Бесплатно

Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 1

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

Ceux-ci avaient déjà fait une lieue en causant des belles promesses que Çomail leur avait faites, et en se disant que le succès du prétendant était assuré, lorsqu'Obaidallâh entendit crier son nom derrière lui. Il s'arrêta et vit arriver un cavalier. C'était l'esclave de Çomail qui lui dit: «Attendez mon maître; il va venir ici, il a à vous parler.» Etonnés de ce message et de ce que Çomail venait vers eux au lieu de leur ordonner de venir vers lui, les deux clients craignirent un instant qu'il ne voulût les arrêter et les livrer à Yousof; néanmoins ils rebroussèrent chemin et bientôt ils virent arriver Çomail, monté sur l'Etoile, sa mule blanche, qui allait le grand galop. Voyant qu'il arrivait sans soldats, les deux clients reprirent confiance, et quand Çomail fut arrivé auprès d'eux, il leur dit: «Depuis que vous m'avez apporté la lettre du fils de Moâwia et que vous m'avez fait faire connaissance avec son messager, j'ai souvent pensé à cette affaire.» (En disant cela, Çomail ne disait pas la vérité, ou bien sa mémoire le trompait; mais il ne pouvait avouer qu'il avait à peu près oublié une affaire si importante, et il était trop foncièrement Arabe pour qu'un mensonge lui coûtât.) «J'approuvais votre dessein, poursuivit-il, comme je vous le disais tout à l'heure; mais depuis que vous m'avez quitté, j'ai réfléchi de nouveau, et maintenant je suis d'avis que votre Abdérame appartient à une famille tellement puissante que» – ici Çomail employa une phrase fort énergique à coup sûr, mais que nous ne pourrions traduire sans pécher contre la bienséance. «Quant à l'autre, continua-t-il, il est bon enfant au fond, et se laisse mener par nous, sauf de rares exceptions, avec assez de docilité. De plus, nous lui avons de grandes obligations, et il nous siérait mal de l'abandonner. Réfléchissez donc bien à ce que vous allez faire, et si, de retour dans vos demeures, vous persistez dans vos projets, je crois que bientôt vous me verrez arriver auprès de vous, mais ce ne sera pas comme ami. Tenez-vous-le pour dit, car je vous le jure, la première épée qui sortira du fourreau pour combattre votre prétendant, ce sera la mienne. Et maintenant, allez en paix et qu'Allâh vous envoie de sages inspirations, ainsi qu'à votre patron.»

Consternés par ces paroles, qui, d'un seul coup, frustraient toutes leurs espérances, et craignant d'irriter cet homme colère, les clients répondirent humblement: «Dieu vous bénisse, seigneur! Jamais notre opinion ne différera de la vôtre. – A la bonne heure, dit Çomail, adouci et touché par ces paroles respectueuses; mais je vous conseille en ami de ne rien tenter pour changer l'état politique du pays. Tout ce que vous pourrez faire, c'est de tâcher d'assurer à votre patron une position honorable en Espagne, et pourvu qu'il promette de ne pas aspirer à l'émirat, j'ose vous assurer que Yousof l'accueillera avec bienveillance, lui donnera sa fille pour épouse, et avec elle une fortune convenable. Adieu et bon voyage!» Cela dit, il fit faire demi-volte à l'Etoile, et, lui ayant enfoncé les éperons dans les flancs, il lui fit prendre une allure très-décidée.

N'ayant donc plus rien à espérer ni de Çomail ni des Maäddites en général, qui n'agissaient d'ordinaire que d'après les conseils de ce chef, il ne restait aux clients d'autre parti à prendre que de se jeter entre les bras de l'autre nation, celle des Yéménites, et de l'exciter à se venger des Maäddites. Voulant réussir à tout prix dans leurs desseins, ils résolurent aussitôt de le faire, et pendant qu'ils retournaient à leurs demeures, ils s'adressèrent à tous les chefs yéménites sur lesquels ils croyaient pouvoir compter, en les invitant à prendre les armes pour Abdérame. Ils obtinrent un succès qui surpassa leur attente. Les Yéménites, qui se déchiraient les entrailles de colère en songeant à leur défaite de Secunda et en voyant qu'ils étaient condamnés à subir le joug des Maäddites, étaient prêts à se lever au premier signal et à se ranger sous la bannière de chaque prétendant, quel qu'il fût, pourvu qu'ils eussent l'occasion de se venger de leurs ennemis et de les massacrer.

Assurés de l'appui des Yéménites et sachant Yousof et Çomail occupés dans le nord, les clients omaiyades jugèrent le moment favorable pour l'arrivée de leur patron. Ils achetèrent donc un bâtiment, et remirent à Tammâm, qui monterait à bord lui douzième, cinq cents pièces d'or, dont il devait donner une partie au prince, tandis qu'il se servirait du reste pour contenter la cupidité des Berbers, que l'on connaissait assez pour savoir qu'ils ne laisseraient pas partir leur hôte sans l'avoir rançonné. Cet argent était celui que Yousof avait donné aux clients afin qu'ils l'accompagnassent pendant sa campagne contre les rebelles de Saragosse; quand il le leur donna, il était loin de soupçonner qu'il servirait à amener en Espagne un prince qui lui disputerait l'émirat.

XIV 339

Depuis des mois Abdérame, qui avait quitté les Nafza et s'était rendu dans le pays des Maghîla, sur les bords de la Méditerranée, menait une existence triste et monotone en attendant avec une anxiété toujours croissante le retour de Badr, dont il n'avait pas reçu de nouvelles. Son sort allait se décider: si ses grands desseins échouaient, toutes ses fumées de bonheur et de gloire se dissiperaient et il se verrait réduit à reprendre sa vie de proscrit et de vagabond, ou bien à se cacher dans quelque coin ignoré de l'Afrique; au lieu que s'il réussissait dans son audacieuse entreprise, l'Espagne lui offrirait un asile sûr, des richesses et toutes les jouissances du pouvoir.

Ballotté ainsi entre la crainte et l'espoir, Abdérame, peu dévot de sa nature, mais fidèle observateur des convenances, s'acquittait un soir de la prière ordonnée par la loi, quand il vit un navire approcher de la côte, et l'un de ceux qui le montaient se jeter dans la mer pour nager vers la grève. Il reconnaît cet homme: c'est Badr qui, dans son impatience de revoir son maître, n'avait pas voulu attendre qu'on eût jeté l'ancre. «Bonnes nouvelles!» cria-t-il au prince d'aussi loin qu'il l'aperçut; puis il lui raconta rapidement ce qui s'était passé, nomma les chefs sur lesquels Abdérame pouvait compter, et les personnes qui se trouvaient dans le bâtiment destiné à le conduire en Espagne. «Vous ne manquerez pas d'argent non plus, ajouta-t-il; on vous apporte cinq cents pièces d'or.» Ravi de joie, Abdérame alla à la rencontre de ses partisans. Le premier qui se présenta à lui fut Abou-Ghâlib Tammâm. Abdérame lui demanda son nom et son prénom, et quand il les eut entendus, il en tira un heureux augure. Il n'y avait pas, en effet, de noms plus propres à inspirer de grandes espérances à celui qui croyait aux présages, et Abdérame y croyait beaucoup; car Tammâm signifie accomplissant, et Ghâlib, victorieux. «Nous accomplirons notre dessein, s'écria le prince, et nous remporterons la victoire!»

A peine eut-on fait connaissance qu'on résolut de partir sans délai. Le prince faisait ses préparatifs, lorsque les Berbers accoururent en foule et menacèrent de s'opposer au départ à moins qu'ils ne reçussent des présents. Cette circonstance ayant été prévue, Tammâm donna de l'argent à chacun d'eux, selon le rang qu'il occupait dans sa tribu. Cela fait, on levait l'ancre, lorsqu'un Berber qui avait été oublié dans la distribution, se jeta dans la mer, et, se cramponnant à une corde du vaisseau, il se mit à crier que lui aussi voulait recevoir quelque chose. Fatigué de l'effronterie de ces gueux, l'un des clients tira son épée et coupa la main au Berber, qui tomba dans l'eau et se noya.

Délivré des Berbers, on pavoisa le bâtiment en l'honneur du prince, et bientôt après on aborda dans le port d'Almuñecar. C'était dans le mois de septembre de l'année 755.

On se figure aisément la joie qu'éprouva Abdérame quand il eut mis le pied sur le sol de l'Espagne, et celle d'Obaidallâh et d'Ibn-Khâlid quand ils embrassèrent leur patron, dont ils avaient attendu l'arrivée à Almuñecar. Après avoir passé quelques jours à al-Fontîn, la villa d'Ibn-Khâlid, située près de Loja, entre Archidona et Elvira340, le prince alla s'établir dans le château de Torrox, qui appartenait à Obaidallâh et qui était situé un peu plus à l'ouest, entre Iznajar et Loja341.

Sur ces entrefaites, Yousof, arrivé à Tolède, commençait à s'inquiéter de l'absence prolongée des clients omaiyades. Voulant les attendre, il différait son départ de jour en jour. Çomail qui soupçonnait la véritable cause de leur absence, mais qui, fidèle à sa promesse, gardait le secret sur leurs desseins, s'impatientait du long séjour de l'armée à Tolède. Il voulait en finir au plus vite avec les rebelles de Saragosse, et un jour que Yousof se plaignait de nouveau de ce que les clients tardaient tant à venir, Çomail lui dit dédaigneusement: «Un chef tel que vous ne doit pas s'arrêter si longtemps pour attendre des rien du tout tels que ceux-là. Je crains que l'occasion de trouver nos ennemis inférieurs à nous en nombre et en ressources ne nous échappe, si nous restons encore plus longtemps ici.» Pour le faible Yousof de telles paroles venant de Çomail étaient un ordre. Les troupes se remirent donc en marche. Arrivées en face de l'ennemi, elles n'eurent pas besoin de combattre, car aussitôt que les rebelles virent qu'ils auraient affaire à une armée de beaucoup supérieure en nombre, ils entrèrent en négociation. Yousof leur promit l'amnistie à condition qu'ils lui livreraient leurs trois chefs coraichites, Amir, son fils Wahb, et Hobâb. Les insurgés, pour la plupart Yéménites, hésitèrent d'autant moins à accepter cette condition, qu'ils supposaient que Yousof se montrerait clément envers des individus qui étaient presque ses contribules. Ils lui livrèrent donc leurs chefs, et Yousof convoqua les officiers de son armée afin qu'ils prononçassent sur le sort de ces prisonniers, qu'en attendant il avait fait charger de fers.

 

Çomail, qui s'était pris contre ces Coraichites d'une de ces haines qui, pour lui, ne finissaient qu'avec la vie de celui qui avait eu le malheur de les exciter, insista vivement pour qu'on leur coupât la tête. Aucun autre Caisite ne partageait son avis; ils jugeaient tous qu'ils n'avaient pas le droit de condamner à la mort des hommes qui, de même qu'eux, appartenaient à la race de Maädd; ils craignaient en outre de s'attirer la haine de la puissante tribu de Coraich et de ses nombreux alliés. Les deux chefs de la branche des Cab ibn-Amir, Ibn-Chihâb et Hoçain, soutenaient cette opinion avec plus de chaleur encore que les autres Caisites. La rage dans le cœur et résolu à se venger promptement de ceux qui avaient osé le contredire, Çomail céda. Yousof laissa donc la vie aux trois Coraichites, mais il les retint prisonniers.

Çomail trouva bientôt l'occasion qu'il cherchait de se débarrasser des deux chefs qui, dans cette circonstance, l'avaient emporté sur lui, et qui auparavant, lorsqu'il était assiégé dans Saragosse, avaient refusé si longtemps de marcher à son secours. Les Basques de Pampelune ayant imité l'exemple que leur avaient donné les Espagnols de la Galice en s'affranchissant de la domination arabe, il proposa à Yousof d'envoyer contre eux une partie de l'armée et de confier le commandement de ces troupes à Ibn-Chihâb et à Hoçain. Il fit cette proposition afin d'éloigner pour le moment ces contradicteurs importuns, et avec le désir secret qu'ils ne revinssent pas de cette expédition à travers un pays difficile et hérissé d'âpres montagnes.

Yousof, cédant comme de coutume à l'ascendant que son ami exerçait sur lui, fit ce que celui-ci désirait, et, après avoir nommé son propre fils Abdérame au gouvernement de la frontière, il reprit la route de Cordoue.

Il faisait halte sur les bords de la Jarama342, quand un exprès vint lui apporter la nouvelle que les troupes envoyées contre les Basques avaient été complétement battues, qu'Ibn Chihâb avait été tué, et que Hoçain avait reconduit à Saragosse le petit nombre de guerriers qui avaient échappé au désastre. Aucune nouvelle ne pouvait être plus agréable à Çomail, et le lendemain, au point du jour, il dit à Yousof: «Tout va à merveille. Allâh nous a délivrés d'Ibn-Chihâb. Finissons-en maintenant avec les Coraichites; faites-les venir et ordonnez qu'on leur coupe la tête!»

A force de lui redire souvent que cette exécution était absolument nécessaire, Çomail avait fait partager son opinion à l'émir, qui, cette fois encore, acquiesça à la volonté du Caisite.

Les trois Coraichites avaient cessé de vivre. A l'heure accoutumée, c'est-à-dire à dix heures du matin343, on apporta le déjeuner, et Yousof et Çomail se mirent à table. L'émir était triste et abattu; le triple meurtre qu'il venait de commettre lui causait des remords; il se reprochait en outre d'avoir envoyé Ibn-Chihâb et tant de braves guerriers à une mort certaine; il sentait que tant de sang criait vengeance, et un vague pressentiment lui disait que son pouvoir touchait à son terme. Accablé de soucis, il ne mangeait presque pas. Çomail au contraire, était d'une gaîté brutale, et tout en mangeant d'un excellent appétit, il fit tous ses efforts pour rassurer le faible émir dont il se servait pour satisfaire ses rancunes personnelles et qu'il engageait dans une voie d'atroces violences. «Chassez vos noires idées, lui dit-il. En quoi donc avez-vous été si criminel? Si Ibn-Chihâb a été tué, ce n'est pas par votre faute; il a péri dans un combat, et à la guerre tel peut être le sort de qui que ce soit. Si ces trois Coraichites ont été exécutés, c'est qu'ils le méritaient; c'étaient des rebelles, des antagonistes dangereux, et l'exemple de sévérité que vous avez donné servira à faire réfléchir ceux qui voudraient les imiter. L'Espagne est désormais votre propriété et celle de vos enfants; vous avez fondé une dynastie qui durera jusqu'au temps de la venue de l'Antechrist. Qui donc serait assez audacieux pour vous disputer le pouvoir?»

Par de tels propos Çomail essaya, mais en vain, de dissiper la tristesse qui accablait son ami. Le déjeuner fini, il se leva, retourna dans sa tente et alla faire la sieste dans l'appartement réservé à ses deux filles.

Resté seul, Yousof se jeta sur son lit, plutôt par habitude que parce qu'il éprouvait le besoin de dormir, car ses noires pensées ne le lui permettaient guère. Tout à coup il entendit les soldats crier: «Un courrier, un courrier de Cordoue!» Se levant à demi: «Que crie-t-on là-bas? demanda-t-il aux sentinelles postées devant sa tente; un courrier de Cordoue? – Oui, lui répondit-on; c'est un esclave monté sur le mulet d'Omm-Othmân. – Qu'il entre à l'instant même,» dit Yousof, qui ne comprenait pas pour quelle raison son épouse lui avait dépêché un exprès, mais qui savait que ce devait être pour une affaire grave et pressante.

Le courrier entra et lui remit un billet conçu en ces termes: «Un petit-fils du calife Hichâm est arrivé en Espagne. Il a établi sa résidence à Torrox, dans le château de l'infâme Obaidallâh ibn-Othmân. Les clients omaiyades se sont déclarés pour lui. Votre lieutenant à Elvira, qui s'était mis en marche pour le repousser avec les troupes qu'il avait à sa disposition, a été défait; ses soldats ont été bâtonnés, mais personne n'a été tué. Faites sans retard ce que vous jugerez convenable.»

Dès que Yousof eut lu ce billet, il ordonna qu'on fît venir Çomail. En allant à sa tente, celui-ci avait bien vu arriver le courrier, mais, insouciant comme de coutume, il n'y avait pas fait grande attention, et ce ne fut que quand l'émir le fit appeler à une heure si indue, qu'il se douta que ce messager était venu pour quelque motif important.

– Qu'est-il arrivé, émir, dit-il en entrant dans la tente de Yousof, que vous me faites appeler à l'heure de la sieste? rien de fâcheux, j'espère?

– Si! lui répondit Yousof; par Dieu! c'est un événement extrêmement grave, et je crains que Dieu ne veuille nous punir de ce que nous avons tué ces hommes.

– Folie ce que vous dites là, répliqua Çomail d'un air de mépris; croyez-moi, ces hommes étaient trop vils pour que Dieu s'occupât d'eux. Mais voyons, qu'est-il arrivé?

– Je viens de recevoir un billet d'Omm-Othmân, que Khâlid va vous lire.

Khâlid, client et secrétaire de l'émir, lut alors le billet. Moins étonné que Yousof ne l'avait été, car il avait pu prévoir ce qui arrivait, Çomail ne perdit pas son sang-froid en entendant qu'Abdérame était arrivé en Espagne. «L'affaire est grave en effet, dit-il; mais voici mon opinion. Marchons contre ce prétendant à l'instant même, avec les soldats que nous avons. Livrons-lui bataille; peut-être le tuerons-nous; en tout cas ses forces sont encore si peu nombreuses que nous les disperserons aisément, et quand il aura essuyé une déroute, il perdra probablement l'envie de recommencer. – Votre avis me plaît, répliqua Yousof; mettons-nous en route sans retard!»

Bientôt toute l'armée sut qu'un petit-fils de Hichâm était arrivé en Espagne et qu'on allait le combattre. Cette nouvelle causa parmi les soldats une émotion extraordinaire. Déjà indignés de l'infâme complot ourdi par leurs chefs contre Ibn-Chihâb, et dont un si grand nombre de leurs contribules avaient été les victimes; indignés aussi de l'exécution des Coraichites, ordonnée en dépit du conseil contraire des chefs caisites, ils n'étaient d'ailleurs nullement disposés à faire une campagne pour laquelle ils n'avaient pas été payés. «On veut nous forcer à faire deux campagnes au lieu d'une, crièrent-ils; nous ne le ferons pas!» A la tombée de la nuit, une désertion presque générale commença; les contribules s'appelaient les uns les autres, et, réunis en bandes, ils quittèrent le camp pour rentrer dans leurs foyers. A peine restait-il dix Yéménites dans le camp; c'étaient les porte-étendard, qui ne pouvaient abandonner leur poste sans forfaire à l'honneur; mais ils ne blâmèrent nullement les déserteurs et ne firent rien pour les retenir. Quelques Caisites plus particulièrement attachés à Çomail, et quelques guerriers d'autres tribus maäddites restèrent aussi; mais on ne pouvait pas trop compter sur eux non plus, car, fatigués par une longue marche, eux aussi brûlaient du désir de retourner dans leurs demeures, et ils prièrent Yousof et Çomail de les reconduire à Cordoue, en leur disant qu'entreprendre une campagne d'hiver dans la Sierra de Regio avec des forces si peu considérables serait se jeter, par crainte du péril, dans un péril beaucoup plus grand; que la révolte se bornerait sans doute à quelques districts de la côte, et que pour attaquer Abdérame, il fallait attendre le retour de la belle saison. Mais une fois que Çomail avait arrêté un plan, il y mettait de l'obstination, et bien qu'il y eût du vrai dans ce qu'on lui disait, il persista dans son dessein. On marcha donc vers la Sierra de Regio; mais bientôt, le mauvais vouloir des soldats aidant, Yousof fut à même de se convaincre que le plan de Çomail ne pouvait s'exécuter. L'hiver avait commencé; les pluies et les torrents sortis de leurs bords avaient rendu les chemins impraticables. Malgré l'opposition de Çomail, Yousof ordonna donc de retourner à Cordoue, et ce qui contribua à lui faire prendre cette résolution, ce fut qu'on lui rapporta qu'Abdérame n'était pas venu en Espagne pour prétendre à l'émirat, mais seulement pour y trouver un asile et des moyens de subsistance. «Si, ajoutait-on, vous lui offrez une de vos filles en mariage et de l'argent, vous verrez qu'il ne prétendra à rien de-plus.»

En conséquence, Yousof, de retour à Cordoue, résolut d'entamer une négociation, et envoya à Torrox trois de ses amis. C'étaient Obaid, le chef le plus puissant des Caisites après Çomail et l'ami de ce dernier, Khâlid, le secrétaire de Yousof, et Isâ, client omaiyade et payeur de l'armée. Ils devaient offrir au prince de riches vêtements, deux chevaux, deux mulets, deux esclaves et mille pièces d'or.

Ils partirent avec ces présents; mais quand ils furent arrivés à Orch, sur la frontière de la province de Regio, Isâ, qui, bien que client de la famille d'Omaiya, était sincèrement attaché à Yousof, dit à ses compagnons: «Je m'étonne fort que des hommes tels que Yousof, et Çomail, et vous deux, vous puissiez agir avec tant de légèreté. Etes-vous donc assez simples pour croire que si nous arrivons avec ces présents auprès d'Abdérame et qu'il refuse d'accepter les propositions de Yousof, il nous laissera rapporter ces présents à Cordoue?» Cette observation parut tellement juste et sensée aux deux autres, qu'ils résolurent de laisser Isâ avec les présents à Orch, jusqu'à ce qu'Abdérame eût accepté les conditions du traité.

Arrivés à Torrox, ils trouvèrent le village et le château encombrés de soldats; car des clients de la famille d'Omaiya et des Yéménites de la division de Damas, de celle du Jourdain et de celle de Kinnesrîn y étaient accourus en foule. Ayant demandé et obtenu une audience, ils furent reçus par le prince entouré de sa petite cour, dans laquelle Obaidallâh tenait le premier rang, et exposèrent le but de leur mission. Ils disaient que Yousof, plein de reconnaissance pour les bienfaits que son illustre trisaïeul, Ocba ibn-Nâfi, avait reçus des Omaiyades, ne demandait pas mieux que de vivre en bonne intelligence avec Abdérame, à condition pourtant que celui-ci ne prétendrait pas à l'émirat, mais seulement aux terres que le calife Hichâm avait possédées en Espagne; qu'il lui offrait donc sa fille avec une dot considérable; qu'il lui envoyait aussi des présents qui étaient encore à Orch, mais qui ne tarderaient pas à arriver, et que, si Abdérame voulait se rendre à Cordoue, il pouvait être certain d'y trouver l'accueil le plus bienveillant.

 

Ces propositions plurent assez aux clients. Leur première ardeur s'était un peu refroidie depuis qu'ils avaient été à même de s'apercevoir que les Yéménites, tout disposés qu'ils étaient à combattre leurs rivaux, étaient d'une tiédeur désespérante à l'égard du prétendant, et, tout bien considéré, ils inclinaient à un accommodement avec Yousof. Ils répondirent donc aux messagers: «Ce que vous proposez est excellent. Yousof a parfaitement raison en croyant que ce n'est pas pour prétendre à l'émirat que notre patron est venu en Espagne, mais seulement pour revendiquer les terres qui lui appartiennent par droit d'héritage.» Quant au prince, il ne partageait point sans doute cette manière de voir, et son ambition ne se contentait nullement de la position de riche propriétaire qu'on voulait lui assigner; mais ne sentant pas encore le terrain bien sûr sous ses pieds et dépendant entièrement de ses amis, il se montrait envers eux modeste et même humble; n'osant blâmer ce qu'ils approuvaient, il gardait prudemment le silence. Un observateur superficiel eût dit que son esprit n'était pas encore sorti tout à fait de l'état de chrysalide, ou du moins que le vieil Obaidallâh le tenait en tutelle.

«Voici maintenant, reprit Khâlid, la lettre que Yousof vous envoie; vous verrez qu'elle confirme tout ce que nous venons de vous dire.» Le prince accepta la lettre, et l'ayant donnée à Obaidallâh, il le pria de la lire à haute voix. Cette lettre, composée par Khâlid en sa qualité de secrétaire de Yousof, était écrite avec une pureté de langage très-remarquable, et les fleurs de la rhétorique arabe y avaient été répandues à pleines mains. Quand Obaidallâh en eut achevé la lecture, le prince, toujours prudent, abandonna à son ami le soin de prendre une décision. «Veuillez-vous charger de répondre à cette lettre, lui dit-il, car vous connaissez ma manière de voir.»

Il ne pouvait y avoir nul doute sur le sens dans lequel cette réponse serait conçue: au nom de son patron, Obaidallâh accepterait purement et simplement les propositions de Yousof, et le prince s'était déjà résigné au douloureux sacrifice de ses rêves d'ambition, lorsqu'une inconvenante plaisanterie de Khâlid vint brouiller l'affaire et rendre l'espoir au prince.

Khâlid n'était pas Arabe; il appartenait à la race vaincue, il était Espagnol. Son père et sa mère étaient esclaves et chrétiens; mais à l'instar d'une foule de ses compatriotes, son père avait abjuré le christianisme; en devenant musulman, il avait reçu le nom de Zaid, et pour le récompenser de sa conversion, son maître, Yousof, l'avait affranchi. Elevé dans le palais de son patron, le jeune Khâlid, que la nature avait doué d'une intelligence remarquable et d'une grande aptitude pour le travail de l'esprit, avait étudié avec ardeur la littérature arabe, et à la fin il la connaissait si bien et écrivait l'arabe avec une telle élégance, que Yousof l'avait nommé son secrétaire. C'était un grand honneur, car les émirs se piquaient d'avoir pour secrétaires les hommes les plus instruits et les mieux versés dans la connaissance de la langue et des anciens poèmes. Grâce à sa position, Khâlid avait bientôt acquis une grande influence sur le faible Yousof qui, ne se fiant jamais à ses propres lumières, demandait toujours à être guidé par la volonté d'autrui; et quand Çomail n'était pas là, c'était Khâlid qui lui dictait ses résolutions. Envié par les Arabes à cause de son influence et de ses talents, méprisé par eux à cause de son origine, Khâlid rendait à ces rudes guerriers mépris pour mépris; et quand il vit avec quelle gaucherie le vieil Obaidallâh, qui savait mieux manier l'épée que le calam, faisait ses préparatifs pour répondre à sa lettre élégante, il s'indigna, dans sa vanité de lettré, que le prince eût confié une si noble tâche à un esprit si inculte et si peu familiarisé avec les finesses du langage. Un sourire moqueur vint errer autour de ses lèvres, et il dit d'un ton dédaigneux: «Les aisselles te sueront, Abou-Othmân, avant que tu aies répondu à une lettre comme celle-là!»

En se voyant raillé d'une façon si grossière par un homme de néant, par un vil Espagnol, Obaidallâh, dont l'humeur était naturellement violente, entra dans une fureur épouvantable. «Infâme! cria-t-il, les aisselles ne me sueront pas du tout, je ne répondrai point à la lettre.» En disant ces paroles avec un accent de fierté brutale, il jeta à Khâlid sa lettre au visage, et lui assena sur la tête un vigoureux coup de poing. «Qu'on s'empare de ce misérable et qu'on l'enchaîne!» poursuivit-il en s'adressant à ses soldats, qui se hâtèrent d'exécuter cet ordre; puis, s'adressant au prince: «Voilà le commencement de la victoire, lui dit-il. Toute la sagesse de Yousof réside dans cet homme-là, et sans lui il ne peut rien.»

L'autre messager, Obaid, le chef caisite, attendit jusqu'à ce que la colère d'Obaidallâh se fût un peu calmée; puis il lui dit: «Veuillez-vous souvenir, Abou-Othmân que Khâlid est un messager, et que comme tel il est inviolable. – Non, seigneur, lui répondit Obaidallâh; le messager, c'est vous; aussi vous laisserons-nous partir en paix. Quant à l'autre, il a été l'agresseur et mérite d'être puni; c'est le fils d'une femme vile et impure, c'est un ildje.344»

Par suite de la vanité de Khâlid et du tempérament irascible d'Obaidallâh, la négociation se trouva donc rompue, et Abdérame, qui voyait le hasard favoriser des pensées qu'il n'avait pas osé avouer, était loin de s'en plaindre.

Quand Obaid, dans lequel Obaidallâh respectait le chef d'une noble et puissante famille arabe, fut parti, et que Khâlid eut été jeté dans un cachot, les clients se rappelèrent que les messagers avaient parlé de présents qui se trouvaient à Orch, et ils résolurent de se les approprier; c'était autant de pris sur Yousof, contre lequel la guerre était désormais déclarée. Une trentaine de cavaliers allèrent donc à bride abattue vers Orch; mais Isâ, averti à temps, était parti en toute hâte, emportant avec lui toutes les richesses que les messagers devaient offrir au prince omaiyade, et les cavaliers durent retourner à Torrox sans avoir pu remplir le but de leur mission. Dans la suite Abdérame ne pardonna jamais entièrement à son client la conduite qu'il avait tenue dans cette circonstance, bien que ce client tâchât de lui faire sentir qu'en serviteur fidèle de Yousof, alors son maître, il n'avait pas pu agir autrement qu'il ne l'avait fait.

Quand Obaid, de retour à Cordoue, eut informé Yousof et Çomail de ce qui s'était passé à Torrox, Çomail s'écria: «Je m'attendais à voir échouer cette négociation; je vous l'avais bien dit, émir, vous auriez dû attaquer ce prétendant pendant l'hiver.» Ce plan, bon en lui-même, mais malheureusement impraticable, était devenu pour Çomail une sorte d'idée fixe.

339Voyez Akhbâr madjmoua, fol. 80 r. – 83 r.
340La position de la villa d'al-Fontîn qui, à la fin du neuvième siècle, appartenait encore aux descendants d'Ibn-Khâlid, est indiquée par Ibn-Haiyân, fol. 76 v., 83 v.
341Je sais bien qu'il y a aujourd'hui un Torrox à l'ouest d'Almuñecar, sur le rivage de la Méditerranée; mais la position du domaine dont il est question dans le texte, est clairement indiquée par Ibn-Haiyân, fol. 83 v.
342Wâdî-Charanba dans l'Akhbâr madjmoua; Ibn al Abbâr (p. 52) nomme ici le Wâdî-ar-ramal (la rivière sablonneuse), c'est-à-dire le Guadarrama.
343Voyez Burckhardt, Bedouins, p. 36.
344Le mot ildje ne signifie pas seulement chrétien, comme on trouve dans nos dictionnaires, mais aussi renégat; voyez Marmol, Description de Affrica, t. II, fol. 17, col. 1; Hœst, Nachrichten, p. 147; Charant, p. 48; Jackson, p. 140.