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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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A dîner, il a amené, à propos des Flahaut, une petite explication sur ce qu'il n'avait accepté aucune de nos invitations. Je lui ai dit à ce sujet, moitié riant, moitié aigrement, quelques petites vérités qui ont assez bien passé! Il y a eu beaucoup de sous-entendus, de hints, de coups de patte, dans notre conversation, qui m'a rappelé celles du bal de l'Opéra où la pensée est d'autant plus vraie que l'apparence est plus voilée et dissimulée. Je me suis amusée aussi à faire peur au jeune homme, comme l'appelait Mme de Lieven. Il a cru qu'il devait se montrer fort désireux de notre prompt retour; je l'ai pris au mot, en lui disant que j'allais plus loin que lui, et que j'étais d'avis que M. de Talleyrand ne partît pas du tout. Il a pris, alors, une figure toute sotte et, revirant de bord, il n'a cessé de dire que le changement d'air était nécessaire, indispensable, qu'on avait besoin de se renouveler au physique et au moral; enfin, il ne voulait plus que nous faire partir au plus vite.

Je l'ai regardé, et de près, hier; il est rare d'avoir, aussi bien que lui, le visage de son caractère. Les yeux sont ternes et fauves; son nez retroussé, impertinent; son sourire amer, son rire forcé; rien d'ouvert, ni de digne, ni de comme il faut, ni dans ses traits, ni dans sa tournure; sa conversation est sèche, mais, je l'avoue, elle ne manque pas d'esprit. Il y a, en lui, une empreinte d'obstination, d'arrogance et de mauvaise foi que je crois être un reflet exact de sa nature véritable.

Londres, 12 août 1834.– Il est difficile, malgré le peu de progrès de don Carlos, d'être rassuré sur l'état de l'Espagne. Le général Alava, qui y retourne après beaucoup d'années d'exil, paraît frappé de la démoralisation et de la confusion qu'il y remarque; tous les liens naturels sont détruits par l'esprit de parti; la férocité et la violence de ces fanatiques méridionaux ne se tournent plus contre l'étranger, mais se replient cruellement sur eux-mêmes. L'esprit républicain gagne partout où l'esprit religieux n'appuie pas le parti légitimiste; il apparaît, avec tout le pathos, devenu trivial, du langage révolutionnaire dans l'adresse des Procuradores à la Régente. Déjà, le ministère est en lutte, dès le début des Cortès, avec cette seconde Chambre, et on ne saurait imaginer comment le faible gouvernement d'une telle régence pourra triompher de tant de mauvaises conditions.

J'ai vu, dernièrement, chez lord Palmerston, auquel la Régente l'a envoyé, un portrait de la petite Reine Isabelle II. Elle n'a, sur ce portrait, aucune des grâces de l'enfance; elle paraît avoir des yeux insignifiants et la méchante bouche de son père; c'est, en tout, une laide petite Princesse. C'est dommage, les femmes destinées au trône, et surtout aux trônes contestés, ne sauraient presque, sans péril, se passer de beauté.

L'espèce de banqueroute déclarée par M. de Toreno et qui atteint, d'une manière si fatale, une foule de petits rentiers, à Paris, y dépopularise la cause de la petite Reine. Il me semble que c'est une sorte de bonheur; car si la vanité et la furia francese avaient poussé le gouvernement à prendre une part trop effective au succès de cette petite voisine, il se serait trouvé entraîné dans une série d'embarras et dans une solidarité de dangers, dont les conséquences eussent été incalculables. Le Roi Louis-Philippe a tout ce qu'il faut de discernement et d'éveil sur ses propres intérêts dynastiques pour ne pas rester froid et en arrière dans cette lutte qui ne peut, en définitive, tourner que désagréablement pour lui, soit que l'anarchie triomphe sous le drapeau d'Isabelle II, soit que la légitimité l'emporte avec don Carlos. Dans cette double et importune alternative, il ne serait pas convenable de heurter, par une intervention précise, nos autres voisins, car nous avons des voisins et non pas des alliés. L'Angleterre, seule, est en alliance avec nous, mais, ruinée comme elle l'est par tant de plaies intérieures, peut-elle peser encore de tout son poids dans les destinées européennes? Non, sans doute, et il faut bien qu'elle en ait la conscience, puisque ni dans la question d'Orient, ni dans aucune de celles qui se sont présentées depuis deux ans, l'Angleterre n'a soutenu, par ses actions, la jactance de son langage.

Le choléra continue ses ravages à Madrid: il atteint surtout les classes élevées et particulièrement les femmes. Il reparaît aussi, quoique légèrement, à Paris et à Londres.

Londres, 13 août 1834.– Le «Bill sur les dîmes d'Irlande» a été rejeté, comme on s'y attendait à la Chambre des Pairs, à une si grande majorité qu'il est difficile de créer assez de nouveaux Pairs pour changer la balance. Et cependant comment se figurer la prochaine session s'ouvrant avec la même Chambre Haute et avec le même ministère? Celui-ci déclare ne vouloir pas quitter la partie, ne compter pour rien la Chambre des Pairs, marcher uniquement avec les Communes et ne se soucier ni du Clergé, ni de la Pairie, et probablement fort peu de la Royauté. Ce sera à celle-ci de se prononcer. Hélas! elle est bien peu éclairée!

Lord Grey me disait qu'il ne partageait pas l'opinion du Chancelier, qui ne voulait voir d'autres obstacles que ceux venant de la Chambre Haute; il croit qu'il y en aura aussi de très vifs aux Communes où M. Stanley, l'ex-ministre, se prépare, dit-on, à faire la guerre la plus acharnée à l'administration actuelle. Lord Grey s'est abstenu de paraître à la Chambre des Pairs; il a cru qu'il serait peut-être obligé de parler, et que, ne pouvant s'empêcher d'exprimer son aversion pour l'alliance du Cabinet avec O'Connell, il aurait fait évidemment un tort au ministère dont il ne veut pas être coupable.

Londres, 14 août 1834.– Les Grands d'Espagne ont, à ce qu'il paraît, le ton fort libre et fort dégagé avec leurs souverains, avec lesquels ils fument des cigares et dont, souvent, ils achèvent ceux commencés: le duc de Frias, jadis ambassadeur ici, distrait, bizarre, ridicule et ne se gênant avec personne, est revenu, il y a quelque temps, passer quatre jours à Londres; il a voulu aller au Lever du Roi et, approchant sa grotesque petite figure, il a dit au Roi: «Vous devez me connaître.» Le Roi, qui d'abord ne se souvenait pas trop de lui, et choqué de cette façon dégagée, répondit: «Non, je ne vous connais pas. – J'étais ambassadeur ici quand vous n'étiez que duc de Clarence,» répliqua le petit Duc. Sur quoi le Roi, presque en colère et faisant un geste pour le faire passer, répéta vivement: «Non, non, je ne vous connais pas.» Et, s'adressant au ministre des Pays-Bas qui suivait, il lui demanda tout haut: «Quel est cet arlequin?» Cela a fait une assez drôle de scène.

Londres, 18 août 1834.– Depuis plusieurs jours, soumise à l'influence cholérique qui domine à Londres, vivement agitée de la maladie de mes amis, importunée de tous les préparatifs de mon prochain départ, j'ai négligé mes notes. J'aurais voulu y retracer quelques-uns de mes derniers souvenirs de Londres, qui se sont obscurcis par la maladie, l'inquiétude, les regrets, mais qui ne m'en sont pas moins précieux.

J'ai vu le duc de Wellington et lord Grey me dire adieu avec une expression d'amitié et d'estime qui m'est très honorable. Je laisse ce dernier, cherchant, pour échapper à des retours pénibles sur lui-même, à se faire quelque illusion sur la marche trop rapide des affaires du pays; il les a mises dans une voie dont ses successeurs accélèrent la pente.

Le duc de Wellington voit les choses aussi sombres qu'elles le sont, mais décidé à lutter jusqu'à la dernière minute, il ne sait pas ce que c'est que le découragement; non pas qu'il veuille faire de l'opposition à toutes les propositions du ministère, non pas que, systématiquement, il veuille entraver l'administration et arrêter les rouages du gouvernement; il est trop honnête homme pour cela; mais il croit de son devoir, et de celui de la Chambre Haute, de se placer comme une digue et une barrière protectrice des bases anciennes et fondamentales de la Constitution. La personnalité du Roi est un obstacle à presque toutes les chances de salut; le successeur, une enfant, présente encore plus d'inconvénients peut-être, et d'autant plus, que sa mère, Régente future, paraît joindre beaucoup d'obstination à des idées fort étroites.

Il est impossible de ne pas songer avec effroi à l'avenir de ce grand pays, si brillant encore, si fier, il y a quatre ans, quand j'y suis arrivée, si terni aujourd'hui que je le quitte, peut-être pour toujours.

Je n'admets pas la chance d'y voir revenir M. de Talleyrand: trop de bonnes raisons se pressent pour l'en détourner; je les ai détaillées dans une lettre que je lui ai écrite et qui peint assez exactement sa position, aussi je veux, pour la conserver, l'insérer ici:

«J'ai de grands devoirs à remplir envers vous; je n'en suis jamais plus pénétrée que lorsque votre gloire me paraît compromise. Je vous irrite parfois un peu en vous parlant, je me tais alors, avant d'avoir dit toute ma pensée, toute la vérité. Permettez-moi donc de vous l'écrire, et veuillez passer sur ce que les mots pourraient avoir de déplaisant, en faveur du dévouement consciencieux qui les dicte. Sans prétendre, d'ailleurs, m'attribuer une grande part d'intelligence, je ne puis la croire bornée, lorsqu'il s'agit de vous que je connais si bien et dont je suis placée pour juger les difficultés et apprécier les embarras. Ce n'est donc pas légèrement que je vous engage à quitter les affaires et à vous retirer de la scène où une société en désordre se donne tristement en spectacle. Ne restez pas plus longtemps à un poste où vous seriez, nécessairement, appelé à démolir l'édifice que vous avez soutenu avec tant de peines. Vous savez à quel point j'éprouvais, dès l'année dernière, des craintes, en vous voyant revenir en Angleterre. Je pressentais tout ce que votre tâche, avec les instruments donnés, pouvait vous préparer de dégoûts; mes prévisions, convenez-en, se sont réalisées en grande partie. Cette année-ci la question s'est encore aggravée de mille incidents fâcheux: songez aux circonstances dont vous seriez entouré! Et permettez-moi de vous les signaler. Que voyons-nous en Angleterre? Une société divisée par l'esprit de parti, agitée par toutes les passions qu'il inspire, perdant chaque jour de son éclat, de sa douceur, de sa sûreté; un Roi sans volonté, principalement influencé par celui de ses ministres dont vous avez le plus à vous plaindre; et ce ministre, léger, présomptueux, arrogant, n'ayant pour vous aucun des égards que votre âge et votre position exigent, quelles entraves ne met-il pas aux affaires? Sa pensée unique est de faire triompher ses propres idées, bien loin de s'éclairer des vôtres; il vous promène d'incertitudes en incertitudes, vous jette dans la contradiction, l'ignorance et le vague, fait à côté de vous les affaires qu'il devrait faire avec vous, et se glorifie ensuite du succès de sa fausseté ou de son dédain. Est-ce avec un pareil homme que vous conserveriez plus longtemps l'attitude imposante qu'il vous convient de garder? Ne sentez-vous pas qu'elle est déjà changée dans le fond, qu'elle ne tarderait pas à l'être aux yeux du public? Croyez-vous, d'ailleurs, que le rôle d'ambassadeur grand seigneur, d'homme de conservation tel que vous, puisse convenir auprès d'un gouvernement entraîné par le mouvement révolutionnaire, lorsque vous n'avez déjà que trop à lutter avec un mouvement analogue dans le pays que vous représentez? L'alliance établie par vous sur la base du bon ordre, de l'équilibre, de la conservation, pourrait-il vous plaire de la continuer sur celle des sympathies anarchiques? Ne perdez pas de vue, non plus, que l'appui et la consolation que vous avez trouvés, pendant plusieurs années, dans l'amitié, la confiance, le respect, le bon esprit de vos collègues, vous manqueraient, maintenant que le Corps diplomatique de Londres n'est plus le même. La nouvelle Espagne, le nouveau Portugal, l'informe Belgique y paraissent seuls, et sous des formes impertinentes ou vulgaires. Vous trouvant ainsi isolé en Angleterre, et soumis à tant de mauvaises conditions, sur quoi vous appuieriez-vous? Est-ce sur le gouvernement que vous représentez? Les petitesses, les indiscrétions, la vanité, l'intrigue qui règnent à Paris, vous n'avez pu les dominer que du haut de votre position à Londres; mais ce n'est pas avec le soutien de nos petits ministres, qui sont plus à lord Granville qu'à nous, que vous en imposeriez ici. Vous y êtes venu, il y a quatre ans, non pour faire votre fortune, votre carrière, votre réputation; tout cela était fait depuis longtemps; vous y êtes venu, non pas davantage par affection pour les individus qui nous gouvernent, et que vous n'aimez, ni n'estimez guère; vous n'y êtes venu que pour rendre, à travers un tremblement de terre, un grand service à votre pays! L'entreprise était périlleuse à votre âge! Après quinze ans de retraite, reparaître au moment de l'orage et le conjurer était une œuvre hardie! Vous l'avez accomplie, que cela vous suffise; vous ne pourriez désormais qu'en affaiblir l'importance. Souvenez-vous des paroles, si vraies, de lord Grey: A un âge avancé, quand on a conservé sa santé et ses facultés, on peut encore en temps ordinaire, s'occuper utilement des affaires publiques; mais il faut, dans les temps de crise, comme ceux dans lesquels nous vivons, un degré d'attention, d'activité et d'énergie, qui n'appartient qu'à la force de la vie et non à son déclin. En effet, dans la jeunesse, tout moment est bon pour entrer en lice; dans la vieillesse, il ne s'agit plus que de bien choisir celui pour en sortir. Lord Grey offrait ici une dernière digue, déjà trop faible, à l'esprit révolutionnaire; vous y avez été la dernière digue aux luttes des puissances entre elles. Lord Grey a senti trop tard qu'il était emporté par le torrent, ne sentez pas trop tard, vous, que votre influence est devenue aussi insuffisante que la sienne. Un dernier rayon de lumière est venu éclairer les nobles et touchants adieux de lord Grey, sa retraite est devenue un triomphe; un jour de plus, il était effacé! Que les deux derniers champions de la vieille Europe quittent donc en même temps la scène publique; qu'ils emportent, dans la retraite, la conscience de leurs efforts et de leurs services, et que l'histoire fasse, un jour, ce rapprochement honorable pour tous deux. C'est ainsi, mais ce n'est qu'ainsi, que je comprends le dénouement de votre vie politique. Toutes les considérations qui pourraient vous le faire envisager différemment me paraîtraient indignes de vous. Pourriez-vous, en effet, faire entrer dans la balance un peu plus ou un peu moins d'amusement et de ressources sociales? Faut-il compter pour quelque chose la petite agitation des dépêches, des courriers, des nouvelles? L'intérêt qui en résulte n'est que trop souvent le hochet d'un enfant. Devrions-nous, même, songer au plus ou moins de tranquillité matérielle? Les secousses, les tourmentes révolutionnaires sont-elles finies en France? Je n'en sais rien. Sont-elles plus ou moins prochaines en Angleterre? Je l'ignore. Faudra-t-il redouter la solitude? Chercher la distraction des voyages? Quels seront, en un mot, les détails de la vie privée? Peu nous importe. Je suis plus jeune que vous, et je pourrais plus naturellement, peut-être, y faire quelque attention; mais je croirais indigne de votre confiance, et de la vérité que j'ose vous dire aujourd'hui, si un retour quelconque sur mes convenances personnelles me faisait vous la dissimuler. Quand, comme vous, on appartient à l'histoire, on ne doit pas songer à un autre avenir qu'à celui qu'elle prépare. Elle juge plus sévèrement, vous le savez, la fin de la vie que son début. Si, comme j'ai l'orgueil de le croire, vous attachez du prix à mon jugement autant qu'à mon affection, vous serez aussi vrai avec vous-même que je me permets de l'être en ce moment, vous renoncerez aux illusions volontaires, aux arguties spécieuses, aux subtilités de l'amour-propre, et vous mettrez fin à une situation qui bientôt vous déplacerait autant aux yeux des autres qu'aux miens. Ne marchandez pas avec le public. Imposez-lui son jugement, ne le subissez pas; déclarez-vous vieux, pour qu'on ne vous trouve pas vieilli; dites noblement, simplement, avant tout le monde: l'heure a sonné!»

 

Dom Miguel est parti de Gênes, on l'a rencontré à Savone: cela déplaît tout particulièrement à lord Palmerston!

Londres, 19 août 1834.– Il paraît que pendant que dom Miguel était à Savone, on a vu en mer plusieurs bâtiments, qui ont arboré le pavillon anglais, et qui ont fait force signaux, d'après lesquels dom Miguel serait retourné à Gênes: voilà ce qu'on disait hier sans y joindre d'autre explication.

Londres, 20 août 1834.– M. de Talleyrand a quitté, hier, Londres, probablement pour ne plus y revenir; c'était, du moins, ce qu'il disait.

Il y a toujours quelque chose de solennel et de singulièrement pénible à faire une chose pour la dernière fois, à quitter, à s'absenter, à dire adieu, quand on a quatre-vingts ans. Je crois qu'il en avait le sentiment; je suis sûre de l'avoir eu pour lui. D'ailleurs, entourée de malades, malade moi-même, touchant à l'anniversaire de la mort de ma mère qui est aujourd'hui, me souvenant de tout ce qui m'est arrivé de si heureux et de si doux en Angleterre, et me voyant à la veille de tout quitter, je me suis sentie extrêmement faible et découragée; j'ai dit adieu à M. de Talleyrand avec le même serrement de cœur que si je ne devais pas le revoir dans quatre jours, et j'aurais pu lui dire aussi comme je disais à Mme de Lieven: «Je pleure mon départ dans le vôtre.»

Les dernières impressions que M. de Talleyrand a emportées de sa vie publique ici n'ont pas été précisément agréables. Après un grand nombre d'heures passées au Foreign Office, en regard de M. de Miraflorès, de M. de Sarmento et de lord Palmerston, qui s'est fait beaucoup attendre, comme à son ordinaire, ils ont enfin signé, au milieu de la nuit, des articles additionnels assez peu importants, au traité du 22 avril de la Quadruple Alliance. Lord Palmerston aurait voulu donner plus d'extension à ce traité, tandis que M. de Talleyrand, au contraire, désirait plutôt en restreindre les obligations. L'absence de Paris de lord Granville avait laissé le gouvernement français libre de toute obsession de ce côté, aussi il a tenu bon; il a autorisé M. de Talleyrand à rester dans la mesure qu'il voulait et lord Palmerston en a été pour ses velléités, lord Holland pour sa rédaction et Miraflorès pour ses sauteries.

Il y a deux anecdotes que j'ai trop souvent entendu conter à M. de Talleyrand pour qu'elles aient encore le même mérite pour moi, mais elles m'ont paru assez piquantes, la première fois que je les ai entendues, pour que je veuille les écrire ici. Elles se rattachent, toutes les deux, aux campagnes de l'Empereur Napoléon qui ont fini par la paix de Tilsitt.

L'Empereur reçut à Varsovie, où il s'arrêta pendant une partie de l'hiver de 1806 à 1807, un ambassadeur persan34, qui, à ce qu'il paraît, était homme d'esprit. Du moins, M. de Talleyrand prétend que l'Empereur Napoléon ayant demandé au Persan s'il n'était pas un peu surpris de trouver un Empereur d'Occident si près de l'Orient, l'ambassadeur répondit: «Non, Sire, car Tahmasp-Kouli-Khan a été encore plus loin.» J'ai toujours soupçonné la réalité de cette réplique que je crois avoir été inventée par M. de Talleyrand, dans un de ses moments d'humeur contre l'Empereur, humeur qu'il répandait en petites malices, et le plus qu'il pouvait, en les mettant dans la bouche d'autrui. Il y en a d'autres, cependant, dont il n'a pas renié la paternité, et que je lui ai entendu dire de premier jet, entre autres ce mot dit en 1812, si souvent répété depuis, appliqué à tant de choses, qui est devenu du domaine public, et presqu'une locution commune: «C'est le commencement de la fin!» Cette malheureuse campagne de 1812 inspira plus d'un mot piquant à M. de Talleyrand. Je me souviens qu'un jour, M. de Dalberg vint dire, chez ma mère, que tout le matériel de l'armée était perdu: «Non pas,» dit M. de Talleyrand, «car le duc de Bassano vient d'arriver.» Le duc de Bassano était, tout particulièrement alors, l'objet de la déplaisance de M. de Talleyrand, et cela se comprend. L'Empereur avait désiré rappeler M. de Talleyrand aux affaires; il avait été convenu que celui-ci le suivrait à Varsovie, mais cela devait rester secret jusqu'au jour du départ. L'Empereur en prévint, cependant, le duc de Bassano, qui, inquiet d'un retour de faveur qui pouvait menacer la sienne, vint le dire à sa femme; celle-ci se chargea de faire manquer la chose: elle se servit pour cela de M. de Rambuteau, bavard, important et mielleux, prétentieux et souple, qui se croyait amoureux de la Duchesse et valetaillait auprès du mari. M. de Rambuteau donc, bien endoctriné par la duchesse de Bassano, s'en fut partout colporter la nouvelle du voyage à Varsovie, disant que M. de Talleyrand s'en vantait et le confiait à tout le monde. L'Empereur en prit de l'humeur, et M. de Talleyrand resta en France, à préparer ses représailles…

Mais pour en revenir à la seconde histoire que M. de Talleyrand raconte souvent, la voici. Il dit que cet ambassadeur persan, qui faisait des réponses si spirituelles et si fines à l'Empereur Napoléon, était un homme de haute taille, de belle mine, de beaucoup de dignité et de présence d'esprit, tandis qu'un autre ambassadeur d'Orient, celui de Turquie35, qui avait été aussi à Varsovie complimenter l'Empereur Napoléon, était un petit homme court, épais, commun et ridicule. A un grand bal chez le comte Potocki, ces deux ambassadeurs montant en même temps l'escalier, le petit Turc s'élança pour entrer dans la salle de bal avant son collègue; celui-ci, se voyant dépassé, étendit son bras de façon à en faire une espèce de joug, sous lequel il laissa alors tranquillement passer le Musulman.

 

Londres, 22 août 1834.– Les ministres anglais ont voulu insérer dans le discours prononcé par le Roi, à la clôture du Parlement, une phrase très offensante pour la Chambre Haute, en punition de son rejet du «Bill sur les dissenters», et de celui «sur les dîmes du clergé protestant d'Irlande». Mais le Roi s'y est opposé, et avec assez de fermeté pour qu'après une lutte plutôt vive et prolongée, qui a retardé l'heure de la séance royale, cette phrase ait été abandonnée.

La Reine est revenue de son voyage. Elle a été reçue avec pompe et cordialité par la ville de Londres, dont les premiers magistrats ont été à sa rencontre. Sa santé est meilleure. Je pense avec plaisir à toutes les consolations que la Providence, dans son équité, lui réserve.

M. de Bülow annonce qu'il a demandé un congé pour affaires de famille et qu'il est sûr de l'obtenir. Il dit vouloir aller à La Haye, pour y faire tête à l'orage, et, après l'avoir conjuré là, aller affronter plus hautement celui qu'il prévoit à Berlin. Je crois, en effet, qu'il ira à La Haye, mais bien plus pour rentrer en grâce par quelques platitudes que pour vider la querelle à coups de lance; il ne veut arriver à Berlin qu'après avoir été gracié à La Haye; c'est du moins là mon opinion.

Londres, 23 août 1834.– Je termine ici mon journal de Londres avec le regret de ne l'avoir pas commencé plus tôt. Il aurait eu peut-être plus d'intérêt. Mais je n'avais, il y a quatre ans, quand je suis arrivée dans cette ville, ni bons souvenirs du passé, ni intérêt au présent, ni pensée d'avenir; ne demandant alors aux journées, à mesure qu'elles se succédaient, qu'un peu de distraction, je ne songeais pas à ce qui les marquait plus particulièrement l'une après l'autre…

Douvres, 24 août 1834.– J'ai été tout étonnée de trouver qu'on m'attendait ici et tout le long de la route. Le duc de Wellington, qui la suit pour se rendre à Walmer Castle, sa résidence comme gouverneur des Cinq Ports, m'avait annoncée. Une même famille Wright, gens tout à fait comme il faut, tient presque toutes les auberges sur cette route.

L'année dernière, j'avais été, après une tempête, recueillie ici par une très jolie Mrs Wright, qui tenait l'hôtel du Ship; elle avait l'air d'une reine; ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai appris qu'elle l'avait été, mais de théâtre, et que ses extravagances avaient ruiné son mari. L'hôtel est tenu maintenant par des gens nommés Waburton qui y mettent de la magnificence. J'ai encore été frappée de la respectueuse politesse avec laquelle on est accueilli en Angleterre dans les auberges, aux relais de poste; du bon langage, des manières convenables, chez les gens les plus inférieurs. Sur la route, on me parlait du duc de Wellington, de la mort de Mrs Arbuthnot, du passage de M. de Talleyrand, du désir de nous voir revenir en Angleterre, et de tout cela dans une mesure charmante.

Je vais partir sur un paquebot français; le temps est beau, la mer est calme. Adieu donc à l'Angleterre, mais non pas au souvenir des quatre belles années que j'y ai vécu, et qui ont passé avec une rapidité qui s'explique par l'intérêt des événements et les motifs particuliers de satisfaction et de douceur que j'y ai trouvés! Adieu encore à cette terre hospitalière dont je ne m'éloigne qu'avec les regrets de la reconnaissance!

Paris, 27 août 1834.– Je suis arrivée ici hier au soir à dix heures. J'ai trouvé M. de Talleyrand qui m'attendait. L'impression générale qu'il m'a faite, était d'être assez triste et ennuyé; cependant il se dit fort content du Château36, où il paraît être très à la mode. Il dit aussi qu'il est tellement populaire à Paris, que les passants s'arrêtent devant sa voiture et lui tirent leur chapeau; mais malgré tout cela, il répète qu'il ne connaît personne ici, qu'il s'y ennuie, que tout le monde est vieilli, usé.

Paris, 28 août 1834.– J'ai été hier à Saint-Cloud: le Roi m'a fait l'honneur de causer beaucoup avec moi, peut-être trop, car il m'a fallu dire quelque chose de mon côté, et c'est un lieu où je n'ai jamais qu'une envie, celle de me taire. Cependant cette conversation a eu beaucoup d'intérêt, car le Roi qui a de l'esprit sur tout, et de l'intelligence de tout, a parlé aussi de tout: l'Angleterre actuelle, dont la dégringolade n'est pas rassurante pour ses voisins; la retraite de lord Grey, qui a affligé ici; le départ de don Carlos d'Angleterre; le plus ou moins de part qu'y avait eu le duc de Wellington, qu'on en suppose l'auteur, ce que j'ai vivement réfuté, croyant ma conscience engagée à le faire; puis l'intervention en Espagne, puis la loi salique; enfin, tout ce qui préoccupe en ce moment, le Roi en a parlé, et fort bien parlé. Il a beaucoup insisté sur ce qu'à lui seul, il s'était opposé à l'intervention immédiate que voulaient les ministres; en me disant cela, il fermait sa grosse main, et me montrant le poignet: «Voyez-vous bien, madame? Il m'a fallu retenir, par les crins, des chevaux qui n'ont ni bouche ni bride.»

A propos de la loi salique, il m'a dit: «Je suis «loi salique» jusqu'au bout des doigts: les Ducs d'Orléans l'ont toujours été, ma protestation en fait foi; mais quand je luttais pour elle, on trouvait que c'était m'ôter des chances que de la détruire, aussi tout le monde s'est prêté à sa destruction, au lieu de m'aider à la faire maintenir; on m'a laissé seul contre les vanités et les ignorances françaises et toutes les autres difficultés; puis, maintenant, on me reproche d'avoir abandonné ma propre cause dans celle de don Carlos. Je n'ai aucune haine contre lui, aucune affection pour Isabelle, mais on a voulu que les choses tournassent comme elles l'ont fait. Ce sont les deux années qui ont précédé mon règne qui ont préparé ce qui se passe aujourd'hui dans la Péninsule et qui est déplorable. Du reste, que ce soit l'anarchie sous Isabelle, ou l'Inquisition sous don Carlos qui triomphe, je puis être importuné, mais non pas ébranlé par ce voisinage. Nous avons fait des progrès immenses au dedans, mais je conviens qu'il reste beaucoup à faire encore, et avec quels instruments!»

Le Roi est alors entré dans beaucoup de détails sur la pesanteur de sa charge, et il a fini par dire: «Madame, songez donc qu'il faut, pour que les choses aillent, que je sois le Directeur de tout et le Maître de rien

A propos de l'état de l'Angleterre, et des complications qui y surviendront par suite de l'âge et du sexe de l'héritière du trône, le Roi a dit: «Quelle déplorable chose, dans un temps comme celui-ci, que toutes ces petites filles Rois!!» Il est parti de là pour faire un morceau, vraiment très éloquent, sur les inconvénients des règnes de femmes; puis, tout à coup, il s'est arrêté, m'a fait une phrase polie, avec une sorte d'excuse qui n'était nullement nécessaire, et je lui ai dit que je croyais qu'on pouvait dire des femmes cc que M. de Talleyrand disait de l'esprit, que servant à tout, elles ne suffisaient à rien.

Le Roi m'a longuement entretenue ensuite des restaurations de Versailles et de Fontainebleau. Il a fait remeubler la chambre de Louis XIV, à Versailles, telle qu'elle était, c'est-à-dire avec une tenture brodée par les demoiselles de Saint-Cyr. Un panneau représente le sacrifice d'Abraham; le second, celui d'Iphigénie; le troisième, les amours d'Armide. Le Roi a fait replacer, dans cette même chambre, un portrait de Mme de Maintenon donnant une leçon à Mlle de Nantes. Versailles sera le vrai musée de l'histoire de France. Je sais gré au Roi de son respect pour la tradition; les monuments historiques lui devront beaucoup.

Quelle triste lettre que celle qu'Alava m'écrit de Madrid. Il fait de l'Espagne le plus déplorable tableau et ne prévoit qu'une série de circonstances plus fatales les unes que les autres. Il me dit que l'ignorance et la présomption y sont poussées au dernier degré, et que le demi-savoir, importé de France et d'Angleterre, y fait peut-être encore plus de mal que l'ignorance complète. La banqueroute est flagrante, le choléra y a été plus hideux qu'ailleurs, augmenté par la stupidité du peuple, qu'on voyait aux enterrements des cholériques manger des concombres et des tomates crus, tandis que la Junte de santé, à Ségovie par exemple, ordonnait que, dans toute maison frappée par l'épidémie, tous les meubles du décédé seraient brûlés, tous les survivants enfermés à l'hôpital, y compris le prêtre qui aurait assisté le mourant.

34Myrza-Rhyza-Kan, envoyé extraordinaire de Seth-Ali, Schah de Perse, près de Napoléon Ier, à Varsovie, en mars 1807.
35Eminin-Effendi, accrédité par le Sultan Mustapha IV auprès de l'Empereur Napoléon Ier, à Varsovie, en mars 1807.
36Les Tuileries.