ses propres défauts, s'amusa de ses propres ridicules, admira la vérité de la peinture de ses propres et journalières absurdités. L'auteur n'avait pas craint de mettre tout cela en scène avec autant de talent que d'esprit. En sortant de la salle du Petit-Bourbon, Ménage, un des fidèles de la marquise, dit à Chapelain, autre habitué de l'hôtel: – «Monsieur, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement et avec tant de bon sens; mais, croyez-moi, pour me servir des paroles de saint Rémy à Clovis: «Il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé.»

La réputation de Molière s'accrut beaucoup de cette création. On joua la pièce à la Cour, alors aux Pyrénées, et qui lui fit un très-brillant accueil. On prétend qu'à cette nouvelle, l'auteur fut tellement satisfait, qu'il dit: – «Allons, je n'ai plus que faire d'étudier Plaute et Térence, ni d'éplucher des fragments de Ménandre; je n'ai qu'à étudier le monde.»

On raconte encore dans les Mémoires du temps que pendant la première représentation, un vieillard s'écria du milieu du parterre: – «Courage, Molière, voilà de la bonne comédie!» et qu'à la seconde, la troupe de Monsieur doubla le prix ordinaire des places, ce qui portait celui du parterre à vingt sous.

Le vieillard des Précieuses ridicules avait bien raison, car c'était la première fois qu'en France on offrait au public le tableau des ridicules. Jusqu'alors on s'était borné, dans la comédie, à mettre sous les yeux du public des événements bizarres, des caractères forcés, des intrigues souvent absurdes. Le succès de cette comédie ne se borna pas à un succès de théâtre, il fut presque un événement social, puisque, grâce à elle, le défaut signalé, dont on se faisait un mérite, fut corrigé et abandonné tout à coup. Que n'avons-nous, de nos jours, un autre Molière, pour faire disparaître ce jargon de mauvais goût qui tend à se populariser, à passer d'un certain monde dans le monde le plus élevé, et qui prend racine jusque sur nos théâtres?

Une autre réforme, attribuée à la comédie des Précieuses ridicules, fut le changement presque complet opéré dans le goût du public en matière de romans qui étaient alors fort à la mode. Elle discrédita ce genre de livre, au point qu'un des grands éditeurs de cette époque, Jolly, fut, dit-on, ruiné par ce revirement soudain.

Aux Précieuses ridicules succéda, en 1660, le Cocu imaginaire, en un acte et en vers, charmante petite comédie qui n'eut pas moins de succès que les précédentes compositions de Molière. A la suite de la représentation, un brave Parisien, croyant avoir été pris par l'auteur pour l'original du héros de la pièce, en parla à un de ses amis, en lui disant qu'il ne comprenait pas qu'un comédien eût pu avoir l'audace de mettre en scène un homme tel que lui. – «Parbleu, je vous conseille de vous plaindre! s'écria l'ami; ne vous a-t-il pas peint du beau côté, en ne faisant de vous qu'un Cocu imaginaire. Vous seriez bien heureux d'en être quitte à si bon marché.»

Le titre de cette pièce qui, au temps de Louis XIV, n'alarmait pas encore les oreilles des femmes les plus chastes, ne serait plus admis de nos jours. Déjà en 1773, un siècle après Molière, on le changea en celui des Fausses alarmes, lorsqu'on voulut jouer cette jolie comédie à Fontainebleau, devant le roi et la Cour. On eût bien fait, ce nous semble, en modifiant le titre, de supprimer aussi un certain nombre de vers, d'une crudité d'expression et de pensée qu'on ne tolérerait plus, comme lorsque Sganarelle s'écrie dans son désespoir:

 
Déjà pour commencer, dans l'ardeur qui m'enflamme,
Je vais dire partout qu'il couche avec ma femme.
 

A propos de ce mot de cocu, rayé aujourd'hui du dictionnaire dramatique, et auquel le langage épuré a renoncé également, on racontait, au temps de Molière, une spirituelle saillie d'une bourgeoise, nommée madame Loiseau, et qui passait alors pour une des langues les mieux affilées de Paris. Le roi se l'était fait montrer, et se plaisait à provoquer son caquet lorsqu'il en trouvait l'occasion. L'apercevant, un soir qu'il causait avec une duchesse de sa cour, il dit tout bas à cette dernière de la questionner. On était au beau moment du succès du Cocu de Molière. – «Quel est l'oiseau le plus sujet à être cocu? demande à la gentille bourgeoise la duchesse, qui croit faire preuve d'à-propos et d'esprit. – C'est le duc, Madame,» répondit aussitôt celle-ci. On ne dit pas si le mot tombait juste en cette circonstance; mais, ce qu'il y a de certain, c'est que les rieurs ne furent pas du côté de la grande dame.

On peut adresser une sorte de reproche à l'auteur du Cocu imaginaire si on se place au point de vue abstrait, c'est celui d'avoir sacrifié aux anciens usages en glissant à travers le dialogue quelques bouffonneries; mais il faut se souvenir que Molière ne pouvait se dispenser de faire la part du goût de l'époque, et qu'il eût peut-être été dangereux pour lui de sevrer complétement son public de certains mots, de certaines situations auxquels ce public n'était pas encore déshabitué.

Dans le monologue de Sganarelle, par exemple, on trouve ces pasquinades:

 
Quand j'aurai fait le brave et qu'un fer pour ma peine
M'aura d'un vilain coup transpercé la bedaine,
Que par la ville ira le bruit de mon trépas,
Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras?
La bière est un séjour par trop mélancolique
Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique.
 

C'est tout au plus si on tolérerait ce mauvais jeu de mots au théâtre actuel du Palais-Royal, où cependant le public tolère bien des choses.

Au mois d'octobre 1660, la salle du Petit-Bourbon ayant été abattue, Louis XIV accorda celle du Palais-Royal, bâtie par Richelieu pour les représentations de Mirame, aux troupes des Italiens et de Molière. Cette dernière y débuta le 4 novembre de la même année.

Le 4 février 1661, Molière fit jouer Don Garcie de Navarre ou le Prince jaloux, comédie héroïque en cinq actes et en vers. Ce fut son premier échec. Comme auteur et comme acteur, il déplut au public. La pièce tomba à plat et ne fut plus mise au théâtre. Elle ne fut même imprimée qu'après la mort de Molière, qui pensait tellement ne jamais la tirer de l'oubli, que plusieurs scènes furent utilisées par lui dans d'autres pièces. La chute de Don Garcie ranima les espérances d'ennemis nombreux qui ne pardonnaient pas facilement les succès précédents. En tête, s'inscrivaient les acteurs de l'hôtel de Bourgogne. – Molière est épuisé; – son esprit est mort disaient-ils. Visé, qui rédigeait le Mercure galant, s'empressa d'y insérer des plaisanteries, des épigrammes contre l'auteur de la malencontreuse comédie; mais pendant ce temps-là, Molière, incapable de se laisser décourager, composait la belle étude de mœurs de l'École des maris, en trois actes et en vers. Le 24 juin 1661, cette pièce fut jouée en présence d'un concours considérable de spectateurs, qui tous ne venaient pas pour applaudir. Malheureusement pour ceux qui jalousaient Molière, le champ de bataille resta à ce dernier. Il put enregistrer un nouveau triomphe, car de tous les points de la salle du Palais-Royal ce fut, pendant le temps que dura la représentation, un tolle d'admiration, des applaudissements sans cesse renouvelés. Un des détracteurs de Molière prétendit que c'était une pâle copie des Adelphes de Térence. Il se trompait. Le sujet avait été puisé en un joli conte de Boccace, dans lequel une femme éprise d'un jeune homme s'arrange de façon à se donner pour complice involontaire son propre confesseur, qui, sans s'en douter et croyant remplir les devoirs de son ministère, porte les billets doux. Molière, au confesseur, substitue un tuteur ridicule et d'un certain âge, et à la femme mariée, une jeune pupille que l'amoureux a l'intention d'épouser.

1Aujourd'hui lycée Louis-le-Grand.
2Ceci nous rappelle ces prospectus que nous ne pouvons jamais lire sans hausser les épaules, et où s'étalent: le fin, le demi-fin, l'extra-fin, le super-fin, etc., et qui ne sont, en résumé, que la dernière expression du charlatanisme le moins fin.