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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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J'ai souvent entendu dire que personne ne pouvait être aussi astucieux qu'un fou: ce qu'on vient de me raconter me le ferait croire. En réponse aux félicitations des évêques pour son jour de naissance, le Roi les a assurés en pleurant, que, se sentant vieux et près de porter son âme devant Dieu, il ne voudrait pas charger sa conscience d'un tort vis-à-vis de l'Église, et qu'il soutiendrait de toute sa puissance les droits et privilèges du clergé anglican. Ceci s'est dit dans la même journée où le Roi demandait à lord Grey de ne pas se retirer et de laisser aller M. Stanley.

Hier au soir, le remaniement du ministère n'était pas encore arrêté. Ce qui semble prouvé, c'est que personne ne veut de lord Durham. Il s'est, dit-on, livré à une rage épouvantable; lady Durham, qu'il a traitée avec brutalité, ce qui arrive chaque fois qu'il est mécontent de lord Grey, s'est évanouie, à dîner, chez sa mère, sans que son mari ait seulement daigné tourner les yeux de son côté.

Le marquis de Lansdowne qui s'est, tout dernièrement encore, exprimé au Parlement comme favorable à l'Église, pourrait bien, dit-on, selon ce qui se passera lundi prochain aux Communes, se retirer également du Cabinet. Sur cette nouvelle, lady Holland a été, en toute hâte, chez lord Brougham, lui dire que cette retraite lui paraîtrait un grand malheur et qu'il faudrait l'éviter à tout prix! Le Chancelier, que la modération de lord Lansdowne ne satisfait point, a répondu qu'il trouvait, au contraire, que cette retraite était très avantageuse, et qu'il y aiderait plutôt que de l'empêcher. Là-dessus, lady Holland s'est animée, et, en énumérant tous les mérites de son ami, elle a demandé au Chancelier s'il songeait bien à tout ce que représentait le marquis de Lansdowne. «Oui,» a répondu lord Brougham, «je sais qu'il représente parfaitement toutes les vieilles femmes de l'Angleterre.»

Londres, 31 mai 1834.– Le ministère anglais est rajusté, sans avoir pris une couleur plus marquée dans aucun sens.

Grâce à des déclarations et à des réserves, on va procéder à l'échange des ratifications portugaises.

Il me semble que toute la besogne de la semaine est assez pauvre et que les résultats en seront à l'avenant.

Londres, 1er juin 1834.– J'ai rencontré hier des ministres sortants et des entrants. Les premiers me paraissent plus satisfaits que les autres, et, je crois, avec raison.

Lady Cowper, malgré son esprit fin et délicat, a cependant une extrême nonchalance et naïveté, qui lui fait dire parfois des choses singulières par leur trop grand abandon. C'est ainsi qu'elle dit hier matin à Mme de Lieven: «Je vous assure que lord Palmerston regrette en vous une ancienne et agréable connaissance, qu'il rend justice à toutes les excellentes qualités de votre mari, et qu'il convient que la Russie ne saurait être plus dignement représentée que par lui; mais voyez-vous, c'est par cela même que l'Angleterre ne saurait que gagner à votre départ.» Mme de Lieven m'a semblé également frappée de la sincérité de l'aveu, et mécontente de son résultat.

Lady Cowper lui a montré aussi, sans beaucoup de réflexion, une lettre de Mme de Flahaut, dans laquelle, après avoir exprimé quelques regrets polis sur le rappel de M. de Lieven, elle se lamente sur le choix du chargé d'affaires; elle dit que c'est une petite guêpe venimeuse, malfaisante, un Russe enragé, un ardent ennemi des Polonais, et que, pour tout résumer en un mot, c'est le cousin germain de Mme de Dino, – ce qui, ajoute-t-elle, est positivement très nuisible à l'intérêt de l'Angleterre, puisque celle-ci doit au contraire attacher du prix à ce que la France et la Russie ne s'entendent pas.

On dit, au reste, que Pozzo est enchanté de l'éloignement de Paris de mon cousin Medem; il l'a toujours fort loué et bien traité, mais il se pourrait que la liaison directe et intime de Paul avec M. de Nesselrode ait fini par gêner Pozzo; je ne le crois cependant pas.

Hier, à dîner, chez lord Holland, M. Dupin a an peu trop fait le législateur; le pauvre lord Melbourne surtout, à moitié distrait, à moitié endormi, était ennuyé d'une longue dissertation sur le divorce, qui venait d'autant plus mal à propos, que sa femme, après l'avoir fait enrager pendant longtemps, est morte folle et enfermée. Lord Holland, qui aime facilement tous ceux que, politiquement, il ne voudrait pas faire pendre, m'a cependant dit que M. Dupin lui déplaisait souverainement, et qu'il lui trouvait tous les inconvénients de lord Brougham, sans la compensation des facultés variées et surabondantes de celui-ci.

A propos du Chancelier, il m'en a assez mal parlé comme caractère, me disant, par exemple, que c'était lui, lord Holland, qui avait forcé la main au duc de Bedford pour le faire entrer au Parlement et qu'aussitôt après, lord Brougham avait passé quatre années sans mettre les pieds chez lord Holland; qu'à la vérité, il y était revenu sans motif, sans embarras et sans excuses. La faculté dominante chez le Chancelier, c'est cette promptitude d'esprit et de souvenir, qui lui fait rassembler immédiatement et trouver sous sa main tous les faits, tous les arguments, tous les tenants et aboutissants relatifs à l'objet dont il veut parler. Aussi M. Allen dit-il du Chancelier qu'il a toujours une légion de démons de toutes couleurs à ses ordres dont lui-même est le chef; aucun scrupule ne l'arrête, disait lord Holland. Lady Sefton me confiait, l'autre jour, qu'il n'était ni sincère, ni fidèle en amitié; lady Grey dit, tout simplement, que c'est un monstre, et c'est ainsi qu'en parlent les gens de son parti et de son intimité.

Hylands, 2 juin 1834.– Les républicains en veulent à M. de La Fayette d'avoir choisi pour sa sépulture le cimetière aristocratique de Picpus, et de la quantité de prêtres réunis à la maison mortuaire pour recevoir le corps. Il s'est fait enterrer avec un tonneau de terre des États-Unis, mêlée à celle dont on l'a recouvert. A propos de M. de La Fayette, j'ai entendu plusieurs fois raconter par M. de Talleyrand, qu'ayant été, de bonne heure, le 7 octobre 1789, chez M. de La Fayette avec le marquis de Castellane, autre membre de l'Assemblée constituante, pour proposer quelques arrangements à prendre pour la sûreté de Louis XVI, transporté la veille aux Tuileries, ils l'avaient trouvé, après les terribles quarante-huit heures qui venaient de se passer, tranquillement occupé à se faire peindre.

Nous sommes ici à Hylands chez un ancien et aimable ami, M. Labouchère. C'est bien riant, et remarquable par la culture des fleurs et la recherche des potagers. Labouchère, qui est un peu de tous les pays, a réuni autour de lui des souvenirs de différents lieux; on voit cependant que la Hollande domine, car c'est surtout dans le parterre de fleurs qu'on dépense le plus de soins et d'argent.

Hylands, 3 juin 1834.– Un billet de lord Sefton, écrit hier de la Chambre des lords, avant la fin de la séance dont nous ignorons encore le résultat, m'apprend que la commission d'enquête proposée par lord Althorp pour examiner l'état de l'Église d'Irlande, ne satisfait pas les exigences de M. Ward et des siens. M. Stanley et sir James Graham se moquent de cette commission et demandent la question préalable; sir Robert Peel se tient en arrière; lord Grey est abattu, et le Roi, tout prêt, soit à la soutenir, soit à former un autre Cabinet: poussé par les difficultés du moment, il est sans principes et sans affections, ce qui me paraît être la position commune de tous les Rois.

Londres, 4 juin 1834.– Il paraît que dom Miguel est hors de combat, et qu'il met bas les armes, en quittant la Péninsule; il me semble que les signataires de la Quadruple Alliance attribuent cette soumission à la nouvelle de la signature de leur traité; si tel est le cas, cet effet moral est d'autant plus heureux, que le résultat matériel n'aurait, probablement, pas été aussi effectif.

Au Parlement anglais, M. Ward n'ayant pas voulu se tenir satisfait de la commission d'enquête, lord Althorp a demandé la question préalable; il a été soutenu par M. Stanley, qui a admirablement parlé sur la propriété inviolable de l'Église, et par tous les Tories. La question préalable a été adoptée à une grande majorité: elle ne saurait plaire au ministère qui n'a dû ce vote qu'à ses ennemis auxquels elle sert de triomphe, et principalement à celui des quatre ministres sortants. L'opinion réelle du Cabinet, les différentes combinaisons qui l'ont fractionnée et fait agir, tout cela est si confondu, si mêlé, qu'on ne saurait bien comprendre la pensée véritable qui a présidé à la marche saccadée et inconséquente de ce Cabinet.

Aux Communes, lord Palmerston s'est élevé contre le principe soutenu par lord Lansdowne à la Chambre Haute où on a été surpris d'entendre celui-ci s'exprimer favorablement pour le clergé, lui qui est socinien21 reconnu. Tout est contradiction dans cette question. Lord Grey a flotté, incertain entre tous les combattants, ne primant pas les uns, n'entraînant pas les autres, heurté, poussé, ballotté par tout le monde; aussi il sort tout meurtri de cette échauffourée, et si, aux yeux de ses amis, il reste une bonne et honnête créature, aux yeux du public il n'est plus qu'un pauvre vieux homme, un ministre épuisé.

Lady Holland, qui, en général, fait tout ce que les autres évitent, a été guetter, à une fenêtre de Downing Street, les membres du Parlement qui se sont rendus, il y a deux jours, au meeting de lord Althorp, afin de faire, avec plus de sûreté, ses spéculations sur les individus, spéculations qui sont rarement charitables. Elle croit se faire pardonner son inconcevable égoïsme en le rendant déhonté et en se proclamant elle-même un vieux enfant gâté. Elle exploite les autres à son profit, sans aucun ménagement; les traite bien ou mal, par des calculs plus ou moins personnels; ne voit jamais un obstacle à ses désirs dans les convenances d'autrui. C'est à peine si on peut lui faire honneur de quelques qualités, car elles ont, presque toutes, un motif intéressé pour base. Quand elle a lassé, à force de caprices et d'exigences, la patience de ses connaissances, elle cherche à la regagner par d'assez nombreuses bassesses. Elle abuse de sa fausse position sociale, que les gens de bon goût ont à cœur de ne pas blesser, pour les soumettre et les opprimer: y être parvenue, au point où elle y est arrivée, c'est, il faut en convenir, la meilleure preuve de son habileté et de son esprit. Elle a fait, dans sa vie, des choses inouïes, qui lui sont toutes pardonnées: elle a fait, par exemple, passer sa fille aînée pour morte, afin de ne pas être obligée de la rendre à son premier mari: quand elle ne s'est plus souciée de cette enfant, elle l'a ressuscitée, et, pour prouver qu'elle n'avait pas été enterrée, on a ouvert la fosse et la bière, et on y a, en effet, trouvé le squelette d'un chevreau. La plaisanterie est un peu forte! Cependant elle règne en despote dans la société, qui est nombreuse. Cela tient, peut-être, à ce qu'elle ne cherche pas à forcer les portes des autres, et qu'elle domine le préjugé plutôt que de lutter contre lui. M. de Talleyrand la tient assez bien en bride et devient ainsi le vengeur de tout son cercle. C'est une joie générale quand lady Holland es un peu malmenée; personne ne vient à son secours, lord Holland et M. Allen moins que les autres.

 

Lady Aldborough s'adressa un jour à lady Lyndhurst, en lui demandant de vouloir bien savoir de son mari, qui était alors Chancelier, quelles étaient les démarches qu'elle devait faire dans un procès important. Lady Lyndhurst refusa, avec les façons rudes, grossières et vulgaires qui lui étaient propres, de se charger de demander ces renseignements, ajoutant qu'elle ne se mêlait jamais d'aussi ennuyeuses besognes: «Very true, my lady,» répondit lady Aldborough, «I quite forgot that you are not in the civil line.» Lady Aldborough est spirituelle, elle a du trait, même en français, elle est souvent un peu trop libre et hardie; c'est ainsi qu'en apprenant la mort de la princesse de Léon, qui avait péri brûlée et qu'on disait n'avoir trouvé, dans son mari, qu'un frère et non pas un époux, lady Aldborough s'écria: «Quoi! Vierge et martyre? Ah! c'est trop!»

L'état du Cabinet anglais est bien étrange. Sir Robert Peel a déclaré à la Chambre n'y rien comprendre, cela met le manque d'intelligence de tout le monde fort à l'aise. Ce qui paraît clair à tous, c'est que si aucun membre du Cabinet n'est absolument détruit, tous sont blessés, on prétend même à mort; pour énervés, du moins, c'est évident. J'en suis peinée pour lord Grey, auquel je suis réellement attachée; pour le reste, je n'y prends pas le plus petit intérêt. Ce n'est pas par lord Palmerston que l'éclat leur reviendra. M. de Talleyrand a beau dire qu'il déblaye facilement de la besogne, qu'il parle et écrit bien le français, c'est un esprit court, présomptueux; il a l'humeur arrogante et le caractère sans droiture. Chaque jour fournit une preuve plus ou moins évidente de sa duplicité: par exemple, qu'est-ce qui peut faire que lorsque lord Grey s'explique hautement contre l'idée du Roi Léopold de se choisir un successeur, et que lord Palmerston semble être du même avis, il écrit des lettres particulières à lord Granville, pour soutenir la pensée de Léopold? Cela met une gêne continuelle dans toutes les relations des ambassadeurs avec lui, et cela en établit surtout une très pénible pour M. de Talleyrand.

Londres, 5 juin 1834.– M. le duc d'Orléans m'a écrit, sans provocation de ma part, ni motif bien apparent, une lettre qui me paraît avoir eu pour but la phrase suivante, qui semble vouloir établir qu'il n'approuve pas la marche des ministres du Roi son père: «Je vois déjà un symptôme rassurant dans cette disposition à circonscrire les querelles de parti dans les limites d'un collège électoral et à ne se livrer bataille qu'à coup de bulletins. Puisse cette direction des esprits remplacer tout à fait le système de force brutale que je vois avec douleur prévaloir aujourd'hui dans tous les partis, et être l'argument favori non seulement des hommes d'opposition, mais aussi des hommes de pouvoir.» Il me semble qu'il y a bon sens et bon sentiment dans cette réflexion.

Si M. le duc d'Orléans était bien entouré, j'aurais confiance dans son avenir: il a de l'intelligence, du courage, de la grâce, de l'instruction et de l'entreprise; ce sont des dons de Prince, fort heureux, et qui, mûris par l'âge, peuvent faire de lui un bon Roi. Mais l'entourage est si petit, si médiocre, en hommes et en femmes; il n'y a là, depuis la mort de Mme de Vaudémont, rien de distingué, de noble ni d'élevé.

Lady Granville a donné un bal, à Paris, pour le jour de naissance du Roi d'Angleterre. Elle avait rempli la galerie d'orangers et on devait valser autour; on avait dissimulé les lampes derrière des fleurs, de manière qu'on y voyait à peine: rien de plus favorable aux conversations particulières. Huit voleurs, mis à merveille, sont entrés par le jardin; cette quantité d'hommes inconnus a frappé, on en a parlé trop tôt; ils ont vu qu'ils étaient remarqués et se sont évadés. Il paraît que leur projet était d'arracher les diamants aux femmes, lorsqu'elles seraient allées dans le jardin qu'on allait illuminer.

Londres, 6 juin 1834.– Le Cabinet anglais, si petitement rajusté, ne porte pas la tête bien haute; tous les honneurs sont pour les ministres sortants. Lord Grey ne s'y trompe pas et ne s'enorgueillit nullement de la grande majorité de lundi dernier, car, comme me le disait un de ses amis: «Cette majorité n'est pas le résultat d'une affection pour les ministres, mais de la crainte de voir venir les Tories qui dissoudraient le Parlement actuel.» Je crois que rien n'est plus vrai. Au reste, le Cabinet sent déjà le besoin de se fortifier. On dit que lord Radnor, ami du Chancelier et grand aboyeur radical, sera Lord du Sceau privé.

Il paraît certain que dom Miguel et don Carlos quittent, décidément, la Péninsule, le premier pour venir ici, le second pour aller en Hollande.

Le prince de la Moskova ayant persisté dans son désir d'être présenté, il l'a été hier, ainsi que le prince d'Eckmühl. Ce désir était si vif, qu'ils allaient chercher à se faire présenter par M. Ellice, en l'absence de M. de Talleyrand, comme si cela eût été possible, lors même que cela n'aurait pas été inconvenant. Les jeunes Français n'ont, vraiment, idée de rien; et M. Ellice, qui n'est gentleman que d'hier, s'était mis de moitié dans cette belle combinaison.

On appelle, ici, assez drôlement lord Durham et M. Ellice l'Ours et le Pacha.

Londres, 7 juin 1834.– Voilà Lucien Bonaparte, qui, après avoir adressé une lettre aux députés de France, l'année dernière, et avoir, ensuite, disparu pendant plusieurs mois, puis s'être trouvé, dit-on, secrètement en France, durant les derniers troubles de Lyon et de Paris, est enfin revenu ici d'où il s'adresse maintenant aux électeurs de France. Sa nouvelle lettre, plus boursouflée encore et plus remplie d'affectation littéraire que la première, est en outre de la plus grande bassesse et du plus mauvais goût.

Lucien, que je n'avais jamais vu, avant son arrivée en Angleterre, puisqu'il était en disgrâce auprès de l'Empereur, passait pour avoir autant d'esprit au moins que son frère et beaucoup de décision. J'ai entendu dire qu'au 18 Brumaire, c'était lui qui avait sauvé Napoléon; enfin, je l'avais entendu fort louer. Sa connaissance personnelle, comme il arrive souvent, n'a pas répondu à mon attente; il m'a semblé, humble dans ses manières, terne dans sa conversation, faux dans son regard, ressemblant à Napoléon par les contours extérieurs de ses traits, nullement par l'expression. Je l'ai vu, l'année dernière, à un concert chez la duchesse de Canizzaro, prier celle-ci de le présenter au duc de Wellington qui était dans le salon, traverser la chambre et venir, avec des courbettes, se faire nommer au vainqueur de Waterloo, dont l'accueil a eu toute la froideur que méritait une telle platitude.

Puisque j'habite, à Londres, une maison célèbre pour un vol considérable fait à la vieille marquise de Devonshire, qui en est propriétaire22, et pour un fantôme qui y est apparu à lord Grey et à sa fille, je veux conter ici ce que lord Grey et lady Georgiana, sa fille, m'en ont dit à plusieurs reprises et devant des témoins, lord Grey avec sérieux et détails, lady Georgiana avec répugnance et hésitation. Lord Grey, donc, un soir qu'il traversait la salle à manger du rez-de-chaussée pour aller, armé d'un bougeoir, de la pièce qui donne sur le square à son propre appartement, vit, au fond de la pièce et derrière une des colonnes qui divisent cette salle, le visage pâle et triste d'un homme âgé, dont cependant les yeux et les cheveux étaient très noirs. Le premier mouvement de lord Grey fut de reculer, puis, relevant les yeux, il vit encore ce même visage qui le fixait tristement, pendant que le corps semblait caché par la colonne, mais qui disparut au premier mouvement que fit lord Grey pour avancer. Il fit quelques recherches sans rien trouver. Il y a deux petites portes derrière les colonnes et une grande glace entre elles; je ne sais jusqu'à quel point la disposition des lieux n'offre pas une explication simple à cette vision, que lord Grey cependant n'admet avoir été ni celle d'un voleur ni l'effet du reflet de sa propre figure dans la glace. A la vérité, il était blond alors et ses yeux sont bleus. Tant il y a que, le lendemain matin à déjeuner, il raconta à sa famille ce qu'il avait vu la veille en allant se coucher. Lady Grey et sa fille lady Georgiana se regardèrent aussitôt avec une expression singulière, dont lord Grey demanda l'explication. On lui dit ce qu'on lui avait caché jusque-là pour ne pas se faire moquer de soi, c'est qu'une nuit, lady Georgiana s'était éveillée sous l'impression d'un souffle qui passait sur son visage; elle ouvrit les yeux et vit une figure d'homme se pencher sur elle; elle les ferma croyant rêver, mais les rouvrant aussitôt, elle revit la même figure; le cri qu'elle poussa alors fit disparaître la vision. Elle se jeta en bas de son lit, courut dans la chambre à côté, et fermant à clef sur elle la porte de cette chambre, elle se précipita, à moitié morte, sur le lit de sa sœur lady Élisabeth; elle lui raconta ce qui venait de lui arriver. Lady Élisabeth voulut entrer dans la chambre au fantôme pour l'examiner, mais lady Georgiana s'y opposa de toutes ses forces. Le lendemain matin, fenêtres, volets et portes étaient en bon ordre, et la vision fut déclarée avoir été celle d'un fantôme, quoiqu'une partie plate du toit arrivant jusqu'à une des fenêtres, ait fait supposer aux moins incrédules qu'un domestique, épris d'une des femmes de chambre, avait été le héros de cette aventure nocturne.

La maison n'en est pas moins restée en très mauvais renom. Je couche dans la chambre où on a enlevé les diamants de lady Devonshire, et ma fille dans celle du revenant de lady Georgiana. Quand nous sommes entrés dans cette maison, j'ai vu des gens qui, très sérieusement, s'étonnaient de notre courage; dans les premiers temps, les domestiques tremblaient en circulant le soir et les servantes ne voulaient aller que deux à deux. L'avouerai-je? A force d'avoir entendu lord Grey et sa fille raconter avec conviction les apparitions, je me suis sentie gagnée d'un certain malaise qui a eu de la peine à s'user.

Depuis près de trois ans que nous occupons cette maison, on n'y a rien volé et rien n'y est apparu. Toutefois, pendant un de nos voyages en France, et lorsque la porte de mon appartement était fermée à clef, la femme de charge, le portier et les filles de service ont juré avoir entendu sonner très fort la sonnette dont le cordon est au fond de mon lit, avoir couru à ma porte, l'avoir trouvée fermée à clef, comme cela se devait, et, après l'avoir ouverte, n'avoir rien aperçu qui eût pu donner lieu à ce bruit. On avait voulu me faire croire que ce coup de sonnette avait retenti précisément le 27 juillet 1832, jour où j'ai été si cruellement versée à Baden-Baden. Une petite souris aura, probablement, été le vrai coupable.

 

On dit que le père de lord Grey a eu une vision fort étrange, et que le fils, outre celle de Hanover-Square, en a eu une autre, plus curieuse, à Howick, dont il n'aime pas à parler, ce qui fait que je me suis abstenue de toute question; mais il en a circulé quelques versions qui ont prêté depuis à des caricatures.

Londres, 8 juin 1834.– Les prétentions exagérées de lord Radnor ont fait abandonner l'idée de le faire entrer au ministère. On songe maintenant à lord Dacre, qui satisferait, à ce que l'on croit, les Dissenters. Le Privy Seal, que lord Carlisle ne tient que provisoirement, est destiné au nouvel arrivant.

Je suis arrivée, hier matin, chez Mme de Lieven, au moment où elle venait de recevoir des lettres de Pétersbourg, qui lui donnent enfin une idée plus précise de ce que sera sa nouvelle position en Russie. Elle prend, ce me semble, un aspect plus favorable: au lieu de n'être qu'une poupée de cour et de succomber sous l'esclavage et la contrainte d'une représentation perpétuelle, la Princesse aura une maison à elle; l'Empereur désire que ce soit là que son fils apprenne à connaître la société, se forme au monde et à la conversation.

Ce projet, expliqué avec une grâce et une obligeance parfaites, dans une lettre de l'Impératrice, pleine d'esprit, de naturel, de bons sentiments et d'heureuses expressions, devient, nécessairement, d'un grand intérêt et est une grande consolation pour Mme de Lieven. Elle se voit avec une influence directe, et aussi indépendante qu'elle peut l'être en Russie. Son imagination développe et féconde ce nouveau but d'activité, et je dois cette justice à la Princesse qu'elle n'a pas laissé échapper la plus petite puérilité ou petitesse de conception dans le plan qu'elle s'est tracé tout de suite; non, tout était large et bien compris. Le plaisir de son importance personnelle était visible, mais le contraire eût été de l'hypocrisie, et je lui ai su gré de se l'être épargné devant moi! Le désir vif de rendre au jeune Grand-Duc le service immense de l'accoutumer à la grande et noble compagnie, de rendre son salon assez distingué et assez agréable pour accoutumer jusqu'à l'Empereur et l'Impératrice à y jouir plus du plaisir de la conversation que des divertissements pour lesquels ils ne sont peut-être plus assez jeunes; l'ambition de rendre, s'il se peut, à cette Cour, le grandiose et la civilisation intellectuelle dont elle brillait sous la grande Catherine; l'espérance d'y attirer, ainsi, des étrangers, en excitant leur curiosité et en ayant de quoi la satisfaire; tout cela occupe l'activité de la Princesse. Elle a, en elle, de quoi fort bien remplir ce rôle, difficile partout, et plus encore dans un pays où la pensée même est aussi enchaînée que l'est la parole.

J'ai trouvé, dans la lettre de l'Impératrice et dans celle de M. de Nesselrode, quelque chose de raisonnable et de délicat, et dans tout ce que j'entends dire de l'Empereur Nicolas, quelque chose qui peut faire espérer de bons résultats de cette seconde éducation de l'héritier d'un trône de glace. J'ai surtout été satisfaite de voir que la franchise avec laquelle Mme de Lieven avait témoigné à l'Impératrice ses regrets de quitter l'Angleterre ait été bien prise. Elle m'a dit à ce sujet: «Ceci me prouve qu'on peut être sincère, chez nous, sans se casser le cou.» J'espère qu'elle s'en convaincra de plus en plus, mais il sera longtemps nécessaire d'envelopper cette sincérité de beaucoup de coton.

Elle m'a extrêmement vanté l'Empereur, comme un homme fortement doué et destiné à devenir la grande figure historique du temps. A cela, je lui ai répondu en lui disant un mot de M. de Talleyrand qui l'a charmée. M. de Talleyrand m'a, en effet, dit ceci: «Le seul Cabinet qui n'ait pas fait une faute depuis quatre ans, c'est le Cabinet russe. Et savez-vous pourquoi? C'est qu'il n'est pas pressé.»

La Reine d'Angleterre a témoigné beaucoup de cette obligeance qui lui est naturelle à Mme de Lieven, à l'occasion de son rappel, quoiqu'elle ait eu beaucoup de peine à oublier le peu de cas que la Princesse faisait d'elle, pendant la vie de George IV et celle du duc d'York, et surtout le manque d'égards des patronnesses de l'Almacks, Mme de Lieven en tête, au seul bal de ce genre où elle avait été, comme duchesse de Clarence. J'ai entendu même la Reine, un jour, en faire souvenir Mme de Lieven, d'une façon à beaucoup embarrasser celle-ci; mais enfin, ces anciens petits griefs sont effacés et, à l'occasion du départ actuel, la Reine a été parfaite. Quant au Roi, c'est différent; il n'a pas même dit à M. ou à Mme de Lieven qu'il savait leur rappel: ils s'en prennent à lord Palmerston, et je crois que ce n'est pas sans cause.

Londres, 9 juin 1834.– J'ai trouvé hier la duchesse-comtesse de Sutherland fort occupée de réunir vingt dames qui, ensemble, offriraient à Mme de Lieven un souvenir durable des regrets que son départ laisse ici aux femmes de sa société particulière. Cette pensée, qui est tout anglaise, car l'esprit d'association se retrouve partout ici, jusque dans les choses purement de grâce et d'obligeance, m'a paru devoir être agréable et flatteuse pour la Princesse, et j'ai mis avec plaisir mon nom sur la liste. Dix guinées est le tribut de chacune, et un beau bracelet à l'intérieur duquel, si cela se peut, nos noms seront inscrits, me paraît être l'objet sur lequel le choix s'est fixé.

M. de Montrond est revenu de Paris. Son esprit prompt et incisif est toujours le même, et quoique assurément il ne soit rien moins qu'ennuyeux, je me sens reprise de cette espèce de malaise qu'éprouvent souvent ceux qui sont dans l'atmosphère d'un être venimeux, dont la piqûre est à redouter. Le charme qui a longtemps fasciné M. de Talleyrand, à son égard, n'existe plus et a d'autant mieux fait place à un sentiment de fatigue et d'oppression que l'ancienneté de leurs relations, et leur intimité passée, ne permettent pas d'en secouer entièrement le joug.

Il ne me semble pas que M. de Montrond apprenne rien de nouveau de Paris. Il parle de l'habileté du Roi, personne ne la conteste; que le Roi parle toujours, et toujours de lui-même, c'est également connu. M. de Montrond se plaint de la destruction de toute société à Paris, de l'esprit de division qui la brise et qui ne s'adoucit point. Il raconte assez drôlement les embarras de famille de Thiers, les prétentions diplomatiques du maréchal Soult pour son fils, les craintes qu'inspire à Rigny, et à d'autres, l'espèce d'effet que produit ici, à ce qu'ils croient, M. Dupin. Ils y voient le symptôme d'une entrée future au ministère et en veulent presque à M. de Talleyrand des politesses qu'il lui fait. Ils ne sentent pas que le bon accueil qu'on fait ici à M. Dupin (l'homme le moins propre, par lui-même, à plaire à la bonne compagnie anglaise) n'est dû qu'au désir de nous être agréable, et que le prix que nous y mettons ne tient qu'à faire tourner les grosses phrases redondantes de M. Dupin à l'avantage de l'alliance anglaise dont il était le vif adversaire.

J'ai trouvé lord Grey, hier, d'un découragement point du tout dissimulé: c'est un mal contagieux et qui semble avoir atteint tous ses adhérents. Cette lassitude, ce dégoût de lord Grey, me semble le plus fâcheux symptôme de l'affaiblissement du Cabinet actuel. Les coups, qui sont portés dans le Times par lord Durham à lord Grey, blessent celui-ci au cœur. Les conservatifs comme les radicaux exploitent déjà la succession des Whigs; il est impossible de ne pas voir que le moment est critique pour tous.

En causant, hier, avec un de mes amis, je me suis souvenue qu'ayant eu, à l'âge de dix-sept ans, comme beaucoup d'autres femmes de Paris à cette époque, la fantaisie, ou la faiblesse, de consulter Mlle Lenormand, qui était alors fort en vogue, je pris, d'abord, toutes les précautions que je crus suffisantes pour ne pas être connue d'elle. Il fallait lui demander et son jour et son heure; je le fis faire, pour moi, par ma femme de chambre, sous des noms et des demeures supposés; elle répondit, et je fus, au jour fixé, à deux heures après midi, avec ma femme de chambre, dans un fiacre pris à une certaine distance de chez moi, jusqu'à la rue de Tournon où demeurait la devineresse. Sa maison n'avait pas mauvaise apparence; l'appartement était propre, et même assez orné. Il fallut attendre le départ d'un monsieur à moustaches que nous vîmes sortir du cabinet où la sibylle rendait ses oracles. J'y fis entrer ma femme de chambre avant moi, mon tour vint ensuite. Après quelques questions sur le mois, le jour et l'heure de ma naissance, sur l'animal, la fleur et la couleur que je préférais, et sur les mêmes objets qui me déplaisaient particulièrement, après m'avoir demandé si je voulais qu'elle fît pour moi la grande ou la petite cabale dont le prix différait, elle arriva enfin à ma destinée, dont elle me dit ce qui suit; je laisse juger à ceux qui me connaissent bien si ce qu'elle me prédit alors s'est vérifié, en tout ou en partie; l'avenir laisse d'ailleurs encore de la marge aux événements qu'elle a signalés et qui, sans s'être réalisés jusqu'à présent, paraissent moins invraisemblables qu'ils ne me l'ont semblé alors. Peut-être ai-je oublié quelques détails insignifiants, mais voici les traits principaux de cette prédiction, que j'ai racontée, depuis, à plusieurs personnes, entre autres à ma mère et à M. de Talleyrand.

21Disciple de Socin, qui ne reconnaît ni la Trinité, ni la divinité du Christ.
22Cette maison, où se trouvait alors l'ambassade de France, était située dans Hanover-Square, no 21.