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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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Elle me dit donc que j'étais mariée; qu'il existait entre moi et un grand personnage un lien spirituel (j'ai expliqué ceci parce que mon fils aîné était le filleul de l'Empereur Napoléon); que je me séparerais de mon mari après de nombreux embarras et tourments; que mes chagrins ne cesseraient que neuf années après cette séparation; que ces neuf années seraient marquées par des épreuves et des calamités de tous genres pour moi; elle m'a dit aussi que je deviendrais veuve, que je ne serais plus jeune alors, sans cependant être trop vieille et que je me remarierais; qu'elle me voyait, pendant beaucoup d'années, fort rapprochée d'un personnage qui, par sa position et son influence, m'obligerait à jouer une espèce de rôle politique et me donnerait assez de crédit pour sauver la liberté et la vie de quelqu'un. Elle m'a dit encore que je vivrais dans des temps fort orageux, difficiles et pendant lesquels il y aurait de grands bouleversements; qu'un jour, même, je serais éveillée à cinq heures du matin par des hommes armés de piques et de haches, qui entoureraient ma demeure pour me faire périr, que je parviendrais cependant à me sauver de ce danger auquel j'aurais été exposée par mes opinions et mon rôle politiques; que je m'échapperais déguisée; qu'elle me voyait encore en vie à soixante-trois ans et sur ma demande si c'était là le terme assigné à mon existence, elle m'a répondu: «Je ne prétends pas que vous mourrez à soixante-trois ans, je veux dire seulement que je vous vois vivante encore alors; plus tard, je ne sais rien de vous ni de votre destinée.»

Les circonstances principales de cette prédiction me parurent, alors, trop hors du cours probable des événements pour qu'elles me rendissent inquiète ou soucieuse; je le répétai à mes amis plutôt pour jeter du ridicule sur ma propre faiblesse qui m'avait conduite en si étrange compagnie, et quoique le moins vraisemblable de cette prédiction se soit vérifié, tels que ma séparation, de longs chagrins, l'intérêt que j'ai été forcée de prendre aux événements publics, par celui qu'ils inspiraient à M. de Talleyrand, j'avoue qu'à moins du récit d'une autre prédiction, je ne songe que fort rarement à celle de Mlle Lenormand, pas plus qu'à sa personne, qui était, cependant, assez étrange pour ne pas être oubliée. Elle avait l'air d'être âgée de plus de cinquante ans, lorsque je la vis; sa taille était plutôt élevée, ses façons brusques, sa robe noire lâche et traînante; son visage d'une mauvaise couleur mêlée, ses dents gâtées, ses yeux petits, vifs et sauvages, sa physionomie rude et curieuse tout à la fois, sa tête découverte, ses cheveux gris, hérissés et en désordre, achevaient de la rendre repoussante. Je fus soulagée en la quittant.

Je n'ai jamais eu semblable curiosité depuis; mais si je ne l'ai pas éprouvée, c'est bien plutôt par une certaine terreur de ce qui pourrait m'être annoncé, et par un certain dégoût pour l'espèce de monde dont c'est l'industrie, que par usage de ma raison. Si j'avouais toutes mes superstitions, je ferais grand tort à mon bon sens!

Ces oracles de Mlle Lenormand me revinrent cependant à la mémoire lorsqu'en juillet 1830, seule à Rochecotte, entourée d'incendies, et recevant les nouvelles des journées de Paris, je vis passer sous mes fenêtres les régiments que le général Donnadieu dirigeaient sur la Vendée, où on croyait que Charles X se rendrait. J'entendais les uns hurler contre les Jésuites, qu'ils accusaient bêtement de jeter des mèches inflammables dans leurs maisons et dans leurs champs; les autres crier contre les mal pensants tels que moi. Le curé vint se réfugier chez moi, pendant que le maire me demandait si je ne croyais pas qu'il fallût chasser de la commune cette soutane noire, qui, selon lui, sentait le soufre. Je me voyais déjà cernée par des piques et des haches, et me sauvant, comme je pouvais, en bonnet rond et en blouse. Je m'en suis tirée alors, mais quelquefois je me suis dit: «C'est partie remise, tu n'y échapperas pas.»

Londres, 10 juin 1834.– Lord Dacre, qui devait entrer au ministère, a fait une chute de cheval, causée par un coup de sang, qui le met hors de cause. On songe, maintenant, à mettre M. Abercromby à la tête de la Monnaie, en lui donnant entrée au Conseil.

Nous avions hier un dîner arlequin: M. Dupin, les jeunes Ney et Davoust, M. Bignon et le général Munier de la Converserie. Si de dire du mal de tout le monde est une manière de dire du bien de soi, M. Dupin n'y a pas manqué; il a indignement traité Roi et ministres, hommes et femmes de Paris. Les uns sont avares, bavards, sans tenue; les autres sont des brigands, des contrebandiers, des sapajous, que sais-je? Les mauvaises mœurs ont eu leur diatribe; c'était la justice armée d'un glaive exterminateur. M. Piron, le cicerone de M. Dupin et son très humble serviteur, me donnait la petite pièce par les formules multipliées de son adulation; il louait surtout M. Dupin de la manière lucide et détaillée, dont il expliquait aux ministres anglais les embarras et les dangers de leur position. Je crois qu'ils auraient autant aimé qu'on ne vînt pas d'outre-mer leur dire ce qu'ils savaient de reste.

Après le dîner, il m'a fallu subir la doucereuse fausseté de M. Bignon. Il me rappelle le mielleux et le subalterne de Vitrolles; il en a un peu la figure, beaucoup le parler et surtout le maintien. Je trouve, cependant, la conversation de M. de Vitrolles plus animée, et son imagination plus brillante. Du reste, j'ai causé avec M. Bignon, hier, pour la première fois, et j'aurais tort de le juger sur cette seule conversation; mais il est impossible de ne pas être frappé de sa manière calme et soumise qui met, tout d'abord, en défiance.

Londres, 11 juin 1834.– La nomination de M. Abercromby est dans le Globe d'hier soir; nous verrons si cela adoucira le ton du Times qui, hier matin encore, malmenait cruellement le pauvre lord Grey.

Dans la quantité de mots cités de M. de Talleyrand, il en est un fort joli, et peu connu, que voici: M. de Montrond lui disait, l'année dernière, que Thiers était un bon enfant, et pas trop impertinent pour un parvenu. «Je vais vous en dire la raison», reprit M. de Talleyrand, «c'est que Thiers n'est pas parvenu, il est arrivé.» J'ai peur que ce mot, si délicat, ne perde un peu le mérite de la vérité, mais la faute en serait à M. Thiers. L'impertinence lui devient familière; depuis son mariage, il vit dans une sorte de solidarité avec les plus petites gens du monde, mal famés, prétentieux, parvenus pour le coup, et non pas arrivés! Il est impossible que, malgré tout le déluge d'esprit dont il inonde la boue qui l'environne, il ne finisse pas par en être, si ce n'est étouffé, du moins bien éclaboussé. C'est vraiment grand dommage!

Londres, 12 juin 1834.– J'ai entendu raconter, hier, à Holland-House, que l'abbé Morellet se plaignant au marquis de Lansdowne d'avoir perdu ses pensions et ses bénéfices à la Révolution, pour laquelle il avait, cependant, et tant parlé, et tant écrit, le Marquis lui répondit: «Que voulez-vous, mon cher; il y a toujours quelques soldats blessés dans les armées victorieuses.»

Londres, 13 juin 1834.– On répand le bruit que dom Miguel s'est évadé, qu'une conspiration a éclaté à Lisbonne contre dom Pedro; on ajoute mille détails sinistres. Il paraît que tout ceci n'est que jeu de bourse, et que le vrai est réduit à quelques démonstrations fâcheuses pour dom Pedro, lorsqu'il s'est montré au spectacle. Ce serait, du reste, la meilleure conclusion de ce grand drame que l'expulsion simultanée des deux rivaux.

On s'étonne un peu que dom Miguel ne soit point encore débarqué en Angleterre. Don Carlos est arrivé hier à Portsmouth sur le Donegal.

L'Espagne se choque, avec raison, que le duc de Terceire et le commissaire anglais qui ont fait signer à dom Miguel des garanties contre son retour, n'en aient pas réclamé de don Carlos. On voudrait, maintenant, que l'Angleterre et la France prissent des mesures contre don Carlos, de façon à le mettre au ban de l'Europe: mais cela n'est pas admissible, malgré les notes du marquis de Miraflorès et les diatribes de lord Holland.

Il se tient d'étranges discours à Holland-House. Le petit Charles Barrington y disant l'autre jour qu'il n'avait pu monter à âne parce que c'était dimanche et que la religion défendait de monter à âne le dimanche, M. Allen lui répondit en grommelant: «Never mind; the religion is only for the donkeys themselves.»

M. Spring Rice vient d'être élu à Cambridge, mais à une petite majorité, ce qui ne plaît guère au ministère.

Sir Henry Halford, M. Dedel, la princesse de Lieven sont revenus émus, ravis, enivrés des brillantes journées d'Oxford pour la réception du duc de Wellington comme Chancelier de l'Université. Cette solennité était vraiment unique dans son genre; le caractère et le passé du duc de Wellington qui, il y a quatre ans encore, avait été lapidé à Oxford, pour avoir fait passer le Bill de l'émancipation des catholiques, la magnificence de la cérémonie, le nombre et la qualité des spectateurs, les traditions séculaires qui s'y sont reproduites, les émotions de tous, l'unanimité des applaudissements, enfin tout était remarquable et ne se renouvellera plus. Le duc de Cumberland, si généralement impopulaire, a trouvé là un bon accueil. Les idées religieuses anglicanes y dominaient; toutes les préventions personnelles disparaissent, devant les dangers dont l'Église est menacée, ce qui a fait juger avec faveur tous ceux que l'on croit disposés à la défendre. C'était moins le grand capitaine qu'on applaudissait dans le duc de Wellington que le défenseur de la foi.

Il est fâcheux qu'au milieu de la licence qu'on accorde, dans semblables occasions, aux étudiants, ils se soient permis de huer les noms de lord Grey et d'autres, qu'ils proféraient à haute voix, pour avoir ensuite le plaisir de les siffler. Le duc de Wellington a témoigné, chaque fois, que de telles manifestations lui déplaisaient; mais, malgré les signes d'improbation, elles se sont plusieurs fois reproduites.

 

On dit qu'au moment où le Duc a pris la main de lord Winchelsea, auquel il venait de donner le bonnet de docteur, le souvenir de leur ancien duel est venu à la pensée de tous, et que c'est là ce qui a provoqué le plus d'applaudissements. Ils ont été non moins vifs cependant, et plus touchants peut-être, lorsque lord Fitzroy-Somerset s'est approché du Duc, et que, ne pouvant lui offrir la main droite, perdue à Waterloo, ce fidèle ami et compagnon lui a tendu la gauche. Mais ce qui paraît avoir excité un enthousiasme inouï, et avoir fait retentir la salle d'un éclat extraordinaire et prolongé à l'infini, c'est la strophe d'une ode adressée au Duc qui finissait par deux vers dont voici le sens: «Quel est celui, qui, seul, a su résister à ce sombre et ténébreux génie, qui avait bouleversé le monde, et le vaincre? C'est toi, vainqueur à Waterloo.» Tout l'auditoire alors s'est levé spontanément, les cris, les pleurs, les acclamations ont été électriques, et comme disait Mme de Lieven, «le duc de Wellington peut mourir aujourd'hui et moi partir demain, car j'ai assisté à ce que j'ai vu de plus merveilleux dans les vingt-deux années que j'ai passées en Angleterre».

Londres, 14 juin 1834.– Un improvisateur allemand, qui se nomme Langsward, m'a été recommandé par Mme de Dolomieu. Il a fallu lui faire honneur et réunir, assez péniblement, tous ceux qui, ici, savent quelque peu l'allemand, pour entendre ce poète. Ce n'était pas mauvais: des bouts-rimés, assez heureusement remplis; un morceau, en vers, sur Inès de Castro, et plus tard, en prose, une scène populaire viennoise, indiquent certainement de la verve et du talent. D'ailleurs, le don de l'improvisation poétique indique, presque toujours, une faculté à part, même dans les gens du Midi, dont la langue est, par ses seuls accents, une vraie harmonie; à plus forte raison y a-t-il difficulté vaincue à être poétiquement inspiré, à travers les accents moins flexibles des langues du Nord. Cependant, les improvisateurs, même Sgricci, m'ont toujours paru plus ou moins froids ou ridicules. Leur enthousiasme est outré et factice, les étroits salons dans lesquels ils sont renfermés, et qui n'inspirent, ni le poète, ni les spectateurs, rien en eux, ni autour d'eux, ne monte au diapason poétique. Il me semble qu'il faudrait, pour que l'enthousiasme puisse être contagieux, la campagne pour théâtre, le soleil pour lumière, un rocher pour siège, une lyre pour accompagnement, des événements d'un intérêt général et rapproché pour sujets, enfin un peuple tout entier pour auditoire: Corinne si l'on veut, Homère avant tout! Mais un monsieur en frac, dans un petit salon de Londres, devant quelques femmes qui cherchent à s'échapper, pour aller au bal, et quelques hommes, dont les uns songent aux protocoles de la Belgique, et les autres aux courses d'Ascot, ne sera jamais qu'une espèce de mannequin rimeur, fastidieux et déplacé.

Mme de Lieven m'a montré, hier, une lettre de M. de Nesselrode, dans laquelle il se plaint du mauvais esprit tracassier et agitateur de lord Ponsonby, qui, ajoute-t-il, fait enrager le pauvre Divan. L'amiral Roussin y est, comparativement, trouvé charmant.

Dom Miguel est, décidément, embarqué, et se rend à Gênes.

Londres, 15 juin 1834.– A peine dom Pedro se sent-il délivré de la présence de son frère, et point encore sous les yeux des Cortès, qu'il se hâte de détruire couvents, moines et religieuses. Je ne sais si cela sera encore admiré à Holland-House, mais cela me fait l'effet d'être une folie impie dont il pourrait bien ne pas tarder à se repentir.

Les Rothschild, qui prétendent tout savoir, sont venus dire à M. de Talleyrand, que le marquis de Miraflorès venait de partir pour Portsmouth, afin d'y offrir de l'argent à don Carlos, sous la condition qu'il signerait des engagements semblables à ceux acceptés par don Miguel.

M. Bignon, le jour où il a dîné, avec M. de Talleyrand, chez lord Palmerston, a dit au premier qu'il désirait lui parler, et, avec un air et un ton mystérieux et intime, il lui a dit: «Maintenant que j'ai dîné chez lord Palmerston, on ne dira plus à Paris que je ne puis pas être ministre.» Cette étrange conclusion a été suivie de blâmes indiscrets contre le Cabinet français, et d'un peu de surprise que M. Dupin n'eût pas fait à M. de Talleyrand des ouvertures du même genre. Il faut convenir que rien ne saurait être plus présomptueux que cet esprit, soit qu'il prenne la forme doucereuse et souple de M. Bignon, soit qu'il revête la forme doctorale et rude de M. Dupin.

Londres, 16 juin 1834.– A propos de M. Dupin, sa mère étant morte, à Clamecy en Nivernais, il y a quelque temps, il a fait graver sur sa tombe: «Ci-gît la mère des trois Dupin.»

Il y a d'assez bons contes ici sur lui et sur son cicerone, l'aimable Piron. M. Ellice les menant un jour, tous deux, voir je ne sais quelle curiosité de Londres, M. Dupin déploya, dans la voiture, un grand mouchoir de poche, à carreaux, bien commun, et, après l'avoir étendu à quelque distance de son visage, il cracha dedans, en visant assez juste le milieu du mouchoir. M. Piron lui dit alors, tout haut, et avec un air fort capable: «Monsieur, dans ce pays-ci, on ne crache pas devant le monde.»

Le choix de M. Fergusson, pour une des places de haute magistrature, donne de plus en plus une couleur radicale au Cabinet anglais. Lord Grey, sans presque s'en douter, est ainsi entraîné vers un abîme, dans lequel le pousse sa faiblesse et que ses instincts et ses tendances naturelles repoussent. Lord Brougham se vante d'avoir tout rajusté; lord Durham dit, au contraire, que c'est lui seul qui a décidé tous les nouveaux arrivants à accepter, probablement pour lui frayer la route. Celui-ci s'est, pour le moment, retiré dans sa villa, près de Londres, d'où il dit: «J'ai fait des Rois et n'ai pas voulu l'être.»

Le marquis de Conyngham est désigné, dit-on, pour les Postes, sans entrée au Conseil; c'est un choix de société dans lequel la politique semble être hors de cause.

Au dîner high-tory que le Lord-maire donne le 22 au duc de Gloucester, le duc de Richmond a accepté d'être présent. Le duc de Wellington, qui, depuis l'indigne conduite de la Cité à son égard en 1830, a juré de n'y plus reparaître, s'est fait excuser, sans cacher son motif. Pourtant, ce n'est plus le même Lord-maire, et probablement le Duc recevrait aujourd'hui un accueil très flatteur, mais enfin il a fait un serment et il veut le tenir.

M. Backhouse, le sous-secrétaire d'État au ministère des Affaires étrangères, a été envoyé à Portsmouth pour prendre les ordres de l'infant don Carlos, sur tout ce qui pourrait lui être agréable, excepté cependant de lui offrir de l'argent, cette réserve paraissant être la seule manière d'appuyer efficacement la négociation du marquis de Miraflorès, qui, lui, est chargé d'offrir à l'Infant, de la part de son gouvernement, une pension annuelle de trente mille livres sterling, sous la condition de prendre des engagements semblables à ceux de dom Miguel. On suppose que la misère absolue dans laquelle l'Infant, sa femme, ses enfants, la duchesse de Beïra, sept prêtres et beaucoup de dames, en tout soixante-douze personnes, qui sont à bord du Donegal, se trouvent réduits, et qui est telle qu'ils n'ont pas de quoi changer de linge, rendra la négociation assez facile. On ne sait point encore quels sont les projets de don Carlos, les uns disent qu'il veut se retirer en Hollande, d'autres nomment Vienne, d'autres enfin parlent de Rome; ce dernier projet paraît être particulièrement désagréable au gouvernement actuel d'Espagne, mais personne n'a le droit d'influencer ce choix.

On attend, ici, assez prochainement, M. de Palmella, qui s'y annonce pour terminer des affaires personnelles, mais on suppose assez généralement que c'est pour aviser aux moyens de se débarrasser de dom Pedro dont les absurdes folies ne satisfont personne. Ce serait alors le moment de choisir un mari à doña Maria da Gloria, et la manière, peut-être, de débourrer cette jeune Princesse, qui n'a, encore, que les allures d'un jeune éléphant.

Lord Palmerston, selon ses bonnes et courtoises habitudes, avait envoyé M. Backhouse à Portsmouth, sans en dire mot à M. de Talleyrand, qui ne l'a appris que par le bruit public. Cela a amené un petit bout d'explication entre lord Grey et moi. Il faut convenir qu'il est impossible d'être meilleur, plus plein de candeur, de sincérité et de bonnes intentions que lord Grey. Je suis sans cesse touchée de ses qualités d'homme et frappée de son incapacité d'homme politique. Il a encore couru après moi, sur son escalier, pour justifier lord Palmerston sur le fait de toute mauvaise intention et pour me prier de l'excuser près de M. de Talleyrand. J'ai répondu à cela, par le vieux dicton français que l'enfer était pavé de bonnes intentions et j'ai ajouté en anglais: «Well, I promise you to tell to M. de Talleyrand that lord Palmerston is as innocent as an unborn child, but I don't believe a word of it.» Cela a fait rire lord Grey, qui a pris le tout à merveille de ma part, ce qu'il fait toujours.

Londres, 17 juin 1834.– Don Carlos n'a pas voulu voir M. de Miraflorès, il n'a reçu que M. Backhouse, auquel il a fait comprendre qu'il n'accepterait pas un écu à condition de céder le plus petit de ses droits. Il a chargé M. Sampaïo, l'ancien consul de dom Miguel à Londres, de lui chercher une maison à Portsmouth, où il veut se reposer pendant quinze jours, puis de lui en trouver une près de Londres pour y passer quelque temps.

Le gouvernement anglais attribue le refus de don Carlos à un crédit d'un million, qu'il croit être sûr que l'Infant a trouvé à Londres chez M. Saraiva, l'ancien ministre de dom Miguel en Angleterre: on prétend même, ce qui est peu vraisemblable, que ce crédit lui a été ouvert par le duc de Blacas. L'évêque de Léon, qu'on dit être un assez mauvais homme, mais habile, à la façon d'un moine espagnol, est avec l'Infant; c'est lui qui est le conseil et l'âme de cette cour fugitive.

Le marquis de Conyngham, fils de la célèbre favorite de George IV, succède décidément, à la direction des Postes, à son beau-frère, le duc de Richmond; il est jeune, beau, élégant, homme à bonnes fortunes, recevant et écrivant plus de billets que de lettres; aussi dit-on qu'il est le Post-master general of the two penny Post.

Londres, 18 juin 1834.– Il y a toujours une grande confusion, et un conflit de juridiction, dans toutes les réunions de dames, et malgré la présidence de la duchesse-comtesse de Sutherland, il y a eu bien des discussions et des hésitations pour ce bracelet à offrir à Mme de Lieven. Quelques dames se sont retirées par économie, d'autres parce qu'elles n'étaient pas directrices de l'affaire, enfin, il en reste trente. Le choix des pierres et la façon de les monter ont été un autre chapitre difficile: point d'opales, la Princesse ne les aime pas; pas de rubis, ils sont trop chers; les turquoises viennent de Russie, ce serait envoyer de l'eau à la rivière; les améthystes de même; les saphirs, la Princesse en possède de superbes; l'émeraude peut-être; mais non – mais oui – mais cependant – pourquoi pas? – ce ne sera pas ce que je croyais – le péridot n'est pas assez distingué; il faut demander à la Princesse elle-même… C'est ce que l'on a fait; voilà le mystère éventé, la surprise finie et une grosse perle choisie.

Vient ensuite la question plus délicate, plus littéraire, celle de l'inscription dédicatoire. Ces dames tiennent à ce que les mots gravés soient en anglais; alors, en ma qualité d'étrangère, je me retire. On me témoigne des regrets obligeants; je persiste, comme de raison, et me voilà hors de cause. Je reste comme simple spectatrice et je ne m'en amuse pas moins. On essaye de vingt rédactions différentes, les poétiques, les symboliques: les unes veulent jouer sur l'image de la perle, et disent que la perle a été choisie parce que la Princesse est la perle des femmes, les autres trouvent que l'image ne serait pas assez exacte pour l'adopter: on veut y mêler un petit mot adressé aux talents politiques de la Princesse, ce qui fait rappeler à l'ordre. Il faut encore trouver un moyen de rappeler les noms des donatrices sans blesser les autres dames de la société anglaise. Aussi on me consulte; je réponds que je ne sais pas assez d'anglais pour avoir un avis; on me demande ce que je mettrais si c'était en français, je le dis, et, de guerre lasse, on se décide à le traduire en anglais et à l'adopter. Ce sont quelques mots fort simples: «Testimony of regard, regret and affection presented to the princess Lieven on her departure, by some english ladies of her particular aquaintance. July 1834.»

 

Londres, 19 juin 1834.– Mme de Lieven, qui est venue hier matin chez moi, et qui est dans une émotion toujours croissante à mesure que son départ approche, emportée par l'espèce de fièvre qu'elle éprouve, m'a dit avec amertume qu'elle était sûre qu'il y avait, outre lord Palmerston, une seconde personne soulagée de son départ, et que c'était le Roi d'Angleterre; qu'il s'était refusé à écrire la lettre autographe qui, tout en mettant l'amour-propre de son ministre à couvert, aurait pu faire revenir sur le rappel de M. de Lieven; que Palmerston avait endoctriné le Roi sur les inconvénients qu'il y avait à la trop longue résidence des ambassadeurs étrangers à sa Cour; qu'ils y devenaient trop initiés et y acquéraient même une puissance réelle et importante; bref, le Roi est charmé du départ de Mme de Lieven, et elle en fait honneur à Palmerston, ce qui n'augmente pas son goût pour lui. Elle trouverait une consolation à la pensée de l'abîme qui s'ouvre sous ses pieds; en effet, le ministère, tout entier, ne paraît rien moins que solide, et le plus ébranlé d'entre ses membres est sans doute lord Palmerston. Ses collègues n'en font plus grand cas. Lord Grey convient qu'il parle mal aux Communes, le Corps diplomatique déteste son arrogance, les Anglais le trouvent mal élevé. Son seul mérite paraît, après tout, ne consister que dans une facilité remarquable à parler et à écrire le français. Le départ des Lieven, qui fait de la peine à tout le monde et très certainement à lord Grey, est si généralement attribué à l'entêtement impertinent de lord Palmerston, que personne ne cherche à dissimuler cette conviction, pas même les ministres, ses collègues. Aussi, dans les nombreux dîners et les réunions d'adieu qu'on offre aux Lieven, personne n'invite lord Palmerston; c'est d'autant plus remarquable que lady Cowper est nécessairement de tous. Il n'a pas laissé que d'en être très piqué, surtout de la part de lord Grey. Celui-ci s'en est fait un petit mérite près de Mme de Lieven en lui disant: «Vous voyez, j'ai réuni vos amis et j'ai évité Palmerston.» La pauvre lady Cowper a le reflet de toute l'humeur de lord Palmerston; on dit qu'il la lui témoigne rudement.

Le duc de Saxe-Meiningen est arrivé, sur l'invitation du Roi, pour escorter la Reine, sa sœur, pendant son voyage en Allemagne. Elle part, dit-on, le 4 juillet; le Roi insiste pour que ce soit le 2: il est si étrangement pressé de ce départ qu'il a arrangé à lui tout seul, que beaucoup de gens croient qu'il ne laissera pas revenir la Reine de sitôt, et que personne ne doute du plaisir qu'il anticipe à reprendre la vie de garçon. Tout le monde tremble de ce qu'il va imaginer pour se divertir: le genre de ses plaisirs, l'ordre des personnes qu'il y appellera, tout cela donne à penser aux gens comme il faut, et les inquiète. Il a, sûrement, de singulières fantaisies en tête, puisque l'autre jour, à dîner, il a interpellé tout haut un vieux amiral qu'il a beaucoup connu jadis, en lui demandant s'il était toujours aussi gaillard qu'il l'avait connu; et l'amiral lui ayant répondu que l'âge des folies était passé, le Roi a repris que, quant à lui, il comptait bien s'y remettre!

C'est toujours un événement pour moi que l'arrivée d'une lettre de M. Royer-Collard, d'abord parce que je lui suis fort attachée, puis parce qu'il dit beaucoup en peu de mots, toujours d'une manière frappante, et avec un ton qui n'appartient qu'à lui et qui donne longtemps à penser. C'est ainsi que dans la lettre que je viens de recevoir, il y a ceci plein de vérité et d'une malice de bon goût: «Il a bien de l'esprit (c'est de Thiers dont il s'agit); il lui manque du monde, et l'expérience que le monde donne, de la gravité et quelques principes; en écrivant ce mot, il me vient à l'esprit que vous me prendrez pour un doctrinaire, ce serait bien injuste, car ils sont bien exempts de ce faible-là

Londres, 20 juin 1834.– Des lettres tombées en mains peu sûres ont appris que le duc de Leuchtenberg, fatigué de l'éclat qu'avaient eu les projets de la sœur de la duchesse de Bragance, pour lui faire épouser doña Maria, priait la Duchesse d'y renoncer désormais, parce qu'ils avaient inspiré trop de méfiance pour qu'ils puissent réussir; mais il engage, en même temps, sa sœur, à songer à leur jeune frère Max qui n'a pas éveillé de soupçons, et qu'il serait plus aisé de faire arriver au but. Maintenant que ce second projet est dévoilé, il est probable que son exécution sera aussi vivement contrariée que l'a été la première intrigue de cette ex-impératrice. On la dit singulièrement active et ambitieuse, sous des dehors très doux, très agréables et surtout très simples.

La conversation ayant tourné, hier au soir, dans notre salon, sur le caractère et la position de Mirabeau, j'ai entendu M. de Talleyrand répéter un fait curieux: c'est qu'à la Restauration, ayant été, pendant la durée du gouvernement provisoire, en possession des archives les plus secrètes de la Révolution, il y avait trouvé la quittance en règle donnée par Mirabeau de l'argent reçu de la Cour. Cette quittance était motivée et précisait les services qu'il s'engageait à rendre. M. de Talleyrand a ajouté que, malgré cette transaction d'argent, il serait injuste de dire que Mirabeau se fût vendu; que tout en recevant le prix des services qu'il promettait, il n'y sacrifiait cependant pas son opinion; il voulait servir la France, autant que le monarque, et se réservait la liberté de pensée, d'action et de moyens, tout en se liant pour le résultat. D'après cela, sans mériter le jugement extrême de bassesse et d'avilissement que plusieurs ont porté contre Mirabeau, on peut, cependant, se permettre de trouver que son caractère était infiniment moins élevé que son esprit. Il appartenait, d'ailleurs, à une mauvaise race; le père, la mère, le frère, la sœur, tous étaient ou fous, ou méchants, ou livrés à mille turpitudes. Et cependant, malgré une déplorable réputation, arrivant partout comme une espèce de forçat libéré, d'une laideur remarquable et habituellement sans argent, quelle influence magique n'exerce-t-il pas? Elle est telle, que son souvenir même l'exerce encore; que cette prodigieuse organisation en impose; que cette verve surabondante ravit et attache même à travers les formes ennuyeuses et fatigantes dont on l'a emmaillotée, dans le livre que son fils adoptif vient de faire paraître. L'authenticité des matériaux, l'abondance des citations originales, et leur intérêt merveilleux, dédommagent souvent de la gaucherie et de la pesanteur de la mise en œuvre.

Il a d'ailleurs, pour moi, un mérite particulier, celui d'éclairer mon ignorance. Je n'avais qu'une idée très vague de Mirabeau, il était resté voilé pour moi qui connais si imparfaitement la Révolution française. Elle est trop près de moi, pour en avoir fait l'objet d'études historiques, et elle ne m'a pas été assez contemporaine, pour avoir appris à la connaître pendant sa durée; quelques récits de M. de Talleyrand, les Mémoires de Mme Roland, voilà tout ce que j'en sais. D'ailleurs, j'ai une répugnance si vive pour cette dégoûtante et terrible époque, que je n'ai jamais eu le courage d'y arrêter ma pensée, et que j'ai presque toujours sauté à pieds joints l'abîme qui sépare 1789 de l'Empire. Les Mémoires de M. de Talleyrand auraient pu m'éclairer sans doute, mais je me suis trouvée trop préoccupée de l'individu pour bien saisir la question générale. M. de Talleyrand, dans ses Mémoires, apprend beaucoup mieux ce qui a amené la catastrophe qu'il n'en donne les détails. Il était, d'ailleurs, hors de France pendant les années les plus critiques. Son séjour en Amérique est un des épisodes les plus agréables de ses souvenirs; c'est, pour le lecteur comme pour lui-même, un temps de halte et de repos, qui met à l'abri des horreurs de la Convention et fait reprendre haleine avant d'arriver aux bouleversements armés de l'Empire.