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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3

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Ce crime avait été commis par trois Slaves du palais, qui auparavant avaient été au service des Omaiyades. Ils n’avaient aucun grief personnel contre le monarque, car ils jouissaient de sa faveur et de sa confiance, et d’un autre côté, il ne paraît pas qu’ils se soient laissé séduire aux instigations de Khairân ou des Cordouans. Plus tard, du moins, quand ils eurent été arrêtés et condamnés au dernier supplice, ils nièrent constamment que leur dessein leur eût été suggéré par qui que ce fût. Tout porte donc à croire que, lorsqu’ils résolurent de tuer leur maître, ils voulaient délivrer le pays d’un despote dont la tyrannie était devenue insupportable.

Quoi qu’il en soit, la mort d’Alî causa une grande joie dans la capitale. Toutefois elle n’eut pas la chute des Hammoudites pour conséquence. Alî avait laissé deux fils, dont l’aîné, qui s’appelait Yahyâ, était gouverneur de Ceuta, et il avait laissé aussi un frère, Câsim, qui était gouverneur de Séville. Quelques-uns parmi les Berbers voulaient donner le trône à Yahyâ; mais d’autres firent observer qu’il vaudrait mieux le donner à Câsim qui était tout près. Leur avis prévalut, et six jours après la mort de son frère, Câsim fit son entrée dans la capitale, où on lui prêta serment.

De leur côté, Khairân et Mondhir avaient convoqué, pour le 30 avril, tous les chefs sur lesquels ils croyaient pouvoir compter. L’assemblée, qui fut nombreuse et dont plusieurs ecclésiastiques faisaient partie, résolut que le califat serait électif, et ratifia l’élection d’Abdérame IV, qui prit le titre de Mortadhâ. Cela fait, on marcha contre Grenade. Arrivé devant cette ville, Mortadhâ écrivit à Zâwî en termes très-polis et le somma de le reconnaître pour calife. Ayant entendu la lecture de cette lettre, Zâwî ordonna à son secrétaire d’écrire sur le revers la 109e sourate du Coran, conçue en ces termes:

«O infidèles! Je n’adorerai point ce que vous adorez, et vous n’adorerez pas ce que j’adore; je n’adore pas ce que vous adorez, et vous n’adorez pas ce que j’adore. Vous avez votre religion, et moi j’ai la mienne.»

Après avoir reçu cette réponse, Mortadhâ adressa à Zâwî une seconde lettre. Elle était remplie de menaces et Mortadhâ y disait entre autres choses: «Je marche contre vous accompagné d’une foule de chrétiens et de tous les braves de l’Andalousie. Que ferez-vous donc?» La lettre se terminait par ce vers:

Si vous êtes pour nous, votre sort sera heureux; mais si vous êtes contre nous, il sera déplorable!

Zâwî y répondit en citant la 102e sourate, ainsi conçue:

«Le désir d’augmenter le nombre des vôtres vous préoccupe, et vous visitez même les cimetières pour compter les morts437; cessez de le faire: plus tard vous connaîtrez votre folie! Encore une fois, cessez de le faire: plus tard vous connaîtrez votre folie! Cessez de le faire; si vous aviez la sagesse véritable, vous n’en agiriez point ainsi. Certainement, vous verrez l’enfer; encore une fois, vous le verrez de vos propres yeux. Alors on vous demandera compte des plaisirs de ce monde!»

Exaspéré par cette réponse, Mortadhâ résolut de tenter le sort des armes.

Cependant Khairân et Mondhir s’étaient aperçus que ce calife n’était pas celui qu’il leur fallait. Ils se souciaient fort peu, au fond, des droits de la famille d’Omaiya, et s’ils combattaient pour un Omaiyade, c’était à la condition qu’il se laisserait gouverner par eux. Mortadhâ était trop fier pour accepter un tel rôle; il ne se contentait nullement de l’ombre du pouvoir, et au lieu de se conformer aux volontés de ses généraux, il voulait leur imposer les siennes. Dès lors ils avaient résolu de le trahir, et ils avaient promis à Zâwî qu’ils abandonneraient Mortadhâ aussitôt que le combat se serait engagé.

Ils ne le firent pas, cependant, et l’on se battit plusieurs jours de suite. Enfin Zâwî fit prier Khairân de réaliser sa promesse. «Nous n’avons tardé à le faire, lui répondit Khairân, qu’afin de vous donner une juste idée de nos forces et de notre courage, et si Mortadhâ eût su gagner nos cœurs, la victoire se serait déjà déclarée pour lui. Mais demain, quand vous aurez rangé vos troupes en bataille, nous l’abandonnerons.»

Le lendemain matin Khairân et Mondhir tournèrent en effet le dos aux ennemis. Il s’en fallait beaucoup que tous leurs officiers approuvassent leur conduite; tout au contraire, plusieurs en étaient vivement indignés. De ce nombre était Solaimân ibn-Houd, qui commandait les troupes chrétiennes dans l’armée de Mondhir, et qui, sans se laisser entraîner par les fuyards, continuait à ranger ses soldats en bataille. Passant près de lui: «Sauve-toi donc, misérable, lui cria Mondhir; penses-tu que j’aie le loisir de t’attendre? – Ah, s’écria alors Solaimân, tu nous plonges dans un malheur effroyable, et tu couvres ton parti d’opprobre!» Convaincu cependant de l’impossibilité de la résistance, il suivit son maître.

Abandonné par la plupart de ses soldats, Mortadhâ se défendit avec le courage du désespoir, et peu s’en fallut qu’il ne tombât entre les mains des ennemis. Il leur échappa cependant, et il était déjà arrivé à Guadix, hors des limites du territoire de Grenade, lorsqu’il fut assassiné par des émissaires de Khairân.

Khairân expia, par la ruine de son propre parti, sa lâche et infâme trahison: les Slaves ne furent plus en état de réunir une armée, et les Berbers, leurs ennemis, étaient dorénavant les maîtres de l’Andalousie. Cependant Cordoue eût pu être heureuse encore, autant du moins qu’un peuple peut l’être quand il est dominé par un autre peuple. Le régime du sabre avait à peu près cessé; un gouvernement moins irrégulier et moins dur tendait à s’affermir. Câsim aimait la paix et le repos; il n’aggravait pas les maux des Cordouans par des oppressions nouvelles. Voulant faire oublier les anciennes dissensions, il fit venir Khairân, se réconcilia avec lui, et donna à un autre Slave, Zohair, le seigneur de Murcie, les fiefs de Jaën, de Calatrava et de Baëza. Son orthodoxie était bien un peu suspecte: on le disait attaché aux doctrines chiites; cependant, quelles qu’aient été ses propres opinions, non-seulement il ne les imposait à personne, mais il n’en parlait même pas, et ne changea rien à l’état de l’Eglise. Grâce à la modération de ce prince, la dynastie hammoudite avait donc des chances de durée. Il est vrai que le peuple de la capitale avait peu d’affection pour elle; mais à la longue il se serait probablement consolé de la perte de ses anciens maîtres, si des circonstances indépendantes de sa volonté n’eussent fait renaître des espérances déjà prêtes à s’évanouir.

Se défiant des Berbers, Câsim chercha ailleurs ses appuis. Les Berbers avaient à leur service beaucoup d’esclaves noirs. Câsim les leur acheta, en fit venir d’autres d’Afrique, en forma des régiments, et confia à leurs chefs les postes les plus considérables438. Il irrita par là les Berbers, et son neveu Yahyâ sut exploiter à son profit leur mécontentement. Il leur écrivit une lettre où il leur disait entre autres choses: «Mon oncle m’a privé de mon héritage, et il vous a fait un grand tort en donnant à vos esclaves noirs les emplois qui vous appartiennent. Eh bien! si vous voulez me donner le trône de mon père, je m’engage à mon tour à vous rendre vos dignités et à remettre les nègres à leur place.» Comme il était à prévoir, les Berbers lui promirent leur appui. Yahyâ passa donc le Détroit avec ses troupes et aborda à Malaga, dont son frère Idrîs, qui faisait cause commune avec lui, était gouverneur. Il y reçut une lettre de Khairân, qui, toujours prêt à soutenir chaque prétendant sauf à se tourner contre lui quand il triomphait, lui rappelait ce qu’il avait fait pour son père et lui offrait ses services. Idrîs lui conseilla de ne pas accepter cette offre. «Khairân, dit-il, est un homme perfide, il veut vous tromper. – J’en conviens, lui répondit Yahyâ, mais laissons-nous tromper, puisque nous n’y perdons rien,» et il écrivit au seigneur d’Almérie pour lui dire qu’il acceptait ses services, après quoi il se prépara à marcher vers Cordoue. Son oncle jugea prudent de ne pas l’attendre. Dans la nuit du 11 au 12 août 1021, il s’enfuit vers Séville, accompagné seulement de cinq cavaliers, et un mois plus lard, son neveu fit son entrée dans la capitale. Son règne, toutefois, fut de courte durée. Les nègres ne tardèrent pas à aller rejoindre Câsim; plusieurs capitaines andalous suivirent leur exemple, et à la fin Yahyâ se vit même abandonné par une grande partie des Berbers, qu’indignait son orgueil. Sa position devint alors si dangereuse, qu’il craignait à chaque instant d’être arrêté dans son propre palais. Il résolut donc de se mettre en sûreté, et abandonnant Cordoue à son sort, il partit de nuit pour se rendre à Malaga. Câsim revint alors, et le 12 février 1023 il fut proclamé calife pour la seconde fois; mais son pouvoir ne reposait sur aucune base solide et il diminua de plus en plus. En Afrique Idrîs, qui était alors gouverneur de Ceuta, lui enleva la ville de Tanger qu’il avait fait fortifier avec soin et où il comptait se retirer dans le cas qu’il ne pût se maintenir en deçà du Détroit; en Espagne Yahyâ lui enleva Algéziras, où se trouvait son épouse ainsi que ses trésors. Dans la capitale même, il ne pouvait compter que sur les nègres. Encouragés par cet état de choses, les Cordouans, qui avaient vu avec une froide indifférence la lutte entre l’oncle et le neveu, recommencèrent à remuer. L’idée de s’affranchir du joug des Berbers était au fond de tous les cœurs, et le bruit se répandit qu’un membre de la famille d’Omaiya se montrerait bientôt pour prendre possession du trône. Câsim s’en alarma, et comme aucun Omaiyade n’avait été nommé, il donna l’ordre d’arrêter tous ceux que l’on pourrait trouver. Ils se cachèrent alors, soit parmi les gens des classes inférieures, soit dans les provinces; mais les mesures de Câsim n’empêchèrent pas la révolution d’éclater. Poussés à bout par les vexations des Berbers, les Cordouans prirent les armes le 31 juillet 1023. Après un combat acharné, les deux partis conclurent une espèce de paix ou plutôt de trève, en promettant de se respecter réciproquement. Cette trève fut de courte durée, bien que Câsim tâchât de la prolonger par une condescendance simulée envers le peuple. Le vendredi 6 septembre, après le service divin, le cri: Aux armes, aux armes! se fit entendre de toutes parts, et alors les Cordouans chassèrent Câsim et ses Berbers, sinon des faubourgs, du moins de la ville même. Câsim s’établit à l’ouest, et assiégea les insurgés pendant plus de cinquante jours. Ils se défendirent avec une grande opiniâtreté; mais quand ils commencèrent à manquer de vivres, ils demandèrent aux assiégeants la permission de quitter la ville avec leurs femmes et leurs enfants. Cette proposition fut rejetée, et alors les Cordouans prirent une résolution que le désespoir leur dictait. Ayant démoli une porte, ils sortirent tous de la ville le jeudi 31 octobre, et se ruèrent avec tant de fureur sur leurs ennemis, que ceux-ci prirent la fuite dans le plus grand désordre. Les capitaines se retirèrent dans leurs fiefs; Câsim lui-même espérait trouver un refuge à Séville; mais encouragée par l’exemple que Cordoue lui avait donné, cette ville lui ferma ses portes et se constitua en république. Il se jeta alors dans Xeres; mais Yahyâ vint l’y assiéger et le força à se rendre. Le rôle que Câsim avait joué sur la scène politique finit alors. Yahyâ, qui l’avait traîné à Malaga chargé de fers, avait juré de le tuer; mais ses scrupules l’empêchèrent longtemps de tenir son serment. Dans son sommeil il croyait voir son père qui lui disait: «Ne tue pas mon frère, je t’en conjure. Quand j’étais encore enfant, il m’a fait beaucoup de bien, et quoiqu’il fût mon aîné, il ne m’a pas disputé le trône.» Maintefois néanmoins, quand il était ivre, il voulait le mettre à mort; mais il cédait toujours aux conseils de ses convives qui lui représentaient que, puisque Câsim était prisonnier, il ne pouvait lui nuire. Câsim resta donc enfermé pendant treize ans dans un château de la province de Malaga; mais dans l’année 1036 Yahyâ entendit dire qu’il avait tâché de gagner la garnison et de la pousser à une révolte. «Eh quoi! s’écria-t-il alors, ce vieillard a-t-il encore de l’ambition? Dans ce cas, il faut en finir avec lui,» et il donna l’ordre de l’étrangler439.

 

Quant aux Cordouans, ayant recouvré leur indépendance, ils résolurent, non pas en tumulte, mais avec ordre, avec régularité, de replacer les Omaiyades sur le trône. Dans le mois de novembre 1023, des assemblées furent formées, des délibérations établies. Les vizirs résolurent de proposer à leurs concitoyens trois personnes, entre lesquelles ils auraient à choisir, à savoir Solaimân, un fils d’Abdérame IV Mortadhâ, Abdérame, un frère de Mahdî, et Mohammed ibn-al-Irâkî. Ils se tenaient convaincus que Solaimân, dont ils avaient mis le nom en tête de la liste, obtiendrait la pluralité des suffrages; aussi le secrétaire d’Etat, Ahmed ibn-Bord, avait déjà fait dresser l’acte d’investiture au nom de ce candidat.

Leur influence, toutefois, était moins grande qu’ils ne l’avaient cru, et ils s’étaient gravement trompés quand ils pensaient que le parti du second candidat, Abdérame, n’était pas à craindre. Cet Abdérame, un jeune homme de vingt-deux ans qui avait été exilé par les Hammoudites, était rentré secrètement dans la capitale peu de temps auparavant. Témoin de la révolte des Cordouans contre les Berbers, il avait tâché à cette occasion de se former un parti et de se faire proclamer calife. Ce projet avait échoué. Les vizirs, qui dirigeaient l’insurrection et qui ne voulaient pas de lui, avaient fait jeter ses émissaires dans la prison, où ils étaient encore au moment où l’élection allait avoir lieu, et ils avaient essayé de faire arrêter Abdérame lui-même. Plus tard, toutefois, quand ils formèrent une liste de candidats, ils avaient cru devoir y placer son nom, car ils craignaient que, s’ils ne le faisaient pas, ils mécontenteraient plusieurs de leurs concitoyens; mais loin de penser que ce prince serait pour Solaimân un compétiteur dangereux, ils le mettaient au contraire à peu près sur la même ligne que le troisième candidat, Mohammed ibn-al-Irâkî, qui ne jouissait d’aucune popularité.

Se croyant donc sûrs de leur fait, les vizirs invitèrent les nobles, les soldats et le peuple à se réunir dans la grande mosquée le 1er décembre, afin de choisir un calife. Au jour fixé, Solaimân se présenta le premier dans la mosquée, accompagné du vizir Abdallâh ibn-Mokhâmis. Il était vêtu avec magnificence et la joie brillait sur son visage, car il se tenait convaincu que le choix du peuple tomberait sur lui. Ses amis vinrent à sa rencontre et le prièrent de s’asseoir sur une estrade fort élevée, qui avait été dressée pour lui. Quelque temps après, Abdérame entra dans la mosquée par une autre porte. Il était entouré de beaucoup de soldats et d’ouvriers, et aussitôt que cette multitude eut passé le seuil de la porte, elle le proclama calife en faisant retentir l’édifice d’acclamations bruyantes. Les vizirs, qui ne s’attendaient à rien de semblable, étaient plongés dans une stupeur qui les rendait muets, et d’ailleurs il leur eût été impossible de se faire entendre au milieu du tumulte. Ils se résignèrent donc à accepter Abdérame comme calife, et Solaimân, encore plus étonné et plus troublé qu’eux, fut forcé de leur donner l’exemple. On l’entraîna vers Abdérame, auquel il baisa la main et qui le fit asseoir à ses côtés. Le troisième candidat, Mohammed ibn-al-Irâkî, prêta aussi le serment, et alors le secrétaire d’Etat effaça avec un grattoir le nom de Solaimân dans l’acte d’investiture, et y substitua celui d’Abdérame V, qui prit le titre de Mostadhhir.

XVII

Quand on raconte l’histoire d’une époque désastreuse et déchirée par les guerres civiles, on éprouve parfois le besoin de détourner la vue des luttes de partis, des convulsions sociales, du sang versé, et de distraire l’imagination en se reportant vers un idéal de calme, d’innocence et de rêverie. Nous nous arrêterons donc un instant pour appeler l’attention sur les poèmes qu’un amour pur et candide a inspirés au jeune Abdérame V et à son vizir Ibn-Hazm. Il s’en exhale comme un parfum de jeunesse, de simplicité et de bonheur, et ils ont un attrait d’autant plus irrésistible, que l’on s’attendait moins à entendre ces accents doux et sereins au milieu du bouleversement universel, ce chant de rossignol au milieu de l’orage.

Presque enfant encore, Abdérame aimait éperdument sa cousine Habîba (Aimée), la fille du calife Solaimân. Mais il soupirait en vain. La veuve de Solaimân s’opposait au mariage, et lui donnait à entendre que rien ne pressait. Il composa alors ces vers, où le sentiment d’une fierté blessée perce à côté d’un amour profondément senti:

Toujours des prétextes pour ne pas m’accorder ma demande, des prétextes contre lesquels ma fierté se révolte! Son aveugle famille veut la forcer à me refuser, mais peut-on refuser la lune au soleil? Comment la mère de Habîba, qui connaît mon mérite, peut-elle ne pas me vouloir pour gendre?

Je l’aime bien cependant, cette jeune fille belle et candide de la famille d’Abd-Chams, qui mène une vie si retirée dans le harem de ses parents: je lui ai promis de la servir comme un esclave pendant toute ma vie, et je lui ai offert mon cœur pour dot.

De même qu’un sacre fond sur une colombe qui déploie les ailes, de même je m’élance vers elle dès que je la vois, cette colombe des Abd-Chams, moi qui suis issu de la même illustre famille.

Qu’elle est belle! Les Pléiades lui envient la blancheur de ses mains, et l’Aurore est jalouse de l’éclat de sa gorge.

Tu as imposé à mon amour un jeûne bien long, ô ma bien-aimée: qu’est-ce que cela te ferait si tu me permettais de le rompre?

C’est dans ta maison que je cherche le remède à mes maux, dans ta maison sur laquelle Dieu veuille répandre ses grâces! C’est là que mon cœur trouverait un soulagement à ses souffrances, c’est là que s’éteindrait le feu qui me dévore.

Si tu me repousses, ô cousine, tu repousseras, je le jure, un homme qui est ton égal par la naissance et qui, par suite de l’amour que tu lui as inspiré, a un voile devant les yeux.

Mais je ne désespère pas de la posséder un jour et de mettre ainsi le comble à ma gloire, car je sais manier la lance alors que les chevaux noirs semblent rouges à force d’être teints de sang. Je rends honneur et respect à l’étranger qui s’est abrité sous mon toit; je comble de bienfaits le malheureux qui fait un appel à ma générosité. Personne dans sa famille ne mérite plus que moi de la posséder, car personne ne m’égale en réputation, en renommée. J’ai ce qu’il faut pour plaire: la jeunesse, l’urbanité, la douceur et le talent de bien dire.

On ignore quels étaient les sentiments de Habîba à l’égard du jeune homme, les écrivains arabes ayant laissé dans l’incertain et le vague cette belle et fugitive apparition, dont l’imagination aimerait à fixer les traits. Cependant elle ne paraît pas avoir été insensible aux hommages d’Abdérame. L’ayant rencontré un jour, son regard s’abaissa sous le regard plein de feu du prince; elle rougit, et dans son trouble elle oublia de lui rendre son salut. Abdérame interpréta de travers ce manque apparent de politesse, qui en réalité n’était qu’une pudique timidité, et il composa alors ce poème:

Salut à celle qui n’a pas daigné m’adresser une seule parole; salut à la gracieuse gazelle dont les regards sont autant de flèches qui me percent le cœur. Jamais, hélas! elle ne m’envoie son image pour calmer l’agitation de mes rêves. Ne sais-tu donc pas, ô toi dont le nom est si doux à prononcer, que je t’aime au delà de toute expression, et que je serai pour toi l’amant le plus fidèle qui soit au monde440?

Il ne semble jamais avoir obtenu la main de Habîba, et en général il ne fut pas heureux en amour. Il est vrai qu’une autre beauté ne fut pas cruelle pour lui, mais dans la suite elle manqua à la foi promise, témoin ces vers qu’il lui adressa:

Ah! que les nuits sont longues depuis que tu me préfères mon rival! O gracieuse gazelle, toi qui a rompu tes serments et qui m’es devenue infidèle, les as-tu donc oublié ces nuits que nous avons passées ensemble sur un lit de roses? La même écharpe ceignait alors nos reins; nous nous entrelacions comme s’entrelacent les perles d’un collier, nous nous embrassions comme s’embrassent les branches des arbres, nos deux corps n’en formaient qu’un seul, tandis que les étoiles semblaient des points d’or scintillant sur un champ d’azur441.

Le jeune Abdérame avait un ami qui lui ressemblait sous beaucoup de rapports et dont il fit son premier ministre. C’était Alî ibn-Hazm. Ses ancêtres, qui demeuraient sur le territoire de Niébla, avaient été chrétiens jusqu’à l’époque où son bisaïeul (Hazm) embrassa l’islamisme; mais honteux de son origine et voulant en effacer la trace, il reniait ses aïeux. De même que l’avait fait son père (Ahmed) qui avait été vizir sous les Amirides, il prétendait descendre d’un Persan affranchi par Yézîd, le frère du premier calife omaiyade, Moâwia442, et quant à la religion qui avait été celle de ses pères, il avait pour elle le plus profond dédain. «Il ne faut jamais s’étonner de la superstition des hommes, dit-il quelque part dans son Traité sur les religions. Les peuples les plus nombreux et les plus civilisés y sont sujets. Voyez les chrétiens! Ils sont en si grand nombre qu’il n’y a que leur créateur qui puisse les compter, et il y a parmi eux des savants illustres, ainsi que des princes d’une rare sagacité. Néanmoins ils croient qu’un est trois et que trois sont un; que l’un des trois est le père, l’autre le fils, le troisième l’esprit; que le père est le fils et qu’il n’est pas le fils; qu’un homme est Dieu et qu’il n’est pas Dieu; que le Messie est Dieu en tout point et que cependant il n’est pas le même que Dieu; que celui qui a existé de toute éternité a été créé. Celle de leurs sectes qu’on appelle les Jacobites et qui se compte par centaines de mille, croit même que le Créateur a été fouetté, souffleté, crucifié et mis à mort; enfin, que l’univers a été privé pendant trois jours de celui qui le gouverne443!»… Ces sarcasmes, du reste, ne sont pas d’un sceptique: ils sont d’un musulman très-zélé. Ibn-Hazm soutenait en religion le système des Dhâhirides, secte qui s’attachait strictement aux textes et qui appelait la décision par analogie, c’est-à-dire l’intervention de l’intelligence humaine dans les questions du droit canon, une invention du mauvais esprit. En politique il était pour la dynastie légitime, dont il était devenu le client grâce à une fausse généalogie, et les Omaiyades n’avaient pas de serviteur plus fidèle, plus dévoué, plus enthousiaste. Quand leur cause semblait irrévocablement perdue, quand Alî ibn-Hammoud occupait le trône et que même Khairân, le chef du parti slave, l’eut reconnu, il fut du petit nombre de ceux qui ne perdirent pas le courage. Entouré d’ennemis et d’espions, il continua cependant d’intriguer et de comploter, car la prudence, comme c’est le propre des âmes enthousiastes, ne lui paraissait que de la lâcheté. Khairân découvrit ses menées, et, lui ayant fait expier son zèle intempestif par plusieurs mois de prison, il le frappa d’un arrêt d’exil. Ibn-Hazm se retira alors auprès du gouverneur du château d’Aznalcazar, non loin de Séville, et il s’y trouvait encore quand il apprit que l’Omaiyade Abdérame IV Mortadhâ avait été proclamé calife à Valence. Il s’embarqua aussitôt pour lui offrir ses services, et combattit en héros dans la bataille que Mortadhâ perdit par la trahison de ses soi-disant amis; mais étant tombé entre les mains des Berbers vainqueurs, il ne recouvra la liberté qu’assez tard444.

 

Le temps viendra où Ibn-Hazm sera le plus grand savant de son temps et l’écrivain le plus fertile que l’Espagne ait produit à quelque époque que ce soit. Mais pour le moment il était avant tout poète, et l’un des poètes les plus gracieux que l’Espagne arabe ait eus. Il était encore dans l’âge heureux des illusions, car il ne comptait que huit ans de plus que son jeune souverain. Lui aussi avait eu son roman d’amour; roman bien simple au reste, mais qu’il a raconté avec tant de candeur, de délicatesse, de naïveté et de charme, que nous ne pouvons résister à la tentation de le reproduire avec ses propres paroles. Toutefois nous serons forcé de supprimer çà et là quelques métaphores hasardées, quelques broderies, quelques paillettes, qui, dans l’opinion d’un Arabe, donnent au discours une grâce inimitable, mais que la sobriété de notre goût tolérerait difficilement.

«Dans le palais de mon père, dit Ibn-Hazm, il y avait une jeune fille qui y recevait son éducation. Elle comptait seize ans, et aucune femme ne l’égalait en beauté, en intelligence, en pudeur, en retenue, en modestie, en douceur. Le ton badin et les galants propos l’ennuyaient et elle parlait peu. Personne n’osait élever ses désirs jusqu’à elle, et pourtant sa beauté conquérait tous les cœurs, car, bien que fière et avare de ses faveurs, elle était cependant plus séduisante que la coquette la plus raffinée. Elle était sérieuse et n’avait pas de goût pour les amusements frivoles, mais elle jouait du luth d’une manière admirable.

«J’étais bien jeune alors et je ne pensais qu’à elle. Je l’entendais parler quelquefois, mais toujours en présence d’autres personnes, et pendant deux ans j’avais en vain cherché l’occasion de lui parler sans témoins. Or, un jour il y eut dans notre demeure une de ces fêtes comme il y en a souvent dans les palais des grands, et à laquelle les femmes de notre maison, celles de la maison de mon frère, celles, enfin, de nos clients et de nos serviteurs les plus considérés avaient été invitées. Après avoir passé une partie de la journée dans le palais, ces dames allèrent au belvédère, d’où l’on avait un magnifique coup d’œil sur Cordoue et ses environs, et elles se placèrent là où les arbres de notre jardin n’obstruaient pas la vue. J’étais avec elles, et je m’approchai de l’embrasure où elle se trouvait; mais dès qu’elle me vit à ses côtés, elle courut avec une gracieuse rapidité vers une autre embrasure. Je la suis; elle m’échappe de nouveau. Elle connaissait très-bien mes sentiments à son égard, car les femmes ont plus de finesse pour deviner l’amour qu’on leur porte, que le Bédouin, qui voyage de nuit dans le Désert, n’en a pour reconnaître la trace de la route; mais heureusement les autres dames ne se doutaient de rien, car, tout occupées à chercher le plus beau point de vue, elles ne faisaient pas attention à moi.

«Puis, les dames étant descendues au jardin, celles qui, par leur position et leur âge, avaient le plus d’influence, prièrent la dame de mes pensées de chanter quelque chose, et j’appuyai leur demande. Elle prit alors son luth et se mit à l’accorder avec une pudeur qui, à mes yeux, doublait ses charmes; après quoi elle chanta ces vers d’Abbâs, fils d’Ahnaf:

Je ne pense qu’à mon soleil à moi, à la jeune fille souple et flexible que j’ai vue disparaître derrière les sombres murailles du palais. Est-ce une créature humaine, est-ce un génie? Elle est plus qu’une femme; mais si elle a toute la beauté d’un génie, elle n’en a pas la malice. Son visage est une perle, sa taille un narcisse, son haleine un parfum, et en totalité elle est une émanation de la lumière. Quand on la voit, revêtue de sa robe jaune, marcher avec une légèreté inconcevable, on dirait qu’elle pourrait mettre le pied sur les choses les plus fragiles sans les briser.

«Pendant qu’elle chantait, ce n’étaient pas les cordes du luth qu’elle frappait de son plectrum: c’était mon cœur. Jamais ce jour délicieux n’est sorti de ma mémoire, et sur mon lit de mort je m’en souviendrai encore. Mais depuis ce temps je n’entendis plus sa douce voix, je ne la revis même pas.

Ne la blâme pas, disais-je dans mes vers, si elle t’évite et te fuit, car elle ne mérite pas de reproches. Elle est belle comme la gazelle ou la lune, mais la gazelle est timide, et il n’est point donné à un mortel d’atteindre à la lune.

Tu me prives du bonheur d’entendre ta voix suave, disais-je encore, et tu ne veux pas que mes yeux contemplent ta beauté. Tout absorbée dans tes pieuses méditations, toute à Dieu, tu ne penses plus aux mortels. Qu’il est heureux, cet Abbâs dont tu as chanté les vers! Et pourtant, s’il t’avait entendue, le grand poète, il serait triste, il te porterait envie comme à son vainqueur, car en chantant ses vers, tu y as mis une sensibilité dont il n’avait point d’idée.

«Ensuite, trois jours après que Mahdî eut été déclaré calife, nous quittâmes notre nouveau palais, qui se trouvait dans le quartier oriental de Cordoue, à savoir dans le faubourg dit de Zâhira, pour nous établir dans notre ancien palais, situé dans le quartier occidental, le Balât-Moghîth; mais pour des raisons qu’il serait inutile d’exposer, la jeune fille ne nous y suivit pas. Puis, Hichâm II étant remonté sur le trône, ceux qui étaient alors au pouvoir nous firent tomber en disgrâce; ils nous extorquèrent des sommes énormes, ils nous firent jeter en prison, et quand nous eûmes recouvré la liberté, nous fûmes obligés de nous cacher. Vint la guerre civile. Tout le monde eut à en souffrir, mais notre famille plus que toute autre. Mon père mourut sur ces entrefaites, le samedi 21 juin 1012, et notre sort ne s’améliora point. Mais un jour que j’assistais aux funérailles d’un de mes parents, je reconnus la jeune fille au milieu des pleureuses. J’avais bien des motifs de tristesse ce jour-là; tous les malheurs semblaient vouloir me frapper à la fois, et pourtant, lorsque je la revis, le présent avec ses misères semblait disparaître comme par enchantement; elle me rappelait le passé, mon amour de jeune homme, mes beaux jours flétris, et pour un moment je redevenais jeune et heureux comme je l’étais autrefois. Mais, hélas! ce moment fut court, et rappelé bientôt à la triste et sombre réalité, ma douleur, aggravée des souffrances que me causait un amour sans espoir, n’en fut que plus cuisante et plus aiguë.

437Voyez l’explication de ces mots dans une note de Sale sur sa traduction anglaise du Coran.
438Ibn-Haiyân, fol. 128 r.; Abd-al-wâhid, p. 45; Maccarî, t. I, p. 316, 318.
439J’ai cru devoir préférer ici le témoignage de l’auteur copié par Maccarî (t. I, p. 319), dont le récit est le plus circonstancié, à celui de Homaidî (apud Abd-al-wâhid, p. 37).
440Ibn-al-Abbâr, p. 165, 166. Le man. d’Ibn-Bassâm, (t. I, fol. 11 r. et v.) m’a servi à corriger quelques fautes dans ces textes.
441Maccarî, t, I, p. 285; variantes chez Ibn-Bassâm, t. I, fol. 11 v., 12 r.
442Voyez mon Catalogue des man. orient. de la Bibl. de Leyde, t. I, p. 227.
443Ibn-Hazm, Traité sur les religions, t. II, fol. 227 r.
444Voyez mon Catalogue, t. I, p. 225, 230.