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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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Valençay, 23 octobre 1834.– Il a plu outrageusement hier toute la journée; il n'y a pas eu moyen de sortir. Nos Anglais ont fait une musique assez barbare pendant toute la matinée; le soir sont arrivées trois lettres au château. L'une, de lord Sidney à Henry Greville, disant que M. de Montrond était de retour à Paris, y répétant à tout le monde que Valençay était devenu inhabitable, que les Damer et Greville s'y ennuieraient à la mort, que lady Clanricarde seule s'en arrangerait. H. Greville a lu cela à demi-voix: lady Clanricarde a repris tout haut, M. de Talleyrand a demandé ce que c'était, on lui a lu tout le passage.

La seconde lettre, de M. de Montrond à M. Damer, pour lui demander comment il se trouvait à Valençay; que quant à H. Greville, qui aimait les caquets, il n'en était pas inquiet, parce qu'il y trouverait de quoi se satisfaire: ceci a été lu tout haut par M. Damer.

La troisième lettre, de M. de Montrond à moi, calme au possible. Je l'avais passée à M. de Talleyrand, qui, d'humeur de ce qu'il venait d'entendre, a lu, à son tour, tout haut. Cela m'a fait souvenir du billet de Célimène! Je ne sais quelles réflexions cette petite scène aura provoquées, car j'ai été me coucher aussitôt après.

Valençay, 26 octobre 1834.– Le temps s'est un peu rajusté hier: en ce moment, il fait un froid vif, mais sec, avec un soleil éclatant. Pourvu que cela dure pour l'arrivée de M. le duc d'Orléans que nous attendons ce soir! Car les populations d'une quarantaine de communes, et du monde de Châteauroux, même d'Issoudun, à dix ou douze lieues d'ici, sont en mouvement. Le dimanche facilite cette satisfaction de curiosité, et, quoi qu'en disent les journaux, nous n'aurons d'autres magnificences, d'autres fêtes, d'autres préparatifs que ceux du nombre. Je crois que M. le duc d'Orléans sera très bien reçu par les populations rurales. Jamais, depuis la Grande Mademoiselle, aucun Prince, d'aucune dynastie, n'est venu ici: tout le pays entre Blois et Châteauroux, si bien traité par les Valois, était comme frappé de disgrâce, d'oubli; jamais aucune des administrations n'a voulu rien faire pour ce coin de Berry. Quand je suis venue ici pour la première fois, tout y était, en fait de civilisation, comme au temps de Louis XIII. M. de Talleyrand, et même moi, lui avons fait faire quelques progrès; ce n'est cependant que cette année que nous avons une poste aux chevaux organisée; il n'y a pas même encore de diligences, et les communications ont lieu, pour bien du monde, même aisé, en pataches, c'est-à-dire en voitures non suspendues. Dans un pays aussi reculé, un Prince est encore quelqu'un; nos communes sont flattées qu'il s'en égare un dans nos sauvageries, et elles crieront: Vive le Roi! avec fureur: c'est tout ce qu'il y a de mieux.

Parmi les arrivants au château, hier soir, nous avons eu le baron de Montmorency et Mme la comtesse Camille de Sainte-Aldegonde. Le baron de Montmorency a été, autrefois, au moment d'être le Lauzun de la Mademoiselle du temps46, et, quoiqu'il ait décliné l'honneur de l'alliance, il est resté fort intime avec Neuilly. Mme de Sainte-Aldegonde habite un joli château entre ici et Blois; elle est Dame de la Reine, et grande amie du baron de Montmorency. Elle a été, d'abord, la femme du général Augereau; elle est du même âge que moi, et nous avons fait notre entrée dans le monde à la même époque. Nous avons, toutes deux, été Dames du Palais de l'Impératrice Marie-Louise; nous ne nous sommes, cependant, pas vues beaucoup, parce qu'elle suivait son mari à l'armée et ne venait guère à la Cour. A la chute de l'Empire, nous nous sommes perdues de vue complètement. Mme de Sainte-Aldegonde a été extrêmement belle, et si elle avait une expression plus agréable, elle le serait encore; mais elle n'a jamais eu l'air doux, grâce à des sourcils trop noirs et remontés; le moelleux de la première jeunesse étant passé, il en résulte quelque chose de cru qui n'est pas attirant. Elle a le verbe un peu haut, et quoique polie et assez bien élevée, elle manque de cette aisance et de cette obligeance faciles qui ne s'acquièrent que dans les premières habitudes élégantes de la vie: quand elles manquent au berceau, on peut être convenable, on n'est jamais distingué; mais enfin, à tout prendre, elle est bien.

Valençay, 27 octobre 1834.– M. le duc d'Orléans est arrivé hier par un assez mauvais temps, et une heure plus tôt qu'il ne s'était annoncé, ce qui a fort dérangé les curieux ainsi que nous. Cependant, il a trouvé notre petite garde nationale, le corps municipal, et pas mal de monde sur son passage. Il n'y a point eu de harangue, ce qui, je crois, l'a soulagé.

M. le duc d'Orléans a commencé par causer un instant dans le salon avec M. de Talleyrand, M. et Mme de Valençay et moi. Il m'a annoncé, à ma grande surprise, que nous allions avoir MM. de Rigny, Thiers et Guizot; ma surprise n'a pas diminué, lorsque Monseigneur m'a dit que le Roi poussait beaucoup ses ministres à venir ici, parce que c'était une bonne excuse pour suspendre, pendant quelques jours, les Conseils; que ceux-ci étaient devenus impossibles par les fureurs du maréchal Gérard; qu'une crise était inévitable, mais qu'on désirait la retarder, et, pour cela, ne pas mettre le Cabinet en présence; que, du reste, le maréchal Gérard était seul de son bord d'un côté, et les autres ministres, jusqu'à présent, réunis de l'autre.

Quand Monseigneur s'est retiré chez lui, j'ai été faire ma toilette, et suis redescendue tout de suite pour être la première au salon. J'y ai trouvé le général Petit, commandant de la 5e division militaire, puis le général Saint-Paul, commandant du département de l'Indre, et, de la suite du Prince, le général Baudrand et M. de Boismilon, son secrétaire.

Après le dîner, il y a eu un peu de solennel que j'ai bientôt rompu, en me mettant tout simplement à mon ouvrage, comme de coutume, ce dont le Prince m'a fort remerciée. Tout le monde, alors, s'est groupé, arrangé. Plus tard, M. de Talleyrand a fait sa promenade accoutumée du soir; en rentrant il nous a trouvés jouant, lady Clanricarde, le Prince, H. Greville et moi, à un whist assez gai, la musique jouant dans le vestibule; enfin la glace s'était rompue.

Après le thé, le Prince s'est éclipsé, et à onze heures tout le monde est allé se coucher.

Valençay, 28 octobre 1834.– Voici l'emploi de la journée d'hier: après le déjeuner, M. le duc d'Orléans a vu le château et ses entours immédiats, mon fils et moi les lui montrant; tous ceux de nos hôtes pour qui c'était une nouveauté suivaient.

En rentrant, trois calèches, un phaéton et six chevaux de selle attendaient. Chacun s'est casé: M. le duc d'Orléans, la marquise de Clanricarde, le baron de Montmorency et moi dans la première calèche; M. de Talleyrand, Mme de Sainte-Aldegonde, le général Baudrand et M. Jules d'Entraigues dans la seconde, et ainsi de suite. Après avoir traversé le parc et une partie détachée de la forêt, nous nous sommes arrêtés à un joli pavillon, d'où la vue est belle. La musique militaire était cachée derrière les arbres, qui ont encore beaucoup de feuilles; le concours de monde était considérable; c'était une très jolie scène forestière. Nous nous sommes ensuite lancés dans la forêt même et ne sommes revenus que pour notre toilette du dîner.

Après le dîner, nous avons mené le Prince au bal de l'Orangerie: les cours, le donjon, les grilles étaient illuminés et d'un très bel effet; la salle fort bien décorée, remplie de monde au point de pouvoir à peine passer; mais il n'y avait pas d'empressement grossier, tout au contraire, et des cris à se boucher les oreilles, mais qui font toujours plaisir aux Princes. Il a parcouru toutes les parties de la salle; il a beaucoup salué, un peu causé; enfin, on en a été fort content, et, quoiqu'il n'y soit pas resté plus d'une heure, on a été si satisfait de lui qu'à deux heures du matin, on criait encore sous ses fenêtres.

Valençay, 29 octobre 1834.– Hier, avant le déjeuner, notre Royal visiteur a été, avec son aide de camp, mon fils et le baron de Montmorency, visiter la filature et les carrières d'où on a extrait les pierres dont le château est bâti; il a trouvé ces carrières superbes.

Après le déjeuner nous l'avons mené aux forges. Il y avait de la foule, des cris; les ouvriers ont bien fait leur besogne; on a coulé, forgé, et dans l'intérieur du bâtiment où l'on coule la gueuse et qui est très beau, on a opéré, à deux reprises, des feux d'artifice, avec la fonte en fusion, liquide et enflammée. C'était joli et a fort amusé nos dames anglaises. En revenant, nous avons fait un petit détour qui nous a conduits aux ruines de Veuil47. La musique était cachée dans une des vieilles tours, un grand feu était allumé dans la seule chambre qui reste intacte et où on avait servi un goûter. Dans la cour, et à travers des arceaux à moitié détruits, des gardes nationaux et des paysans criaient en jetant leurs chapeaux en l'air. Cette petite station a été vraiment très jolie, malgré le temps couvert; le soleil l'aurait complétée, ou plutôt la lune.

 

A dîner, outre les convives de la ville, nous avons eu les Préfets d'Indre-et-Loire48, de Loir-et-Cher49, le général Ornano et le colonel Garraube, député, celui qui nous a envoyé la musique qui fait nos délices. Après le dîner, le whist, quelques tours de valse, etc…

Il y a eu, le soir, un vrai bal avec souper pour les gens de l'office, en l'honneur des gens du Prince Royal; il a été vraiment très joli.

A dîner, hier, j'ai été un peu surprise de ce que m'a dit mon Royal voisin. Il m'a demandé quand nous allions à Rochecotte. – «Je l'ignore, Monseigneur. – Mais vous ne pouvez passer tout l'hiver dans ce lieu-ci qui est bien froid. – Il n'a jamais été question que nous y passions tout l'hiver. – Viendrez-vous à Paris? – Je n'en sais rien. – Car pour l'Angleterre, il ne peut plus en être question, puisque lord Palmerston ne va pas aux Indes.» J'ai regardé le Prince entre les deux yeux, avec un peu de surprise, et je lui ait dit: «Je crois, en effet, que le départ de lord Palmerston aurait rappelé les ambassadeurs à Londres, et que, lui restant, cela les en éloignera; mais les projets de M. de Talleyrand sont très incertains, et soumis d'ailleurs aux désirs du Roi. – Votre oncle m'a dit qu'il croyait que nous avions tiré de l'Angleterre tout ce qu'elle pouvait nous donner; que ce ne serait plus à Londres que se traiteraient les grandes affaires; qu'il fallait les appeler à Paris auprès de mon père. – En effet, c'est là la pensée de M. de Talleyrand, parce que l'habileté et la sagesse du Roi ont inspiré à l'Europe de la confiance, en raison inverse de la méfiance que la politique anglaise des derniers mois a généralement propagée. – Mon père désire beaucoup que M. de Talleyrand retourne en Angleterre, mais avant de causer avec votre oncle à ce sujet, j'avais dit au Roi que ce retour me paraissait impossible. – En effet, Monseigneur, il est difficile. – Mais vous, madame, que désirez-vous? – Ce qui sera agréable au Roi, Monseigneur; et si M. de Talleyrand ne retourne pas à Londres, c'est qu'il sera persuadé qu'avec les données actuelles, il ne saurait y être utile. Personnellement, j'aime extrêmement l'Angleterre; mille liens de reconnaissance et d'admiration m'y attachent, surtout les bontés de la Reine, l'amitié de lord Grey et du duc de Wellington; mais il y a de certains amis qu'on ne perd pas pour les avoir quittés, et j'espère bien, dans le cours des années, aller remercier ceux que j'ai eus en Angleterre, de toutes leurs bontés pour moi pendant les quatre dernières années50. – Mais, quittant l'ambassade, que fera M. de Talleyrand? – Ce qui plaira au Roi: si le Roi désire le voir, il ira lui offrir ses hommages; si Sa Majesté lui permet de se reposer, il restera dans la retraite, à soigner ses jambes, qui, comme vous le voyez, sont bien faibles et bien douloureuses; en un mot, Monseigneur, il sera toujours le serviteur dévoué du Roi.» Et nous en sommes restés là, de cette conversation assez singulière.

Valençay, 30 octobre 1834.– Hier matin, tous les voisins de Tours, de Blois, des environs, sont partis de bonne heure, ainsi que M. Motteux, qui a laissé un joli chien anglais à M. de Talleyrand. Ce bon petit Motteux nous a quittés avec des regrets infinis, s'étant parfaitement amusé ici, passant sa vie à la cuisine, au pressoir, au marché; ne causant guère, mais n'étant ni indiscret, ni importun, ni mal disant.

Avant le déjeuner, M. le duc d'Orléans a visité les deux ateliers de bonneterie51, y a acheté et fait des commandes. Après le déjeuner, il a voulu voir nos écoles et l'établissement des Sœurs; il a beaucoup donné pour les pauvres. Il a paru vraiment frappé de la bonne tenue du petit couvent, et particulièrement des manières de la Supérieure. A cette occasion, il m'a raconté qu'un de ses aïeux, ayant prêté de l'argent au Saint-Siège, que celui-ci n'avait pas rendu au terme indiqué, le Pape envoya, en compensation, une Bulle par laquelle il créait tous les descendants mâles de la famille sous-diacres-nés, et chanoines de Saint-Martin de Tours, avec le droit de toucher, sans gants, aux vases sacrés, et de se placer à l'église du côté de l'évangile, au lieu du côté de l'épître. Le Roi Louis-Philippe a été reçu chanoine de Tours, à l'âge de sept ans.

Plus tard nous avons conduit le Prince aux étangs de la forêt, auprès desquels était un grand feu de bivouac.

Avant le dîner, le Prince a encore voulu causer seul avec M. Talleyrand, puis avec moi. Après, on a joué une poule au billard, cela a été très animé; les dames étaient de la partie. Le thé pris, et les lettres arrivées par la poste reçues, celles-ci annonçant la retraite du maréchal Gérard, M. le duc d'Orléans est rentré chez lui, a mis son costume de voyage, et à onze heures et demie, après force gracieusetés, il est parti.

Quoique tout se soit bien passé pendant son séjour ici, et que le Prince ait vraiment été à merveille pour tout le monde, je n'en suis pas moins singulièrement soulagée de son départ. Je craignais à chaque instant quelque accident, ce qui m'a fait m'opposer formellement à toute chasse; je craignais les mauvais cris, le mauvais temps, mille choses, et enfin, j'étais harassée de fatigue.

Comme je le prévoyais, le voyage de M. le duc d'Orléans a éclairci notre avenir, en ce sens que M. de Talleyrand a dit au Prince qu'il n'y avait plus rien à faire pour lui à Londres, que le caractère personnel de lord Palmerston, la route actuelle suivie par le Cabinet anglais, l'absence de tout le haut Corps diplomatique de Londres, et la tendance évidente de toutes les Cours de retirer leur action de cette capitale et de centraliser la haute politique ailleurs; que, par-dessus tout cela, la fatigue de ses jambes lui faisait une nécessité de ne plus retourner en Angleterre, à moins d'une réaction qui le rendît, lui, M. de Talleyrand, plus propre que tout autre à y traiter les affaires de la France; mais que pour le moment, il croyait que n'importe qui ferait aussi bien, si ce n'est mieux que lui. M. le duc d'Orléans nous a positivement dit qu'il avait été chargé par le Roi de connaître les intentions de M. de Talleyrand, et, en même temps, de lui exprimer, s'il ne retournait pas à Londres, le désir de le voir à Paris pour causer avec lui; qu'il tenait beaucoup à ce que M. de Talleyrand n'eût pas l'air de retirer son intérêt et sa participation à l'œuvre à laquelle il avait tant travaillé.

M. le duc d'Orléans m'a raconté un petit fait curieux: c'est que Lucien Bonaparte lui avait écrit, il y a dix-huit mois, une lettre assez plate pour le prier d'obtenir pour lui le poste de ministre de France à Florence!

J'apprends, à l'instant, que le Roi a positivement refusé d'appeler le duc de Broglie à la présidence du Conseil, en remplacement du maréchal Gérard. Il est évident que c'est la crise ministérielle qui a empêché les trois ministres qui devaient venir ici de s'y rendre. Je n'en suis pas fâchée, car cela a ôté tout caractère politique au séjour du Prince.

Il m'a parlé beaucoup de Rochecotte et de son désir d'y revenir l'été prochain.

Valençay, 31 octobre 1834.– Nous avions ici M. le comte de la Redorte. C'est un homme qui a du savoir positif; il a beaucoup étudié, beaucoup voyagé; il se souvient de tout, mais, malheureusement, au lieu d'attendre qu'on frappe à sa porte, comme ferait un Anglais, il l'ouvre toute grande et force les gens à y entrer. Quoique d'une belle figure, et de manières douces, avec un charmant son de voix, il est tout simplement assommant, et par les faits, les dates, les chiffres dont il remplit sa conversation, les détails minutieux dans lesquels il entre, les lourds sujets d'économie politique dans lesquels il se plonge, tête baissée, il fatigue, éteint, écrase ses auditeurs. Avec cela des opinions faites sur tout, des jugements absolus, des rédactions arrangées d'avance; c'est d'un ennui à périr! Nos Anglais, ici, le portaient sur leurs épaules! Il est parti après le déjeuner. Au moment où il est sorti, M. de Talleyrand a dit: «Voilà un esprit arrêté avant d'être arrivé.» Il a dit aussi un mot assez piquant sur Mme de Sainte-Aldegonde, qui est également partie ce matin. A propos de ses sourcils si noirs qui surmontent des yeux sans beaucoup d'expression: «Ce sont», a-t-il dit, «des arcs sans flèches».

Voici l'extrait d'une lettre reçue de Paris hier soir; elle est du 29: «Les chevaux de poste étaient, dimanche 26, dans la cour de M. de Rigny, qui allait partir avec Bertin de Veaux, lorsque le Roi l'a fait chercher, et lui a ordonné de différer son départ d'un jour; le moment opportun pour partir ne s'est plus retrouvé. Hier, à quatre heures, le maréchal Gérard a forcé le Roi à accepter sa démission. La résolution de M. de Rigny est de ne pas accepter la Présidence qu'on veut bien lui offrir; il ne se reconnaît ni les talents, ni la consistance nécessaires pour remplir ce poste. Il ne peut pas se dissimuler que l'embarras seul d'un choix le fait porter sur lui, et si ce refus doit lui faire perdre sa place, il s'en consolerait, en pensant qu'il vaut mieux quitter les affaires sur une pareille question que d'en sortir plus tard moins honorablement. Mais comment cela va-t-il finir? Ce qui paraît le plus vraisemblable, c'est l'entrée de M. Molé au ministère. M. Thiers voudrait bien arriver à la Présidence, mais il n'ose pas encore y prétendre formellement. M. Molé ne resterait pas longtemps; ses moyens, son caractère, son entourage, tout le fera promptement tomber; ce sera suffisant à M. Thiers pour arriver à son but, du moins il s'en flatte. Il eût bien mieux aimé cependant que M. de Rigny se fût chargé du rôle qu'il destine à M. Molé; mais là, toute son éloquence a échoué!»

Valençay, 1er novembre 1834.– On m'écrit, de Paris, qu'un article très injurieux pour M. de Talleyrand et pour moi vient de paraître dans une revue périodique; il y a bien des années que je suis agonisée d'injures, de libelles, de mille saletés, calomnies et horreurs, et j'en aurai ainsi pour le reste de ma vie. Vivant dans la maison et dans la confiance de M. de Talleyrand, me trouvant, d'ailleurs, à l'époque la plus libellique, la plus vaniteuse, comment aurais-je échappé à la licence de la presse, à ses attaques, à ses injures? J'ai été longtemps à m'y accoutumer: j'en ai été cruellement atteinte, bouleversée, malheureuse; je n'arriverai même jamais à y rester indifférente. Une femme ne saurait l'être, et aurait, ce me semble, mauvaise grâce à le devenir; mais comme il serait également absurde de laisser son repos à la merci des gens qu'on méprise, j'ai pris le parti de ne rien lire en ce genre, et plus j'y suis directement intéressée, plus je désire ignorer. Je ne veux pas savoir le mal qu'on pense, qu'on dit ou qu'on écrit de moi ou de mes amis. Si ceux-ci font des fautes, ou que moi j'aie des torts, je les connais de reste, et désire les oublier. Quant à la calomnie, elle me dégoûte et m'indigne, et je ne vois pas pourquoi j'en recevrais les éclaboussures dans mes affections et dans mes intérêts les plus chers. Si on pouvait lutter, combattre et éclairer, à la bonne heure; il faudrait alors savoir pour être en état de répondre; mais comme répondre serait déplorable et que le silence est prescrit, ne vaut-il pas mieux éviter une connaissance pénible et stérile? Les peines, les amertumes sont si nombreuses dans la vie, il en est un si grand nombre d'inévitables, que je ne songe plus qu'à en écarter le plus que je puis, sûre qu'il restera toujours suffisamment de quoi exercer mon courage et ma résignation.

 

Un autre de mes motifs pour ne pas approfondir la malveillance, c'est que j'ai trop de peine à la pardonner; car si la reconnaissance est une des qualités les plus profondément gravées dans la bonne partie de ma nature, je crains toujours que la rancune lui serve de contrepoids: je n'ai jamais oublié ni un service, ni un mot d'amitié, mais je me suis trop souvent peut-être souvenue d'une injure ou d'une parole hostile. Ce n'est pas, Dieu merci, que la rancune me conduise à la vengeance, non; ma mémoire, quelque amère qu'elle puisse rester, ne m'a jamais inspirée hostilement contre ceux qui m'ont offensée; mais alors c'est moi-même qui souffre; je ne connais rien de plus douloureux au monde que d'éprouver de la malveillance, et tout inoffensive et silencieuse qu'elle reste au dehors, elle me ronge en dedans, et me fait mal en rongeant l'âme et rompant l'équilibre.

Je n'ai eu, hélas! que trop d'occasions de scruter, d'analyser, d'anatomiser, de disséquer mon moi moral. Qui est-ce qui n'a pas sa maladie chronique morale, comme sa maladie physique? Et qui est-ce qui, à un certain âge, ne sait pas ou ne doit pas savoir le régime qui convient le mieux à son esprit comme à son corps?

Valençay, 4 novembre 1834.– J'arrive d'une course que nous avons faite à Blois et dans les environs, avec nos Anglais qui retournaient à Paris. Avant-hier, nous avons visité Chambord, qui a paru, ce qu'il est en effet, bizarre, original, curieux, riche de détails, du reste dans un assez vilain pays et dans un état déplorable. La fenêtre de l'oratoire de Diane de Poitiers, sur laquelle François Ier avait écrit ses deux vers impertinents sur les femmes, existe encore52, mais les carreaux sont brisés; ces vers étaient peu honorables pour un Roi chevalier. Le lieu où le Bourgeois gentilhomme fut représenté pour la première fois devant Louis XIV existe aussi, ainsi que la table sur laquelle on a ouvert et embaumé le corps du maréchal de Saxe qui est mort à Chambord; c'est même le seul objet mobilier qui soit resté dans le château.

Nous sommes revenus assez tard à Blois, et hier, dans la matinée, nous avons visité le château de Blois, maintenant une caserne, et certes, un des plus curieux monuments de France. Bâti des quatre côtés, il offre quatre architectures différentes. La partie la plus ancienne date d'Étienne de Blois, Roi d'Angleterre, souche des Plantagenet; la seconde de Louis XII, où son emblème, un porc-épic avec le motto: Qui s'y frotte, s'y pique, se trouve encore. Puis la partie François Ier, avec tout l'élégant cachet de la Renaissance; c'est là que le duc de Guise a été assassiné, que Catherine de Médicis est morte; c'est là qu'est la salle des fameux États généraux de Blois: on voit la cheminée dans laquelle on a brûlé le corps de Guise et le cachot où le cardinal et l'archevêque de Lyon ont été enfermés; la petite niche où Henri III a placé les moines auxquels il ordonnait de prier pour le succès de l'assassinat; la fenêtre par laquelle Marie de Médicis s'est sauvée, et l'appartement où la veuve de Jean Sobieski est morte53. Le quatrième côté enfin, bâti par Gaston d'Orléans dans le style des Tuileries, n'a jamais été achevé. Près du château est un vieux pavillon où étaient les bains de Catherine de Médicis; à côté, une vieille masure qui servait de retraite aux mignons de Henri III.

En revenant de cette course ici, j'ai eu la triste nouvelle de la mort de la princesse Tyszkiewicz, qui a expiré avant-hier à Tours. C'est moi qui ai dû l'apprendre à M. de Talleyrand. A son âge, de semblables pertes frappent davantage la pensée que le cœur; on y voit plutôt un avertissement personnel qu'on n'y trouve une affliction. Il était plus saisi que moi; moi plus affligée que lui, car j'aimais réellement la Princesse; je lui étais profondément reconnaissante de tout ce qu'elle a, jadis, été pour moi et, quoiqu'elle se soit survécu à elle-même, je ne puis songer sans peine à toute cette partie du passé qui s'enterre avec elle. Car on perd, avec des amis, non seulement eux-mêmes, mais encore une partie de soi-même.

M. de Talleyrand a été du même avis que moi, qu'il ne fallait pas laisser reposer au milieu d'étrangers cette pauvre et illustre personne, nièce du dernier Roi de Pologne, sœur unique de l'infortuné maréchal prince Poniatowski: elle sera enterrée à Valençay.

Une lettre arrivée hier soir ici, de Paris, disait ceci: «Il n'y a rien de fait pour le ministère; cela finit par être extrêmement ridicule; les intrigues se continuent. Avant-hier, on croyait tout fait et que Thiers partait pour Valençay; hier tout était changé, et on en est au même point. Il n'y a jamais eu un dissolvant pareil à Thiers; nous payons cher son talent de parole; il faudrait cependant bien en finir. M. de Rigny est tout prêt à se retirer, M. Guizot porte toujours Broglie pour la présidence du Conseil et Thiers pousse Molé.»

Valençay, 6 novembre 1834.– L'autre jour, M. Royer-Collard m'a raconté quelque chose d'amusant, parce que cela le peint très bien. Il me disait que la seconde Mme Guizot lui reprochait vivement de renier la doctrine, de se refuser à en être le père, l'appui, le défenseur, et de ce qu'en se plaignant, comme il le faisait, d'être réclamé par eux, il causait beaucoup d'embarras à ceux qui en étaient; que c'était mal et qu'elle le priait, par cette considération, de ne plus les attaquer, les tourner en ridicule et les renier, comme il le faisait à chaque occasion: «Ah! madame! vous voulez donc qu'en laissant le public dans l'erreur, je me prive de ma consolation et de ma vengeance!» Elle était furieuse… La seule, mais très vive irritation de M. Royer-Collard est contre tout ce qui touche à M. Guizot et tout ce qui en porte le nom; cette irritation n'est peut-être pas sans quelque fondement. M. Royer n'a aucun goût pour M. de Broglie, dont la haute vertu ne lui a pas paru être à la hauteur des dernières circonstances; et quant à Mme de Broglie, il l'aime encore moins, parce que sa dévotion ne la préserve d'aucune des agitations et même des intrigues politiques; le contraste que cela produit lui déplaît.

Valençay, 7 novembre 1834.– Voici une anecdote parfaitement certaine qui m'a été contée par un témoin oculaire et qui m'a beaucoup frappée. M. Casimir Perier est mort, comme on sait, du choléra; mais en outre il était complètement fou dans les derniers dix jours de sa vie, disposition qui s'était déjà manifestée chez plusieurs membres de sa famille. Eh bien! quelques heures avant sa mort, deux des ministres ses collègues, avec deux de ses frères, causaient dans un coin de sa chambre des embarras que l'arrivée de Mme la duchesse de Berry produisait en Vendée, des difficultés qui en résultaient pour le gouvernement, du parti qu'il y aurait à prendre, de la responsabilité qui en résulterait, et de la terreur de chacun de l'affronter. Cette conversation fut, tout à coup, interrompue par le malade, qui, se dressant sur son lit, s'écria: «Ah! si le président du Conseil n'était pas fou!» Puis, retombant sur son oreiller, il se tut et mourut bientôt après. Cela n'est-il pas frappant et ne fait-il pas frissonner comme le Roi Lear?

Valençay, 9 novembre 1834.– J'ai été hier à Châteauvieux voir M. Royer-Collard. Il avait reçu des lettres de plusieurs des ministres démissionnaires. On lui mande qu'aussitôt les cinq démissions données, toutes cinq galamment acceptées, le Roi a fait chercher M. Molé, et lui a confié, avec la présidence du Conseil, la recomposition totale du Cabinet. M. Molé a demandé vingt-quatre heures pour réfléchir sur lui-même et voir avec qui il pourrait s'entendre, mais chacun ayant décliné le fardeau dont il offrait le partage, il a été obligé de s'y soustraire également, et tout était retombé dans le vague et peut-être l'impossible.

Il y a un déchaînement nouveau dans presque tous les journaux contre M. de Talleyrand; les uns le tuent, les autres le disent malade de corps et d'esprit, d'autres l'injurient grossièrement et salement. M. Royer-Collard explique cette nouvelle reprise de fureur par la crainte que la présidence du Conseil ne soit offerte à M. de Talleyrand et acceptée par lui. Il paraît que beaucoup de gens, frappés de la pénurie d'hommes, voudraient qu'on s'adressât ici, et que la terreur que cela inspire à de certains autres envenime toutes leurs démarches, leurs paroles et leurs écrits. Quel triste honneur que d'être ainsi le pis-aller de quelques-uns et l'objet de la haine de plusieurs autres, et cela à un âge où le besoin seul du repos doit dominer et où la seule et dernière condition permise est de finir honorablement!

Valençay, 10 novembre 1834.– Voici l'extrait d'une lettre que j'ai reçue hier de M. Royer-Collard: «Je dirai fort sérieusement à M. de Talleyrand, qu'après quatre années d'absence, je ne m'étonne pas qu'il mette plus d'importance aux articles de journaux qu'ils n'en ont réellement aujourd'hui. Il ne sait pas à quel point le prestige de la presse est usé comme tous les autres; qui répondrait à un journal après deux ou trois jours ne serait pas compris, on aurait oublié. Il n'est plus donné à la témérité des paroles d'élever ou d'abaisser un personnage; dans le débordement de la louange, comme de l'injure, on reste ce que l'on est. C'est le procès de nos mauvais jours!

«Non, il n'y a rien de fait à Paris; c'est que rien de spécieux n'est possible. Ici se révèlent les véritables conséquences de la dernière révolution. M. de Talleyrand a eu l'habileté et le bonheur de la faire tourner à sa gloire, mais il ne recommencerait pas ce miracle. Sa dernière habileté sera de finir à temps, je dirais volontiers de rompre à la fois avec l'Angleterre et la France, telles que cette année-ci les a faites. Je reviens souvent à l'idée qu'il aurait fallu dénouer dès l'année dernière, et se mettre en sûreté; il était naturel de s'y tromper, je m'y suis trompé aussi. Vous seule, madame la Duchesse, disiez vrai. Dans ce même fauteuil d'où je vous écris aujourd'hui, je vous combattais en aveugle, car vous seule pouviez bien savoir, bien juger. J'ai eu tort; c'est un hommage de plus que j'aime à vous rendre.»

46Madame Adélaïde avait fait offrir sa main au baron de Montmorency, mais à la condition qu'elle ne changerait point son nom, ce que M. de Montmorency refusa.
47Veuil domine la vallée du Nahon, et fut réuni à la seigneurie de Valençay en 1787 par M. de Luçay qui en était alors propriétaire. Le château, qui devait être remarquablement joli, est maintenant une ruine, dont une partie seulement peut être habitée par un fermier.
48M. Amédée d'Entraigues.
49Le comte de Lezay-Marnésia.
50La duchesse de Dino n'est jamais retournée en Angleterre malgré le bon souvenir qu'elle gardait à ce pays.
51En entrant dans cette bonneterie, fort célèbre alors en France, on pouvait voir, surmontées d'une inscription portant leurs noms, les jambes moulées de toutes les amies du prince de Talleyrand, que ces dames avaient fait faire, afin de donner un modèle exact au fabricant de Valençay.
52Souvent femme varie,Bien fol est qui s'y fie!
53Marie-Casimire d'Arquien, morte en 1716.