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Chronique de 1831 à 1862, Tome 4 (de 4)

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Autre lettre du 1er juillet de Paris. «Le roi Jérôme a demandé que son corps ne fût pas déposé à Saint-Denis, disant que, quand les Bourbons reviendraient, ils ne manqueraient pas de le jeter dehors. Son fils a tenu à l'exécution de sa dernière volonté, ce qui a contrarié l'Empereur, car il voulait amuser les Parisiens en faisant promener, sur les boulevards, les cendres du grand homme et celles de Jérôme.

«Les affaires de Rome sont fort tristes: Mme de Lamoricière en est revenue navrée; le feu de paille s'est vite éteint: point d'officiers, point d'argent et partout des résistances. Le Saint-Père, résigné à la façon des martyrs, et trouvant qu'il est peu digne à lui de se défendre. Il a peut-être raison.

«L'entrevue de Bade est prise comme un échec pour le mystificateur habituel; il va s'en consoler à Nice, en Savoie, en Algérie. Il voit que tout lui échappe; sa politique devient plus tortueuse, plus hésitante, plus mensongère que jamais. Le roi de Wurtemberg paraît lui avoir parlé ouvertement de cet étrange système de brochures; il l'a dit à ses Ministres auxquels, depuis son retour, il paraît triste et soucieux.»

Autre lettre du 2 juillet de Paris: «Je sais de façon certaine, et j'avoue que je m'en étonne, que l'Empereur Napoléon a trouvé que, des souverains réunis à Bade, celui qui avait le plus d'esprit, c'était le Roi de Hanovre, après lui, le Roi de Saxe, que le reste n'était que des médiocrités.

«Le sursis est positif. L'Empereur a dit à des commerçants que nous n'aurions pas de guerre cette année-ci, ce qui ne les a guère rassurés; car, qu'est-ce qu'une année pour des affaires commerciales?»

Günthersdorf, 10 juillet 1860.– Quarante-huit heures avant la mort de son père, le prince Napoléon a voulu faire vendre publiquement ses chevaux. L'Empereur l'en a empêché. Le jour même du décès, il a renvoyé la maison militaire de son père et il en a donné avis au Ministre de la Guerre. Le Ministre a répondu que la maison resterait jusqu'à ce qu'il en eût été référé à l'Empereur.

L'Empereur, immédiatement après la mort du roi Jérôme, a fait mettre les scellés sur ses papiers et en a pris possession depuis.

Le prince Napoléon a aussi empêché le fils et le petit-fils de Jérôme313 d'arriver au lit de mort du mourant et de lui dire un dernier adieu.

Je ne puis me calmer sur l'histoire du comte de Montemolin: la bêtise au commencement, la lâcheté au milieu, la déloyauté à la fois. Quel mal de semblables aventures ne font-elles pas à la légitimité314!

Günthersdorf, 13 juillet 1860.– Une personne, qui a occasion de savoir ce que pense et ce que dit tout bas le ministre de Sardaigne à Paris, M. Nigra, sur les affaires d'Italie, me mande que, selon lui, la Russie et la Prusse sont presque aussi mécontentes que l'Autriche de ce qui se passe en Italie. L'Angleterre, tout en se tenant en dehors, verrait sans déplaisir que les trois États du Nord se rapprochassent pour une cause quelconque, même pour une cause qui n'aurait pas sa sympathie. La France seule est vraiment favorable à l'Italie. La France laissera tout faire en Italie, sauf l'expropriation de la ville de Rome contre le Pape. Seulement, elle ne reconnaîtra, quant à présent, aucun des changements de territoire à opérer. Maintenant que tous les renforts destinés à Garibaldi sont partis de Gênes, elle conseille au roi Victor-Emmanuel d'arrêter quelque petite expédition en retard pour prouver la non-complicité du Piémont et calmer un peu le Nord. Quant au roi Victor-Emmanuel, à Cavour et à Garibaldi, ils sont parfaitement résolus à parachever leur œuvre, et à amener la Sicile, puis Naples, puis les Marches, puis le reste des États romains, sans se soucier du Roi de Naples, de sa constitution et de ses propositions d'alliance. On me dit d'ailleurs que, si le Roi de Naples était un peu capable, sa partie serait beaucoup moins mauvaise qu'elle n'en a l'air, car Garibaldi est, à ce qu'il paraît, fort mal à l'aise et grandement embarrassé en Sicile.

Günthersdorf, 18 juillet 1860.– On se demande, à Paris, ce qu'on fera du million qui formait la dotation du roi Jérôme. Les indépendants et les économes le réclament pour le Trésor; les prudents veulent qu'on s'en serve pour augmenter la dotation du prince Napoléon et de la princesse Clotilde qui n'ont, l'un qu'un million, l'autre que deux cent mille francs de douaire assuré.

Il paraît que l'Empereur Napoléon se refroidit un peu dans son goût pour le libre échange: les souffrances et les plaintes de l'industrie le préoccupent, ou il y a moins d'empressement à plaire au delà de la Manche.

Nouvelle réunion des deux correspondants à Günthersdorf.

Sagan, 26 août 1860.– Voici les extraits des lettres qui me sont parvenues:

De Paris, 20 août. «Lamoricière est assez content à Rome. Sans illusion et sans charlatanisme, sa petite armée se forme; il aura dans deux mois vingt mille hommes de vraies troupes, et de quoi les payer pendant deux ans; car l'emprunt romain est couvert, pas beaucoup au delà, mais réellement couvert; c'est en France qu'il a le moins réussi. Les soldats de Lamoricière sont presque tous des Allemands, des Irlandais ou des Belges. La plupart des petits gentilshommes français, qui y étaient allés, n'y sont pas restés. Lamoricière a fait de son mieux pour s'en débarrasser. Ils avaient toutes sortes de fantaisies: les uns ne voulaient pas saluer les officiers français dans les rues de Rome; les autres demandaient des uniformes particuliers. D'honnêtes hobereaux écrivaient au général pour le conjurer de veiller aux mœurs de leur fils, ce qui le faisait un peu jurer et dire: «Je ne fonde pas un couvent; ils pécheront, puis ils se confesseront; puis ils repécheront et se reconfesseront.»

«Si Garibaldi, après avoir renversé le Roi de Naples, envahit et veut soulever les Marches, Lamoricière les défendra. Il n'essaiera pas de défendre Rome, si l'armée française s'en va. Il emmènera le Pape ailleurs, à Ancône, probablement. Le Pape répugne extrêmement à quitter Rome, quelle que soit l'extrémité à laquelle on le réduise; on se promet pourtant à l'y décider, s'il le faut. Il est toujours à merveille pour Lamoricière, qui est assez bien avec le cardinal Antonelli; rien qu'assez bien.

«On regarde le rappel un peu déguisé du général de Goyon comme un commencement d'abandon. On a fortement essayé, dans ces derniers temps, d'obtenir du Pape quelque grande mesure, quelques concessions éclatantes, le pendant de la constitution du Roi de Naples; on dit que M. de Cadore, qui remplace par intérim le duc de Gramont, a passé à ce sujet une note très hautaine, qui a irrité le Pape et lui a suggéré un refus absolu. On ne doute guère de la chute du Roi de Naples. Et Garibaldi partira de là pour Venise, comme il est parti de Gênes pour Palerme, et de Palerme pour Naples. La réception pourrait être différente!»

Sagan, 30 septembre 1860.– On m'écrit que l'Impératrice Eugénie est fort souffrante; elle a attrapé un gros rhume à Lyon; cependant, elle veut continuer le voyage pour Alger315.

 

La réunion probable de Varsovie, le toast de l'Empereur de Russie le jour de la fête de l'Empereur d'Autriche316, le peu de foi qu'on attache au discours de Persigny317, tout cela surprend à Paris, où l'on se croyait surtout avoir plus d'action sur la Russie.

On me mande: «Je viens de voir le général prince de Holstein. Il revient de Danemark et de Berlin. Il dit que le Prince-Régent de Prusse lui a donné la commission de dire au Roi de Danemark, pour le désillusionner sur le compte de l'Empereur Napoléon, que celui-ci avait offert à la Prusse de lui garantir le Holstein et le Schleswig, si elle entrait dans ses vues par rapport au Rhin.»

Sagan, 6 septembre 1860.– Je reçois une lettre de Paris dans laquelle je trouve ceci: «Avant de partir pour la Savoie, l'Empereur Napoléon a envoyé chercher le prince de Metternich et lui a dit: «Surtout gardez-vous de recommencer la faute du Tessin; attendez l'attaque des Piémontais. Quand elle viendra, respectez les stipulations de Villafranca, et faites, du reste, sur le Piémont, la Toscane, Parme, Modène, ce que vous voudrez. Je vous livre les agresseurs et ce que je n'ai pas reconnu.» Mais en même temps que Napoléon tenait ce langage au prince de Metternich, il a dit à l'ambassadeur de Sardaigne: «Tenez-vous prêts, complétez votre armée, troupes et matériel, je vous y aiderai.» Toujours de la fourberie, Dieu veuille qu'on n'en soit la dupe nulle part!»

9 Septembre 1860.– La mort du vieux Grand-Duc de Mecklembourg-Strélitz318, que je regrette personnellement, m'est même très sensible. Il m'a comblée de constantes bontés. Pendant sa dernière maladie, il me faisait donner de ses nouvelles par la Grande-Duchesse, et depuis sa mort, sa veuve m'a fait écrire des paroles bien touchantes, dont il l'a chargée pour moi. Il avait de l'esprit, des goûts fins et délicats, des sentiments élevés, des manières exquises, de cette belle politesse perdue, hélas! Il en conservait avec soin la tradition; c'était un ami fidèle et sûr; bref, c'était le dernier d'un meilleur temps.

Voici un passage d'une lettre de Paris, du 7: «Malgré ce qu'en disent les gazettes, tenez pour certain que le couple impérial a été très froidement reçu en Savoie, pays catholique et conservateur, qu'on inonde de fonctionnaires révolutionnaires. L'Empereur vit au jour le jour, manœuvrant entre les sociétés secrètes qui menacent de le poignarder s'il abandonne leur cause, et l'ordre qu'il ne veut pas se mettre à dos dans la personne de la coalition; position difficile à maintenir à la longue.»

11 septembre 1860.– Il y a quelques jours, le Journal des Débats319 donnait, d'après l'Opinione, un article sur le principe de non-intervention à propos du général Lamoricière. On somme le Pape de congédier Lamoricière et ses troupes, parce que leur présence est une intervention étrangère en Italie et menace ses voisins. L'intérêt de la paix en Italie exige que le Pape renonce à se défendre. Je ne crois pas que le mélange de mensonge et d'audace, d'hypocrisie et d'arrogance, de fourberie et d'effronterie qui caractérise la politique révolutionnaire, ait jamais été poussé plus loin. Je suis convaincue que si Lamoricière n'avait à combattre que Garibaldi, il le battrait bel et bien, mais pris entre deux feux, entre le brigand venant de Naples, et les Piémontais venant de l'autre côté, comment résister?

Voici deux extraits de lettres qui auront, du moins, quelque intérêt rétrospectif:

«Turin, 3 septembre: Cavour, ce joueur intrépide et heureux, qui a successivement battu deux Empereurs et un Pape, va jouer tout ce qu'il a gagné contre un autre joueur, qui est terriblement en veine dans ce moment: Garibaldi. La partie est engagée à l'heure qu'il est. Il s'agit de souffler à Garibaldi Naples et les États du Pape, de lui faire mettre son grand sabre dans le fourreau et de renvoyer Cincinnatus à sa charrue: rude besogne! Mais si Cavour a l'Empereur Napoléon comme partenaire (ce qui est plus que probable), on peut parier pour lui.

«Le gouvernement piémontais veut être à Naples avant Garibaldi, ou tout au moins en même temps que lui. Ce n'est pas Garibaldi qui aura l'honneur de battre les croisés et de tracer les limites de l'oasis papale. Ce sera le général Cialdini, si ce n'est le roi Victor-Emmanuel en personne. Farini et Cialdini ne sont allés à Chambéry que pour demander à l'Empereur Napoléon carte blanche et lui soumettre le plan de campagne.»

«Rome, 31 août: Lamoricière se croit certain de battre Garibaldi. Le général de Goyon partageait ce sentiment. Dans l'armée du général de Lamoricière, personne ne doute d'une victoire complète. Garibaldi n'a rencontré aucun obstacle sérieux; ce sont les trahisons qui ont fait sa fortune: ses plans de campagne se bornent à profiter des intelligences que les sociétés secrètes lui ont procurées et à faire jouer la mine de trahison.

«Lamoricière a vingt mille hommes parfaitement sûrs, en laissant de côté les Italiens320

 

368 Sagan, 14 septembre 1860.– Je prévois que l'ère des monarchies est finie partout; ce qui nous livre d'abord à l'anarchie, puis au despotisme et à la tyrannie, à toutes les horreurs de la dissolution complète de l'état social. Le monde finira, sans doute, par reprendre son niveau, mais quand? à quelles conditions? après quelle traversée? Nous n'y serons plus, la tourmente nous aura engloutis bien avant. Si ce n'était la foi en Dieu, on ne saurait où reposer sa pensée. La proclamation de Victor-Emmanuel a été suivie sans retard de l'entrée de Cialdini et de la prise de Pesaro321.

Sagan, 18 septembre 1860.– Comment la Prusse n'a-t-elle pas pris les devants pour rappeler son Ministre de Turin et s'est-elle laissée devancer par la France, sans même l'imiter jusqu'à présent? Car enfin, le Pape étant souverain temporel, il ne s'agit pas pour la Prusse protestante d'une question religieuse, mais d'une question de principe qui s'applique au droit des gens universel! Quant au rappel de Charles de Talleyrand, ce n'est qu'une nouvelle scène de cette longue comédie; mais, du moins, c'est de la comédie bien jouée322. Et comme le parterre est plein de dupes, qui ne savent pas regarder dans la coulisse, il s'y trouve encore d'imbéciles claqueurs.

Les renforts envoyés à Rome me semblent surtout destinés à y garder le Pape prisonnier, sous le prétexte de le protéger, car l'Empereur Napoléon ne se soucie pas de la pitié poétique qu'exciterait un Pape pèlerin. Quelque pervertie que soit l'Europe, il y aurait encore un certain cri dont l'Empereur Napoléon ne se soucie pas d'entendre l'écho.

A propos de politique, la brochure la plus remarquable qui ait paru, au milieu de ce tas de niaiseries et d'absurdités, est la Politique anglaise. Elle émane de l'Empereur Napoléon, mais elle est rédigée par Mocquard. La Prusse y est traitée de parvenue, l'Autriche de perfide agonisante, l'Angleterre de folle égarée; la Russie est seule ménagée; le reste de l'Europe agriffée ou méprisée, et la France vantée dans un style d'apothéose. Le tout est bien écrit et le sophisme habilement manié.

Sagan, 24 septembre 1860.– J'ai reçu les douloureuses nouvelles d'Italie323. Je gémis sur les héroïques victimes; je me sens alternativement consternée, découragée, indignée. Je tremble pour le Saint-Père; je crains qu'il ne se laisse enjôler par le général de Goyon qui, probablement, est dupe lui-même de son maître fallacieux. Le piège est cependant facile à découvrir, mais les âmes essentiellement candides ont de déplorables aveuglements; en vérité, dans tel moment donné, il vaut mieux être moins pur et moins avisé.

A la quantité de dupes dont je vois le monde grossir chaque jour, je me dis qu'il faut que la duperie ait bien des charmes. Quant à moi, je ne sais rien de plus humiliant.

Sagan, 26 septembre 1860.– M. de Falloux m'écrit une lettre que voici: «Le Père Lacordaire travaille à son discours pour l'Académie. Je crains bien que ce discours ne contienne pas tout ce que nous voudrions y trouver sur la question italienne; mais, malgré la douleur dont je me sens opprimé en voyant se préparer dans les États romains une seconde édition de la guerre du Sonderbund de 1847, je suis disposé à pardonner toutes les incartades de mon éloquent confrère, en songeant qu'elles n'auront, du moins, rien de commun avec l'incomparable bassesse des harangues épiscopales, dont la lecture me fait rougir depuis un mois.

«Le Pape, déplorablement induit en erreur, a accepté, et accepte encore la comédie dont il est le jouet. Sa politique est essentiellement timide, expectante, prête à subir presque tout, de peur de tout perdre.. Il semble qu'il ait perdu l'indépendance et la confiance en soi, qui fait les trois quarts de la force de tous les pouvoirs temporels et spirituels. Il lui restait, cependant, encore un grand empire, mais il le croit plus battu et plus faible qu'il ne l'est en effet. On s'arrange plus volontiers du martyre que de la lutte.

«Je suis navré de la mort de Pimodan, et triste pour Lamoricière; mais il a attaqué bravement et succombé devant des forces trop supérieures. Il essaie de tenir dans Ancône. Le malheur sera, hélas! complet, mais l'honneur sera sauf, du moins l'honneur personnel.»

Sagan, 2 octobre 1860.– La Princesse Charles de Prusse, qui a passé trois jours chez moi, m'a parlé des Grandes-Duchesses de Russie: Hélène et Marie, Duchesse de Leuchtenberg. La dernière est toute garibaldienne, furieuse de l'entrevue de Varsovie324, indignée de tout rapprochement avec l'Autriche. La Grande-Duchesse Hélène, moins véhémente dans ses discours, est, au fond, assez dans les mêmes errements.

La reddition d'Ancône, après une lutte énergique et sanglante, me contriste profondément sans m'étonner. Ce qui m'étonne et me contriste, c'est de voir le Saint-Père jouer le jeu de la France en restant à Rome; il n'y gagnera rien au temporel et il perdra beaucoup au spirituel. De Vienne et de Berlin, on agit diplomatiquement pour faire rester le Pape à Rome; c'est d'une bien courte vue et c'est perdre l'occasion très belle de créer un embarras à Napoléon.

Je suis ravie de l'article du Correspondant: «la Question romaine», par M. de Falloux. Rien d'aussi complet, ni d'aussi hardi n'avait encore été écrit. Il y a mis son caractère et plus de talent qu'il n'a coutume d'en avoir. Le poursuivra-t-on? c'est bien difficile. Il a fait là une action réellement méritoire et peut-être efficace, autant que quelque chose peut être efficace aujourd'hui.

Le baron de Talleyrand est à Bade. Il ne m'a pas écrit; mais, dans une lettre que j'ai reçue de Paris, il y a le passage suivant: «L'Empereur est mécontent du baron de Talleyrand, disant qu'il l'a mal servi. C'est ce que l'Empereur a dit à M. de Cadore, lorsque celui-ci est venu apporter les conditions du Pape. Il n'y a rien à gagner de servir un Gouvernement si faux et si perfide, qui livre ses agents pour masquer ses fourberies.»

Dans une autre lettre, il est dit: «Vous ne pouvez vous imaginer la fureur des classes élevées. Au cercle de l'Union on voudrait mettre le duc de Gramont en pièces. C'est qu'en effet, il a été exécrable et que par de fausses assurances (qu'il savait fausses) il a été cause de la perte de Lamoricière et de la mort de Pimodan.»

On m'écrit aussi de Paris, le 5 octobre: «Je trouve ici les esprits très aigris, amers. L'envahissement de l'Ombrie et des Marches jette le clergé et les catholiques dans les dernières fureurs. La défaite de Lamoricière met les légitimistes en rage. Les personnes sensées demandent où on nous conduit avec de telles violences, un tel renversement du droit public. Le gouvernement perd du terrain chaque jour; il voudrait reculer et ne sait comment s'y prendre. La Russie s'oppose à la chute du Roi de Naples, ce qui fait qu'on voudrait arrêter ou contenir quelque peu Victor-Emmanuel. Les embarras de l'Empereur Napoléon sont bien grands, bien graves; en sortira-t-il en conservant sa couronne? Ici, la défiance est à son comble; l'Empereur a des ennemis puissants, nombreux, implacables à l'intérieur comme à l'extérieur.

«La mort de M. de Pimodan cause des regrets irrités, car le duc de Gramont avait promis le concours des troupes françaises en cas d'attaque. On crie à la trahison, au mensonge. Vous n'avez pas idée des clameurs. Ce matin, il y a un service à Notre-Dame pour les victimes de ce cruel combat. L'autorité voulait en refuser la permission; il a fallu céder devant la violence de l'opinion générale.

«On n'a pas osé supprimer le Correspondant, malgré le courageux article de M. de Falloux et les pages écrasantes de M. Cochin, pas davantage sévir contre la chronique de la Revue des Deux Mondes. L'attitude a bien changé et on sent la crainte au lieu de l'arrogance confiante.»

Sagan, 8 octobre 1860.– On me mande de Vienne qu'on regarde l'entrevue de Varsovie comme annulée d'avance par toutes les adroites menées qui ont été mises en jeu par la diplomatie française d'une part, et par MM. Gortschakoff et de Kisseleff de l'autre; les craintes pour l'avenir n'ont plus de bornes.

Sagan, 12 octobre 1860.– Une amie de M. de Falloux me mande que M. Billault avait proposé à l'Empereur Napoléon de poursuivre l'article ou de supprimer le Correspondant. «Non, a dit l'Empereur, il y a déjà bien assez d'émotion; plus tard, nous verrons.»

On m'écrit aussi ici: «Il manque à la politique anglaise, en ce moment, d'oser se montrer telle qu'elle a envie d'être et qu'elle essaie de devenir. Les Anglais se préparent timidement à des transformations qu'ils n'osent pas avouer; ils cherchent à se rapprocher de l'Espagne. C'est un propos étourdi de l'Empereur Napoléon qui a reporté l'attention de Londres sur Madrid. A Chambéry, l'Empereur Napoléon a dit aux envoyés piémontais: «Quant à Naples, faites ce que vous voudrez; les Bourbons et moi, cela ne peut aller nulle part.» Le grand Empereur disait cela aussi, et il ne s'en est pas bien trouvé.

L'Empereur Napoléon a bien tort de s'alarmer de l'entrevue de Varsovie; la présence de Gortschakoff et de Kisseleff, et les natures données des principaux personnages me semblent des garanties suffisantes pour qu'il puisse dormir, non pas du sommeil du juste, mais de celui du fourbe satisfait.

Sagan, 13 octobre 1860.– Voici l'extrait d'une lettre de Paris du 11 octobre: «Les classes élevées sont arrivées au dernier degré de l'exaspération; la bourgeoisie est très blessée et mécontente des affaires du Pape; les masses ignorantes et impies restent indifférentes; les républicains applaudissent, et l'armée semble une chose plutôt qu'une réunion d'hommes. Ce qui est assez grave, c'est l'aigreur et la désaffection des bonapartistes, qui trouvent qu'on perd leur cause. Les aides de camp, en plein salon de service, s'insurgent contre une telle manière de gouverner; ils vont même jusqu'à refuser à l'Empereur Napoléon le véritable esprit politique. Ils n'ont pas tort. Les Ministres sont aux abois et ne savent plus comment se tirer d'embarras inextricables et croissants. L'Empereur, de son côté, se plaint de ses Ministres qu'il accuse de le mal servir. M. Thouvenel disait, avant-hier, à un de ses amis: «Que puis-je faire ici? J'ignore les plans politiques de l'Empereur: je marche dans les ténèbres, sans but, sans plan, avançant, reculant à travers une politique double et jamais expliquée.»

«On ne fera pas de procès à M. de Falloux; on veut adoucir les catholiques, afin d'éviter le départ du Pape de Rome. Là, il y a discussion entre M. de Mérode qui opine et insiste pour le départ, et le cardinal Antonelli qui veut le statu quo. Il nous aurait fallu une démission éclatante de l'Archevêque de Paris, une encyclique écrasante de Rome concluant au départ. Les laïques ne suffisent plus à la lutte; c'est aux sommités à se prononcer et à agir. Dans les cercles et les clubs de bonne compagnie, on écume contre M. de Gramont. Croyez-moi, l'Empereur Napoléon couve quelque surprise inattendue. Il veut bouleverser l'Europe de fond en comble. La faiblesse de l'Europe étonne; elle laissera donc tout faire.»

Sagan, 21 octobre 1860.– On m'écrit d'Italie, qu'à Rome, il y a eu, ainsi qu'à Paris, un monde énorme aux obsèques du pauvre général de Pimodan; mais pas un des Princes romains.

Je reçois un billet de Paris, ainsi conçu, du 19 octobre: «Le parti révolutionnaire l'emporte; les liens qui enchaînent aux Mazziniens ne peuvent être rompus. On vient de signer un nouveau traité avec le Piémont, par lequel on s'engage à le soutenir par les armes dans l'attaque contre la Vénétie325. On compte soulever en même temps plus d'une nationalité. Ici, on espère pêcher en eau trouble et profiter des nouvelles trahisons qui vont éclater.»

Outre ce billet, écrit évidemment à la hâte, j'ai une lettre qui, moins palpitante d'actualité, a cependant quelque intérêt. En voici les principaux passages: «L'Empereur est sombre, perplexe. Il voudrait la fédération au lieu de l'union italienne; mais il ne sait comment enrayer le mouvement actuel. Il a des engagements qui pèsent sur lui, sans compter la peur incessante des poignards. Quand il a vu que les Puissances du Nord n'ont pas suivi l'exemple qu'il a donné, en rappelant le baron de Talleyrand, il a reproché vivement à M. Thouvenel de lui avoir fait jouer cette comédie. Thouvenel ne sait plus comment se tirer d'un labyrinthe et d'un filet frauduleux, dont il commence à avoir honte et dégoût. Tenez pour certain qu'à Chambéry, la réponse donnée par l'Empereur Napoléon à Cialdini et à Fanti a été: «Allez de l'avant, mais faites vite, et que tout soit terminé avant l'entrevue de Varsovie.»

«Le Ministre de Prusse ici ne voit rien326, ne pénètre rien; je doute qu'il fasse voir plus clair à sa Cour qu'il n'y voit lui-même. Le Nonce du Pape est parti; le Saint-Père quittera Rome. Tout cela aurait dû être fait il y a des mois. Et Varsovie? on a bien tort si l'on ne s'y inquiète que de la Hongrie. Toutes les Polognes sont travaillées par des émissaires français; c'est d'ici qu'on y prépare le soulèvement. Je suis parfois à me demander si vous n'êtes pas bien près d'une frontière prête à s'enflammer.»

Sagan, 23 octobre 1860.– Voici une lettre de M. Guizot, datée du Val-Richer le 18 octobre: «J'avais à dîner hier un de mes voisins dont je veux, madame, vous parler; moins de lui, cependant, que de deux jeunes cousins de sa femme, qu'il m'a amenés. Ils étaient dans le bataillon franco-belge sous les ordres de Lamoricière. L'un d'eux a vu et lu de ses propres yeux la lettre du duc de Gramont au général Lamoricière, lui annonçant que les Français empêcheraient les Piémontais d'entrer dans les Marches. Elle est arrivée au Général à Spolète. Le duc de Gramont avait aussi écrit au consul de France à Ancône, qui est venu apporter au Général la même promesse. C'est de cette seconde lettre que le Moniteur s'est servi pour cacher la première. M. de Lamoricière a eu tort de se confier à l'une et à l'autre; mais je sais bien quel nom je donnerais, si je voulais, à l'Ambassadeur qui les a écrites.

«A Castelfidardo, Lamoricière a fait l'impossible pour mener au feu son corps d'Allemands et d'Italiens, il les a harangués, il s'est mis à leur tête, il s'est de sa personne porté en avant; ils n'ont pas suivi, le grand nombre de l'armée piémontaise les avait terrifiés. Le bataillon franco-belge seul a donné. C'est alors que Lamoricière s'est décidé à tout tenter pour aller se jeter dans Ancône et s'y défendre encore. Il y est arrivé seul avec deux officiers. Quelques bataillons épars l'y ont rejoint ensuite. Le général Cialdini a invité à dîner M. de Bourbon-Chalus, son prisonnier. Celui-ci, pour lui expliquer leur tranquille attente, a parlé de la lettre du duc de Gramont. Cialdini a ri: «Je savais mieux que votre Ambassadeur ce que voulait Napoléon; je l'avais vu à Chambéry et il m'avait dit: Allez, allez, seulement, dépêchez-vous; il faut que ce soit fini avant la réunion de Varsovie.»

«Que pensez-vous, madame, que fera ou qu'a déjà fait Varsovie? Tout le monde attend; les badauds comme les gens d'esprit; les indifférents comme les plus zélés. Espérons le retrait motivé des agents diplomatiques; la déclaration qu'on ne reconnaîtra rien de ce qui se fait ou se fera en Italie, en dehors de Villafranca, de Zurich et quelque engagement envers l'Autriche pour l'avenir. Si on ne fait pas ces trois choses, la réunion sera plus que vaine, elle sera ridicule.»

Sagan, 25 octobre 1860.– Je copie une lettre de Paris du 23: «Nous sommes ici dans l'huile bouillante; les troupes sont en marche vers le Midi; avant trois mois Venise n'appartiendra plus aux Autrichiens; mais que de flots de sang pour en arriver là!

«L'attaque se fera par les Piémontais, appelés par la révolution intérieure de l'État de Venise; nous irons à leur secours. La Sardaigne et l'île d'Elbe en seront la récompense. On croit aux Tuileries n'avoir d'autres ennemis à combattre que l'Autriche; on endort la Russie par l'appât de Constantinople; on laissera dire l'Angleterre et on sait bien que la Prusse ne marchera pas sans les Anglais: ils sont si favorables à l'indépendance italienne qu'il est permis de douter qu'ils empêcheront l'écrasement des Autrichiens à Venise.

«M. de Hübner, porteur d'une lettre de l'Empereur Napoléon, a reçu en échange de bonnes paroles, qu'il a la naïveté étrange de prendre au sérieux, au pied de la lettre.

«Le Pape est prisonnier ou peu s'en faut; nous le verrons à Fontainebleau, ou, du moins, en France, sous bonne escorte. Il y aurait mille détails curieux à vous conter, mais ils disparaissent dans le grand drame de l'Italie et de l'Europe; car c'est l'Europe entière qui est en jeu: qu'on ne s'y trompe pas. Avec cela, les bonapartistes sont inquiets, car ils se sentent débordés. C'est la révolution qui nous gouverne. L'armée du Roi de Naples s'épuise, il ne tiendra pas longtemps327. La Gazette de Lyon a été supprimée; elle a paru le jour de la suppression, avant l'avis officiel, avec un article des plus violents, et une espèce d'adresse aux catholiques d'Angleterre, qui viennent de voter une épée d'honneur au général de Lamoricière: «Jouissez de la liberté de votre pays, disait-il, nous l'admirons, nous vous l'envions, car nous gémissions sous le poids de l'oppression et de la tyrannie.» Ils étaient supprimés et ils cassaient les vitres. C'est du reste, ou pour dire plus juste, c'était un journal sérieux, très goûté par la ville de Lyon qu'on a blessée au cœur en le frappant.»

Sagan, 5 novembre 1860.– La Princesse Charles de Prusse m'écrit de Berlin ce qui suit, à l'occasion de la mort de l'Impératrice mère de Russie328: «Le Prince-Régent est véritablement accablé de douleur et fait pitié à voir. Je suis accourue de Glienicke pour le voir, et je m'établis quinze jours plus tôt que je ne le voulais en ville, pour être plus près de mon excellent beau-frère, et donner plus exactement de ses nouvelles à ma sœur. Mon mari n'est pas moins désolé que le Régent; chacun des deux frères l'est à la façon de son caractère. Quant au Régent, il a positivement perdu la personne qu'il aimait le mieux, et dont l'affection le consolait de beaucoup de choses pénibles. Le Roi n'apprendra jamais la mort de sa sœur; la Reine ne porte pas le deuil pour ne pas effrayer le Roi qui, du reste, est de plus en plus silencieux, et de moins en moins lucide!»

313Il s'agit ici du fils issu du mariage légal et légitime que Jérôme avait contracté à Baltimore, en 1803, avec Élisa Paterson. Ce mariage, non reconnu par Napoléon, fut arbitrairement cassé en 1805; mais Élisa Paterson défendit ses droits toute sa vie, et ceux de son fils, avec une énergie singulière. Son fils se fixa à Baltimore et épousa dans cette ville, en 1829, Mlle Suzanne Gay dont il eut un fils qui vint s'établir à Paris où, grâce à la princesse Mathilde dont il avait su conquérir l'amitié, il entra dans le régiment des Guides, dont il fut un brillant officier. Pendant le siège de Paris, il se distingua et conquit les galons de colonel. Après la guerre de 1870, il se fixa à Boston et mourut en 1893.
314Vers le 1er juillet 1860, un document accompagné d'une lettre fut adressé par le comte de Montemolin à la Reine Isabelle II. Ces deux écrits expliquaient la renonciation passée et une rétractation présente: «Considérant, disait Don Carlos, que l'acte de Tortosa du 23 avril est le résultat de circonstances exceptionnelles; écrit dans une prison et au moment où toute communication nous était interdite, il ne remplit aucune des conditions qu'exigeait sa validité; que, par conséquent, il est nul et illégal et ne saurait être ratifié. Attendu l'avis de jurisconsultes compétents, nous le déclarons nul et non avenu et le rétractons.»
315Le 23 août 1860, l'Empereur Napoléon et l'Impératrice Eugénie entreprirent un voyage qui dura plus d'un mois, leur fit visiter Lyon d'abord, puis les nouvelles provinces annexées de la Savoie et de Nice. A leur passage par Chambéry, ils furent salués, au nom du Roi Victor-Emmanuel, par le ministre de l'Intérieur Farini et le général Cialdini, porteur d'une lettre autographe du Roi de Sardaigne à l'Empereur. Revenant ensuite à travers le Dauphiné, la Provence et Nice, ils s'embarquèrent pour la Corse; de là, ils allèrent en Algérie et ne revinrent que le 24 septembre à Saint-Cloud.
316Au banquet donné à Saint-Pétersbourg par l'Empereur Alexandre II pour le jour de la naissance de l'Empereur François-Joseph, le Czar avait dit dans son toast: «A mon cher frère l'Empereur d'Autriche.» Ces paroles furent commentées par les journaux allemands qui les rapprochèrent des conférences prolongées que M. de Rechberg avait alors à Vienne avec l'Ambassadeur de Russie, M. de Bolovine, depuis son retour de Teplitz; il s'établit ainsi la croyance d'une prochaine rencontre du Prince-Régent, de l'Empereur d'Autriche et de l'Empereur de Russie. Les trois souverains du Nord se rencontrèrent, en effet, le 23 octobre à Varsovie et tombèrent d'accord pour repousser toute proposition d'un Congrès sur la question italienne.
317A l'ouverture du Conseil général du département de la Loire dont M. de Persigny était président, celui-ci prononça un discours où l'intention de tranquilliser l'opinion publique était visible. M. de Persigny tendait à prouver que, malgré les guerres d'Italie et de Crimée, la parole de l'Empereur à Bordeaux: «L'Empire, c'est la paix!» était restée inattaquable, que le nouvel Empire n'acceptait la succession du premier Empire que sous bénéfice d'inventaire; qu'il répudiait l'héritage des luttes et des vengeances pour entrer dans des rapports de paix et de concorde avec toutes les Puissances et que son programme était fidèlement suivi.
318Frère de la Reine Louise de Prusse.
319Le Journal des Débats du 7 septembre 1860 disait: «On lit dans l'Opinion de Turin du 4 septembre: «Notre Parlement ne peut pas dévier d'une politique qui a produit de bons fruits, pour courir des aventures qui susciteraient contre lui toute l'Europe. Si jamais une autre politique devait prévaloir, si la force des événements contraignait le Gouvernement du Roi à prendre une autre attitude, le Ministère actuel n'y pourrait pas souscrire et accepter la responsabilité d'une situation qu'il ne pourrait pas dominer. Nous croyons que le parti libéral, qui a soutenu et soutient encore le Cabinet, est de cet avis et qu'en Italie on est assez sage pour éviter de nouvelles complications. En tout cas, le Ministère ne voudrait pas être responsable d'événements qui amèneraient une guerre entre la France et l'Autriche. Nous ignorons qui aurait le courage de s'exposer à une telle responsabilité. Assurément, il n'aurait pas à compter sur l'appui du Parlement qui, s'il est prêt à tout sacrifier pour la défense de la patrie, ne le fera qu'à la condition que le Gouvernement ne se laissera pas enlever la direction de la chose publique, et qu'au contraire, il dirigera le mouvement tendant à l'indépendance italienne.»
320La convention de Villafranca rencontrait tous les jours des obstacles plus sérieux; l'annexion de Nice et de la Savoie ajouta encore aux difficultés, quand il se fut agi de la réaliser, et elle jeta en Italie une nouvelle cause de haine contre la France qui, dès lors, la vit s'échapper définitivement de son influence. Le Gouvernement sarde était embarrassé entre les excitations du patriotisme et les remontrances de l'Empereur Napoléon; mais M. de Cavour se tenait prêt à jouer cette terrible partie, qui devait le mener à recevoir d'un seul coup le complément inespéré de son œuvre. Craignant les emportements de Garibaldi, il le suit vigilant, le couvrant seulement, en parvenant à paralyser la diplomatie qui regarde faire. Garibaldi, le cœur ulcéré par le ressentiment de la cession de Nice, fut facilement gagné à l'insurrection de Sicile qui, depuis quelque temps, tenait l'Italie en éveil. Il était parti à la dérobée par un soir de mai du golfe de Gênes avec mille à onze cents volontaires et ses deux navires: le Piemonte et le Lombarda. A travers les croisières napolitaines, il débarquait le 11 mai à Marsala et, après un sanglant combat à Calatafini, avec les troupes royales, entrait dans Palerme et disposait de la Sicile. Devenu ainsi en peu de jours dictateur victorieux, il passe au mois d'août le détroit de Messine, alla à Naples le 7 septembre, réduisant le Gouvernement napolitain à des conditions de libéralisme trop tardives. Cavour, qui voulait constituer l'Italie sans se laisser dominer par la révolution, accepter l'unité dans ce qu'elle avait de réalisable et marcher sur cette révolution pour l'arrêter et l'empêcher de compromettre la cause nationale, sentit que le moment critique était arrivé et il se décida à l'intervention. Considérer la révolution de Naples comme un fait accompli avant même que François II eût livré sa dernière bataille, pénétrer dans les Marches jusqu'à la frontière napolitaine pour empêcher Garibaldi de se jeter sur Rome, tel est l'acte auquel il se résolut. A Rome, toutes les fantaisies belliqueuses s'agitaient pour reconquérir les Romagnes; on y avait décidé la formation d'une armée pontificale dans la prévision du départ de la garnison française, qui semblait prochain: et le général Lamoricière en avait pris le commandement, par un ordre du jour, où il annonçait qu'il était venu pour combattre la révolution, ce nouvel «islamisme». Le Gouvernement sarde, voyant une menace pour la sécurité de l'Italie dans cette agglomération d'étrangers armés à Rome, dans le but avoué de reconquérir les provinces pontificales détachées des États de l'Église, Cavour saisit ce prétexte en envoyant, le 7 septembre 1860, au cardinal Antonelli la sommation de désarmer; puis, voulant devancer Garibaldi qui arrivait à Naples, deux corps d'armée sardes, sous les ordres des généraux Fanti et Cialdini, s'avancèrent alors par le territoire pontifical et en dix-huit jours occupèrent les places de Pesaro, Urbino, Perugio, Spoleto, rencontrèrent Lamoricière à Castelfidardo, où sa petite armée fut anéantie, et s'emparèrent d'Ancône que Lamoricière avait gagné rapidement avec quelques fidèles, après sa défaite. Pris par terre et par mer, Lamoricière serait contraint de capituler. La question des Marches ainsi tranchée, l'armée piémontaise, dont Victor-Emmanuel prit alors le commandement, gagna la frontière napolitaine où François II avait arrêté Garibaldi sur le Vulturne. Mais Cialdini battit l'armée napolitaine à Issernia et Sesso; François II, après avoir vainement réclamé la protection des escadres française et anglaise, quittait Naples pour se réfugier à Gaëte; Capoue se rendait le 2 novembre et le Roi Victor-Emmanuel faisait son entrée à Naples le 7 du même mois.
321Cette proclamation du Roi, datée de Turin du 11 septembre, était une réponse indirecte à l'ordre du jour de Lamoricière; la voici: »Soldats! Vous entrez dans les marches de l'Ombrie pour restaurer l'ordre civil dans les villes désolées, pour donner aux peuples la liberté d'exprimer leurs propres vœux. Vous n'avez pas à combattre des armées puissantes, mais seulement à délivrer de malheureuses provinces italiennes de la présence de compagnies d'aventuriers étrangers. Vous n'allez pas venger des injures faites à moi ou à l'Italie, mais bien empêcher que les haines populaires se déchaînent contre les oppresseurs. Vous enseignerez, par votre exemple, le pardon des offenses et la tolérance chrétienne à ceux qui comparent l'amour de la nation italienne à l'islamisme. En paix avec toutes les grandes puissances, éloigné de toute provocation, j'entends faire disparaître du centre de l'Italie une cause continuelle de troubles et de discordes, je veux respecter le siège du Chef de l'Église, à qui je suis toujours prêt à donner, d'accord avec les Puissances alliées et amies toutes garanties d'indépendance et de sécurité, que ses aveugles conseillers ont espéré en vain du fanatisme de la secte méchante qui conspire contre mon autorité et contre la liberté de la nation. Soldats, on m'accuse d'ambition; oui, j'ai celle de restaurer les principes d'ordre moral en Italie et de préserver l'Europe des dangers continuels de révolution et de guerre.» (Copié textuellement dans le Journal des Débats du 13 septembre 1860.)
322La Russie et la Prusse rappelèrent leurs Ministres de Turin; mais Cavour eut l'habileté de ne pas prendre trop au sérieux cette rupture, surtout avec la Prusse, qu'il ne cessait de flatter dans ses ambitions secrètes, et dès le mois de janvier, au moment où le Prince-Régent devait ceindre la couronne, il envoyait le général la Marmora avec une mission particulière à Berlin. La France rappela de Turin M. de Talleyrand, sans donner au fond à ce rappel la forme d'une véritable rupture diplomatique.
323Allusion à la bataille de Castelfidardo qui avait été livrée le 18 septembre 1860. Par une marche forcée, Cialdini était parvenu à devancer Lamoricière qui réunissait ses troupes à Foligno, et en occupant les hauteurs d'Orsino et de Castelfidardo, il ferma le chemin d'Ancône aux troupes pontificales. Lamoricière voulut s'ouvrir un passage, attaqua les positions de l'armée piémontaise, qui le repoussa impétueusement et mit en déroute la petite armée du Pape.
324Dans cette ville, mal choisie pour y conférer sur l'indépendance des nations, les souverains du Nord eurent une nouvelle entrevue en octobre 1860. On croyait généralement que les délibérations qui s'y tiendraient feraient entrer les affaires d'Italie dans une nouvelle phase; mais l'Autriche ne put obtenir de la Russie ni de la Prusse l'appui et les encouragements sur lesquels elle avait compté pour lui assurer la possession de la Vénétie.
325L'Autriche, inquiète et troublée de voir que l'Italie avait su se constituer en nation, en se dégageant de l'absolutisme monarchique sans tomber dans le despotisme révolutionnaire, multipliait les efforts pour obtenir une garantie en cas d'attaque de la Vénétie. Vers la fin de septembre 1860, elle fit demander à Paris par le prince de Metternich et M. de Hübner si, devant la formation du royaume d'Italie, la France et le Piémont ne pourraient pas garantir à l'Autriche la possession de la Vénétie, vu que la situation n'était plus la même qu'au traité de Zurich et qu'un nouveau traité, ratifié par le Parlement piémontais, lui paraissait nécessaire. L'Empereur Napoléon se borna à inviter l'Autriche à faire cette proposition au Piémont, sans dissimuler à ses deux envoyés que l'acceptation d'une pareille proposition lui paraissait bien difficile. Cette réponse avait fait croire à l'existence d'un nouveau traité avec le Piémont au sujet de la Vénétie, qui était sans fondement.
326Le comte Albert Pourtalès était alors Ministre de Prusse à Paris.
327François II, trahi par les soldats de sa propre garde, ne recevant de secours de nulle part, quittait Naples le 6 septembre à l'approche de Garibaldi. Il prit d'abord position, avec ce qui lui restait de troupes, près de Capoue, où il livra le 1er octobre un combat, sur le Vulturne, qui resta indécis. Il essaya de prolonger la lutte en se réfugiant dans la forteresse de Gaëte; là, suivi par la Reine et le Corps diplomatique, ce jeune Souverain s'illustra d'un dernier effort de virilité. Garibaldi en commença le siège au mois de novembre 1860, mais empêché par l'escadre française, du côté de la mer, dans ses opérations militaires, ce siège marcha lentement et le drapeau bourbonien resta planté sur le rocher de Gaëte jusqu'au 13 février 1861. Après une courageuse défense. François II signa une capitulation et arriva à Rome avec la Reine le 15 février sur un bâtiment français. Le 25 septembre 1860, le Roi de Naples avait adressé un mémorandum à la diplomatie étrangère pour protester contre l'invasion de ses États et l'inaction des puissances européennes.
328L'Impératrice mère de Russie était morte le 1er novembre à Saint-Pétersbourg.