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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 1

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Mais malgré l'élévation de son caractère, et quoiqu'il possédât toutes les vertus de sa nation, Obaidallâh partageait aussi au plus haut degré le profond mépris qu'avait celle-ci pour tout ce qui n'était pas arabe. A ses yeux, les Coptes, les Berbers, les Espagnols, les vaincus en général, qu'à peine il regardait comme des hommes, n'avaient sur la terre d'autre destinée que celle d'enrichir, à la sueur de leur front, le grand peuple que Mahomet avait appelé le meilleur de tous. Déjà en Egypte, où il avait été percepteur des impôts, il avait augmenté d'un vingtième le tribut que payaient les Coptes; et ce peuple, d'ordinaire fort pacifique et qui jamais encore, depuis qu'il vivait sous la domination musulmane, n'avait fait un appel aux armes, avait été exaspéré à un tel point par cette mesure arbitraire, qu'il s'était insurgé en masse292. Promu au gouvernement de l'Afrique, il se fit un devoir de contenter, aux dépens des Berbers, les goûts et les caprices des grands seigneurs de Damas. Comme le duvet des mérinos, dont on fabriquait des vêtements d'une blancheur éclatante, était fort recherché dans cette capitale, il faisait arracher aux Berbers leurs moutons, qu'on égorgeait tous, quoique souvent on ne trouvât qu'un seul agneau avec duvet dans un troupeau de cent moutons, tous les autres étant ce qu'on appelle des agneaux ras ou sans duvet, et par conséquent inutiles au gouverneur293. Non content d'enlever aux Berbers leurs troupeaux, la source principale de leur bien-être, ou plutôt leur unique moyen de subsistance, il leur ravissait aussi leurs femmes et leurs filles, qu'il envoyait en Syrie peupler les sérails; car les seigneurs arabes faisaient grand cas des femmes berbères qui, en tout temps, ont eu la réputation de surpasser les femmes arabes en beauté294.

Pendant plus de cinq ans, les Berbers souffrirent en silence; ils murmuraient, ils accumulaient dans leurs cœurs des trésors de haine, mais la présence d'une nombreuse armée les contenait encore.

Une insurrection se préparait cependant. Elle aurait un caractère religieux autant que politique, et elle serait dirigée par des missionnaires, par des prêtres; car, malgré les ressemblances nombreuses et frappantes qui existaient entre le Berber et l'Arabe, il y avait cependant entre ces deux peuples cette différence profonde et essentielle, que l'un était pieux, avec beaucoup de penchant à la superstition, et, avant tout, plein d'une aveugle vénération pour les prêtres, au lieu que l'autre, sceptique et railleur, n'accordait presque aucune influence aux ministres de la religion. De nos jours encore, les marabouts africains ont, dans les grandes affaires, un pouvoir illimité. Seuls ils ont le droit d'intervenir lorsque des inimitiés s'élèvent entre deux tribus. A l'époque de l'élection des chefs, ce sont eux qui proposent au peuple ceux qui leur paraissent les plus dignes. Quand des circonstances graves ont nécessité une réunion de tribus, ce sont eux encore qui recueillent les diverses opinions; ils en délibèrent entre eux, et font connaître leur décision au peuple. Leurs habitations communes sont réparées, pourvues, par le peuple, qui prévient tous leurs vœux295. Chose étrange et curieuse: les Berbers ont plus de vénération pour leurs prêtres que pour le Tout-Puissant même. «Le nom de Dieu, dit un auteur français qui a consciencieusement étudié les mœurs de ce peuple, le nom de Dieu, invoqué par un malheureux que l'on veut dépouiller, ne le protége pas; celui d'un marabout vénéré le sauve296.» Aussi les Berbers n'ont-ils joué un rôle important sur la scène du monde que lorsqu'ils étaient mis en mouvement par un prêtre, par un marabout. C'étaient des marabouts que ceux qui ont jeté les fondements du vaste empire des Almoravides et de celui des Almohades. Dans leur lutte contre les Arabes, les Berbers des montagnes de l'Aurâs avaient été commandés longtemps par une prophétesse, qu'ils croyaient douée d'un pouvoir surnaturel; et dans ce temps-là, le général arabe Ocba ibn-Nâfi, qui avait compris mieux que personne le caractère du peuple qu'il combattait, et qui avait senti que, pour le vaincre, il fallait le prendre par son faible et frapper son imagination par des miracles, avait hardiment joué le rôle de sorcier, de marabout. Tantôt il conjurait des serpents, tantôt il prétendait entendre des voix célestes, et quelque puérils et ridicules que nous paraissent ces moyens, ils avaient été si fructueux qu'une foule de Berbers, frappés des prestiges qu'opérait cet homme et convaincus qu'ils essayeraient en vain de lui résister, avaient mis bas les armes et s'étaient convertis à l'islamisme.

A l'époque dont nous parlons, cette religion dominait déjà en Afrique. Sous le règne du pieux Omar II, elle y avait fait de grands progrès, et un ancien chroniqueur297 va même jusqu'à dire que, sous Omar, il ne restait pas un seul Berber qui ne se fût fait musulman; assertion qui ne paraîtra pas trop exagérée quand on se souvient que ces conversions n'étaient pas tout à fait spontanées et que l'intérêt y jouait un grand rôle. La propagation de la foi étant pour Omar l'affaire la plus importante de sa vie, il faisait usage de tous les moyens propres à multiplier les prosélytes, et pour peu que l'on consentît à prononcer les mots: «Il n'y a qu'un seul Dieu, et Mahomet est son prophète,» on était dispensé de payer la capitation, sans être obligé de se conformer strictement aux préceptes de la religion. Un jour que le gouverneur du Khorâsân écrivit à Omar en se plaignant de ce que ceux qui en apparence avaient embrassé l'islamisme ne l'avaient fait que pour échapper à la capitation, et en disant qu'il avait acquis la certitude que ces hommes ne s'étaient pas fait circoncire, le calife lui répondit: «Dieu a envoyé Mahomet pour appeler les hommes à la foi véritable, et non pour les circoncire298.» C'est qu'il comptait sur l'avenir; sous cette inculte végétation il soupçonnait une terre riche et fertile, où la parole divine pourrait germer et fructifier; il pressentait que si les nouveaux musulmans méritaient encore le reproche de tiédeur, leurs fils et leurs petits-fils, nés et élevés dans l'islamisme, surpasseraient un jour, en zèle et en dévotion, ceux qui avaient douté de l'orthodoxie de leurs pères.

L'événement avait justifié ses prévisions, surtout pour ce qui concerne les habitants de l'Afrique. L'islamisme, d'antipathique, d'odieux qu'il leur avait été, leur était devenu supportable d'abord, et peu à peu cher au plus haut degré. Mais la religion telle qu'ils la comprenaient, ce n'était pas la froide religion officielle, triste milieu entre le déisme et l'incrédulité, que leur prêchaient des missionnaires sans onction, qui leur disaient toujours ce qu'ils devaient au calife, et jamais ce que le calife leur devait; c'était la religion hardie et passionnée que leur prêchaient les non-conformistes, qui, traqués en Orient comme des bêtes fauves, et obligés, pour échapper aux poursuites, de prendre divers déguisements et des noms supposés299, étaient venus chercher, à travers mille dangers, un asile dans les déserts brûlants de l'Afrique, où ils propageaient dès lors leurs doctrines avec un succès inouï. Nulle part ces docteurs ardents et convaincus n'avaient encore rencontré tant de dispositions à embrasser leurs croyances: le calvinisme musulman avait enfin trouvé son Ecosse. Le monde arabe, il faut bien le dire, avait vomi ces doctrines, non par répugnance pour les principes politiques du système, qui, au contraire, répondaient assez à l'instinct républicain de la nation, mais parce qu'il ne voulait ni prendre la religion au sérieux, ni accepter l'intolérante moralité par laquelle se distinguaient ces sectaires. En revanche, les habitants des pauvres chaumières africaines acceptèrent tout avec un enthousiasme indicible. Simples et ignorants, ils ne comprenaient rien sans doute aux spéculations et aux subtilités dogmatiques dans lesquelles se complaisaient des esprits plus cultivés. Il serait donc inutile de rechercher à quelle secte ils s'attachèrent de préférence, s'ils étaient Harourites, ou Cofrites, ou Ibâdhites, car les chroniqueurs ne sont pas d'accord à ce sujet; mais ils comprenaient assez de ces doctrines pour en embrasser les idées révolutionnaires et démocratiques, pour partager les romanesques espérances de nivellement universel qui animaient leurs docteurs, et pour être convaincus que leurs oppresseurs étaient des réprouvés dont l'enfer serait le partage. Tous les califes, à partir d'Othmân, n'ayant été que des usurpateurs incrédules, ce n'était pas un crime que de se révolter contre le tyran qui leur arrachait leurs biens et leurs femmes; c'était un droit et, mieux encore, un devoir. Comme jusque-là les Arabes les avaient tenus éloignés du pouvoir, ne leur laissant que ce qu'ils n'avaient pu leur ôter, le gouvernement des tribus, ils crurent facilement que la doctrine de la souveraineté du peuple, doctrine que, dans leur sauvage indépendance, ils avaient professée depuis un temps immémorial, était fort musulmane, fort orthodoxe, et que le moindre Berber pouvait être élevé au trône en vertu du suffrage universel. Ainsi ce peuple cruellement opprimé, excité par des fanatiques moitié prêtres, moitié guerriers, qui avaient à régler, eux aussi, de vieux comptes avec les soi-disant orthodoxes, allait secouer le joug au nom d'Allâh et de son prophète, au nom de ce livre sacré sur lequel d'autres se sont appuyés pour fonder un terrible despotisme! Qu'elle est étrange partout, la destinée des codes religieux, ces arsenaux formidables qui fournissent des armes à tous les partis; qui tantôt justifient ceux qui brûlent des hérétiques et prêchent l'absolutisme, et qui tantôt donnent raison à ceux qui proclament la liberté de conscience, décapitent un roi et fondent une république!

 

Tous les esprits étaient donc en fermentation, et l'on n'attendait, pour prendre les armes, qu'une occasion favorable, lorsque, dans l'année 740, Obaidallâh envoya une partie considérable de ses troupes faire une expédition en Sicile. L'armée partie, et le moindre prétexte suffisant dès lors pour faire éclater l'insurrection, le gouverneur de la Tingitanie eut l'imprudence de choisir précisément ce moment-là pour appliquer le système caisite, pour ordonner aux Berbers de son district de payer un double tribut, comme s'ils n'eussent pas été musulmans. Aussitôt ils prennent les armes, se rasent la tête et attachent des Corans aux pointes de leurs lances, selon la coutume des non-conformistes300, donnent le commandement à un des leurs, à Maisara, un des plus zélés sectaires, à la fois prêtre, soldat et démagogue, attaquent la ville de Tanger, s'en emparent, égorgent le gouverneur de même que tous les autres Arabes qu'ils y trouvent, et, appliquant leurs doctrines dans toute leur inhumaine rigueur, ils n'épargnent pas même les enfants. De Tanger, Maisara marche vers la province de Sous, gouvernée par Ismâîl, fils du gouverneur Obaidallâh. Sans attendre son arrivée, les Berbers se soulèvent partout et font subir au gouverneur du Sous le sort qu'avait eu celui de la Tingitanie. En vain les Arabes essaient de résister; battus sur tous les points, ils sont forcés d'évacuer le pays, et en peu de jours tout l'Ouest, dont la conquête leur avait coûté tant d'années de sacrifices, est perdu pour eux. Les Berbers s'assemblent pour élire un calife, et, tant cette révolution était démocratique, leur choix ne tombe pas sur un noble, mais sur un homme du peuple, sur le brave Maisara, qui auparavant avait été un simple vendeur d'eau sur le marché de Cairawân.

Pris au dépourvu, Obaidallâh ordonne à Ocba, le gouverneur de l'Espagne, d'attaquer les côtes de la Tingitanie. Ocba y envoie des troupes, elles sont battues. Il s'embarque en personne avec des forces plus considérables, arrive sur la côte de l'Afrique, passe au fil de l'épée tous les Berbers qui tombent entre ses mains, mais ne réussit point à dompter la révolte.

En même temps qu'Obaidallâh avait donné des instructions à Ocba, il avait envoyé au Fihrite Habîb, le chef de l'expédition de Sicile, l'ordre de reconduire au plus vite les troupes en Afrique, tandis que la flotte d'Espagne tiendrait les Siciliens en respect; mais comme le danger allait toujours en croissant, car l'insurrection se propageait avec une rapidité effrayante, il crut ne pas devoir attendre l'arrivée de ces corps, et, ayant rassemblé toutes les troupes disponibles, il en confia le commandement au Fihrite Khâlid, en lui promettant de le renforcer par les corps de Habîb, dès qu'ils seraient arrivés. Khâlid se mit en marche, rencontra Maisara dans les environs de Tanger, et lui livra bataille. Après un combat acharné, mais qui ne fut pas décisif, Maisara se retira dans Tanger, où ses propres soldats l'assassinèrent, soit que, déjà habitués à voir la victoire se déclarer pour eux, ils lui en voulussent de ne pas avoir triomphé cette fois, soit que, depuis son élévation, le démagogue fût réellement devenu infidèle aux doctrines démocratiques de sa secte, comme l'affirment les chroniqueurs arabes; dans ce cas, ses coreligionnaires n'auraient fait qu'user de leur droit et remplir leur devoir, leur doctrine leur ordonnant de déposer, et de tuer au besoin, le chef ou le calife qui s'écartait des principes de la secte.

Quand les Berbers eurent élu un autre chef, ils attaquèrent de nouveau leurs ennemis, et cette fois avec plus de succès: au plus fort de la lutte une division, commandée par le successeur de Maisara, tombe sur les derrières des Arabes qui, se trouvant pris entre deux feux, s'enfuient dans un épouvantable désordre; mais Khâlid et les nobles qui l'entourent, trop fiers pour survivre à la honte d'une telle défaite, se jettent dans les rangs ennemis, et, vendant chèrement leur vie, ils se font tuer jusqu'au dernier. Ce combat funeste, dans lequel avait péri l'élite de la noblesse arabe, reçut le nom de combat des nobles.

Habîb, qui à cette époque était revenu de la Sicile et qui s'était avancé jusqu'aux environs de Tâhort, n'osa pas attaquer les Berbers quand il eut appris le désastre de Khâlid; et bientôt l'Afrique ressembla à un vaisseau échoué qui n'a plus ni voile ni pilote, Obaidallâh ayant été déposé par les Arabes eux-mêmes, qui l'accusaient, non sans raison, d'avoir attiré sur leurs têtes tous ces terribles malheurs301.

Le calife Hichâm frémit de douleur et de rage quand il apprit l'insurrection des Berbers et la défaite de son armée. «Par Allâh, s'écria-t-il, je leur ferai éprouver ce que c'est que la colère d'un Arabe de vieille roche! J'enverrai contre eux une armée telle qu'ils n'en virent jamais: la tête de la colonne sera chez eux pendant que la queue en sera encore chez moi.» Quatre districts de la Syrie reçurent l'ordre de fournir six mille soldats chacun; le cinquième, celui de Kinnesrîn, devait en fournir trois mille. A ces vingt-sept mille hommes devaient se joindre trois mille soldats de l'armée d'Egypte et toutes les troupes africaines. Hichâm donna le commandement de cette armée et le gouvernement de l'Afrique à un général caisite, vieilli dans le métier de la guerre, à Colthoum, de la tribu de Cochair. Au cas où Colthoum viendrait à mourir, son neveu302 Baldj devrait le remplacer, et si ce dernier venait aussi à mourir, le généralat devait échoir au chef des troupes du Jourdain, à Thalaba, de la tribu yéménite d'Amila. Voulant infliger aux révoltés un châtiment exemplaire, le calife donna à son général la permission de livrer au pillage tous les endroits dont il s'emparerait, et de couper la tête à tous les insurgés qui tomberaient entre ses mains.

Ayant pris pour guides deux officiers, clients des Omaiyades, qui connaissaient le pays et qui s'appelaient Hâroun et Moghîth, Colthoum arriva en Afrique dans l'été de l'année 741. Les Arabes de ce pays reçurent fort mal les Syriens, qui se conduisaient envers eux avec une arrogante rudesse et dans lesquels ils voyaient des envahisseurs plutôt que des auxiliaires. Les habitants des villes leur fermèrent les portes, et quand Baldj, qui commandait l'avant-garde, leur ordonna, d'un ton impérieux, de les ouvrir, en annonçant qu'il avait l'intention de s'établir en Afrique avec ses soldats, ils écrivirent à Habîb, qui était encore campé près de Tâhort, pour l'en informer. Habîb fit parvenir aussitôt une lettre à Colthoum, dans laquelle il lui disait: «Votre insensé de neveu a osé dire qu'il est venu pour s'établir dans notre pays avec ses soldats, et il est allé jusqu'à menacer les habitants de nos villes. Je vous déclare donc que si votre armée ne les laisse pas en repos, ce sera contre vous que nous tournerons nos armes.» Colthoum lui fit des excuses et lui annonça en même temps qu'il viendrait le joindre près de Tâhort. Il arriva en effet; mais bientôt le Syrien et l'Africain se querellèrent, et Baldj, qui avait chaudement épousé la cause de son oncle, s'écria: «Le voilà donc, celui qui nous a menacés de tourner ses armes contre nous! – Eh bien, Baldj! lui répondit Abdérame, le fils de Habîb, mon père est prêt à vous donner satisfaction si vous vous croyez offensé.» Les deux armées ne tardèrent pas à prendre part à la dispute; le cri: Aux armes! fut poussé par les Syriens d'un côté, de l'autre par les Africains auxquels s'étaient réunis les soldats d'Egypte. On ne réussit qu'à grand'peine à empêcher l'effusion du sang et à rétablir la concorde qui, du reste, n'était qu'apparente.

L'armée, forte maintenant de soixante-dix mille hommes, s'avança jusqu'à un endroit nommé Bacdoura ou Nafdoura303, où l'armée berbère lui ferma le passage. Voyant que les ennemis avaient la supériorité du nombre, les deux clients omaiyades qui servaient de guides à Colthoum, lui conseillèrent de former un camp retranché, d'éviter une bataille et de se borner à faire ravager, par des détachements de cavalerie, les villages des environs. Colthoum voulut suivre ce conseil prudent, mais le fougueux Baldj le rejeta avec indignation. «Gardez-vous de faire ce qu'on vous conseille, dit-il à son oncle, et ne craignez pas les Berbers à cause de leur nombre, car ils n'ont ni armes ni vêtements.» Et en ceci Baldj disait vrai: les Berbers étaient mal armés, ils n'avaient pour tout vêtement qu'un pagne, et d'ailleurs ils n'avaient que fort peu de chevaux; mais Baldj oubliait que l'enthousiasme religieux et l'amour de la liberté doubleraient leurs forces. Colthoum, accoutumé à se laisser guider par son neveu, se rangea à son avis, et, ayant résolu de livrer bataille, il lui donna le commandement des cavaliers syriens, confia celui des troupes africaines à Hâroun et à Moghîth, et se mit lui-même à la tête des fantassins de la Syrie.

 

Baldj commença l'attaque. Il se flattait que cette multitude désordonnée ne tiendrait pas un instant contre sa cavalerie; mais les ennemis avaient trouvé un moyen très-sûr pour désappointer ses espérances. Ils se mirent à jeter contre la tête des chevaux des sacs remplis de cailloux, et ce stratagème fut couronné d'un plein succès: effarouchés, les chevaux des Syriens se cabrèrent, ce qui força plusieurs cavaliers à les quitter. Puis les Berbers lancèrent contre l'infanterie des juments non domptées, qu'ils avaient rendues furieuses en attachant à leurs queues des outres et de grands morceaux de cuir, de sorte qu'elles causèrent beaucoup de désordre dans les rangs. Néanmoins Baldj, qui était resté à cheval avec environ sept mille des siens, tenta une nouvelle attaque. Cette fois il réussit à rompre les rangs des Berbers, et sa charge impétueuse le conduisit derrière leur armée; mais aussitôt quelques corps berbers firent volte-face pour lui couper la retraite, et les autres combattirent Colthoum avec tant de succès que Habîb, Moghîth et Hâroun furent tués, et que les Arabes d'Afrique, privés de leurs chefs et d'ailleurs mal disposés contre les Syriens, prirent la fuite. Colthoum résistait encore avec les fantassins de la Syrie. Un coup de sabre lui ayant écorché la tête, dit un témoin oculaire, il remit la peau à sa place avec un sang-froid prodigieux. Frappant à droite et à gauche, il récitait des versets du Coran propres à stimuler le courage de ses compagnons. «Dieu, disait-il, a acheté des croyants leurs biens et leurs personnes pour leur donner le paradis en retour; – l'homme ne meurt que par la volonté de Dieu, d'après le livre qui fixe le terme de la vie.» Mais quand les nobles qui combattaient à ses côtés eurent été tués l'un après l'autre, et que lui-même fut tombé à terre criblé de blessures, la déroute des Syriens fut complète et terrible; et les Berbers les poursuivirent avec un acharnement tel que, de l'aveu des vaincus, un tiers de cette grande armée fut tué et qu'un autre tiers fut fait prisonnier.

Sur ces entrefaites Baldj, séparé avec ses sept mille cavaliers du gros de l'armée, s'était vaillamment défendu et avait fait un grand carnage des Berbers; mais ceux-ci étaient trop nombreux pour compter leurs morts, et maintenant que plusieurs corps, après avoir remporté la victoire sur l'armée de son oncle, se tournaient contre lui, il allait être accablé par une multitude immense. N'ayant plus d'autre parti à prendre que le parti extrême ou la retraite, il se décida à chercher son salut dans la fuite; mais comme les ennemis lui fermaient la route de Cairawân, qu'avaient prise les autres fugitifs, force lui fut de prendre la direction opposée. Poursuivis sans relâche par les Berbers, qui s'étaient jetés sur les chevaux des ennemis tués dans le combat, les cavaliers syriens arrivèrent près de Tanger, exténués de fatigue. Après avoir essayé en vain de pénétrer dans cette ville, ils prirent la route de Ceuta, et, s'étant emparés de cette place, ils y réunirent quelques vivres, ce qui, grâce à la fertilité de la contrée environnante, ne leur fut point difficile. Cinq ou six fois les Berbers vinrent les attaquer; mais comme ils ne savaient comment s'y prendre quand il s'agissait d'assiéger une forteresse, et que d'ailleurs les assiégés se défendaient avec le courage du désespoir, ils comprirent qu'ils ne réussiraient pas à leur enlever de vive force le dernier asile qui leur restât. Ils résolurent donc de les affamer, et, ravageant les champs d'alentour, ils les environnèrent d'un désert de deux journées de marche. Les Syriens se virent réduits à se nourrir de la chair de leurs chevaux; mais bientôt les chevaux mêmes commencèrent à leur manquer, et si le gouverneur de l'Espagne continuait à leur refuser l'assistance que réclamait leur déplorable situation, ils allaient mourir de faim304.

292Macrîzî, Histoire des Coptes, p. 22 du texte, éd. Wüstenfeld, et la note de l'éditeur, p. 54.
293Ibn-Khaldoun, Histoire des Berbers, t. I, p. 150, 151 du texte; Akhbâr madjmoua, fol. 63 r.
294Ibn-Adhârî, t. I, p. 39; Ibn-Khaldoun, loco laud.; comparez Soyoutî, Tarîkh al-kholafâ, p. 222, l. 11, éd. Lees.
295Daumas, La grande Kabylie, p. 53-56.
296Daumas, p. 55.
297Ibn-Abd-al-Hacam, apud Weil, t. I, p. 583.
298Ibn-Khaldoun, fol. 202 r.
299Voyez les curieuses aventures du poète non-conformiste Imrân ibn-Hittân, dans Mobarrad, p. 579 et suiv.
300Akhbâr madjmoua, fol. 63 r.
301Ibn-Adhârî, t. I, p. 38-41; Ibn-Khaldoun, Hist. de l'Afrique, éd. Noël des Vergers, p. 10 et 11 du texte; le même, Hist. des Berbers, t. I, p. 151 du texte; Akhbâr madjmoua, fol. 61 v.; Isidore, c. 61; Ibn-al-Coutîa, fol. 6 v.
302Quelques auteurs disent que Baldj était cousin germain de Colthoum.
303La première leçon se trouve dans l'Akhbâr madjmoua, la seconde dans Ibn-al-Coutîa. Dans un autre endroit de l'Akhbâr madjmoua (fol. 66 r.) on lit Nacdoura.
304Akhbâr madjmoua, fol. 62 r. -64 v.; Ibn-Adhârî, t. I, p. 41-43; Isidore, c. 63.