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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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Londres, 29 juillet 1834.– Une course à Woburn Abbey a interrompu ce journal. Ce troisième séjour que j'ai fait dans ce bel endroit, beaucoup plus agréable pour moi, personnellement, que les deux premiers, ne m'a cependant rien fourni à ajouter aux descriptions que j'en ai faites. Il ne s'y est rien passé non plus, qui sortît du cours habituel de la vie de château en Angleterre. Grande et large hospitalité, avec un peu plus de pompe et de parure qu'il ne faut dans la vie de campagne, telle qu'on la comprend sur le Continent!

Un voyage, à Woburn surtout, est une chose arrangée, comme l'est un dîner en ville. Vingt ou trente personnes qui se connaissent, mais sans familiarité, sont invitées à se réunir pendant deux ou trois jours; les maîtres de la maison se rendent chez eux, exprès pour y recevoir leurs hôtes et s'en retournent à leur suite; ils paraissent, ainsi, y être eux-mêmes en visite. Mais enfin, il y a tant à voir, tant à admirer, le duc de Bedford est si poli, si parfaitement grand seigneur, la Duchesse si attentive, qu'il est impossible de ne pas rester sous une impression agréable. La mienne l'a été, beaucoup, et cela en dépit du voile assez triste qui couvrait quelques-unes des figures principales, lord Grey par exemple, qui s'est affaissé tout à coup d'une manière frappante, souffrant et abattu, et ne se donnant aucune peine pour dissimuler ses dispositions, qui deviennent de plus en plus amères. Les abdications les plus volontaires sont toujours suivies de regrets; on mourrait dans la tourmente, on s'éteint dans le repos. C'est si difficile d'être satisfait de soi-même et des autres!

Mme de Lieven aussi, malgré tous ses efforts, succombait sous le poids des adieux, du départ, de l'absence; elle est vraiment fort malheureuse et me fait grande pitié. Elle est bien plus à plaindre, encore, que toute autre ne le serait en pareille situation, car jamais personne d'esprit n'a trouvé moins de ressources en elle-même. Elle les demande constamment à ses alentours. Le mouvement des nouvelles et de la conversation lui est indispensable, et elle ne connaît d'autre emploi à la solitude que le sommeil. Elle pleure de quitter l'Angleterre, elle redoute Pétersbourg, mais sa plus grande terreur, c'est celle de la traversée, huit jours de solitude! car son mari et ses enfants ne comptent pas pour elle. Elle s'arrêtera un jour à Hambourg, uniquement pour échanger quelques paroles avec des visages nouveaux; elle a saisi avec avidité l'idée de lui assurer la visite du baron et de la baronne de Talleyrand qu'elle n'a jamais vus et qu'elle sait ne pas être amusants! Elle a éprouvé un soulagement évident en décidant lord Alvanley à prendre sa route pour Carlsbad, par Hambourg, dans le même bateau qu'elle, et cela quoique lord Alvanley la prévînt que le mal de mer le rendait de fort mauvaise compagnie; enfin l'ennui fait, chez elle, l'effet de la mauvaise conscience: elle ne songe qu'à se fuir elle-même.

En revenant à Londres, nous avons appris les massacres de Madrid: toujours cette horrible fable des puits empoisonnés, qui, partout où le choléra fait des ravages, a excité l'ignorance populaire et l'a changée en fureur et en atrocités. Les moines en ont été victimes, et, malgré le fanatisme religieux, les couvents ont été pillés. L'autorité a été faible, et par conséquent impuissante; le gouvernement était retiré à Saint-Ildephonse, terrifié et hésitant, ne sachant si, dans ces tristes circonstances d'épidémie, de désordre et de guerre civile, il devait proroger les Cortès ou les réunir, ni dans quels lieux, ni sous quels auspices! Il est impossible d'imaginer un plus triste concours de circonstances fatales pour l'Espagne et un voisinage plus incommode pour la France.

Louis-Philippe a grande répugnance à intervenir ostensiblement et directement dans les destinées de l'Espagne. Il a même assez montré son éloignement à cet égard, pour en avoir laissé comprendre le secret par les ambassadeurs à Paris, qui s'en prévalent puissamment. Le ministère français, qui compte davantage avec les vanités et les susceptibilités nationales, s'est moins nettement prononcé. C'est ainsi qu'on doit paraître après-demain devant les Chambres.

Un des principaux motifs indiqués de la retraite du maréchal Soult était son insistance pour qu'on envoyât un gouverneur militaire à Alger, en opposition avec le reste du Cabinet, qui exigeait que ce fût un gouverneur civil. Il paraît que les exigences du maréchal Gérard ont porté sur le même objet, et que, fort de l'amitié du Roi, il l'a emporté, car c'est le général Drouet d'Erlon qui vient d'être nommé à cet emploi.

Londres, 31 juillet 1834.– L'année dernière le Roi d'Angleterre disait à M. de Talleyrand à son départ pour le Continent: «Quand reviendrez-vous?» L'année d'avant, il lui avait dit: «J'ai chargé mon ambassadeur à Paris de dire à votre gouvernement que je tiens à vous conserver ici.» Cette année-ci, il dit: «Quand partez-vous?» Il me semble qu'on peut retrouver, dans ses expressions si différentes, la trace des influences palmerstoniennes.

Hier au Lever du Roi, lord Mulgrave a reçu le Sceau privé abandonné par lord Carlisle.

On parlait, dans notre salon, du talent de certaines personnes pour raconter des histoires de revenants. Cela m'a rappelé l'intérêt avec lequel j'avais entendu, il y a deux ans, à Kew33, Mme la duchesse de Cumberland nous conter une apparition qu'elle avait vue elle-même et dont le souvenir paraissait encore l'émouvoir beaucoup. Elle nous fit d'autant mieux participer à ses impressions qu'il était tard et qu'un gros orage bien effrayant grondait au dehors.

Voici cette histoire; elle se passa à Darmstadt, où Mme la duchesse de Cumberland, alors princesse Louis de Prusse, était allée voir sa famille du côté maternel. Elle fut logée dans un appartement d'apparat du château, qui n'était habité que rarement, et dont l'ameublement, quoique magnifique, était resté le même depuis trois générations. Fatiguée de sa route, elle ne tarda pas à s'endormir, mais elle ne tarda pas, non plus, à sentir passer sur son visage un souffle qui l'éveilla; elle ouvrit les yeux, et vit la figure d'une vieille dame qui se penchait sur la sienne. Saisie de cette apparition, elle tira bien vite sa couverture sur ses yeux, et resta quelques instants immobile; mais le manque d'air lui fit changer de position, et la curiosité la pressant, elle rouvrit les yeux et vit la même figure vénérable, pâle et douce, la fixer encore. Alors, elle se mit à crier bien fort, et la nourrice du prince Frédéric de Prusse, qui couchait avec l'enfant, dans la pièce voisine, dont les portes étaient ouvertes, accourut et trouva sa maîtresse baignée dans une sueur froide; elle demeura près d'elle tout le reste de la nuit. Le lendemain, la Princesse raconta à sa famille l'événement de la nuit, et demanda instamment de changer d'appartement, ce qui eut lieu. Du reste, son récit n'étonna personne, car il était admis dans la famille, que chaque fois qu'une personne, descendante de la vieille duchesse de Darmstadt, qui avait habité cet appartement, s'y trouvait couchée, cette vieille aïeule venait faire visite à ses arrière-petits-enfants, et on citait, à l'appui de cette tradition, l'exemple du duc de Weimar et de plusieurs autres Princes. Beaucoup d'années plus tard, la duchesse de Cumberland, princesse de Solms, et habitant Francfort, fut invitée par son cousin, le grand-duc de Hesse-Darmstadt, à venir assister à une grande fête qu'il préparait. La Princesse s'y rendit, mais avec l'intention de revenir la même nuit chez elle à Francfort. Le souper fini, elle passa dans une pièce où on avait préparé sa robe de voyage et où, pendant sa toilette, elle fut suivie par sa cousine, la jeune Grande-Duchesse nouvellement mariée: celle-ci demanda à la princesse de Solms si ce qu'elle avait entendu raconter de l'apparition était vrai. Elle désira en avoir le récit détaillé et, après l'avoir entendu, elle voulut savoir si l'impression avait été assez forte pour que la Princesse se souvînt encore des traits de leur vieille aïeule: «Oui, certainement,» assura la Princesse. – «Eh bien!» dit la Grande-Duchesse, «son portrait est dans la chambre où nous nous trouvons, avec deux autres portraits de famille de la même époque. Prenez la lumière, approchez-vous, et dites-moi lequel vous croyez être celui de l'apparition; je verrai si vous devinez juste.» Au moment où la Princesse, non sans quelque répugnance, s'approcha des portraits et reconnut celui de la vieille grand'mère, il se fit au-dessus de la chambre un bruit épouvantable, le cadre et le portrait se détachèrent, et sans leur fuite précipitée, les curieuses eussent été tuées par la chute du tableau.

Je ne sais si cette histoire est bien belle en elle-même, mais je sais qu'elle me fit beaucoup d'impression, parce qu'elle fut très bien racontée, et que, dans ce genre de choses, quand on entend dire: «J'ai vu, j'ai entendu,» on ne se permet plus de tourner la chose en moquerie. D'ailleurs, le sérieux de la Duchesse était parfait, et son émotion vive, de sorte que je ne me suis jamais permis de douter de l'exactitude du récit.

L'absence de Mme la duchesse de Cumberland a laissé, pour moi du moins, un vide sensible à Londres. Elle a de l'esprit, de l'instruction, les plus belles manières, les plus royales, de la grâce, de la douceur, des restes de beauté, surtout dans la taille. Elle m'a traitée avec une bonté d'autant plus parfaite qu'elle l'a reportée, depuis, sur mon second fils. Enfin, quelque jugement qu'on porte sur son caractère, qui n'est pas également honoré par tout le monde, il est impossible de ne pas lui reconnaître de grandes qualités, et de ne pas être touché de la grande affliction dont elle est frappée, dans l'infirmité de son fils, le prince George. Celui-ci est un aimable et beau jeune homme, privé à l'âge de quinze ans, et après de vives douleurs, de la vue; c'est un objet tout à la fois de pitié et d'admiration, résigné comme un ange, sans impatience, sans regrets, sans humeur, dissimulant sa tristesse à sa mère. Il soutient le courage de ceux qui l'entourent, par celui qu'il témoigne lui-même, et il inspire déjà dans son jeune âge tout le respect d'une grande vertu. L'improvisation sur le piano est la distraction à laquelle il préfère se livrer; ses mélodies sont toujours tristes et graves, mais lorsqu'il reconnaît le pas de sa mère, il passe à un thème gai et animé pour lui donner le change sur ses impressions. Aussi longtemps que, par des remèdes, on a espéré lui rendre la vue et arrêter les progrès de l'inflammation, on a suspendu son éducation; mais lorsque son précepteur, qui est un homme excellent, a jugé que l'éducation en souffrait sans que la vue y gagnât, il a proposé au jeune Prince de reprendre le cours de ses études, et lui a soumis un plan, pour continuer autant que cela se pouvait, sans le secours de la vue. Le Prince s'est tu pendant quelques instants, puis, d'un air pénétré, il a dit: «Oui, Monsieur, vous avez raison, je suivrai vos avis; car je sens que, quoiqu'une porte se soit fermée pour moi, il faut que je cherche avec d'autant plus de soin à en ouvrir une autre.»

 

Londres, 1er août 1834.– Quel triste dîner que celui d'hier chez lord Palmerston! Dîner d'adieu pour la princesse de Lieven, où elle est venue malgré elle, où nous n'allions qu'à cause d'elle, où lady Cowper faisait de visibles efforts pour paraître à son aise, où lady Holland voulait des explications sur les derniers torts de lord Palmerston envers M. de Talleyrand, où chacun pressentait que notre départ serait aussi définitif que celui de cette pauvre Princesse. M. de Bülow, pâle et embarrassé, avait l'air d'un filou pris sur le fait; le pauvre Dedel avait, lui, l'air d'un orphelin qui voit enterrer ses parents; lord Melbourne ne faisait à personne, avec sa grosse tournure de fermier normand, l'effet d'un premier ministre.

L'échec volontaire éprouvé la veille par le ministère à la Chambre des Communes, où il s'est laissé battre par les radicaux, dans la question du Clergé irlandais, ne donnait pas bonne mine à ces messieurs. Enfin il y avait, sur tout et sur tous, une gêne lugubre répandue qui m'oppressait à un point extrême.

Je ne me sens pas le courage d'aller, ce matin, dire un dernier adieu à cette pauvre Princesse, tuée de fatigues et d'émotions. C'est un bon procédé que ne pas augmenter son agitation. Ce départ qui me peine, puisqu'il éloigne, sans grandes chances de revoir, une personne distinguée, m'afflige encore par les retours qu'il me fait faire sur tous les changements qui se sont opérés ici depuis quatre ans, et qui, tous, les uns après les autres, ont tendu à ternir cette belle et brillante Angleterre. Dans le Corps diplomatique seul, que de pertes! M. Falk, si aimable, si doux, si fin, si spirituel, si instruit, remplacé d'abord par l'âcre M. de Zuylen, l'est maintenant par le bon mais insignifiant Dedel. La bonne humeur, l'entrain ouvert et naïf de Mme Falk a fait faute aussi. M. et Mme de Zea étaient gens plus intelligents, de beaucoup, que les lilliputiens de Miraflorès. M. et Mme de Münster étaient fort supérieurs aux Ompteda à tous égards. L'excellente Mme de Bülow n'a pu être remplacée pour moi, et je crois, d'ailleurs, que son absence a trop laissé les mauvaises tendances de son mari sans le contrepoids que la simple et honnête nature de sa femme leur opposait. Esterhazy est l'objet d'un regret universel: sa parfaite bonne humeur, sa sûreté sociale, sa facilité de caractère, ses habitudes de grand seigneur, la finesse de son esprit, la droiture de son jugement, la bienveillance de son cœur, tout le faisait chérir ici et rien ne saurait l'y faire oublier. Wessenberg aussi a laissé une place vacante qui n'a pas été remplie. Le départ des Lieven élargit la brèche sociale et le nôtre achèvera cette démolition générale. Le terrain neutre des maisons diplomatiques est surtout appréciable dans un pays divisé par l'esprit de parti, et où, la politique ayant rompu tant d'autres liens, la société ne saurait plus se réunir sous les anciens auspices.

Nous avons appris, hier, télégraphiquement, que la Reine régente d'Espagne avait ouvert elle-même les Cortès le 24, à Madrid, que la ville était tranquille, que le choléra y diminuait un peu et que don Carlos se retirait de plus en plus vers la frontière de France.

Londres, 3 août 1834.– Il me semble que rien ne témoigne mieux de l'état dans lequel est tombée la politique intérieure du gouvernement anglais que ce que disait, hier, lord Sefton: «Savez-vous,» me disait-il, «que malgré mon admiration pour lord Grey, je trouve que nous en sommes venus à un point où il est non seulement heureux pour lui-même, mais encore fort avantageux pour le pays qu'il se soit retiré? Jamais il n'aurait consenti à la moindre courtoisie, encore moins à un peu de flatterie pour O'Connell et ses amis, et cependant il n'y a plus moyen de ne pas les satisfaire; il est urgent de les adoucir par les bassesses contre lesquelles lord Grey se serait révolté, et qui répugnent moins à ses successeurs, à commencer par mon ami le Chancelier. Ainsi vous voyez qu'il est heureux que nous ayons pour gouvernants des gens tout disposés à faire les bassesses nécessaires!»

Il me semble qu'on s'accorde à beaucoup louer le discours de la Reine d'Espagne. Pour l'apprécier il faudrait connaître, mieux que je ne puis le faire, l'état de ce pays; tout ce que je puis lui souhaiter de mieux, c'est qu'elle ne soit plus dans le cas d'en faire de si longs et dans de semblables circonstances. On dit qu'elle l'a prononcé de fort bonne grâce. On doit lui savoir gré d'avoir repris courage et d'être rentrée dans la contagion pour le prononcer.

Le choléra enlève beaucoup de monde à Madrid; la police sanitaire y est mauvaise, la chaleur extrême, la propreté nulle. Les femmes y sont atteintes dans une proportion double des hommes. La mère de Mme de Miraflorès est parmi les victimes.

Don Carlos est, à ce qu'il paraît, sur le point de repasser la frontière; il en est même, dit-on, assez près pour que les vedettes françaises aperçoivent les siennes.

Je ne sais quel mauvais vent souffle sur Paris, mais je serais disposée à croire que tout n'y est pas aussi tranquille en réalité qu'en apparence. Voici, à cet égard, ce que je trouve dans une lettre de Bertin de Veaux: «Il paraît qu'il est dans la destinée du prince de Talleyrand, et dans la vôtre, de ne venir à Paris que pendant les crises ministérielles, car notre ministère n'est pas plus solide que celui de Londres. Au surplus, dans ce pays-ci, on a pris son parti de vivre au jour le jour; excepté les acteurs, personne ne pense à la pièce. Cependant, quand vous arriverez, votre salon sera bientôt plein, et c'est devant vous et devant le Prince, que tous les acteurs, grands et petits, iront poser, comme on dit à présent.»

Dans une autre lettre, il est fort question des dangers du jour, de ceux du lendemain, de vœux apparents, de velléités sourdes, de mésintelligences, d'associations, de la grande ambition de certains petits hommes, de l'humeur et de la bouderie des autres. A propos de mécomptes éprouvés par M. Decazes, on ajoute: «Ce pauvre M. Decazes a beau frapper la terre de tous côtés, il n'en peut rien faire sortir; on dit qu'il veut maintenant la place de Semonville, et qu'il a peut-être quelques chances, parce que Semonville est très commode à désobliger; il ne fait peur à personne. Cette mode d'enterrer les gens, avant qu'ils ne soient morts, ne me plaît guère; je croyais qu'on en était dégoûté depuis l'épreuve faite sur MM. de Marbois et Gaëte, qui n'a pas eu de succès dans le public. Comme, en rentrant chez soi, on se trouve bien de ne pouvoir être dépossédé de rien!»

Londres, 4 août 1834.– Il paraît certain que, la veille de l'ouverture des Cortès, on a découvert une conspiration républicaine fort étendue, dans laquelle beaucoup de personnes marquantes auraient été compromises. Palafox et Romero sont arrêtés; on dit que c'est en Galice surtout qu'ils avaient le plus de partisans; dans l'Aragon et la Catalogne ce sont les carlistes qui dominent et s'agitent. Ainsi, voilà trois drapeaux différents, sous lesquels l'Espagne se range et se divise.

Quand M. Backhouse a été trouver don Carlos sur le Donegal, celui-ci lui a dit qu'il avait entendu parler du traité de la Quadruple Alliance, mais qu'il désirait en connaître le texte. L'ayant lu, il l'a remis à M. Backhouse, sans réflexions, mais avec un sourire très ironique, qui est devenu un rire dédaigneux lorsque M. Backhouse lui a dit qu'il croyait qu'il se faisait illusion sur la force de son parti en Espagne. A cela près, le Prince a été poli et doux dans son accueil et même obligeant.

On avait annoncé la clôture du Parlement pour le 12, et la plus grande partie des membres comptaient quitter Londres même avant ce jour-là, quand le duc de Wellington a réuni, avant-hier, tous ceux de son parti chez lui; il les a priés dans l'intérêt et pour le salut de la Patrie de rester à leur poste et de profiter de leur majorité, reconnue imposante dans la question des dissenters pour défendre encore l'Église à l'occasion des autres mesures qui restent en discussion. La crainte de laisser le Clergé protestant d'Irlande sans aucun moyen d'existence, si le «Bill sur les dîmes», œuvre d'O'Connell, est rejeté, laisse, à la vérité, quelques doutes sur la marche définitive que la Chambre Haute adoptera, mais les évêques paraissent croire que ce Bill serait aussi pernicieux pour eux que l'absence de toutes mesures pécuniaires. Il est certain que la semaine actuelle est une des plus critiques; si ce Bill est rejeté, les deux Chambres se trouveront en collision. Le ministère quittera-t-il? ou bien demandera-t-il carte blanche au Roi? avancera-t-il ainsi dans la route révolutionnaire? ou bien s'en tiendra-t-il, comme le Chancelier le disait hier, à laisser le Clergé protestant d'Irlande mourir de faim? Lord Grey disait que ce ne serait pas si aisé de laisser ces prêtres mourir de faim, puisqu'une loi obligeait de pourvoir à leur existence, soit en prélevant les dîmes, soit de toute autre manière. Et quant à une fournée de Pairs, sur l'observation qu'il en faudrait nommer cent cinquante, lord Grey a dit que deux cents ne suffiraient pas, parce que toute l'ancienne Pairie, lui en tête, se révolterait contre un gouvernement assez fou et assez mauvais pour se porter à une telle extrémité. Il resterait d'ailleurs à savoir si le Roi y consentirait. Celui-ci est souffrant, triste, abattu; il en convient et surtout de sa préoccupation morale, qu'il ne cherche pas à cacher. On remarque en lui une oppression extrême et particulièrement l'affaiblissement d'un œil qu'il ne peut presque plus ouvrir.

Voici ce qui s'est passé à l'occasion de la Jarretière, vacante par la mort de lord Bathurst: le Roi l'a envoyée à lord Melbourne, comme étant son premier ministre. Celui-ci l'a respectueusement refusée, en disant qu'il suppliait le Roi de la donner à celui auquel lord Grey aurait désiré qu'elle arrivât, c'est-à-dire au duc de Grafton. Le Roi l'a, en effet, envoyée au Duc, mais celui-ci, vivement affecté de la mort de son fils favori, se sentant, d'ailleurs, âgé et hors du monde, a prié le Roi de la donner à quelqu'un qui pourrait se montrer plus souvent à ses yeux et qui serait plus utile à son service. On suppose qu'elle ira au duc de Norfolk; mais il est catholique, et ce serait le premier exemple de cette grâce donnée à un dissident religieux.

Un rude coup vient de frapper le duc de Wellington, au milieu des soucis multipliés de chef de l'opposition: Mme Arbuthnot, femme d'esprit et de sens, discrète et dévouée, amie fidèle du Duc, vient de mourir en peu de jours d'une maladie vive. Elle était dans toute la force de l'âge et d'une santé jusque-là très robuste. Le Duc a donc perdu, dans la même semaine, lord Bathurst, son plus ancien ami, et Mme Arbuthnot, sa confidente, sa consolation, son home! Les morts, les départs rendent Londres bien triste en ce moment; tout le monde a la mine longue et déconfite; on est consterné de cette mauvaise veine, qui fait que chaque jour est marqué par une catastrophe.

 

Londres, 5 août 1834.– Dom Miguel a, décidément, signé sa protestation. Le duc d'Alcudia et M. de Lavradio sont près de lui; ils se disposent tous à venir rejoindre don Carlos, au moindre succès de celui-ci.

Lady Holland et lady Cowper font tous leurs efforts pour que M. de Talleyrand et lord Palmerston se quittent sur de bons termes. Je comprends que les amis de celui-ci le désirent, et qu'il leur importe, d'une part, que l'on ne puisse pas s'en prendre aux inconvénients personnels de lord Palmerston de la dispersion totale du haut Corps diplomatique, et que, de l'autre, le mauvais renom du ministère anglais dans toute l'Europe ne soit pas fortifié du langage de M. de Talleyrand sur lui à Paris. On arrivera, en effet, à faire qu'ils se quitteront poliment, sans éclat, sans rupture; mais il est impossible qu'un levain qui fermente depuis si longtemps, ne laisse pas un germe de mal-être, d'embarras et de rancune. M. de Talleyrand ne saurait oublier qu'il a été traité légèrement par plus jeune et moins capable que lui. Lord Palmerston, moins impertinent, peut-être, dans les formes, s'en vengerait sur le fond des choses, et d'autant plus aisément que l'âge et la paresse de M. de Talleyrand le rendraient, chaque jour, plus facile à entraîner dans de fausses démarches. Rien ne serait donc plus mal avisé que de se remettre en présence, et malgré tous les souvenirs si doux et si satisfaisants qui m'attachent à l'Angleterre, j'avoue que j'éprouverai, à l'égard de M. de Talleyrand, un soulagement véritable à le voir hors des affaires publiques.

Londres, 6 août 1834.– C'est décidément le duc de Norfolk qui a la Jarretière.

L'Espagne demande des articles additionnels au Traité du 22 avril, dit de la «Quadruple Alliance». Elle demande à l'Angleterre des vaisseaux en croisière sur les côtes de la Biscaye; au Portugal, un corps d'armée; à la France, de l'argent, des munitions, des troupes sur la frontière française; et à ses alliés réunis, l'appui moral d'une déclaration favorable à la cause de la Régence, et qui étendrait et expliquerait plus amplement le but du premier Traité.

L'incertitude et l'ignorance prolongée des mouvements de Rodil inquiètent sur ses succès, et on attribue à l'alarme qui en résulte la baisse des fonds à Paris, les malheurs particuliers qui en sont résultés et qui ont amené de sinistres catastrophes. Les Rothschild, qui avaient inondé l'Europe d'effets espagnols, et qui en étaient restés eux-mêmes assez encombrés, sont de très mauvaise humeur et prodigieusement inquiets.

Il y a des gens d'esprit qui prétendent que le grand danger pour la Régente n'est pas dans don Carlos, mais dans le parti dit du mouvement. On est bien disposé à se ranger à cette opinion quand on songe à l'horrible propos tenu par Romero Alpuende, qui appelait les massacres du 17 juillet à Madrid: «Un léger soulagement patriotique.»

Londres, 8 août 1834.– Rodil paraît avoir obtenu, décidément, un succès très marqué sur toute la ligue des carlistes. Dans une guerre régulière cela pourrait mettre fin à la lutte, mais dans une guerre civile les règles communes ne s'appliquent plus et ce qu'on croit anéanti aujourd'hui reparaît demain.

M. de Talleyrand a pris congé du Roi avant-hier. Le Roi a été gracieux pour lui et pour moi, regrettant qu'en l'absence de la Reine, sa vie de garçon l'empêchât de m'engager à aller à Windsor où il aurait été charmé de me voir avant mon départ. Ceci est plus obligeant qu'exact, car la princesse Auguste fait les honneurs du château, des dames y sont invitées, entre autres lady Grey et sa fille; mais enfin la rédaction est gracieuse et, dans le monde, c'est tout ce qu'on peut exiger.

Le Roi a beaucoup dit encore que les affaires étaient bien sérieuses et les cartes bien mêlées, ce à quoi M. de Talleyrand a répondu: «Quant à nous, Sire, nous jouons nos cartes sur la table de Votre Majesté.»

Londres, 9 août 1834.– Je ne connais rien de si embarrassant pour des maîtres de maison que l'hostilité montrée et rapprochée des convives entre eux. Le Chancelier, auquel nous espérions avoir échappé, nous est arrivé hier au dessert. Il a prolongé notre dîner en mangeant fort à son aise et avec sa saleté ordinaire; il parlait en mangeant, touchant à tous les sujets, comme à tous les plats, sans arrêt, sans délicatesse. Nous en souffrions, surtout pour lord et lady Grey. Enfin il nous a mis tous bien mal à l'aise et a augmenté, s'il est possible, mon dégoût et mon mépris pour lui.

Lord John Russell, qui dînait chez nous, est aussi un petit radical, mais, du moins, il a toutes les habitudes de bon goût et de bonne grâce qui distinguent son père.

A propos de popularité et des frais qu'il est convenable que les grands seigneurs fassent pour les classes secondaires de la société, lord John me disait, hier, que rien ne pouvait vaincre la répugnance du duc de Bedford pour le petit monde de son entourage, et qu'un jour l'intendant, du Duc lui ayant demandé d'inviter ce monde à dîner et le Duc s'y étant refusé, l'homme d'affaires lui dit: «Mais, monsieur le Duc, par ces politesses vous épargnerez peut-être quinze mille louis aux élections prochaines. – Cela se peut, répondit le Duc, mais l'argent dépensé à m'éviter de l'ennui et de la déplaisance me paraîtra fort bien employé. Je payerai les quinze mille louis, mais je ne donnerai pas de dîner.» Le duc de Bedford est cependant très magnifique, très charitable, faisant faire des travaux considérables uniquement pour employer les pauvres du Comté. Eh bien! il n'y est pas populaire; l'amour-propre blessé des classes intermédiaires se fait plus sentir que les besoins satisfaits des indigents ne se font jour.

Lord, lady Grey, leurs enfants, avaient, disaient-ils, envie de se distraire, de changer le cours de leurs idées, d'aller en France et de nous y faire visite; mais l'espèce de triomphe qui y serait décerné à lord Grey a épouvanté le ministère actuel, qui aurait craint la comparaison entre les honneurs rendus à leur victime et la déconsidération sous laquelle ils gémissent. Aussi a-t-on persuadé à lord Grey que s'il se rendait en France maintenant, il aurait l'air d'y aller pour chercher une ovation et que ce serait manquer de délicatesse; nous ne l'y verrons donc pas. Je le regrette pour lui; je crains que dans la disposition irritée et pénible dans laquelle il se trouve, la solitude et l'ennui ne lui fassent un mal réel, ainsi qu'à sa femme, qui est plus blessée et plus profondément atteinte que lui-même. Lord Grey s'est, moralement et physiquement, détruit aux affaires; quelle différence s'il s'en était éloigné six semaines plus tôt, en même temps que les quatre membres vraiment distingues et honorables du Cabinet! Lord Grey se serait alors retiré avec tous les honneurs de la guerre au lieu de mettre bas les armes!

Le goût des voyages a, du reste, gagné tout le monde, et le Chancelier, comme les autres, voulait employer ses vacances à faire un pèlerinage pittoresque et amoureux aux bords du Rhin, à la suite de Mrs Peter. Mais, à ce qu'il m'a dit, hier, lui-même, le Roi n'a pas voulu le lui permettre; depuis lord Clarendon, aucun Chancelier d'Angleterre n'a quitté le pays, et ce précédent n'est pas encourageant, car ce Chancelier-là n'était en voyage que parce que son Roi était en fuite. D'autres personnes disent que le Roi n'est pour rien dans les changements de projets de lord Brougham, mais que l'obligation de céder quatorze cents louis de son traitement pour établir une Commission des sceaux en son absence est la véritable cause qui le fait rester.

Londres, 11 août 1834.– Lord Palmerston nous a donné un dîner d'adieu. C'est dans son goût: il aime à fêter les partants; mais il ne s'était pas donné grand'peine pour la réunion. Il n'y avait, outre quelques diplomates inférieurs, que Mrs Peter; pas un Anglais considérable, personne de ceux réputés nos amis. C'était un acquit de conscience, ou plutôt de mauvaise conscience, et voilà tout. Peut-être lord Palmerston a-t-il plus de haine contre les Lieven que contre nous, mais il affichera autant de dédain pour les uns que pour les autres.

33Kew est situé sur la rive droite de la Tamise. Ce château fut pendant quelque temps la demeure du duc et de la duchesse de Cumberland, avant qu'ils n'héritassent du trône de Hanovre. Il y a à Kew un observatoire et un jardin botanique créés par le Roi George III.