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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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Valençay, 11 novembre 1834.– M. Damer mande de Paris ce qui suit: «Avez-vous entendu une horrible histoire relative à Mme et à Mlle de Morell, sœur et nièce de M. Charles de Mornay, et qui est arrivée à l'École militaire de Saumur54? Un jeune homme de cette ville, nommé M. de La Roncière, assez mauvaise tête, est devenu amoureux de Mme de Morell; elle a fait, ou non, quelques coquetteries pour lui, c'est ce que je ne sais pas exactement, mais finalement, elle lui a donné son congé. Il a résolu alors de se venger, et a fait la cour à la fille, jeune personne de dix-sept ans; il lui écrivait continuellement et la menaçait de tuer son père et sa mère si elle ne l'écoutait pas. Elle a été trouvée, une nuit, dans une espèce d'état de folie. Le jeune homme, ayant appris son état, s'est enfui de l'École, mais a été arrêté depuis. Il a montré alors des lettres, supposées ou non, qu'il prétend lui avoir été écrites par la mère et par la fille et qui les compromettraient gravement. On dit que Charles de Mornay est arrivé à Paris à cause de cette affaire.»

Valençay, 12 novembre 1834.– Une lettre écrite avant-hier de Paris, pendant que le Roi signait, dans le cabinet voisin, l'ordonnance créatrice du nouveau ministère, qui n'a pu paraître que dans les journaux d'hier matin, nous est arrivée ici hier soir. Elle apporte des noms inattendus et presque nouveaux. Il n'y aurait peut-être pas grand mal à cela, s'ils l'étaient tous également, mais il en est un, vieilli dans les fastes de l'Empire, et auquel on en a attribué la perte, le duc de Bassano; il en est un autre, celui de M. Bresson, qui ébahira probablement, et qui, pour l'invraisemblable, aurait mérité la fameuse lettre sur le mariage de M. de Lauzun. Je n'ai pas besoin de dire les réflexions qu'il nous a fait faire, à nous, gens de Londres, qui avons vu naître, se perdre et ressusciter l'individu, le tout avec une si merveilleuse rapidité! Je n'ai pas besoin de dire, non plus, que cette solution ministérielle fixe toutes les irrésolutions de M. de Talleyrand et donnera des ailes à sa démission de l'ambassade de Londres.

Valençay, 13 novembre 1834.– Voici l'impression produite sur M. Royer-Collard par la nouvelle phase ministérielle: «Mais c'est un ministère Polignac! Je m'attendais à tout plutôt qu'à cette aventure. Je suis bien étonné que M. Passy, qui a du mérite et de l'avenir, se soit enrôlé dans cette troupe. Voilà l'ancien Cabinet jeté dans l'opposition; mais soit qu'il attaque, soit qu'il appuie traîtreusement, il se fraye un chemin au retour; il reviendra, cela me paraît infaillible.» Le mot aventure est le mot propre, car assurément, ce que tout ceci est le moins, c'est une combinaison.

Valençay, 16 novembre 1834.– Nous avons appris, par le courrier d'hier au soir, que le ministère de fantaisie avait vécu «ce que vivent les roses, l'espace d'un matin». La comparaison n'est pas choquante. Ce sont MM. Teste et Passy qui, le 13 au soir, sont venus remettre au Roi leur démission, motivée sur la situation pécuniaire du duc de Bassano. Ces démissions devaient entraîner les autres, et, en effet, le lendemain matin, M. Charles Dupin est venu offrir la sienne, et M. de Bassano a reconnu qu'il ne pouvait plus rien faire et que, dès lors, «tout était dit et fini».

Avant-hier 14, à quatre heures du soir, rien n'était arrangé, ni projeté, ni espéré. Quelle cruelle et déplorable situation pour le Roi! Si on voulait faire une pièce de théâtre de cette crise ministérielle, on ne pourrait même pas lui appliquer la règle des vingt-quatre heures!

Je trouve la conduite de MM. Teste et Passy impardonnable! Il paraît que c'est eux qui avaient le plus insisté, dans l'origine, pour que le duc de Bassano obtînt la Présidence avec le ministère de l'Intérieur, et, certes, ils n'en étaient pas alors à apprendre la situation pécuniaire de M. de Bassano; car, depuis deux ans, elle était connue de tout le monde.

Valençay, 18 novembre 1834.– Voici le passage important d'une lettre écrite hier par M. de Talleyrand à Madame Adélaïde: «Quel soulagement! Je remercie de bon cœur le maréchal Mortier d'avoir accepté la présidence du Conseil! Je voudrais faire comme lui, et remonter à la brèche; mais l'Angleterre pour moi est hors de question! Vienne me plairait, sans doute, à beaucoup d'égards, et conviendrait d'ailleurs à Mme de Dino, que tout son dévouement pour moi console difficilement de quitter Londres, où elle a été si bien appréciée; mais, à mon âge, on ne va plus chercher les affaires si loin de ses foyers! S'il ne s'agissait que d'une mission spéciale, auprès d'un Congrès; d'une réunion telle que celles de Vérone et d'Aix-la-Chapelle, je serais prêt. Et si pareille circonstance, qui n'est rien moins qu'invraisemblable, se présentait et que le Roi me crût encore capable de bien représenter la France, qu'il me donne ses ordres et je pars à l'instant, heureux de lui consacrer mes derniers jours. Mais une mission permanente ne peut plus me convenir, à Vienne surtout, où l'on m'a vu, il y a vingt ans, l'homme de la Restauration. Mademoiselle a-t-elle bien songé à un pareil rapprochement? Et cela en regard de Charles X, de Madame la Dauphine qui vient souvent à Vienne, et qui reçoit tous les honneurs dus à son rang, à ses malheurs, et à sa proche parenté? Simples particuliers en Angleterre, les Bourbons de la branche aînée sont des Princes, presque des prétendants en Autriche; c'est, pour l'ambassadeur du Roi, une énorme différence; peu sensible peut-être pour tel ou tel, mais décisive pour moi dans la vie duquel 1814 reste écrit en gros caractères. – Non, Madame, il n'y a plus pour moi d'autre existence que celle d'une retraite sincère et complète, d'une vie privée simple et paisible. Ceux qui voudront me supposer quelque arrière-pensée seront de mauvaise foi: à mon âge, on ne s'occupe plus que de ses souvenirs, etc.55…»

Le Journal des Débats annonce la démission de M. de Talleyrand, et, dans son intrigue, cherche à la rattacher au ministère Bassano56. Assurément, de tout, c'est ce qui l'aurait le mieux expliquée, mais elle n'a été motivée par aucun des noms français qui ont successivement occupé le public depuis quinze jours. Il y avait une manière plus convenable, plus élevée, plus vraie d'en parler; mais l'esprit de parti dénature tout à son propre profit! A la bonne heure, nous n'avons plus à y regarder.

 

On assure que, pendant la crise ministérielle, M. de Rigny s'est conduit avec fermeté, dignité et convenance. Il n'en a pas été ainsi de tout le monde, et voici un détail curieux sur l'exactitude duquel on peut compter. Dans ce fameux Conseil d'il y a dix jours, dans lequel chacun a jeté son masque et où M. Guizot a voulu imposer M. de Broglie au Roi, comme ministre des Affaires étrangères, le Roi a dit en levant la main: «Jamais cette main ne signera l'ordonnance qui rappellera M. de Broglie aux Affaires étrangères.» Alors M. Guizot a sommé le Roi de déclarer pourquoi il s'y refusait: «Parce que, a répondu celui-ci, M. de Broglie a failli me brouiller avec l'Europe. J'en appelle au témoignage de M. de Rigny ici présent (lequel a fait silencieusement un signe d'acquiescement), et si on voulait me faire violence, je parlerais. – Et nous, Sire, nous écrirons,» a repris M. Guizot… Peut-on rien imaginer de semblable? Et voit-on après cela toutes ces mêmes figures assises au même tapis vert et réglant, d'un commun accord, les destinées de l'Europe?

Valençay, 19 novembre 1834.– Nous avons appris, hier au soir, par une lettre de Londres, le grand événement du changement de ministère en Angleterre, et le retour des Tories au pouvoir57. Ce matin déjà, un courrier du Roi est arrivé ici, porteur d'une lettre de la main même de Sa Majesté, et d'une de Mademoiselle. Caresses, prières, supplications, il y a de tout dans ces lettres. Mon nom même, répété sans cesse, est appelé à l'aide. Tout cela est employé pour déterminer M. de Talleyrand à reprendre son ambassade de Londres. Le Prince royal m'écrit dans ce sens de la manière la plus pressante; toutes les autres lettres reçues par la poste sont dans le même esprit. Mme Dawson Damer m'écrit qu'elle espère que le changement du Cabinet anglais fera retirer la démission de M. de Talleyrand, et que la Reine d'Angleterre ne me pardonnerait pas s'il en était autrement. Lady Clanricarde me dit qu'elle a d'autant plus peur de voir échouer les Tories dans leur essai, que cela ferait retomber l'Angleterre dans les griffes de lord Durham, et qu'elle ne voit qu'un côté agréable à tout ceci, c'est la presque certitude de mon retour à Londres. C'est fort gracieux, mais nullement concluant.

M. de Rigny m'écrit des excuses de son long silence et me paraît fort en dégoût de la dernière quinzaine, peu rassuré sur les chances futures du ministère français, quoique M. Humann eût accepté et que le replâtrage fût consommé; puis il ajoute le morceau obligé sur l'impossibilité pour nous de ne pas retourner à Londres, et sur la volonté positive du Roi à cet égard.

M. Raullin, de son petit coin, croit aussi devoir faire sa petite hymne d'occasion; il dit que les doctrinaires, chez Mme de Broglie, en disaient autant, mais que, du reste, toute cette coterie, ainsi que la Bourse et les Boulevards, étaient dans la plus grande agitation des nouvelles d'Angleterre. Il me mande des drôleries sur le duc de Bassano et sur M. Humann. Le courrier qui est parti pour aller trouver celui-ci l'a trouvé à Bar; il a dit qu'il ne répondrait que de Strasbourg. J'aime ce flegme alsacien.

On dit aussi que l'amiral Duperré se fait tirer l'oreille pour accepter la marine. Jusqu'à hier matin, il n'y avait que des ministres in petto. M. de Bassano signait imperturbablement et travaillait au ministère de l'intérieur avec la plus belle ardeur.

M. de Talleyrand a reçu aussi beaucoup de lettres. M. Pasquier, en réponse à la lettre d'excuse de ne pouvoir assister au procès58, insinue une phrase sur les immenses services qu'on est encore appelé à rendre. Mme de Jaucourt écrit quatre lignes sous la dictée de M. de Rigny, pour dire: «Venez, on ne peut se passer de vous; sauvez-nous.» Et enfin M. de Montrond, qui se taisait depuis longtemps, mande que les nouvelles d'Angleterre sont venues tomber sur tout le monde comme des flots d'eau bouillante, qu'on déraisonne à l'envi, que lord Granville prend le changement chez lui de travers. Il se dit aussi chargé par le Roi de nous faire comprendre la nécessité de notre retour en Angleterre; que MM. Thiers et de Rigny le désirent comme leur salut.

Valençay, 24 novembre 1834.– M. de Talleyrand persiste, heureusement, dans sa démission; mais tel est le singulier prestige qui s'attache à lui que la Bourse de Paris baisse ou se relève selon les chances plus ou moins probables de son départ pour Londres, que les lettres de toutes parts l'appellent au secours, et que des gens que nous ne connaissons pas même de nom, lui écrivent pour le supplier de ne pas abandonner la France. Cela tient évidemment à deux choses: c'est que le public français ne veut jamais voir dans le duc de Wellington qu'un croquemitaine en personne, et dans M. de Talleyrand que quelqu'un que le diable emportera un jour, mais qui, en attendant, grâce au pacte qu'ils ont ensemble, ensorcelle à son gré l'univers. Que c'est bête, le public! Il est si crédule dans sa foi! si cruel dans les vengeances de ses mécomptes!

Valençay, 27 novembre 1834.– Une lettre du Roi, arrivée hier et qui est la réponse à celle où M. de Talleyrand persistait dans sa démission, dit, entre autres choses ceci: «Mon cher Prince, je n'ai rien vu de plus parfait, de plus noble, de plus honorable, de mieux exprimé que la lettre que je viens de recevoir de vous. J'en suis profondément touché. Sans doute, il m'en coûte beaucoup de reconnaître la justesse de la plupart de vos motifs pour ne pas retourner à Londres, mais je suis trop sincère et trop ami de mes amis pour ne pas dire que vous avez raison59

A la suite de cet exorde vient une nouvelle invitation à arriver au plus vite à Paris, pour causer de toutes choses. M. Bresson écrit à M. de Talleyrand une lettre fort spirituelle et fort habile, où il lui demande de vouloir bien lui écrire toutes les moqueries que, sans doute, sa gloire rapide lui aura inspirées; il n'en veut perdre aucune.

M. de Montrond mande que le Roi dit qu'il n'y a rien de plus beau que la lettre de M. de Talleyrand et qu'il faut se rendre à ses raisons; que du reste, les embarras sont grands; que l'on regrette le maréchal Soult; qu'on cherche à le ravoir. Quelle nouvelle ignominie pour nos petits ministres! Il paraît que l'armée se désorganise.

Les Polonais qui sont venus ici pour l'enterrement de la princesse Tyszkiewicz disent, à ce qu'il paraît, du bien de nous à Paris. Il n'y a qu'auprès du Prince Royal que Valençay ait eu un succès contesté par l'influence Flahaut; M. de Montrond enrage du bien qu'on dit de Valençay, dont il a fait tant de moqueries!

Valençay, 1er décembre 1834.– Lorsque je passai, il y a trois mois, à Paris, j'y vis M. Daure qui écrivait, en assez mauvaise compagnie, dans le Constitutionnel et me parut assez pauvre garçon. Je lui offris de m'intéresser auprès de M. Guizot pour lui faire obtenir de l'emploi dans la recherche des anciens manuscrits et chartiers du Midi, dont le ministère de l'Instruction publique s'occupe. Je fis en effet ma demande; elle fut bien accueillie. Je partis pour ici et n'entendis plus parler de Daure ni de ma demande à M. Guizot; mais, il y a quinze jours, je reçus une lettre de ce dernier pour m'annoncer la nomination de Daure à la place que j'avais demandée pour lui. J'écrivis tout de suite à Daure en lui envoyant la lettre ministérielle, mais ne connaissant pas son adresse, je fis faire à Paris des démarches qui restèrent infructueuses et ma lettre attendait quelques lumières sur ce pauvre homme, lorsque hier au soir j'ai reçu deux lettres, timbrées de Montauban, l'une de l'écriture de Daure, l'autre inconnue. J'ouvris d'abord cette dernière: elle est d'un abbé, ami de Daure, qui d'après les dernières volontés de ce malheureux, m'annonce sa mort; mais quelle mort! Le suicide! La lettre de Daure, écrite peu avant cet acte de folie, est la plus touchante, je dirai même la plus honorable pour moi. Il y a un mot sur ceux qu'il aimait à Londres. Je me reproche très vivement de ne l'avoir point engagé à venir ici cette année, cela l'aurait sans doute détourné de cette cruelle fin!

Il m'est revenu cette nuit à l'esprit que l'automne dernier, à Rochecotte, marchant avec lui tête à tête en allant visiter mes écoles, je lui parlais de sa destinée, de son avenir, je le prêchais sur son désordre, sur son manque d'économie. Il me répondit avec beaucoup de reconnaissance, en me priant de n'être nullement inquiète de lui, qu'il avait une ressource en réserve dont il ne pouvait parler à personne, qui était préparée depuis longtemps, et qui lui demeurerait, tout le reste manquant; qu'il n'était pas aussi imprévoyant qu'il en avait l'air, et qu'il était sans souci de l'avenir parce qu'il pouvait l'être. Je crus, tout bonnement, qu'il avait amassé un peu d'argent… Sotte que j'étais! Il s'est tué précisément au moment où nous enterrions ici la pauvre princesse Tyszkiewicz. Quel triste mois de novembre!

Voici un petit passage de politique, extrait d'une lettre d'hier: «La position des ministres français sera décidée dans huit jours; ils comptent profiter de la première petite circonstance et elle ne tardera pas à se présenter, pour parler franchement de tout ce qu'ils ont fait, de tout ce qui s'est passé, de manière à arranger leur position pour qu'elle soit tolérable, ou bien pour se retirer tout à fait. Ils ne tiennent pas à rester au pouvoir, de la manière dont ils sont abreuvés de dégoûts. Il faut voir ce que la Chambre va faire et quelle sera son attitude. Il avait été question de faire un discours du trône, mais il a été décidé que cela ne serait pas, et je crois qu'on a sagement fait.»

Valençay, 2 décembre 1834.– Me voici à la veille d'une nouvelle peine: la mort, probable, du duc de Gloucester m'en sera une réelle. Comment ne pas regretter une estime, une confiance, une amitié aussi sincères, aussi solidement éprouvées?

M. Daure a aussi écrit à M. Raullin. Il paraît qu'il était particulièrement préoccupé de l'idée de ne pas reposer dans un cimetière; il a cherché un lieu isolé et désert. Il finit sa lettre à Raullin par le salut des gladiateurs au peuple romain: «Ave, morituri te salutant!» Ses dernières lettres ne sont rien moins que d'un fou, et cependant, comment ne pas supposer du désordre de tête? car il était religieux, il avait toujours la Bible dans sa poche et la lisait souvent. Il faut que son imagination inquiète et maladive ait un instant égaré son courage et obscurci sa foi.

On m'écrit de Paris qu'on ne nommera de nouvel ambassadeur pour Londres que quand sir Robert Peel aura constitué un gouvernement. Il a dû traverser Paris hier, à ce que l'on croyait. Une autre raison pour laquelle on ne nommera pas de huit à dix jours, c'est que personne ne se soucierait d'accepter, avant que le sort des ministres français ne soit éclairci, et il est des plus précaires. On remarque le peu d'empressement que mettent les députés à se rendre à la Chambre, comme symptôme du peu de goût qu'ils ont à s'occuper des querelles des ministres. Celles-ci sont sourdes, mais réelles; toujours même révolte contre l'orgueil pédantesque de l'un et les intrigues croisées de l'autre; l'effroi seul de la Chambre les fait encore aller ensemble.

 

On dit le Roi fort attristé, et peut-être ces messieurs ne doivent-ils leur conservation qu'à ce que la peur de la Chambre agit sur lui comme sur eux. Il paraît qu'on se moque beaucoup à Paris d'une lettre de M. Bresson en réponse à un mot de la Quotidienne. On me mande sur cette lettre: «Voilà M. Bresson qui nous fait sa généalogie et qui nous apprend qu'il a toujours été un homme important depuis le jour où il remettait les dépêches au malheureux et trop méconnu Bolivar, jusqu'à celui où il a failli être ministre des Affaires étrangères! Nous voilà bien heureux d'être représentés à Berlin par quelqu'un d'aussi considérable! Comprenez-vous cette manie de correspondre avec les journaux? Et puis on s'étonne de la prodigieuse importance de ceux-ci!»

M. de Talleyrand est dans une véritable colère de ce que les communications diplomatiques se colportent à la Bourse et à l'Opéra. C'est ce qui, avec tant d'autres choses, rend de certaines gens impossibles à servir.

Paris, 7 décembre 1834.– Nous voici rentrés dans ce Paris dont la vie dévorante et hachée convient si peu à M. de Talleyrand et à moi-même. Hier déjà nous avons été envahis par mille devoirs et visites.

A midi, j'ai reçu M. Royer-Collard qui, en allant à la Chambre, venait savoir de mes nouvelles. Il n'a fait qu'entrer et sortir, et n'était venu réellement, je crois, que pour s'acquitter d'une commission de M. Molé. Celui-ci l'a chargé de me dire qu'il désirait revenir chez nous, mais, pour début, venir d'abord chez moi et me trouver seule. Ce rendez-vous a été fixé à demain lundi, entre quatre et cinq heures.

M. Royer-Collard sorti, M. le duc d'Orléans est arrivé, et, à peine assis, il est revenu sur un commérage de Mme de Flahaut. Tout cela s'est passé de fort belle humeur, de fort bonne grâce, mais sans que j'aie, ce me semble, perdu de mes avantages. J'ai été douce, mesurée, à mille lieues de l'hostilité. Mon terrain principal a été celui-ci: «Les propos de Mme de Flahaut sur moi ne sauraient m'atteindre, je n'y regarde pas; il n'y a pas chance que des personnes de mondes, d'habitudes et de situations si différents qu'elle et moi, puissions jamais nous combattre, ni moi être heurtée par elle. Je ne lui en veux que du tort qu'elle vous fait à vous, Monseigneur. – Mais ma principale raison pour l'aimer, c'est qu'elle ne l'est par personne. – Ah! si c'est comme calcul de proportion, Monseigneur doit en effet l'adorer!» Nous nous sommes mis à rire et tout a fini là.

Il m'a parlé d'autre chose, par exemple du tort qu'il avait eu d'être resté si longtemps sans nous écrire, après son voyage à Valençay. J'ai répondu: «En effet, Monseigneur, cela n'était pas trop bien élevé de la part de votre jeunesse, à l'égard du grand âge de M. de Talleyrand, mais il y a une grâce et une franchise dans vos procédés, qui font qu'on est ravi de vous pardonner.»

Il est arrivé alors aux questions générales. Il est fort embarrassé et peiné de l'état des choses, irrité contre son cher ami Dupin de l'étrange façon dont, la veille, il avait traité la Royauté, étonné de lord Brougham dont il m'a rapporté le fait suivant. Le jour de l'arrivée de lord Brougham à Paris, M. le duc d'Orléans l'a rencontré chez lord Granville; il fut question (je ne trouve pas que le lieu fût bien convenable) de l'amnistie, dont l'ex-Chancelier se déclara le partisan violent. Le duc d'Orléans contesta, mais sans, du moins en apparence, le convaincre. Le lendemain, aux Tuileries, lord Brougham tira un papier de sa poche et, en montrant un coin au Prince Royal, lui dit: «Voici mes réflexions sur l'amnistie, que je vais montrer au Roi.» (Autre manque de convenances de la part d'un étranger.) Il remit en effet ce papier. C'était le plaidoyer le plus animé contre l'amnistie! Quand la mobilité va jusqu'à un certain point, elle est, ce me semble, un symptôme évident de démence!

M. le duc d'Orléans a fini sa visite chez moi en voulant me faire sentir l'indispensable obligation dans laquelle était M. de Talleyrand de se rattacher d'une manière publique au gouvernement. J'ai répondu par l'état de ses jambes. Nous nous sommes fort bien quittés.

En redescendant, j'ai trouvé l'entresol plein: Frédéric Lamb, Pozzo, Mollien, Bertin de Veaux, le général Baudrand. Malgré ces échantillons si divers, on parlait aussi librement de toutes choses que si on eût été sur la place publique. Le plus vif était Pozzo, déversant un inconcevable mépris sur le ministère français, plaignant le Roi et en parlant très bien, gémissant sur les embarras de ses ambassadeurs au dehors à travers tout ce qui se passe ici, et fort irrité de certains passages du discours prononcé la veille par M. Thiers.

Nous avons été plus tard dîner chez le comte Mollien où se trouvaient M. Pasquier, le baron Louis, Bertin de Veaux et M. de Rigny qui est arrivé tard, apportant le vote de la Chambre; vote favorable si on veut, mais qu'on fera payer cher au ministère, et dont M. de Rigny, du moins, a le bon sens de ne rien conclure pour le courant de la session.

Il paraît qu'après le discours de M. Sauzet, qui a été admirable, à ce que l'on dit, la Chambre a été hésitante, et que le ministère s'est cru perdu. M. Thiers n'osait plus se risquer; cependant, il l'a fait, presque en désespoir de cause, et il a, dit-on, parlé miraculeusement et fait virer de bord tout le monde. La veille, il avait fait fiasco, et les Anglais surtout jettent feu et flamme contre lui de sa très singulière phrase sur l'Angleterre qui, en effet, est inconcevable; mais hier, il a eu évidemment le triomphe le plus complet.

Un fait singulier, et dont je suis certaine, c'est celui-ci: M. Dupin avait promis au Roi, il y a trois jours, de soutenir l'ordre du jour motivé. Avant-hier, il a voté contre; hier il a parlé encore une fois contre, et… il a voté pour! – Pourquoi? Parce qu'après le discours de M. Sauzet, les ministres, se croyant perdus, ont été dire à M. Dupin: «Monsieur le Président, préparez-vous à aller chez le Roi, et ayez votre Cabinet tout prêt, car d'ici à une heure, nous aurons donné nos démissions.» M. Dupin, très empêtré, a dit: «Mais je ne croyais pas que tout ceci deviendrait si sérieux; je ne veux pas votre chute, car je ne me soucie nullement que le «paquet» me retombe sur les bras.» En disant cela, il cherchait à s'esquiver, et à laisser un vice-président à sa place, lorsque Thiers, le prenant par le bras, lui a dit: «Non, monsieur le Président, vous ne sortirez pas d'ici que la question ne soit vidée; si elle l'est contre nous, vous n'irez pas ailleurs que chez le Roi où vous serez condamné à être ministre.» C'est, sans doute, fort curieux; mais quel monde! Quelles gens!

Paris, 8 décembre 1834.– Hier, en rentrant chez moi, à quatre heures, j'ai été étonnée d'y voir arriver le duc d'Orléans, que je croyais déjà sur la route de Bruxelles; mais il ne devait partir qu'une heure plus tard, et il était venu pour me dire que sir Robert Peel avait passé par Paris et avait envoyé son frère, à lui, duc d'Orléans, qu'il connaît beaucoup, prier le Prince Royal de l'excuser auprès du Roi, s'il ne demandait pas à avoir l'honneur de lui faire sa cour, mais Sa Majesté comprendrait aisément que dans les circonstances actuelles, les heures étaient des siècles. Nous avons conclu deux choses de cette démarche. La première, c'est que sir Robert Peel était décidé à accepter le ministère, puisqu'un simple particulier ne se serait pas cru assez d'importance pour envoyer un tel message; et la seconde, c'est que la courtoisie des paroles prouvait plutôt de bonnes dispositions pour la France que le contraire.

A propos de sir Robert Peel, j'ai reçu hier une lettre de lui, écrite de Rome, à l'occasion du ministère Bassano, très polie, obligeante, et dans laquelle il dit que ce qui l'effraye le plus dans cette combinaison, c'est la crainte qu'elle n'empêche M. de Talleyrand de retourner à Londres.

Paris, 9 décembre 1834.– Frédéric Lamb, qui est venu chez moi hier matin, m'a raconté des choses fort curieuses; il m'a appris encore pis que ce que je savais déjà sur lord Palmerston; des détails inconcevables, par exemple, sur la conduite de celui-ci dans la question d'Orient, dont nous n'avions pu, nous autres, à Londres, juger que la superficie, et sur mille autres choses. Il m'a dit que, lors de la querelle entre l'Angleterre et la Russie, à propos de sir Stratford Canning, Mme de Lieven avait désiré que la chose pût s'arranger, de façon à ce que Frédéric Lamb fût à Pétersbourg et sir Stratford Canning à Vienne. Cela fut proposé au prince de Metternich qui répondit: «Cet arrangement n'arrangera rien, car le seul ambassadeur que nous soyons décidés à ne jamais recevoir, c'est sir Stratford Canning.»

Il m'a dit encore que M. de Metternich disait de lord Palmerston: «C'est un tyran, et nous ne sommes plus au siècle de la tyrannie.»

Frédéric Lamb déteste lord Granville; du reste, il ne croit pas au succès du Cabinet tory, mais il ne croit pas non plus que son héritage tombe nécessairement aux radicaux. Il croit à la rentrée de lord Grey et cherche les moyens d'évincer lord Palmerston et lord Holland. Il dit, comme Pozzo, comme M. Molé, des choses inouïes de M. de Broglie; jamais on n'a fait plus de fautes que celui-ci, à les en croire.

En rentrant chez moi, hier à quatre heures, j'ai reçu M. Molé. Tout s'est passé comme si nous nous étions vus la veille: lui, me parlant, comme jadis, de lui, de ses affections, intimités, dispositions d'esprit, avec ce charme qui lui est propre. Il m'a dit que j'étais beaucoup plus aimable qu'il y a quatre ans; il est resté près d'une heure. J'ai toujours trouvé qu'on ne causait avec personne aussi parfaitement bien, rapidement, agréablement, qu'avec lui; il est de très bon goût, à une époque à laquelle personne ne l'est plus; il n'a, peut-être, pas l'âme assez haute pour dominer, mais il a l'esprit assez élevé pour ne pas se dégrader, et c'est déjà beaucoup.

Bien des noms propres, bien des faits et des choses ont repassé devant nos yeux dans cette heure, et j'ai été très satisfaite du naturel avec lequel il a tout abordé. Il m'a dit que j'avais dans l'esprit une équité qui rassurait toujours, ceux même qui pourraient craindre mon inimitié; enfin, tout a été pour le mieux. Je ne suis pas sûre que cela se passe aussi bien entre M. de Talleyrand et lui. Je suis chargée d'arranger leur entrevue, et tous deux, ce qui est assez drôle, m'ont priée d'être présente à cette première rencontre.

M. Molé m'a raconté avoir, la veille, écrit à M. Dupin pour refuser de dîner chez lui, en motivant son refus sur la manière dont celui-ci avait, à la tribune, travesti les rapports purement officieux et nullement officiels qu'ils avaient eus ensemble, il y a quinze jours. M. Molé m'a dit encore qu'il ne songeait pas du tout, comme quelques personnes le prétendaient, à l'ambassade d'Angleterre, parce qu'il ne voulait rien accepter du ministère actuel.

Il ne voit plus du tout le duc de Broglie. Il croit que Rayneval est le seul ambassadeur possible à Londres en ce moment et compte aussi en parler au Roi, avec lequel il dit qu'il est très bien. Il salue à peine Guizot et n'est que très froidement avec Thiers.

Paris, 10 décembre 1834.– C'était, hier soir, une défilade assourdissante de visites chez M. de Talleyrand. Il s'est dit beaucoup de choses, dont voici les seules qui m'ont paru piquantes.

C'est Frédéric Lamb, qui est venu le premier, et avec lequel nous avons été assez longtemps seuls, qui nous les a contées. Il nous a beaucoup parlé de M. de Metternich et de son dire, il y a quatre mois, sur le Roi Louis-Philippe: «Je l'ai cru un intrigant, mais je vois bien que c'est un Roi.» Il nous a dit encore que le jour de la chute du dernier ministère anglais, lord Palmerston en avait mandé la nouvelle au chargé d'affaires d'Angleterre, à Vienne, en l'invitant à la transmettre à M. de Metternich, et en ajoutant: «Vous ne serez jamais dans le cas de faire à M. de Metternich une communication qui lui fasse plus de joie.» Le chargé d'affaires porte cette dépêche au Prince, et, je ne sais pourquoi, la lit tout entière, même cette dernière phrase. M. de Metternich a répondu ceci, que je trouve de très bon goût: «Voici une nouvelle preuve de l'ignorance dans laquelle lord Palmerston est des hommes et des choses; car je ne puis me réjouir d'un événement dont je ne puis mesurer encore les conséquences. Dites-lui que ce n'est pas avec joie que je l'accepte, mais bien avec espérance.»

Paris, 12 décembre 1834.– Nous avons dîné hier aux Tuileries, M. de Talleyrand, les Mollien, les Valençay, le baron de Montmorency et moi. J'étais assise entre le Roi et le duc de Nemours; ce dernier a un peu vaincu sa timidité; il lui en reste cependant beaucoup. Il est blanc, blond, rose, mince et transparent comme une jeune fille, pas joli à mon gré.

54Cette affaire amena un procès criminel qui fit grand bruit. Émile de La Roncière fut traduit devant le jury d'Angers en 1835, et malgré l'habileté de son défenseur, Me Chaix-d'Est-Ange, il fut condamné à dix ans de réclusion. En 1843, le Roi Louis-Philippe lui fit remise de deux années de détention qui lui restaient encore à faire.
55Cette lettre, dont il n'est cité ici qu'une partie, a été donnée tout entière par la comtesse de Mirabeau dans son livre: Le prince de Talleyrand et la Maison d'Orléans, et se trouve aussi dans le tome V des Mémoires du prince de Talleyrand, parus en 1892.
56Voici, en entier, cette lettre de démission, quoiqu'elle ait déjà paru dans les Mémoires de M. de Talleyrand: Lettre du prince de Talleyrand à M. le ministre des Affaires étrangères. Monsieur le Ministre, Lorsque la confiance du Roi m'appela, il y a quatre ans, à l'ambassade de Londres, la difficulté même me fit obéir; je crois l'avoir accomplie utilement pour la France et pour le Roi, deux intérêts toujours présents à ma pensée. Dans ces quatre années, la paix générale maintenue a permis à toutes nos relations de se simplifier; notre politique, d'isolée qu'elle était, s'est mêlée à celle des autres nations; elle a été acceptée, appréciée, honorée par tous les honnêtes gens de tous les pays. La coopération que nous avons obtenue de l'Angleterre n'a rien coûté ni à notre indépendance, ni à nos susceptibilités nationales; et tel a été notre respect pour le droit de chacun, telle a été la franchise de nos procédés, que loin d'inspirer de la méfiance, c'est notre garantie que l'on réclame aujourd'hui, contre cet esprit de propagandisme qui inquiète la vieille Europe. C'est assurément à la haute sagesse du Roi, à sa grande habileté, qu'il faut attribuer des résultats aussi satisfaisants. Je ne réclame pour moi-même d'autre mérite que celui d'avoir deviné, avant tous, la pensée profonde du Roi, et de l'avoir annoncée à ceux qui se sont convaincus, depuis, de la vérité de mes paroles. Mais aujourd'hui que l'Europe connaît et admire le Roi; que, par cela même, les principales difficultés sont surmontées; aujourd'hui que l'Angleterre a, peut-être, un besoin égal au nôtre, de notre alliance mutuelle, et que la route qu'elle paraît vouloir suivre doit lui faire préférer un esprit à traditions moins anciennes que le mien; aujourd'hui, je crois pouvoir, sans manquer de dévouement au Roi et à la France, supplier respectueusement Sa Majesté d'accepter ma démission, et vous prie, Monsieur le Ministre, de la lui présenter. Mon grand âge, les infirmités qui en sont la suite naturelle, le repos qu'il conseille, les pensées qu'il suggère, rendent ma démarche bien simple, ne la justifient que trop, et en font même un devoir. Je me confie à l'équitable bonté du Roi pour en juger. Agréez, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma très haute considération. Le prince DE TALLEYRANDValençay, 13 novembre 1834.(Le Moniteur universel du 7 janvier 1835 donna cette lettre.)
57Le Cabinet whig, présidé par lord Melbourne, était tombé le 15 novembre, et fit place à un ministère tory, qui ne devait pas, d'ailleurs, durer plus de trois mois. Il était présidé par sir Robert Peel et, au ministère des Affaires étrangères, le duc de Wellington remplaçait lord Palmerston.
58D'Armand Carrel, du National.
59Cette lettre, dont on ne cite ici que le commencement, porte la date du 25 novembre, et a été donnée tout entière dans le livre de la comtesse de Mirabeau: Le prince de Talleyrand et la Maison d'Orléans; elle se trouve aussi dans le Ve volume des Mémoires du Prince.