Za darmo

Chronique de 1831 à 1862. T. 1

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

La princesse de Lieven nous a fait passer une très agréable journée, hier, à la campagne. La société était de bonne humeur et de bon goût: la Princesse, lady Clanricarde, M. Dedel, le comte Pahlen, lord John Russell et moi. Le temps était superbe, à deux pluies d'orage près, que la compagnie a prises en bonne humeur. Nous avons dîné à Burford-Bridge, jolie petite auberge au pied de Box-Hill, que la chaleur ne nous a permis de gravir qu'à moitié. Nous avons aussi visité the Deepdene27, campagne de M. Hope, qui mérite bien son nom: la végétation est belle, mais le lieu est bas et triste; la maison a des prétentions égyptiennes grotesques et laides.

Denbies28 à M. Denison, où nous avons été ensuite, est admirable de position; la vue est riche et variée, mais la maison est peu de chose, du moins à l'extérieur. Tout ce côté-là est assez pittoresque et même beaucoup pour être si près d'une grande ville comme Londres. La partie sans contredit fut agréable, et le souvenir m'en plaît.

Londres, 7 juillet 1834.– Le duc de Cumberland annonce l'intention d'aller chez don Carlos, ce qui déplaît fort au Roi. Le duc de Gloucester en serait tenté aussi, mais il n'a pas voulu y aller sans prévenir le Roi, qui l'a prié de n'en rien faire.

Voici exactement ce qui s'est passé entre l'infant don Carlos et le duc de Wellington. L'Infant avait d'abord envoyé l'évêque de Léon au Duc, auquel il a paru un gros prêtre assez commun, mais avec plus de bon sens que le reste de la compagnie. L'évêque a engagé le Duc à venir voir son maître et à lui donner ses avis. Le Duc a décliné de donner des avis sur une position dont les détails et les ressources lui étaient inconnus, mais il n'a pas cru pouvoir refuser d'aller chez don Carlos. Il y a été, et le singulier dialogue suivant s'est passé entre eux:

DON CARLOS. – Me conseillez-vous d'aller, par mer, rejoindre Zumalacarreguy en Biscaye?

DUC de WELLINGTON. – Mais avez-vous les moyens de vous y transporter? (Point de réponse…) Avez-vous un port de mer à vous, où vous soyez sûr de pouvoir débarquer?

D. C. – Zumalacarreguy m'en prendra un.

D. de W. – Mais, pour cela, il lui faudra quitter la Biscaye. Et d'ailleurs, n'oubliez pas que, d'après le Traité de la Quadruple Alliance, l'Angleterre ne vous laissera pas reprendre la route d'Espagne, puisqu'elle s'est engagée à vous expulser de ce pays.

D. C. – Eh bien! j'irai par la France.

D. de W. – Mais la France a pris les mêmes engagements.

D. C. – Que ferait donc la France si je la traversais?

D. de W. – Elle vous arrêterait.

D. C. – Quel effet cela ferait-il auprès des autres puissances?

D. de W. – Celui d'un Prince aux arrêts.

D. C.. – Mais s'il y avait un changement de ministère, ici, on me rétablirait en Espagne.

D. de W. – Beaucoup d'intrigants, et du plus haut rang, chercheront à vous le persuader, et je ne puis trop vous prémunir contre de semblables illusions. L'Angleterre a reconnu Isabelle II et ne peut plus revenir sur cette reconnaissance, ni sur les engagements pris par le traité. Je vous dis, peut-être, des choses désagréables, mais je crois que c'est le plus grand service à vous rendre. Je connais bien ce pays-ci; vous n'avez rien à en attendre. Je suis même étonné que vous l'ayez choisi pour votre résidence après le traité que mon gouvernement a signé. Vous seriez, ce me semble, à beaucoup d'égards, infiniment mieux en Allemagne. Je ne connais pas la force de votre parti en Espagne, ni ses chances de succès; mais je ne crois pas qu'il vous vienne jamais d'équitables et efficaces secours que de l'Espagne elle-même.»

Telle est cette conversation qui m'a paru très curieuse, parce qu'elle témoigne de l'étrange ignorance de l'un, et de la simple droiture de l'autre. Le Duc a été extrêmement frappé de l'espèce de crétinisme de ce malheureux Prince, qui n'a rien su, rien appris, rien compris; qui n'a ni dignité, ni courage, ni adresse, ni intelligence, et qui semble réellement être à la dernière marche de l'échelle humaine. On dit que les Princesses, les enfants, tous ceux enfin qui sont autour de lui, sont à peu près de la même sorte. Cela fait beaucoup de pitié.

Le duc de Wellington ne croit pas au million envoyé par M. de Blacas; il pense que c'est plutôt le clergé espagnol qui aura envoyé quelque argent.

J'ai dit au Duc que j'avais vu beaucoup de personnes extrêmement curieuses de savoir quel titre il avait donné à don Carlos, lorsqu'il avait été chez lui; il m'a dit alors: «Vous voyez, par ce que je viens de vous raconter, que je pourrais faire imprimer la conversation que j'ai eue avec ce Prince: elle n'a rien de choquant pour personne. Du reste, cette curiosité me rappelle celle qu'avaient tous les Espagnols, pendant la guerre de la Péninsule, de savoir de quelle manière je qualifiais Joseph Bonaparte, lorsque je communiquais avec lui, ce qui m'arrivait souvent. Ses correspondances françaises étaient souvent interceptées, et on me les apportait; elles contenaient beaucoup d'informations qu'il ne fallait pas qu'il reçût, mais il s'y trouvait aussi des nouvelles de sa femme et de ses enfants dont je n'aurais pas voulu le priver, et que je lui faisais passer par les avant-postes français. J'écrivais alors au général français et je lui disais: «Faites savoir au Roi que sa femme, ou sa fille aînée, ou sa fille cadette, va mieux, ou moins bien; qu'elles sont parties pour la campagne», ou autres choses semblables; je ne disais jamais Roi d'Espagne et j'adressais mes messages à des généraux français, mais non à des généraux espagnols joséphinos. Ainsi, il n'y avait, dans ce titre de Roi, aucune reconnaissance à inférer. C'était une politesse et voilà tout: elle ne pouvait tirer à conséquence.» Le Duc m'a laissé ainsi à mes propres conclusions sur la manière dont, en voyant don Carlos, il l'a nommé.

Tous ces pauvres Espagnols ont été hier au Grand Opéra, où ils ont, comme de raison, excité une grande curiosité!

On me mande, de Paris, qu'on y est en enfantement d'un gouverneur d'Alger. Le maréchal Soult voudrait y envoyer un maréchal de France, d'autres veulent un personnage de l'ordre civil pour y placer le duc Decazes qui le demande à cor et à cri et auquel Thiers, notamment, l'a promis. C'est assez drôle, un favori de Louis XVIII se rabattre sur Alger! Je me souviens d'un temps où on songeait aussi à le transporter fort loin, et où Alger, avec son dey, son esclavage et son cordon, aurait paru une assez bonne combinaison au Pavillon Marsan. Oh! les drôleries, les singularités, les contrastes, les catastrophes, n'ont pas manqué dans les années que j'ai vues se succéder, et dont le nombre me paraît souvent doublé et triplé, quand je songe à l'immensité de faits accomplis, de destinées détruites, de bouleversements et de réédifications qui les ont signalées.

Londres, 8 juillet 1834.– Le ministère anglais ne sait ni vivre ni mourir. Chaque jour démolit une partie de l'édifice; il est impossible que le Cabinet ne se sente pas ébranlé dans ses fondements et cependant, contre toutes les traditions parlementaires, il reste en dépit des démentis, des indiscrétions, des petites lâchetés des uns, des petites trahisons des autres. Les faussetés royales même ne manquent pas; les conservateurs sont prêts à recueillir une succession que tout leur promet, mais dont ils aiment mieux hériter par voie de douceur que de l'arracher aux mourants. En attendant, rien ne se fait, rien ne se décide, et le public étonné regarde, attend et ne comprend pas. Lord Althorp annonce que M. Littleton a offert sa démission qui n'est point acceptée par lord Grey; celui-ci nie telle déclaration du Cabinet, que le duc de Richmond déclare avoir été prise, chose qu'il affirme, ajoute-t-il, avec la permission même du Roi. Cet incident singulier devrait, naturellement, amener quelque solution grave, si les choses se passaient encore suivant les anciennes habitudes du Parlement, mais aujourd'hui, on ne s'attend plus qu'à quelque pauvre replâtrage entre les ministres. Pendant qu'on les voit ainsi marchander leur existence au dedans, on voit lord Palmerston trancher péremptoirement toutes les questions du dehors, refuser aux uns des explications, ne pas écouter celles des autres, ne céder aux avis de personne, inquiéter, irriter tout le monde; ce n'est, assurément, pas le cas de dire avec Jean Huss, qui allant au supplice et voyant une pauvre vieille femme courir avec un zèle aveugle, et, pour la gloire de Dieu, jeter un fagot de plus sur le bûcher où il devait être brûlé, s'écria: «Sancta simplicitas!»

A propos de lord Palmerston, et de sa réputation parmi ceux-là même qui ont un certain besoin de lui, je citerai le dire de lord William Russell, le plus tranquille et le plus modéré des hommes. Mme de Lieven lui exprimant le désir de le voir bientôt ambassadeur à Pétersbourg: «Assurément, rien ne serait plus heureux et plus brillant pour ma carrière, et cependant, si lord Palmerston y pensait, je refuserais; car il ne lui faut pas des agents éclairés et véridiques, mais des gens qui sacrifient la vérité à ses préventions. Tout langage, toute opinion indépendante l'irrite, il ne songe alors qu'à se défaire de vous et à vous perdre. Ma manière de voir, à Lisbonne, n'ayant pas été la même que la sienne, il a cherché à nuire à la réputation de ma femme, et si, de Pétersbourg, je lui donnais d'autres renseignements que ceux qui lui conviennent, il dirait tout simplement que je suis acheté par la Russie et essayerait ainsi de me déshonorer. Un gentleman ne peut jamais, à la longue, consentir à traiter des affaires avec lui.»

 

Londres, 9 juillet 1834.– Paul Medem nous disait, hier, que rien n'était si étrange que l'excès du goût du duc de Broglie, lorsqu'il était ministre, pour lord Granville. La préférence donnée à l'ambassadeur d'Angleterre, sur tout le reste du Corps diplomatique, dans les circonstances données, paraissait simple; cependant, cette préférence était non seulement exclusive, mais inquiète, jalouse, absorbante; elle était devenue ridicule, gênante et souvent nuisible.

Un autre fait qui n'a pas semblé moins étrange, c'est que, le lendemain du jour où M. de Broglie est sorti du ministère, faisant sa tournée d'ambassadeurs, et leur expliquant les motifs de sa retraite, il ajoutait à chacun, pour adoucir ce qu'il supposait, à tort, être un regret pour eux, que sa pensée et son système ne restaient pas moins personnifiés dans le Cabinet, par son élève, M. Duchâtel, qu'il y avait fait entrer, après l'avoir initié aux grandes affaires qu'il ne quitterait plus désormais, et l'avoir formé à être un homme d'État de première distinction. Ce legs, si pompeusement annoncé, n'a pas semblé d'aussi grande importance aux héritiers qu'au testateur.

Londres, 10 juillet 1834.– Le Times m'a appris, hier, qu'après avoir demandé l'ajournement de plusieurs lois à la Chambre des Lords, et avoir réuni un conseil fort prolongé, lord Grey et lord Althorp avaient remis leurs démissions au Roi qui les avait immédiatement acceptées29.

Je suis partie, ne sachant rien de plus, et je suis allée avec la duchesse-comtesse de Sutherland et la comtesse Batthyány, passer la matinée à Bromley-Hill, ravissante maison de campagne, où lord Farnborough, ancien ami de M. Pitt, vit habituellement, uniquement occupé de cette charmante demeure, belle par sa situation, ses beaux ormes, ses fleurs, ses eaux superbes, son bon goût parfait, et un soin extrême. Nous avons été ravis de ce charmant établissement, et c'est avec regret que nous sommes rentrés dans la fumée et la politique de Londres.

On n'y savait rien de plus sur le grand événement du jour, si ce n'est le simple fait du message du Roi à lord Melbourne, sans qu'on eût encore rien appris sur ce qui s'était dit entre le Roi et lui. Nous avons été le soir chez lord Grey que nous avons trouvé en famille. Ses enfants m'ont paru abattus, sa femme en irritation, lui seul gai, simple, amical, avec ce maintien plein de noblesse et de candeur qui lui est propre, et qui a quelque chose de fort touchant. Il nous a dit, très naturellement, qu'à travers une série de difficultés et de désagréments sans cesse renaissants depuis le début de la session, le dernier fait de l'imprudente bêtise de M. Littleton, si faiblement expliquée par lord Althorp aux Communes, rendait la démission de M. Littleton insuffisante, et la sienne et celle de lord Althorp nécessaires.

Il m'a semblé, que, dans la famille de lord Grey, la grande haine était contre M. Stanley, dont la retraite, suivie d'un si rude discours, a, de fait, porté au ministère un coup dont l'incident Littleton n'a été que la dernière crise. Les Communes, peu satisfaites de ce que leur a dit lord Althorp à ce sujet, se sont fractionnées en de trop fortes minorités pour n'avoir pas prouvé leur mécontentement, et c'est ce qui a fixé les longues incertitudes de lord Grey. Il nous a semblé content de l'effet produit par l'explication qu'il venait de donner de toute sa conduite à la Chambre des Pairs.

M. Ward, son gendre, est venu lui porter des nouvelles de la Chambre des Communes, où il paraissait que les explications de lord Althorp auraient été reçues assez froidement. L'impression y était qu'outre lord Grey et lord Althorp, MM. Abercromby, Grant et Spring-Rice s'étaient également retirés du ministère; à quoi lord Grey a repris que cela n'était pas exact, qu'il n'y avait que lui et lord Althorp qui eussent réellement donné leurs démissions, et à telles enseignes, que le Chancelier, à la Chambre des Pairs, avait même dit qu'il ne comptait point quitter, et qu'il ne rendrait les Sceaux que sur un ordre formel du Roi. A cela, je me suis permis de demander si la retraite du premier ministre n'entraînait pas, nécessairement, celle de tous les autres membres du Cabinet: « – En droit, oui, mais en fait, non;» m'a dit lord Grey, «mais vous avez raison, c'est l'usage habituel. A vrai dire, mon administration est dissoute; cependant, ces Messieurs, individuellement, peuvent rester dans le nouveau Cabinet.» Sa réponse était évidemment gênée et embarrassée.

Nous avons été ensuite chez lord Holland; il était infiniment plus abattu que lord Grey, fort irrité de l'attaque que le duc de Wellington avait faite contre le Cabinet, au Parlement, et qu'il qualifiait de mauvais goût et de méchant esprit. Il a dit que les Tories semblaient tout préparés à recueillir la succession, mais qu'il espérait que le discours du Chancelier les dégoûterait de la tâche en leur montrant les difficultés énormes; que, d'ailleurs, «on ne se mettait pas à table sans être invité à s'y placer», et que, jusqu'à présent, le Roi n'avait point appelé les Tories, qu'il avait fait chercher lord Melbourne, mais que, néanmoins, il ignorait ce qui s'était dit entre eux.

Sur notre question de savoir si le Cabinet était entièrement ou seulement partiellement dissous, lord Holland a dit que le Roi devait se croire sans ministres, et que lui, lord Holland, quoique n'ayant pas donné sa démission, se regardait cependant comme out of office. Il règne sur cette question une incertitude qui prouve l'attachement de ces Messieurs à leurs places et la répugnance qu'ils éprouvent à les quitter. Lord Melbourne est arrivé pendant que nous étions là, nous nous sommes retirés par discrétion, guère plus avancés à la fin de la journée qu'à son début.

Il paraît que rien ne s'éclaircit en Espagne. Le choléra y répand un effroi dont la Régente essaye de profiter pour se séquestrer dans un moment qu'on dit être embarrassant pour elle. Il est fâcheux pour cette Princesse de s'être déconsidérée aux yeux d'un public, dont il serait si désireux pour elle d'obtenir l'estime et la bienveillance. Le choléra et la retraite de la Reine jettent un grand décousu dans la marche des affaires et du gouvernement. On parle de changer le lieu de rassemblement des Cortès.

On assure que l'infant don Francesco, resté à Madrid avec sa femme, l'infante Carlotta, sœur de la Régente, mais brouillé avec elle, songe, à l'instigation de son épouse, à s'assurer la Régence, et même peut-être plus que cela. La guerre civile est toujours très vive dans le nord de l'Espagne; il est impossible de prévoir ce qu'un tel état de choses, dans la position particulière des acteurs principaux, pourra amener pour le midi de l'Europe.

Londres, 11 juillet 1834.– Le Roi, en faisant chercher, avant-hier, lord Melbourne, lui a parlé de son désir d'arriver à un ministère de coalition, et l'a prié de s'en occuper, mais lord Melbourne a dû, hier matin, écrire au Roi que pareille tâche lui était impossible. En même temps, lord Brougham, qui ne cache pas son désir de rester aux affaires et de les diriger, a écrit aussi au Roi, pour lui dire que rien n'était plus aisé que de reconstruire une nouvelle administration avec les débris de l'ancienne, et de continuer à gouverner dans le même système. Deux Tories principaux dans leur parti ont dit à Mme de Lieven que s'ils étaient appelés par le Roi, ils accepteraient, que leur plan était fait et à la question de savoir s'ils ne s'effrayaient pas de dissoudre la Chambre des Communes et d'en appeler une autre, ils ont dit qu'ils ne dissoudraient pas, parce qu'ils resteraient, à ce qu'ils croyaient, maîtres de la Chambre actuelle, toute mauvaise qu'elle est. Ils se sont aussi fort bien expliqués sur l'alliance avec la France, et particulièrement sur M. de Talleyrand, dont le système conservateur leur inspire confiance, au point, disent-ils, que c'est le seul ambassadeur français qui puisse leur convenir.

Hier, à dîner, chez nous, il n'y avait que quelques débris du ministère déchu; on parlait assez librement de ce qui a amené la catastrophe, qu'il faut rattacher à une série de petites trahisons intestines, ou, comme disait lady Holland, à de grandes trahisons.

Lord Brougham, que lord Durham qualifiait, avec raison peut-être, de fourbe et de fou, paraît être le grand coupable. Il a entretenu une correspondance secrète avec le marquis de Wellesley, vice-Roi d'Irlande, pour l'engager à faire à lord Grey des rapports, qui, différents des précédents, devaient le déterminer à abandonner le «Bill de coercition». D'un autre côté, la consultation demandée aux juges d'Irlande sur l'état du pays, et sur les mesures convenables à adopter, n'ayant pas été telle que la désirait le Chancelier, n'est jamais parvenue à lord Grey et paraît avoir été supprimée; les indiscrétions de M. Littleton, le manque d'énergie de lord Althorp, les difficultés des choses en elles-mêmes, tout cela réuni a fixé les irrésolutions de lord Grey, qui était décidé depuis longtemps à ne pas affronter la session prochaine du Parlement. Il voulait se retirer après celle-ci, mais en choisissant ses successeurs. Je crois qu'il est sincèrement aise d'être hors de la bagarre, mais qu'il regrette d'avoir quitté sur un terrain miné par la trahison et sans savoir en quelles mains va tomber le pouvoir. Il est plein de dignité, mais sa femme regrette avec irritation toutes les ressources que le ministère offrait pour établir ses enfants.

Lady Holland est abattue et regrette le bien-être que le duché de Lancastre procurait à son propre individu. Lord Holland parle de tout ceci avec un mélange de bonhomie, d'insouciance, de chagrin et de gaieté, qui est rare, drôle et surprenant.

Personne ne sait, ne prévoit, ni ne présume même ce qui résultera de toute cette crise.

Le Roi est à Windsor, assez petitement entouré de parents légitimes et illégitimes qui n'ont ni esprit ni consistance, qui ne sont, d'ailleurs, pas d'accord entre eux, et dont on ne saurait compter l'influence, ni dans un sens, ni dans l'autre. La présence de la Reine aurait eu plus d'importance, mais je suis heureuse de penser que par son éloignement elle échappe à toute responsabilité. Le Roi en avait la prévision, qu'il a plusieurs fois manifestée, et elle-même se consolait de le quitter par la pensée de ne pouvoir être accusée d'influencer à distance les décisions royales.

Londres, 13 juillet 1834.– Il est évident que, dans cette semaine, il y a eu des dupes de différents côtés. Les plus surpris, les plus déroutés sont sans doute les conservatifs: ils se sont toujours imaginé, et le public avec eux, que le Roi, trop faible pour renvoyer son ministère, serait cependant charmé d'en être débarrassé et saisirait avec empressement le premier joint pour rappeler les Tories, et cependant les heures et les jours se passent sans qu'on les demande.

J'ai dîné hier avec eux; ils avaient, évidemment, l'apparence de gens désappointés et le duc de Wellington, qui était mon voisin à table, chez lady Jersey, en a causé tout librement avec moi. J'ai été parfaitement de son avis sur le résultat inévitable de la conduite du Roi. Lord Grey était le dernier échelon entre l'innovation et la révolution, et le Roi laissant échapper une occasion naturelle et décente, sans remonter l'échelle, sautera infailliblement la dernière marche qui le sépare de l'abîme destiné à engloutir le sort de la Royauté, du pays; le retentissement d'un pareil événement sera incalculable en Europe.

 

Quelqu'un qui dînait, hier, dans le camp opposé, m'a rapporté que les Whigs se croyaient sûrs que le Roi était venu en ville pour laisser lord Melbourne libre de composer un ministère à sa guise, puisqu'il avait refusé d'en former un de coalition. Ce qui confirmerait cette supposition, c'est que plusieurs membres influents des Communes ont rendez-vous ce matin, chez lord Melbourne. Il paraît que la question est de savoir si on conservera ou si on abandonnera les clauses sévères du «Bill de coercition» sur l'Irlande. Lord Melbourne veut les conserver, mais alors il faut se passer de lord Althorp, qui semble cependant être le seul qui puisse diriger la Chambre des Communes. Il est probable que la journée actuelle dissipera tous les doutes, et que demain on aura une administration recomposée, ou du moins rajustée, replâtrée et d'avance frappée à mort. Ce que j'ai cru depuis longtemps et dit quelquefois, semble s'être vérifié.

Sir Herbert Taylor, le secrétaire particulier de George III et l'homme qui, jadis, avait inspiré une grande passion à la belle princesse Amélie, réputé insignifiant sous le feu Roi George III, cité et estimé sous George IV pour sa discrétion, remplit encore les mêmes fonctions sous le Roi actuel. Je l'ai toujours soupçonné d'être un ami dévoué des Whigs et surtout de lord Palmerston. Il était le seul, à Windsor, auquel le Roi, dans ses jours de crise, ait pu parler, et par lequel d'ailleurs, toutes les communications aient pu passer; c'est à ses inspirations et à son travail sourd et cependant actif, et depuis longtemps préparé, qu'on s'en prend maintenant de ce qui se passe.

Les dires se détruisent en se succédant; l'esprit se fatigue d'une curiosité qui n'est ni satisfaite ni justifiée. On revient sur l'assurance que lord Melbourne aurait liberté entière de former un ministère à sa guise. On dit que le Roi, qui, décidément, n'a pas quitté Windsor, a envoyé sir Herbert Taylor chez sir Robert Peel.

On dit aussi dom Pedro mort et don Carlos parti. Enfin, la cité et les clubs sèment, à l'envi, pour passer le temps, je suppose, les nouvelles les plus bizarres et les plus contradictoires. On finit par ne plus rien croire, par ne guère écouter et par attendre assez patiemment, dans une sorte de lassitude, que la gazette proclame, officiellement, le successeur du lourd et dangereux héritage du ministère.

Pendant ce temps, lord Grey va faire des dîners de gourmand à Greenwich; il y porte le poids de sa déchéance et de la perfidie de ses amis, Mme de Lieven celui de son brillant exil, et M. de Talleyrand les tiraillements d'une ambition encore vivace et d'une attention fatiguée. Lord Grey a fort bien dit, l'autre jour, en faisant ses adieux au Parlement, qu'à son âge de soixante-dix ans, on pouvait avec une certaine fraîcheur d'esprit conduire encore fort utilement les affaires, en temps ordinaire; mais qu'il fallait, à une période aussi critique que celle-ci, toute l'activité et l'énergie qui n'appartenaient qu'à la jeunesse.

Cette vérité, j'en ai fait l'application fort près de moi, et j'ai senti que, dans une carrière publique, il fallait surtout s'appliquer à choisir un bon terrain de retraite, à n'en pas perdre l'à-propos, et à quitter ainsi la scène politique de bon air et de bonne grâce, afin d'emporter encore les applaudissements des spectateurs et d'éviter leurs sifflets.

Londres, 14 juillet 1834.– On écrivait ce matin de Windsor à Londres, pour savoir des nouvelles. Le silence observé par le Roi était absolu, et dans les longues promenades avec sa sœur, la princesse Auguste, ou avec sa fille, lady Sophia Sidney, toute conversation politique était soigneusement évitée et la pluie, le beau temps, le voyage de la Reine, les seuls sujets traités.

Le voyage de la Reine a éprouvé quelques embarras. Lord Adolphus Fitzclarence, qui n'est pas, à ce qu'il semble, un marin fort habile, n'a pu trouver aisément son chemin; le yacht royal prenait d'ailleurs trop d'eau. Heureusement que le duc et la duchesse de Saxe-Weimar, le prince et la princesse des Pays-Bas, ayant été sur un steamer hollandais à la rencontre de la Reine, celle-ci a pu passer à leur bord avec sa femme de chambre et se rendre directement à la Haye; la suite a eu de la peine à gagner Rotterdam.

Il est très heureux, à ce qu'il paraît, que la Reine ait pu éviter cette dernière ville, où l'irritation contre l'Angleterre est assez vive pour qu'on ait voulu y préparer un vilain charivari à la pauvre Reine. Il était convenu, ici, qu'elle ne verrait ni le Roi, ni la Reine des Pays-Bas, condition fortement imposée par le Roi d'Angleterre; on parlait cependant d'une rencontre fortuite qui pouvait avoir lieu au château du Loo.

Sir Herbert Taylor ayant été le point de mire de bien des gens dans ces derniers jours, il en a été question dans beaucoup de conversations, et j'ai appris ainsi que lorsqu'on le proposa pour secrétaire intime à Georges III devenu aveugle, on pensa en même temps en faire un Conseiller privé. George III se mit en grande colère contre une pareille idée, et, devant tous ses ministres, il dit à M. Taylor: Remember, Sir, that you are to be my pen, and my eye, but nothing else; that if you should presume, but once, to remember what you hear, read or write, to human opinion of your own, or to give an advice, we would part for ever. En effet, sous George III et plus tard sous George IV, M. Taylor n'a jamais été qu'une sorte de mannequin, sans oreilles pour écouter, sans yeux pour voir, sans mémoire pour se souvenir. On dit qu'il n'en est plus de même maintenant, quoique les apparences soient toujours celles de la plus grande réserve et discrétion. Il m'a été dit, aussi, à cette occasion, que George III, jusqu'au jour de sa cécité, ne s'était jamais servi de secrétaire, pas même pour faire les enveloppes ou cacheter ses lettres. Sa correspondance était aussi étendue que secrète: il savait toutes les nouvelles de la société, toutes les intrigues politiques, et quand il était mécontent de ses ministres, ou en méfiance de quelques-unes de leurs mesures, il lui est arrivé de consulter en cachette l'opposition. Il n'était jamais pris au dépourvu; il connaissait l'opinion publique et joignait à beaucoup d'instruction beaucoup de tenue et de dignité.

Depuis avant-hier, le bruit s'est répandu que don Carlos avait quitté furtivement Londres, et qu'il avait déjà touché le sol français lorsqu'on le supposait indisposé à Gloucester-Lodge; cependant, ce fait, qui est généralement admis, n'est point encore démontré. Ce qui en fait douter, c'est que M. de Miraflorès le soutient vrai, et se vante d'y avoir fait entraîner don Carlos par un agent à sa solde, qui aurait décidé ce malheureux Prince à cette démarche, pour le livrer ainsi au premier poste espagnol, qui en ferait courte justice; cette singulière et atroce vanterie, dans la bouche de tout autre, il faudrait la prendre au sérieux, mais M. de Miraflorès est aussi fat en politique qu'en galanterie, et il est très permis de douter de l'histoire en elle-même, ou bien de supposer que l'agent, censé avoir mystifié le Prince, n'a peut-être mystifié que le diplomate.

Hier au soir, la convenance, l'intérêt, la curiosité, l'affection, enfin les bons et les mauvais sentiments, avaient conduit un nombre inaccoutumé de personnes à la soirée du dimanche, supposé être le dernier de lady Grey. On y disait, à mots couverts, mais de façon cependant à laisser bien peu de doutes, que lord Melbourne était revenu de Windsor premier ministre, et maître de former, avec les éléments du premier Cabinet, une nouvelle administration dans laquelle lord Grey, seul, ne rentrerait pas. C'est monter en scène avec une vilaine couleur de trahison pour les uns; c'est, pour l'autre, en sortir avec la triste figure d'une dupe; c'est, de la part du Roi, préférer, par faiblesse, un replâtrage à quelques jours d'énergie, difficiles sans doute, mais dignes au moins, et certainement salutaires pour le pays. Les Tories ne lui pardonneront jamais d'avoir reculé, et la postérité le condamnera pour sa faiblesse.

Il semblait, hier au soir, que tout se fût tout à coup amoindri, affaissé et sali dans cette grande Angleterre; le Corps diplomatique se fractionnait en groupes d'expressions frappantes: la nouvelle Espagne, le nouveau Portugal, la Belgique à peine ébauchée, tout ce qui a besoin du désordre et de la faiblesse des grandes puissances pour se sauver des mauvaises conditions de son origine, regardaient lord Palmerston avec des regards d'angoisse qui, bientôt, et lorsqu'on a supposé qu'il restait aux affaires, se sont changés en regards d'amour et de triomphe; le mépris, joint à la haine, contractait toutes les fibres de la princesse de Lieven; l'ambassadeur de France, qui n'est ni rétrograde, comme le Nord, ni propagandiste comme l'Angleterre, semblait plus soucieux qu'irrité, plus affligé qu'étonné, et comme arrivé au point où, le rôle des honnêtes gens finissant, le sien devait se terminer, et où l'heure d'une retraite convenable et décente avait sonné. Les Anglais, eux-mêmes, paraissaient humiliés, et point dupes de l'apparence de modération sous laquelle on cherche à cacher sa faiblesse. En effet, le replâtrage actuel conduira, un peu plus lentement, mais par une décomposition aussi absolue, vers la destruction, qu'aurait pu le faire l'arrivée, de plein saut, au pouvoir, de lord Durham et de M. O'Connell.

27Cette campagne appartient encore à la famille Hope. La maison contient une galerie de tableaux remarquable. Le parc et les jardins à l'italienne sont parmi les plus beaux de l'Angleterre.
28Denbies appartient maintenant à M. G. Cubitt. Cette habitation est située près de Dorking dans le comté de Surrey.
29Le Cabinet de lord Grey était ainsi composé: Premier lord de la Trésorerie, le comte Grey. Lord Chancelier, lord Brougham. Président du conseil privé, marquis Lansdowne. Sceau privé, comte Durham. Chancelier de l'Echiquier, lord Althorp. Intérieur, vicomte Melbourne. Affaires étrangères, vicomte Palmerston. Colonies, vicomte Goderick. Commerce, lord Auckland. Amirauté, sir James Graham. Postes, duc de Richmond. Irlande, M. Stanley. Trésorerie générale, lord John Russell. Contrôle, M. Charles Grant. Chancelier du duché de Lancastre, lord Holland.