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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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Du Wolfsberg que j'habitais, j'ai été plusieurs fois à Arenenberg, chez la duchesse de Saint-Leu; elle m'a paru un peu plus calme qu'il y a trois ans. L'élève prétentieuse de Mme Campan, la Reine de théâtre a fait place à une bonne grosse Suissesse, qui babille assez facilement, reçoit avec cordialité et sait gré à ceux qui font diversion à sa solitude. Sa petite demeure est pittoresque, mais elle n'est calculée que pour la belle saison; elle y passe cependant presque toute l'année. L'intérieur est petit et réduit, et ne semble être fait que pour des fleurs, des joncs, des nattes et des divans; ce n'est vraiment qu'un pavillon. Les débris des magnificences impériales qui y sont entassés n'y font pas trop bien. La statue en marbre de l'Impératrice Joséphine, par Canova, aurait besoin d'un plus grand cadre. J'aurais voulu, d'un coup de baguette, transporter dans le musée de Versailles le portrait de l'Empereur, comme général Bonaparte, par Gros (sans contredit le plus admirable portrait moderne que je connaisse); il devrait être une propriété nationale, car la vie guerrière et politique, et toutes les gloires et les destinées de la France se rattachent à ce portrait, si parfait, de Napoléon. Dans un petit cabinet, sous un châssis de glace, se trouvent quelques reliques précieuses, mêlées à d'assez insignifiantes babioles. L'écharpe de cachemire portée par le général Bonaparte à la bataille des Pyramides, le portrait de l'Impératrice Marie-Louise et de son fils sur lequel le dernier regard de l'exilé de Sainte-Hélène s'est porté, et plusieurs autres souvenirs intéressants, sont réunis là avec de mauvais petits scarabées et mille petites nippes sans valeur et sans mérite: ainsi un lorgnon oublié par l'Empereur Alexandre à la Malmaison, et un éventail donné par le citoyen Talleyrand à Mlle Hortense de Beauharnais, conservés au milieu des traditions de l'Empire, prouvent une grande liberté d'esprit et pas mal d'insouciance, ou une grande facilité d'humeur et de caractère.

Il est vrai que j'ai vu l'Impératrice Joséphine et Mme de Saint-Leu demander à être reçues par Louis XVIII quinze jours après la chute de Napoléon. J'ai vu, à Londres, Lucien Bonaparte se faire présenter par lady Aldborough au duc de Wellington, et au congrès de Vienne, Eugène de Beauharnais chanter des romances. Les anciennes dynasties peuvent manquer d'habileté, les nouvelles manquent toujours de dignité.

Fribourg, 20 août 1835.– Il y aurait, ce me semble, si ce n'est dignité, du moins bon goût, de la part de Mme de Saint-Leu, à restituer à la ville d'Aix-la-Chapelle le magnifique reliquaire porté par Charlemagne et trouvé à son cou, lors de l'ouverture de son tombeau. Ce reliquaire, qui sous un gros saphir contient un morceau de la vraie Croix, a été donné à l'Impératrice Joséphine par le Chapitre de la Cathédrale pour se la rendre favorable; se séparer de cette relique a dû être un douloureux sacrifice. Il y aurait eu délicatesse et convenance à le faire cesser; ce qui pouvait convenir au successeur de Charlemagne ne sied guère à l'habitante d'Arenenberg!

J'ai peu à dire de la tournée qui m'a amenée ici. Saint-Gall est dans une position charmante, l'intérieur de la ville assez laid, l'église, reconstruite trop nouvellement ainsi que les bâtiments qui y tiennent, et qui maintenant servent de siège au gouvernement cantonal, ont manqué leur effet sur moi. Rien n'y retrace la grande et singulière existence des anciens princes-évêques de Saint-Gall; l'église a cependant un beau vaisseau, mais rien d'ancien, rien de recueilli. Le pont qu'on passe pour prendre la route nouvellement tracée qui conduit à Heinrichsbad est un accident pittoresque dans un pays boisé.

Heinrichsbad est un établissement tout nouveau; on y prend des bains ferrugineux et la situation alpestre de cette maison isolée permet d'y faire des cures de petit-lait. La partie de l'Appenzell qu'on traverse pour atteindre Meynach m'a plus rappelé les Pyrénées qu'aucune autre partie de la Suisse.

J'ai revu avec plaisir le lac de Zurich; celui de Zug, que j'ai longé le lendemain, plus ombragé, plus retiré, m'a semblé plus gracieux. On le voit presque en entier du couvent des dames de Saint-François dont la maison domine et la ville et le lac. Je suis arrivée chez ces Dames pendant une messe chantée, médiocrement, j'en conviens; mais l'orgue, mais ces voix qui partent de lieux et de personnes invisibles s'emparent toujours trop vivement de moi pour me disposer à la critique. Ces religieuses s'occupent de l'éducation de la jeunesse; la sœur Séraphin, qui m'a promenée, parle bien le français; sa cellule était très propre. La règle du couvent ne m'a pas paru très austère.

La chapelle de Kussnach, à l'endroit même où Gessler fut tué par Guillaume Tell, a un mérite historique sans doute, mais comme situation elle est fort inférieure à celle construite sur le lac des Quatre-Cantons, à la place où Tell, s'élançant hors de la barque de son persécuteur, rejeta celle-ci dans l'orage et les flots.

La position de Lucerne, que je connaissais, m'a encore frappée par le tableau pittoresque qu'elle présente. Le lion, sculpté dans le roc, près de Lucerne, d'après le dessin de Thorwaldsen, est un monument imposant, une belle pensée bien rendue.

Berne, où je suis arrivée par l'Immersthal, gracieuse vallée, riche de la plus belle végétation et embellie de charmants villages, a l'aspect grande ville, grâce à de nombreux édifices et à la beauté des avenues. Mais la ville est triste, et même en été on sent combien elle doit être froide en hiver. La terrasse plantée et suspendue à une grande hauteur sur le cours de l'Aar, en face des montagnes et des glaciers de l'Oberland, est une belle promenade, que l'Hôtel de la Monnaie d'un côté et la Cathédrale de l'autre, terminent noblement.

La route de Berne ici n'offre rien de remarquable. Fribourg se présente d'une façon assez frappante et originale. Sa position âpre et sauvage, les tours jetées sur les hauteurs qui l'environnent, la profondeur de la rivière, ou, pour mieux dire, du torrent qui coule au pied du rocher sur lequel pose la ville, le pont suspendu qui s'élève au-dessus de la ville, tout cela est pittoresque. L'intérieur de la ville, avec ses nombreux couvents et sa population de Jésuites à longues robes noires et à grands chapeaux, ressemble à un vaste monastère, auquel ne manque même pas, au besoin, une petite odeur d'Inquisition; ce n'est pas sur ce point mystérieux et claustral de la Suisse qu'on se sent respirer l'air de la liberté classique de l'Helvétie. Le nouveau collège des Jésuites, par sa position, domine la ville, et, par son importance, y exerce une grande influence. A en juger par le peu qu'il est permis au voyageur de visiter, cet établissement est sur la plus grande échelle et parfaitement bien tenu; trois cent cinquante enfants, la plupart français, y sont élevés; la maison me paraît destinée à en contenir un plus grand nombre. Outre ce grand pensionnat, les Jésuites ont à côté leur propre maison, et, de plus, à une lieue de la ville, une maison de campagne.

J'ai été voir la Cathédrale, qui serait tout à fait indigne d'être visitée, sans un orgue dont on jouait au moment où je suis entrée et dont le son m'a paru le plus harmonieux et le moins aigre et sifflant que j'aie entendu.

Je suis fort aise d'avoir vu Fribourg; je l'avais traversé, il y a onze ans, pour l'examiner. Je comprends mieux, maintenant, l'espèce de rôle que cette ville joue dans l'histoire religieuse du temps actuel.

Lausanne, 21 août 1835.– La route large et facile de Fribourg traverse un pays boisé en partie, cultivé aussi, riant et varié, mais il n'est pas précisément pittoresque, si j'en excepte le point de Lussan. La nature ne se grandit qu'au moment où la chaîne de montagnes qui couronne le lac Léman apparaît à la sortie d'un bois de sapins, qui cache assez longtemps le lac et la ville de Lausanne.

Comme toutes les villes de Suisse, Lausanne est laid au dedans, mais dans une situation pittoresque, sur un terrain inégal, qui en rend l'habitation incommode, mais qui offre plusieurs terrasses d'où la vue est fort belle: celles de la Cathédrale et du Château sont les plus citées. Je préfère celle de la promenade Montbadon, moins élevée, mais d'où l'on distingue mieux la campagne; les toits tiennent trop de place dans les autres vues.

Bex, 23 août 1835.– Un peu moins de murs et de vignes, quelques arbres de plus, rendraient la route de Lausanne à Vevey charmante; ce n'est qu'à Vevey que le pays me plaît tout à fait. Chillon surtout m'a frappée par sa position, et ses souvenirs. J'aurais voulu y relire les vers de lord Byron en parcourant le fameux souterrain; son nom, seul, barbouillé avec du charbon sur un des piliers de la prison, le même auquel François de Bonnivard a été attaché pendant six ans, suffit déjà à rendre ce cachot poétique.

On quitte le lac Léman à Villeneuve pour s'enfoncer dans une gorge étroite et sauvage. La dentelure aiguë et bizarre des rochers entre lesquels passe la route est la seule beauté des quatre grandes lieues après lesquelles on arrive ici. Tout auprès, sur une saillie du rocher veiné de diverses couleurs, s'aperçoit, à demi cachée dans une touffe d'arbres, la ruine du château de Saint-Triphon, qui m'a paru d'un bel effet.

Bex même est un village qui ne ressemble en rien aux beaux villages suisses du canton de Berne. Tout se ressent déjà du voisinage piémontais. Nous sommes tous à l'auberge de l'Union, la seule du lieu, ni bonne, ni mauvaise. L'établissement des bains sulfureux ne s'est pas soutenu, celui du petit-lait, pas davantage. En fait, c'est un endroit dénué de ressources, et assez triste et sombre, éclairé cependant pour moi par la bonne petite mine couleur de rose de Pauline et par l'éclat de ses beaux yeux bleus; j'ai été charmée de m'y trouver.

On m'a remis ici une lettre que l'amiral de Rigny y avait laissée pour moi, en passant pour se rendre à Naples. Il me dit qu'il trouve partout sur sa route l'opinion fort arrêtée que la duchesse de Berry était le 24 à Chambéry, et que le 30 Berryer, qui allait aux eaux d'Aix-en-Savoie, en a disparu, quelques heures après l'attentat de Paris, et qu'il a reparu ensuite, fort effaré, à Aix. J'ai trouvé, ainsi que M. de Rigny, cette version établie partout. Les journaux suisses signalent aussi Mme la duchesse de Berry; il n'y a, cependant, rien de constaté.

 

Il vient d'y avoir, à Maintenon, chez le duc de Noailles, une réunion de gens d'esprit et d'intrigue. M. de Chateaubriand, Mme Récamier, la vicomtesse de Noailles, M. Ampère, enfin tout ce qui va, le matin, à l'Abbaye-aux-Bois62. J'en suis fâchée; le duc de Noailles ne devrait pas quitter une route large pour entrer dans un sentier.

D'après ce que l'on me mande de Touraine, je vois que les atrocités de Paris, du 28 juillet63, y ont créé de l'indignation, mais une indignation qui craignait de se manifester hautement et qui est peut-être effacée aujourd'hui. Nous vivons dans un temps où l'on voit tant de monstruosités sur la scène, les livres en sont tellement remplis, elles descendent si régulièrement dans la rue, que le peuple, blasé sur l'horrible, y devient indifférent et se trouve ainsi familiarisé avec le crime. Cette ville de Tours, dans le fond si calme, s'est signalée cependant par le refus d'adresses du Tribunal, du Conseil municipal, du Conseil d'arrondissement. Il a suffi de deux hommes de chicane, argumentant sur la lettre de la loi, pour mettre à leur aise tous les indifférents. Il paraît cependant que la garde nationale s'est montrée en grand nombre le jour du service funèbre et qu'elle a fait une adresse d'assez bonne grâce. Quand on voit, d'une part, les passions les plus violentes et les plus criminelles, de l'autre des masses paresseuses ou indifférentes, on se demande si les lois répressives demandées par le ministère français suffiront. Peut-être ne feront-elles qu'irriter!

C'est un fort vilain temps que le nôtre; les bons siècles sont rares, mais il n'y a guère d'exemple d'un plus vilain que celui-ci. Je plains de tout mon cœur ceux qui sont chargés de le museler, M. Thiers, par exemple, dont la fatigue et l'inquiétude se montrent, dans une lettre que j'ai reçue de lui, hier, et dont voici un extrait. Après m'avoir parlé des dangers personnels auxquels il a échappé lors de l'attentat du 28 juillet, il ajoute: «Mais le seul chagrin, chagrin accablant, c'est l'immense responsabilité attachée à mes fonctions; je suis debout jour et nuit. Je suis à la Préfecture de police, aux Tuileries, aux Chambres, sans me reposer jamais, et sans être sûr d'avoir pourvu à tout, car la fécondité du mal est infinie, comme dans toute société déréglée, où on a donné à tous les bandits l'espoir d'arriver à tout, en mettant le feu au monde; les misérables feraient sauter la planète si on les laissait faire; ils n'avaient d'autre combinaison, le lendemain de cette horrible boucherie, que celle-ci: «Nous «verrons;» c'est le principal assassin qui me l'a dit lui-même. Pour prix de tant de tourments, je ne sais quel jour je me reposerai, ni par quelle issue j'échapperai à mon supplice.»

Un mot qui me paraît digne de notre excellente Reine, aussitôt après l'explosion de la machine infernale, et quand elle sut que le Roi et ses enfants n'avaient pas succombé, a été celui-ci: «Comment mes enfants se sont-ils conduits?» Les jeunes Princes ont été dévoués et touchants. Ils se sont serrés autour du Roi; le lendemain, lorsqu'on reconnut la trace d'une balle sur le front du Roi, le duc d'Orléans dit: «Pourtant, hier, je me suis fait le plus grand qu'il m'a été possible.»

Pendant que Mme Récamier est à Maintenon chez la duchesse de Noailles, la princesse de Poix, ma belle-sœur, va aux lundis de la duchesse d'Abrantès, où on rencontre Mme Victor Hugo! Le bel esprit et la politique ont étrangement confondu toutes les compagnies, bonnes et mauvaises!

M. le duc de Nemours va faire une course à Londres; joli, sérieux, digne et réservé, avec le plus grand air de noblesse et de jeunesse possible, il me semble qu'il devrait réussir en Angleterre, mais son excessive timidité lui ôte tellement toute facilité et toute grâce dans la conversation, qu'il sera peut-être jugé inférieur de beaucoup à ce qu'il vaut réellement.

De toutes les lettres de félicitations écrites au Roi des Français par les souverains étrangers, à l'occasion de l'attentat du 28 juillet, la meilleure, la plus bienveillante est celle du Roi des Pays-Bas. C'est, ce me semble, de très bon goût de sa part, et j'en suis fort aise; j'ai toujours trouvé que depuis ses malheurs, le Roi des Pays-Bas avait montré de l'esprit, de l'à-propos et une persévérance qui, quel qu'en soit le succès définitif, lui assurera une belle page dans l'histoire de nos jours, où j'en vois si peu pour qui que ce soit.

Pendant que le Roi des Français se soumet aux escortes, aux mesures de sûreté, à des allures plus royales, son président du Conseil vient dîner aux Tuileries, à des dîners d'ambassadeurs, en pantalon de couleur et sans décorations, et ce ministre est le duc de Broglie!

Jérôme Bonaparte, avec toute sa famille, a quitté Florence, et se trouve maintenant à Vevey; le choléra fait refluer toute l'Italie en Suisse.

Bex, 24 août 1835.– Le temps s'étant éclairci, nous avons été voir des salines près de Bex: ce sont les seules de la Suisse, et elles ne suffisent pas à la consommation du pays. Nous n'avons pas pénétré fort avant dans la mine, à cause du froid humide dont nous nous sommes sentis saisis, mais nous avons vu en détail les étuves de graduation. Le sel m'a paru être d'une grande blancheur.

On nous a ramenés par la vallée du Cretet, le long du torrent de Davanson, qui est le plus abondant et le plus impétueux que j'aie vu dans cette partie-ci des Alpes; son cours est assez long et sa pente extrêmement rapide; il est resserré dans une gorge étroite, haute et boisée. Il sert à faire aller beaucoup d'usines pour les besoins desquelles il se divise en mille petits canaux et aqueducs. Ces établissements sont presque toujours suspendus sur des quartiers de rocher qui semblent s'être détachés des cimes supérieures et être restés suspendus comme par miracle sur l'abîme. Toute cette route, jusqu'au petit château de M. de Gautard, est charmante, et m'a un peu réconciliée avec cette contrée qui m'avait désagréablement surprise au premier aspect.

Je reviens d'une course qui est pleine d'intérêt. Le but principal était la cascade de Pisse-Vache, belle gerbe d'eau, droite, écumeuse, jetant au loin autour d'elle une poussière humide, s'élançant, en un seul jet, d'une brèche de rochers, dont les deux pointes se dressent en longues aiguilles; l'eau de cette cascade se mêle bientôt à celle du Rhône, près du pont sur lequel on passe ce fleuve, également impétueux depuis sa source jusqu'à son embouchure; il l'est remarquablement dans la gorge étroite qu'il traverse en quittant le Valais, pour entrer dans le canton de Vaud. La limite est à Saint-Maurice, village pittoresque dont les couvents, le castel, la vieille tour, les fortifications inégalement appuyées sur les flancs de rochers à pic sont d'un curieux aspect. La porte de ce bourg est, pour ainsi dire, formée par l'étroit passage que laissent entre eux deux grands rochers qui séparent les deux cantons. De ce point, on voit, à droite, le canton de Vaud, terminé, au loin et par delà le lac Léman, par le Jura, et à gauche, le sauvage Valais, fermé par la chaîne neigeuse du Saint-Bernard.

Ce qui, cependant, a fort gâté cette course pour moi, a été la nature de la population. Les crétins sont nombreux, et ceux-là même qui ne sont pas aussi infortunés, sont encore affreusement défigurés par des goitres; les femmes surtout en ont jusqu'à trois; les eaux, provenant des neiges fondues, l'action incomplète du soleil, qui n'éclaire que peu les étroites gorges du Valais, y rendent cette infirmité fort commune.

Genève, 26 août 1835.– Partis de Bex ce matin, nous avons longé le Rhône jusqu'au point où il se jette dans le lac Léman, de là à Thonon; route charmante, hardie, taillée dans le roc, suspendue sur le lac, mélange pittoresque de pelouses superbes, de châtaigniers admirables et de rochers majestueux du plus bel effet. A partir de Thonon, la route devient monotone jusqu'à deux lieues de Genève; aux beautés naturelles de la contrée se joignent alors les nombreux embellissements de jardins soignés comme en Angleterre, de jolies maisons de campagne, d'avenues superbes, le tout groupé, ainsi que la ville de Genève, en amphithéâtre autour du lac.

Nous sommes descendus à l'Hôtel des Bergues. Ma fenêtre donne sur un nouveau pont en fil de fer, qui, en passant sur le Rhône, joint les deux parties de la ville et conduit, en même temps, à une petite île sur laquelle se trouve la statue de Jean-Jacques Rousseau, entourée d'un bouquet de gros arbres. On aperçoit aussi une grande partie du lac couvert de petites embarcations. Rien ne saurait être plus gai, plus animé.

Genève, 27 août 1835.– Le duc de Périgord, que j'ai rencontré hier, ici, et qui est une bonne autorité pour ce qui regarde M. l'archevêque de Paris, m'a expliqué, de la manière suivante, le rapprochement de celui-ci avec le gouvernement actuel. Après l'attentat du 28 juillet, le curé de Saint-Roch, dont l'église est devenue la paroisse de la famille royale, depuis la destruction de Saint-Germain-l'Auxerrois, s'est rendu chez le Roi, qui lui a dit ses intentions pour un service funèbre. Le curé, qui se nomme l'abbé Olivier, a fait alors observer au Roi, qu'après le service funèbre, un Te Deum en action de grâces pour la conservation du Roi et de ses enfants, serait aussi indiqué que convenable. Le Roi a adopté cette idée, en ajoutant toutefois: «Ce Te Deum aura donc lieu à Saint-Roch, puisque l'Archevêque continue son opposition à mon gouvernement.» Le curé de Saint-Roch a aussitôt prévenu l'Archevêque de l'innovation qu'allait entraîner son éloignement. C'est alors que M. de Quélen s'est décidé à aller chez le Roi: il a été reçu, et, depuis, il a officié aux Invalides et à Notre-Dame. Je saurai, plus tard, ce qui s'est passé entre le Roi et lui.

On m'écrit de Paris, que le maréchal Maison, qui ne se mêle pas des débats de la Chambre, promène tous les jours, à la belle heure, en phaéton, une demoiselle qu'il a ramenée de Saint-Pétersbourg. C'est l'élégant du ministère.

Genève, 29 août 1835.– Les environs de Genève ont autant gagné que l'intérieur de la ville; chaque année, de nouvelles maisons de campagne remplacent et augmentent celles qui peuplaient les bords du lac. La plus soignée appartient à un banquier nommé Bartholony. C'est le goût italien qui domine dans la construction de ces villas; les jardins et la disposition des fleurs rappellent l'Angleterre; le cadre général seul reste suisse, et l'on n'en saurait trouver un plus grandiose. Coppet, plus éloigné de Genève, n'a aucun style; habité maintenant par la jeune Mme de Staël, qui y vit dans toute l'austérité des premières veuves chrétiennes, ce lieu semble désert et lugubre; le village sépare le château du lac et en ôte la vue. M. et Mme Necker et la fameuse Mme de Staël reposent dans une partie du parc défendue par des broussailles qui en rendent les approches difficiles. D'ailleurs, d'après l'ordre des défunts, personne, pas même leurs enfants, ne peut franchir cette enceinte. Le reste du parc est plein de beaux arbres, mais trop rapprochés: ils manquent d'air et de soin, comme tout l'ensemble de cette demeure. On n'y laisse plus pénétrer les étrangers. J'y ai été jadis: les appartements sont bien distribués et dans d'assez belles proportions, mais arrangés sans goût, sans élégance; c'est, à tous les égards, l'établissement d'un banquier puritain: vaste et austère, ni noble, ni imposant.

 

La position de Ferney est très agréable; les terrasses et la végétation embellissent cette demeure, qui, en elle-même, est petite; le tout est sur l'ancien modèle français du siècle dernier. Le salon et la chambre à coucher de M. de Voltaire sont restés seuls ouverts aux visiteurs et consacrés au souvenir du grand esprit qui a fait, pendant trente ans, de ce petit manoir, le foyer d'où sont parties tant d'étincelles brûlantes. Nous sommes restés longtemps à examiner toutes les petites reliques conservées par le jardinier. Il avait quatorze ans à la mort de M. de Voltaire; il débite assez bien sa leçon: car je ne trouve pas que ses récits aient un caractère original.

Il y a, dans une lettre que j'ai reçue hier de M. le duc d'Orléans, le passage suivant: «C'est le jour où les lois en discussion seront votées, où cette arme dangereuse sera remise entre les mains du pouvoir, que commencera la difficulté. Ce n'est rien de les avoir fait voter, c'est tout de les exécuter. Saura-t-on suffire à cette lutte de tous les instants? Saura-t-on déjouer chaque jour toutes les ruses? résister à toute la ténacité que déploieront, dans la défense de leurs dernières ressources, des hommes poussés à bout, et n'ayant plus qu'une seule pensée, qu'un seul but? Les mauvaises langues, ici, prétendent qu'il est bien plus difficile de gouverner régulièrement et avec suite, que d'emporter d'assaut, à coups de discours, des lois nouvelles, lorsqu'on n'exécute pas même celles dont on est armé. Pour ma part, je me borne à dire, que maintenant que les ministres nous ont engagés dans la lutte si grave que nous venons de commencer, je n'aurais pas de mots pour qualifier leur conduite, s'ils n'usaient pas convenablement de la force qu'ils ont cru devoir demander, ou s'ils voulaient rejeter sur d'autres le fardeau d'exécuter ce qu'eux seuls ont conçu et exigé dans ce qu'ils croyaient être leur propre intérêt.»

Lons-le-Saulnier, 31 août 1835.– Je suis arrivée ici hier au soir, bien tard, après avoir traversé le sauvage, aride et triste Jura. De grands efforts y ont créé une route facile, quoique lentement parcourue à cause des montées et des descentes continuelles; mais les chemins, arrachés à du roc pur, abrités par des encaissements habilement pratiqués entre les infiltrations de l'eau, sont parfaitement unis, larges et bien défendus contre les dangers d'une nature aussi âpre. Des hauteurs de Saint-Cergues j'ai jeté un dernier regard sur le beau lac de Genève et des Alpes. Ce grand tableau se déploie magnifiquement et laisse dans le souvenir une belle image.

Arlay, 1er septembre 1835.– Ce lieu-ci, qui faisait partie de l'ancien duché d'Isenghien, est venu au prince Pierre d'Arenberg du fait de sa grand'mère maternelle, héritière de la maison d'Isenghien, qui descendait de celles de Châlons et d'Orange. Tout cela est fort noble d'origine, et fort présent à la mémoire du propriétaire actuel. La vue, de ma chambre, et celle de toute la maison, est étendue sans être pittoresque, de même que la maison, qui est vaste et bien restaurée, est un peu nue d'ameublement et un peu froide, le coteau qui la domine l'abritant du midi.

Au sommet de ce coteau se voient les restes du gothique manoir tombé en ruines qui n'ont pas assez de caractère. Les arrivées sont courtes. Il n'y a pas d'autre avenue qu'une cour plantée. Beaucoup de choses manquent à l'agrément et au bon air de l'établissement, mais c'est un bon débris arraché au naufrage révolutionnaire. Les maîtres de la maison et la duchesse de Périgord m'ont reçue avec la plus parfaite obligeance.

J'ai reçu ici une lettre de M. Royer-Collard. Il retournait chez lui, à la campagne, «après avoir acquitté à la Chambre ce qu'il croyait être de son devoir et de son honneur», et sans attendre le vote sur l'ensemble de la loi. Son discours, que j'admire comme pensée, comme sentiment, comme langage (il n'a pas voulu en faire un discours d'effet ou d'entraînement), était pour satisfaire un cri de sa conscience, pour bien faire comprendre sa position, qu'un long silence laissait incertaine dans l'esprit de plusieurs; c'était pour tracer nettement sa ligne d'opinion, qu'il a, quoique fort souffrant, prononcé ce discours peu étendu, mais si plein de choses! Depuis cinq ans, c'est la première fois que, sans exciter des murmures, sans paraître ridicule, hypocrite ou imprudent, on a loué, défendu, honoré la Pairie, et que l'esprit religieux, les mots de Dieu et de Providence se sont fait entendre dans l'enceinte de la Chambre des députés. Le respect avec lequel de telles paroles ont été écoutées me paraît, plus que toutes choses, placer M. Royer-Collard à part, dans la haute région qui lui appartient.

L'homme qui semble avoir soudoyé Fieschi, et qui se nomme Pépin, avait été enfin arrêté. C'était une grosse affaire, mais il s'est échappé! Sur un ordre du Parquet, ce Pépin avait été extrait à minuit, peu d'heures après son arrestation, de la Conciergerie où il avait été placé, afin de faire, en sa présence, des perquisitions dans sa maison. Il a été conduit, par un commissaire de police et deux hommes seulement; aussitôt entré chez lui, il a disparu! Un homme dont l'arrestation était si importante conduit à minuit par deux gardes!.. sans être attaché, et conduit dans sa propre maison dont il connaissait des issues sans doute inconnues à ceux qui le menaient, c'est d'une étrange imprudence! Il paraît que depuis les affaires du 6 juin 183264, dans lesquelles cet homme avait été impliqué, sa maison était disposée pour lui fournir les moyens de s'échapper. Le juge d'instruction qui a laissé échapper Pépin, en ne le faisant pas mieux surveiller, se nomme Legonidec; c'est un jeune juge d'instruction de la Cour d'assises de Paris. Il y a des personnes qui croient qu'il sera fortement compromis par la légèreté, si ce n'est plus, qu'il a apportée dans une circonstance aussi grave.

On m'a menée voir les ruines du vieux château; elles ont plus d'étendue et d'importance que je n'avais jugé en arrivant. C'était une forteresse considérable, qui, sous Louis XI, dans le temps des guerres contre les Bourguignons, a été démantelée par les ordres de ce souverain.

Dijon, 3 septembre 1835.– J'ai quitté Arlay ce matin, emportant un souvenir reconnaissant du bon accueil qui nous y a été fait, à Pauline et à moi. La princesse d'Arenberg surtout m'a inspiré une véritable amitié; sa politesse, sa bienveillance, sa simplicité, jointes à beaucoup de raison et d'aplomb, embellies par l'instruction, des talents, le tout se communiquant facilement, assurent à cette jeune femme une place distinguée parmi les personnes de son âge et de son rang, dont bien peu me paraissent la valoir.

J'ai parcouru la nouvelle route, qui passe par Saint-Jean-de-Losne et abrège beaucoup. Le chemin est beau et facile, mais le pays qu'il traverse, riche sans doute, et bien cultivé, n'offre cependant rien de gracieux, et je dirais même rien d'intéressant, sans un assez grand nombre de châteaux, et le canal de Bourgogne orné de beaux rideaux de peupliers.

Pierres, le château de M. de Thiard, est le plus important de ceux qui se trouvent sur cette route. Il m'a paru considérable et noblement entouré, mais dans une position peu agréable; il est fâcheux qu'on abatte celui de Seurre, placé au bord de la Saône: il m'a semblé offrir une jolie situation; Toiran, la Bretonnière et quelques autres, prouvent que la province est bien habitée.

Je regrette d'être arrivée trop tard ici pour visiter Dijon. Cette ville se présente bien, elle renferme de beaux édifices, les rues sont animées; le parc, belle promenade publique, à un quart de lieue de la ville, et qui y tient par de longues avenues, doit être d'un grand agrément pour les habitants.

Tonnerre, 4 septembre 1835.– La route de Dijon à Montbard est unie, dépouillée, fatigante à l'œil. Montbard est un vieux château féodal des duc de Bourgogne, placé sur une hauteur considérable, et qui avait été donné par Louis XV à M. de Buffon; celui-ci possédait déjà, au bas du coteau, une assez grande et triste maison dans une des rues de la petite ville. Il a continué d'habiter la maison d'en bas; elle n'a rien d'intéressant, si ce n'est un assez beau portrait du célèbre propriétaire. Il fit démolir quatre tours sur les cinq qui restaient autour de l'enceinte du vieux château; une seule subsiste donc ainsi que d'énormes murs de clôture: ceux-ci n'enferment plus, maintenant, qu'une espèce de quinconce de beaux arbres plantés par M. de Buffon, avec de belles allées qui y conduisent à partir de la maison d'en bas. Les beaux arbres offrent d'épais ombrages et une promenade agréable. Au sommet du quinconce est une petite maisonnette qui ne contient qu'une seule pièce où M. de Buffon s'établissait chaque jour pendant plusieurs heures pour travailler sans interruption. Il a fait construire une église, sur une partie d'anciennes fondations du château fort; c'est dans cette église qu'il est enterré. La maison de M. de Buffon est habitée par sa belle-fille, veuve sans enfants.

62L'Abbaye-aux-Bois était une communauté religieuse de femmes, située à Paris, rue de Sèvres, à l'angle de la rue de la Chaise. Elle servit de prison d'arrêt pendant la Révolution. Rendue, plus tard, à sa destination première, elle offrit, en dehors du cloître réservé aux religieuses, un asile paisible à des dames du grand monde: c'est là que Mme Récamier vint s'établir.
63Attentat Fieschi.
64L'enterrement du général Lamarque, mort du choléra, le 2 juin, avait eu lieu le 5 juin, et avait été l'occasion d'une insurrection qui se continua pendant toute la journée du 6.