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Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second

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Aux yeux de Paris enchanté,
Reçois en ce jour un hommage,
Que confirmera d'âge en âge
La sévère postérité.
Non, tu n'as pas besoin d'atteindre au noir rivage,
Pour jouir des honneurs de l'immortalité,
Voltaire, reçois la couronne
Que l'on vient de te présenter;
Il est beau de la mériter,
Quand c'est la France qui la donne!
 

«On a crié bis, et l'actrice a recommencé. Après, chacun est allé poser sa guirlande autour du buste. Mademoiselle Fanier, dans une extase fanatique, l'a baisé et tous les autres comédiens l'ont suivie.

«Après cette cérémonie fort longue, accompagnée de vivats qui ne cessaient point, la toile s'est encore baissée, et quand on l'a relevée pour jouer Nanine, comédie de M. de Voltaire, on a vu son buste à la droite du théâtre, qui y est resté durant toute la représentation.

«M. le comte d'Artois n'a pas osé se montrer trop ouvertement; mais instruit, suivant l'ordre qu'il en avait donné, dès que M. de Voltaire serait à la Comédie, il s'y est rendu incognito, et l'on croit que dans un moment où le vieillard est sorti et passé quelque part, sous prétexte d'un besoin, il a eu l'honneur de voir de plus près cette Altesse Royale et de lui faire sa cour.

«Nanine jouée, nouveau brouhaha, autre embarras pour la modestie du philosophe; il était déjà dans son carrosse et l'on ne voulait pas le laisser partir; on se jetait sur les chevaux, on les baisait, on a entendu même de jeunes poëtes, s'écrier qu'il fallait les dételer et se mettre à leur place, pour reconduire l'Apollon moderne; malheureusement, il ne s'est pas trouvé assez d'enthousiastes de bonne volonté, et il a enfin eu la liberté de partir, non sans des vivats, qu'il a pu entendre du Pont-Royal et même de son hôtel.

«Telle a été l'apothéose de M. de Voltaire, dont mademoiselle Clairon avait donné chez elle un échantillon, il y a quelques années, mais devenue un délire plus violent et plus général.

«M. de Voltaire, rentré chez lui, a pleuré de nouveau et protesté modestement que s'il avait prévu qu'on eût fait tant de folies il n'aurait pas été à la Comédie.

«Le lendemain, ç'a été chez lui une procession de monde, qui est venu successivement lui renouveler en détail les éloges et les faveurs qu'il avait reçus en chorus la veille; il n'a pu résister à tant d'empressement, de bienveillance et de gloire, et il s'est décidé sur-le-champ à acheter une maison.»

La mort approchait à grands pas pour le vieillard; déjà, à plusieurs reprises, il lui avait échappé pour ainsi dire miraculeusement; elle s'apprêtait à saisir sa proie. Cependant le 13 avril, un second triomphe, presque pareil au premier, lui était encore réservé au spectacle de madame de Montesson. Les princes de la famille d'Orléans, malgré le déplaisir que cela ne pouvait manquer de causer à la famille royale, et surtout au bon Louis XVI, voulurent recevoir Voltaire. Le duc de Chartres le combla d'éloges, le père l'accueillit avec une bienveillance marquée, le força de s'asseoir en sa présence. La duchesse de Chartres, malade et au lit, s'empressa de se faire habiller et passa chez son Altesse.

Tous les honneurs rendus au chef de la secte des philosophes dans toutes les classes de la société n'étaient pas de nature à calmer le clergé, et bientôt plusieurs prédicateurs firent contre lui, du haut de la chaire, de violentes sorties; de façon que son séjour à Paris devint presque un grand événement de politique intérieure.

Le 17 avril, Voltaire se rendit encore une fois à l'Académie, puis de là au Théâtre-Français. Il se plaça dans une petite loge, incognito. On jouait Alzire. Le parterre l'ayant entrevu, interrompit la pièce pour l'applaudir et, à sa sortie, le chevalier de Lescure, officier au régiment d'Orléans, infanterie, lui récita l'impromptu suivant:

 
Ainsi chez les Incas, dans leurs jours fortunés,
Les enfants du Soleil, dont nous suivons l'exemple,
Aux transports les plus doux étaient abandonnés,
Lorsque de ses rayons il éclairait leur temple.
 

Voltaire répondit à ce pitoyable quatrain par ces deux vers de Zaïre:

 
Des chevaliers français tel est le caractère,
Leur franchise en tout temps me fut utile et chère.
 

Ce qu'on trouva passablement impertinent dans sa bouche.

Le 30 mai, cet homme prodigieux mourut en disant au curé de Saint-Sulpice, qui lui demandait s'il croyait en Dieu: «Oui.» Le même ecclésiastique lui ayant adressé cette autre question: «Croyez-vous en Jésus-Christ» il n'eut que le temps de répliquer: «Au nom de Dieu, ne m'en parlez pas!»

Nous ne raconterons pas ici tout ce à quoi donna cours la mort de Voltaire dans les sphères religieuses; nous nous bornons aux anecdotes dramatiques. Avec son existence ne cessèrent pas les honneurs qu'on lui rendit. Il avait été reçu franc-maçon de la loge dite des Neuf-Sœurs. Le 29 novembre, la loge lui fit une sorte de service raconté de la manière suivante dans un ouvrage de cette époque:

«29 Novembre. La cérémonie funéraire dont la loge des Neuf-Sœurs se proposait d'honorer la mémoire du frère Voltaire, en suppléant en quelque sorte ainsi à celle que lui avait refusée l'Église, a eu lieu hier, jour indiqué. Pour la rendre plus solennelle, M. d'Alembert devait se faire recevoir maçon avant et y représenter l'Académie Française en la personne de son secrétaire; mais le grand nombre de ses membres très-circonspects a craint, qu'après tout ce qui s'était passé, cette démarche ne scandalisât, ne réveillât la fureur du clergé, n'indisposât la Cour; c'est devenu la matière d'une délibération de la Compagnie, qui a lié ce philosophe, quoique très-indiscrètement il eût donné sa parole en particulier. La loge, désolée de ne pouvoir faire cette acquisition, en a été un peu dédommagée par le peintre Greuze, très-utile aux travaux dans sa partie.

«Après la célébration des mystères, interdite aux profanes, on a fermé la loge et l'on s'est transporté dans une vaste enceinte en forme de temple où la fête devait se célébrer. Le vénérable frère La Lande, les frères Franklin et comte de Strogonoff, ses assistants, ainsi que tous les grands-officiers et frères de la loge étant entrés pour faire les honneurs de l'assemblée, le grand-maître des cérémonies a introduit les frères visiteurs deux à deux, au nombre de plus de cent cinquante; un orchestre considérable, dans une tribune, jouait, pendant cette marche, celle d'Alceste: il a exécuté ensuite différents morceaux de Castor et Pollux, et tout le monde étant en place, le frère abbé Cordier de Saint-Firmin, agent-général de la loge et celui auquel on doit l'imagination de la fête, est venu annoncer que madame Denis et madame la marquise de Villette désiraient recevoir la faveur de jouir du spectacle: la permission accordée, ces deux dames sont entrées, l'une conduite par le marquis de Villette et la seconde par le marquis de Villeville. Elles n'ont pu qu'être frappées du coup d'œil imposant du local et de l'assemblée, qui était restée décorée de ses différents cordons bleus, rouges, noirs, blancs, jaunes, etc., suivant les grades.

«Après avoir passé sous une voûte étroite, on trouvait une salle immense tendue de noir dans son pourtour et dans son ciel, éclairée seulement par de tristes lampes, avec des cartouches en transparents, où l'on lisait des sentences en prose et en vers, toutes tirées des œuvres du frère défunt. Au fond se voyait le cénotaphe.

«Les discours d'apparat ont commencé. Le vénérable a d'abord fait le sien, relatif à ce qui allait se passer: l'orateur de la loge des Neuf-Sœurs, frère Changeux, a parlé après lui un peu plus longuement: frère Coron, l'orateur de la loge de Thalie, affiliée à celle des Neuf-Sœurs, a débité son compliment de mémoire, et, quoique plus court, il a paru le meilleur; enfin frère La Dixmerie a commencé l'Éloge de Voltaire. Il a suivi la méthode de l'Académie Française et a lu son cahier, ce qui refroidit beaucoup le panégyriste et l'auditoire. On y a observé quelques traits saillants, mais peu de faits et point d'anecdotes. Frère La Dixmerie s'est étendu trop amplement sur les œuvres de ce grand homme, qu'il a disséquées en détail, et n'a point assez parlé de sa personne. Nulle digression vigoureuse, nul écart, nul élan; on voyait que l'auteur, continuellement dans les entraves, ne marchait qu'avec une circonspection timide, qui l'obligeait de faire de la réticence sa figure favorite. Le seul endroit où il se soit animé et ait mis un peu de chaleur, ç'a été dans son apostrophe aux ennemis fougueux de son héros, où, après avoir dit tout ce qui pouvait les toucher, les attendrir: si sa mort enfin ne vous réduit au silence, a-t-il ajouté, je ne vois plus que la foudre qui puisse en vous écrasant vous y forcer! A l'instant, des coups redoublés de tonnerre d'opéra se font entendre: le cénotaphe a disparu, et l'on n'a plus vu dans le fond qu'un grand tableau représentant l'Apothéose de Voltaire

On conçoit que les épitaphes ne manquèrent pas à Voltaire.

En voici une qu'on attribue à Rousseau:

 
Plus bel esprit que grand génie,
Sans loi, sans mœurs et sans vertu,
Il est mort comme il a vécu,
Couvert de gloire et d'infamie.
 

La suivante est de M. de Laplace:

 
O Parnasse! frémis de douleur et d'effroi!
Muses, abandonnez vos lyres immortelles:
Toi dont il fatigua les cent voix et les ailes,
Dis que Voltaire est mort; pleure et repose-toi!
 

Enfin Dorat fit son portrait dans les vers suivants:

 
Raphaël pour le trait, Rubens pour la couleur,
De la prose et des vers possédant la magie,Écrivain très-sensible, ou très-malin railleur,
Dans le vaste champ du génie
De chaque genre il a cueilli la fleur:
Le rire est son secret, son arme est la saillie:
Que de fois dans ces riens dont il est créateur,
Déguisant la raison sous l'air de la folie,
Sans en prendre le ton, il fut législateur!
Sachant tout embrasser, sans peine il associe
Le compas de Newton aux pompons d'Émilie;
Même après La Fontaine il est joyeux conteur,
Même après l'Arioste il charme l'Italie;
Il s'élève, descend, gaîment se multiplie:
Plein de grâce ou de nerf, de souplesse et d'ardeur,
Il plane en aigle, en serpent se replie,
Au Plaute des Français laisse la profondeur,
Et va d'un fard brillant enluminer Thalie.
Plus piquant que fidèle, agréable et trompeur,
Par ses jolis romans l'histoire est embellie;
Bien loin de se montrer scrupuleux narrateur
Des sottises, qu'il apprécie
Toujours en philosophe, il ment à son lecteur,
Qu'avec la vérité si souvent on ennuie;
Et, rival des anciens, autant qu'imitateur,
Dans l'Epopée ou dans la Tragédie,
Ornant ce qu'il dérobe, il est plus qu'inventeur.
 

Quelques mois après la mort de Voltaire, un auteur, resté quelque temps inconnu, composa une sorte d'apothéose du grand écrivain. C'était une petite comédie intitulée: les Muses rivales, en un acte et en vers, représentée avec le plus grand succès sur la scène française le 1er février 1779. Cette apothéose était dans le genre de celle faite pour Molière. Elle avait été remise en grand mystère aux comédiens, par le comte d'Argental. Le sujet était celui-ci: Chacune des neuf Muses prétend que l'illustre mort lui appartient comme ayant excellé dans le genre auquel elle préside et réclame le privilége de le présenter au dieu des beaux-arts. Les Muses rivales, fort bien reçues du public, furent très-mal accueillies par le clergé. L'archevêque de Paris essaya d'entraver les représentations; mais on passa outre. C'est sans doute pour éviter les colères de l'Église que l'auteur garda l'anonyme quelque temps, malgré son succès. Il se fit enfin connaître: c'était Laharpe.

 

Cette petite pièce, toute de circonstance, fut donnée en même temps que l'Ésope à la cour, une des bonnes comédies de Boursault, remise à la scène par ordre de Louis XVI, et à la suite d'une circonstance qui prouve les bonnes qualités de cet excellent roi. Dans l'Ésope de Boursault il y a une scène de courtisans auxquels le prince permet de lui reprocher ses défauts. Tous ne lui trouvent que des qualités, à l'exception d'un seul qui le blâme d'aimer le vin, vice dangereux chez tout homme, mais encore plus pernicieux chez un monarque. Madame de Mailly faisait souvent boire Louis XV. Un jour qu'on représentait devant lui Ésope à la cour, il crut que la reine avait choisi avec intention cette pièce pour lui faire pièce, selon l'expression vulgaire. Fort mécontent, il défendit de la représenter de nouveau. Après sa mort, les comédiens voulurent la reprendre; mais les gentilshommes de la chambre, craignant, sans doute encore, l'ombre de Louis XV ou pensant que ce qui avait déplu à un roi devait déplaire à son successeur, s'opposèrent à ce qu'elle fût jouée. Louis XVI n'en fut pas plus tôt informé, qu'il ordonna de la représenter devant lui. Il la trouva admirable, pleine de belles pensées et formant une excellente école pour les souverains.

Nous avons déjà parlé de l'abbé Pellegrin au premier volume de cet ouvrage, à propos des tragédies de cet auteur fécond, nous ajouterons seulement ici qu'il fit jouer et écrivit quelques comédies peu intéressantes, et nous ne rappelons de nouveau son nom que pour avoir l'occasion de citer les deux curieuses épitaphes suivantes:

 
Pellegrin rarement s'applique
A faire sermons en trois points:
Trois théâtres font tous les soins
De ce prêtre tragi-comique;
Tantôt par de nobles travaux,
Il fournit de farces la foire,
Tantôt il pourchasse la gloire
Jusqu'au théâtre de Quinault.
A l'Opéra sa muse éclate
Il brille donc en trois endroits.
Volontiers je comparerois
Pellegrin à la triple Hécate.
 

Voici l'autre:

 
Enfin l'auteur du Nouveau Monde
Vient de partir pour l'autre monde;
Muses, tous vos regrets sont ici superflus,
Passants, dites pour lui ce qu'il ne disait plus,
Pater, Ave.
 

Nous voici en face d'un auteur, La Chaussée, qui est, sinon l'inventeur, du moins le rénovateur d'un genre qui a reçu de nos jours un terrible développement, la tragédie bourgeoise ou drame. L'éloge et le blâme ont été distribués à La Chaussée par des contemporains d'un grand mérite; aujourd'hui, nous aurions mauvaise grâce à ne pas l'absoudre, car le genre auquel il sacrifia est sans contredit celui qui plaît le plus, en France, aux masses populaires; et si les partisans de la haute tragédie, de la bonne comédie, ont pu jadis et jusqu'à un certain point refuser d'admettre cette innovation dans l'art dramatique, nous ne pouvons, nous, être aussi sévères. La Chaussée était un homme aimable et honnête. On trouve dans ses productions dramatiques de la raison, de la noblesse et surtout du pathétique. Deux de ses pièces (et il en a donné une vingtaine au théâtre), l'École des mères et Mélanide, ont un mérite réel. Deux autres, Maximin et le Préjugé à la mode, renferment de bonnes choses. Le Préjugé à la mode fit école. A l'exception de ces quatre pièces, comédies et drames, comme on voudra les appeler, son répertoire ne présente plus guère, il faut l'avouer, que des pièces médiocres, romanesques, n'ayant rien de naturel et à plans défectueux. Ainsi que nous venons de le dire, le genre adopté par cet auteur a eu d'ardents adversaires et de zélés sectateurs et aussi des imitateurs, même au dix-huitième siècle, principalement le fameux Caron de Beaumarchais. Ce qu'il y a de positif, c'est que ce genre a été goûté du public et fort applaudi. Or, il est difficile de prétendre que toute une nation ait tort de prendre plaisir à certaine chose, et que cette chose doive être déclarée mauvaise. Ne pas admettre différents genres, ce serait vouloir n'adopter qu'une fleur dans un jardin et en faire arracher les autres, ou bien, comme le philosophe, ne voir qu'une couleur dans la nature entière.

Molière et ceux qui ont cherché à marcher sur ses traces se sont attachés à peindre les ridicules; d'autres se sont bornés à conduire, à dialoguer avec art une intrigue; quelques-uns à développer le sentiment dans tout son naturel. Le genre de La Chaussée tient en partie de ces trois genres. Il joignit à tout cela le pathétique, ce qui fit donner à ses pièces le surnom de Comédies larmoyantes, surnom moins ridicule qu'on n'a voulu le faire croire à son époque, puisqu'il a été un temps où l'on appelait comédies même les tragédies. Le drame ou tragédie bourgeoise nous semble une conséquence des idées libérales appliquées au théâtre, et de fait nous ne voyons pas pourquoi les malheurs des rois, des princes et des grands de la terre auraient seuls le privilége de provoquer les sympathies et les larmes. Aujourd'hui, du reste, les choses ont bien changé. Nous doutons que l'admirable et regrettable Rachel, quelque talent qu'elle ait jamais déployé, ait fait verser autant de pleurs sur les douleurs des reines et des princesses, que nous en voyons répandre sur les malheurs du chiffonnier, de l'ouvrière, de l'homme du peuple. Chaque soir, la plus médiocre actrice de la Porte-Saint-Martin, de l'Ambigu ou de la Gaîté fait pleurer à chaudes larmes son auditoire, en criant à gorge déployée une fort médiocre prose dans quelque drame atrocement vulgaire; tandis que le plus habile artiste du Théâtre-Français aura de la peine à provoquer un simple mouvement de sensibilité parmi des spectateurs, froids et calmes admirateurs des beaux vers de nos grands poëtes, mais peu touchés des malheurs de Didon ou de la douleur de Camille.

Ce qui, à l'époque de La Chaussée, révolta le plus dans le nouveau genre dramatique, c'est le passage subit du comique au sérieux et le mélange de l'un et de l'autre; cependant rien de plus naturel que de voir un valet, par exemple, rire tandis que son maître s'afflige, ou sous le même toit la joie et la tristesse. L'auteur du Préjugé à la mode connaissait bien le théâtre, mais il savait aussi mieux disserter que peindre, ce qui l'a empêché de perfectionner le genre qu'il avait adopté. Ses pièces sont souvent d'une longueur assommante, ce qui les a fait comparer à de froids et ennuyeux sermons. Pour tout dire, en un mot, on applaudit souvent La Chaussée, on ne l'admira jamais.

La Chaussée fit ses études à Louis-le-Grand, alors dirigé par les Jésuites; quoique né en 1692, il ne donna ses premières pièces qu'en 1733. Il fut reçu à l'Académie en 1736, et prononça alors un discours de remerciement, moitié en prose moitié en vers, qui fut fort goûté. Il mourut en 1754, à l'âge de soixante-deux ans. C'est à lui que Piron fait allusion dans la Métromanie, en disant:

 
Dans ma tête, un beau jour, ce talent se trouva,
Et j'avais cinquante ans quand cela m'arriva.
 

La première pièce de La Chaussée fut la Fausse Antipathie, comédie en trois actes, en vers, avec un prologue (1733). Il en fit lui-même la critique en 1734, pour répondre aux censeurs du comique larmoyant.

En 1735, La Chaussée fit jouer le Préjugé à la mode, comédie en cinq actes et en vers. Voici ce que Voltaire dit à propos de cette pièce qui fit école:

«Depuis 1673, année dans laquelle la France perdit Molière, on ne vit pas une seule pièce supportable, jusqu'au jour de Regnard; et il faut avouer qu'il n'y a que lui seul, après Molière, qui ait fait de bonnes comédies en vers. La seule pièce de caractère qu'on ait eue depuis lui a été le Glorieux, de Destouches, dans laquelle tous les personnages ont été généralement applaudis, excepté malheureusement celui du Glorieux, qui est le sujet de la pièce. Rien n'étant si difficile que de faire rire les honnêtes gens, on se réduisit à donner des comédies romanesques, qui étaient moins la peinture fidèle des ridicules que des essais de tragédie bourgeoise. Ce fut une espèce bâtarde, qui, n'étant ni comique ni tragique, manifestait l'impuissance de faire des tragédies et des comédies. Cette espèce cependant avait un mérite, celui d'intéresser, et dès qu'on intéresse, on est sûr du succès. Quelques auteurs joignirent aux talents que ce genre exige, celui de semer leurs pièces de vers heureux. Voici comme ce genre s'introduisit:

«Quelques personnes s'amusaient à jouer, dans un château, de ces petites farces qu'on appelle parades. On en fit une en l'année 1732, dont le principal personnage était le fils d'un négociant de Bordeaux, très-bon homme et marin fort grossier, lequel, croyant avoir perdu sa femme et son fils, venait se remarier à Paris après un long voyage dans l'Inde. Sa femme était une impertinente, qui était venue faire la grande dame dans la capitale, manger une grande partie du bien acquis par son mari, et marier son fils à une demoiselle de condition. Le fils, beaucoup plus impertinent que la mère, se donnait des airs de seigneur, et son plus grand air était de mépriser beaucoup sa femme, laquelle était un modèle de vertu et de raison. Cette jeune femme l'accablait de bons procédés sans se plaindre, payait ses dettes secrètement quand il avait joué et perdu sur parole, et lui faisait tenir de petits présents très-galants sous des noms supposés. Le marin revenait à la fin de la pièce et mettait ordre à tout.

«Une actrice de Paris, fille de beaucoup d'esprit, nommée mademoiselle Quinault, ayant vu cette farce, conçut qu'on en pourrait faire une comédie fort intéressante, et d'un genre tout nouveau pour les Français, en exposant sur le théâtre le contraste d'un jeune homme, qui croirait en effet que c'est un ridicule d'aimer sa femme, et d'une épouse respectable qui forcerait enfin son mari à l'aimer publiquement. Elle pressa l'auteur d'en faire une pièce régulière, noblement écrite; mais ayant été refusée, elle demanda la permission de donner ce sujet à M. de La Chaussée, qui faisait fort bien les vers et qui avait de la correction dans le style. Ce fut ce qui valut au public le Préjugé à la mode

Après l'École des amis, en 1737, la tragédie de Maximien en 1738, La Chaussée fit jouer en 1741 Mélanide, comédie en cinq actes et en vers. Cette pièce, tirée d'un roman intitulé Mademoiselle du Bontems, est peut-être la meilleure de son répertoire, dans le genre attendrissant. Piron, qui comparait ces espèces de drames à de froids sermons (et il n'était pas dans le vrai), disait un jour à un de ses amis qui se rendait au théâtre où l'on jouait Mélanide: «Tu veux donc entendre prêcher le Père de La Chaussée?» Il fit sur cette même pièce le joli couplet suivant:

 
 
Connaissez-vous sur l'Hélicon
L'une et l'autre Thalie?
L'une est chaussée et l'autre non;
Mais c'est la plus jolie;
L'une a le souris de Vénus,
L'autre est froide et pincée;
Salut à la belle aux pieds nus,
Nargue de la Chaussée.
 

En 1743, vint Paméla, comédie en cinq actes et en vers, non imprimée, qui tomba à plat, un peu grâce à un vers ridicule. Un des personnages se plaint de n'avoir pas le temps nécessaire pour faire une commission, un autre lui répond:

 
Vous prendrez mon carrosse, afin d'aller plus vite.
 

Après la première représentation, un plaisant dit à un de ses amis qui lui demandait à la porte: «Comment va Paméla? – Elle pâme, hélas!»

Une autre comédie en cinq actes et en vers, la Gouvernante, jouée en 1747, fut inspirée à La Chaussée par un admirable trait de M. de la Falucre, premier-président du Parlement de Bretagne.

Ce président, n'étant encore que conseiller, avait été nommé rapporteur d'une affaire. Il en laissa l'examen à des personnes qu'il croyait d'aussi bonne foi que lui. Sur l'extrait qui lui en fut remis, il rapporta le procès. Quelques mois après le jugement, il reconnaît que sa trop grande confiance et sa précipitation ont dépouillé une famille honorable et pauvre des seuls biens qui lui restaient; il ne dissimule point sa faute. Mais ne pouvant faire rétracter l'arrêt qui avait été signifié et exécuté, il se donne les plus grands mouvements pour retrouver les malheureuses victimes de sa négligence. Il les trouve enfin; il ne craint point de leur avouer ce dont il se sent coupable, et les force d'accepter, de ses propres deniers, la somme qu'il leur avait fait perdre involontairement.

Le Retour de jeunesse, comédie en cinq actes et en vers, représentée en 1749, avait d'abord pour titre: Le Retour de soi-même; mais les amis de La Chaussée, n'ignorant pas que l'on se moquait de l'auteur et qu'on le nommait le Prédicateur de théâtre, l'engagèrent à ne pas donner à sa comédie un titre qui ressemblait à celui d'un sermon. On trouve dans cette pièce ces deux vers passablement ridicules:

 
En passant par ici, j'ai cru de mon devoir
De joindre le plaisir à l'honneur de vous voir.
 

Piron, passant un jour devant la demeure de La Chaussée, lui remit sa carte sur laquelle il avait eu la piquante et spirituelle idée d'écrire ces deux vers.

L'Homme de fortune, en cinq actes et en vers, fut donné au château de Bellevue et joué par la marquise de Pompadour, ce qui n'empêcha pas la pièce d'être trouvée détestable et de ne pas obtenir même ce qu'on appelle un succès d'estime.

Nous ne parlerons pas des autres comédies de La Chaussée, lesquelles n'ont rien de saillant.

Autreau et D'Allainvalle firent, de 1725 à 1740, quelques comédies pour les Français; mais, comme ils travaillèrent principalement pour les Italiens et les théâtres de la Foire, nous parlerons plus longuement d'eux aux chapitres où nous traiterons spécialement de ces scènes de second ordre. Nous en pouvons dire autant du fécond Marivaux, qui donna au théâtre sept volumes de pièces, dont deux ou trois seulement aux Français, entre autres le Legs, une de ses meilleures et qui est souvent reprise.

A la même époque parut un auteur d'un esprit distingué, Sainte-Foix, qui fit jouer plusieurs pièces à l'Opéra et aux Italiens, et neuf jolies comédies aux Français. Ses productions, pleines d'élégance et d'une noble simplicité, ne sont jamais soumises à des plaisanteries de mauvais goût. Elles ne sont pas assaisonnées de cette grosse gaieté à la Dancourt, que nous avons signalée, et l'oreille la plus chaste peut les entendre sans crainte.

L'Oracle, une de ses comédies, jouée en 1740, donna lieu à une scène des plus bouffonnes. A la répétition générale, mademoiselle de La Motte, l'actrice chargée du rôle de la fée, ayant probablement trop bien dîné et bu un peu plus que de coutume, disait son rôle sur un ton des plus déplacés, Sainte-Foix, fort mécontent, lui arrache tout à coup la baguette magique, attribut de son rôle, en s'écriant: – «J'ai besoin d'une fée et non d'une sorcière!» L'actrice se regimbant: – «Taisez-vous! ajoute l'auteur, vous n'avez pas voix ici; nous sommes au théâtre et non au sabbat.»

Une autre des comédies de Sainte-Foix, la Colonie, donnée en 1749, n'eut qu'une représentation (quoiqu'elle fût très-jolie), par suite du fait suivant: L'acteur Poisson était venu au théâtre ivre et ne sachant pas son rôle; il laissa échapper quelques gestes hasardés, quelques paroles indécentes. Plainte fut portée au procureur-général contre la pièce qui, disait-on, était remplie d'inconvenances. Le manuscrit des comédiens ayant été demandé, on fut fort surpris de n'y pas trouver la moindre obscénité, et ordre fut donné de continuer les représentations; mais Sainte-Foix, fort mécontent, retira non-seulement la pièce, mais aussi celle du Rival supposé.

En 1753, les acteurs du Théâtre-Français ayant prié Sainte-Foix de leur donner une comédie qui pût comporter l'introduction sur la scène d'un fort joli ballet, cet auteur composa celle intitulée: Les Hommes. On nomma cette comédie le Manche à ballet.

Boissy, auteur fécond, qui donna un grand nombre de pièces aux Français, aux Italiens, à l'Opéra-Comique, commença sa carrière dramatique à l'époque de l'avénement au trône de Louis XV. Homme d'un esprit brillant, d'une imagination vive, il mit dans ses comédies un coloris gracieux. Avec un talent rare pour le dialogue et une connaissance parfaite des ridicules de son temps, il ne pouvait manquer d'avoir des succès au théâtre, quoique ses pièces pèchent souvent par le plan et par l'intrigue. Il composait mieux une scène qu'une comédie entière. Si les détails dans ses comédies sont agréables, l'ensemble laisse beaucoup à désirer. Ses études, du reste, étaient légèrement faites; aussi a-t-il composé de jolis ouvrages, mais il n'en a laissé aucun de remarquable.

Les premières pièces de Boissy furent: le Babillard, en 1725; le Français à Londres, en 1727; l'Impertinent, en 1724. Le Français à Londres donna sans doute l'idée de jouer à Londres, en 1753, l'Anglais à Paris. Le contraste des caractères des deux nations est bien saisi et bien dépeint dans la comédie de Boissy, et elle resta longtemps au théâtre.

Une de ses jolies compositions, l'Embarras du choix (1741), en cinq actes et en vers, lui donna occasion de faire le portrait de la célèbre Gaussin, dans celui de Lucile, dont elle jouait le personnage. Le voici en quelques vers:

 
Rien ne peut l'enlaidir, tout sied à sa personne;
Tout devient agrément par l'air qu'elle se donne.
On ne saurait la voir sans en être enchanté.
Son air, son caractère et son ingénuité,
Mais ingénuité fine, spirituelle;
Car elle a de l'esprit presqu'autant qu'elle est belle.
Ses grâces sans étude et qui n'ont rien d'acquis
Charment dans tous les temps, sont de tous les pays,
Et son âme parfaite, ainsi que sa figure,
Pour devoir rien à l'art, tient trop à la nature.
 

En 1744, une histoire invraisemblable et cependant parfaitement vraie, fournit à Boissy le sujet d'une comédie en deux actes, l'Époux par supercherie. Une femme épousa un individu croyant en épouser un autre. Cet homme, feignant de signer comme témoin, avait signé pour lui-même. Enfin la mariée coucha de fait avec celui qu'elle pensait être son témoin, croyant se mettre au lit avec son époux, et ne s'aperçut de rien. La donnée, quelque vraie qu'elle fût, parut absurde et le public fut d'avis qu'une aventure extraordinaire, unique en son espèce, ne peut jamais fournir matière à une bonne comédie.

La Folie du jour, jolie petite comédie en un acte et en vers, suivit de près l'Époux par supercherie et le Médecin par occasion, pièce dans laquelle la belle Gaussin se montra inimitable. Cette Folie du jour était la manie des représentations théâtrales dans tous les salons de Paris, salons de la haute société, de la Cour, de la bourgeoisie même; manie qu'on voit renaître de temps à autre en France, le pays où le théâtre est passé à l'état de nécessité journalière.

En 1736, Boissy donna aux Italiens une comédie héroïque intitulée le Comte de Neuilly, en cinq actes et en vers. Elle tomba à plat; l'auteur, dix ans plus tard, la présenta sous le nom du Duc de Surrey aux Français qui l'accueillirent bien, la jouèrent et la firent réussir. Les Italiens, reconnaissant leur enfant, né dix ans plus tôt, crièrent au vol, au scandale, et parlèrent d'intenter un procès aux Français et à Boissy. Ce dernier leur proposa de leur restituer la pièce; ils refusèrent; il leur offrit de leur en composer une autre, second refus de leur part; comme après cela l'auteur était dans son droit, la Comédie-Italienne n'eut plus d'autre ressource pour se venger, que de faire jouer une parodie intitulée le Prince de Suresne, qui eut un succès médiocre.